Interview de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, à RMC le 23 février 2006, sur le parcours de soins des patients, l'épidémie de chikungunya à la Réunion et la grippe aviaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

J.-J. Bourdin - Je ne sais pas si vous avez lu le magazine Capital...
R - Je le lis tous les mois.
Q - Il y a l'enquête d'un journaliste auprès de dix dermatologues de la région parisienne. Il était malade, mais rien d'urgent. Il aurait dû passer par son médecin traitant, il ne l'a pas fait, et sept médecins lui ont proposé spontanément de mentir, les trois autres ont voulu signaler que le parcours de soin n'était pas respecté puis ils se sont laissés convaincre. Résultat : toutes ces consultations seront remboursées normalement.
R - Il faut savoir, si pour les dermatologues, c'était, ou pas, des soins habituels.
Q - Le problème n'avait rien d'urgent...
R - D'accord. Une chose est certaine, puisque l'on parle du parcours de soins et de la réforme de l'assurance maladie, quand vous allez chez un dermatologue, même une fois par an, pour le même soin, vous n'avez pas besoin de repasser par votre médecin traitant. Mais ce qui est vrai, avec l'exemple que vous donnez, c'est qu'il faut absolument que la CAF refasse de l'information là-dessus, parce qu'un médecin n'a pas à mentir. On n'a pas besoin d'aller voir sept médecins pour avoir accès à son dermatologue. Cela fait partie des choses simples à rappeler. Il y a un travail de communication que j'ai demandé à la Cnam, c'est maintenant qu'il faut le faire.
Q - Un mot sur les médicaments génériques : cela ne va pas assez vite ?
R - Non, cela ne va pas assez vite ?
Q - Pourquoi ? Est-ce parce que les médecins ne jouent pas le jeu ?
R - Non, parce qu'il y a des habitudes qui ont été prises d'avoir plutôt le réflexe du médicament de marque, alors que le générique est tout aussi bon pour la santé, mais il est meilleur pour la Sécu, parce qu'il coûte moins cher à la Sécurité sociale. Nous avons passé un accord avec les pharmaciens et les médecins, pour passer à la vitesse supérieure. Il faut que cette année, on ait 6 % de plus de pénétration du générique, parce que cela nous permet de faire des économies et je veux rappeler que c'est aussi bon pour la santé le générique. Si c'est bon pour vous et meilleur pour la Sécu, il faut prendre du générique.
Q - Le chikungunya : le Premier ministre sera à la Réunion ce week-end. Quels sont les derniers chiffres que vous avez ? On parle de 77 morts liées directement ou indirectement au virus, vrai ou faux ?
R - Vrai. Je voudrais que l'on parle des chiffres, et je vais y revenir un instant, mais je voudrais aussi dire qu'il faut bien que l'on mesure que ce qui se passe à la Réunion, ce ne sont pas des statistiques ou seulement des chiffres. Il y a un vrai désarroi sur l'île, les Réunionnais font face avec beaucoup de courage, je l'ai vu quand je me suis rendu sur l'île, avec beaucoup de dignité. Ce qu'ils veulent, c'est qu'on les aide, ce que nous faisons depuis le début. Mais ils veulent aussi la vérité et la transparence. Je m'étais engagé à cette transparence, parce que pendant longtemps, les avis scientifiques nous ont dit que le chikungunya ne tuait pas. La vérité, aujourd'hui, c'est qu'il y a 77 décès qui peuvent être reliés d'une façon ou d'une autre au chikungunya. Pour beaucoup de décès, il y a d'autres cas : ce sont des personnes qui étaient déjà fragiles qui ont encore été fragilisées. Au moment où je vous parle, il y a cinq décès pour lesquels il n'y a pas d'autres causes que le chikungunya. Je l'avais indiqué la semaine dernière, je voulais des informations plus précises de l'Institut de veille sanitaire ; eh bien je leur demande aujourd'hui de reprendre tous les chiffres de mortalité de l'année 2005, avec notamment l'Inserm, pour que l'on dise précisément ce qu'il en est et pour que les Réunionnais sachent exactement la vérité. Ces chiffres là, aujourd'hui, cette réalité, c'est une situation nouvelle et si c'est une situation nouvelle, il nous faut aussi de nouvelles [inaud]. Voilà pourquoi le Premier ministre m'a demandé de mettre en oeuvre sans délai tout ce qui a été rapporté par une mission d'experts qui est revenue lundi soir de la Réunion. Voilà pourquoi j'irai avec le Premier ministre ce week-end sur l'Ile de la Réunion et que nous mettons en place, dès maintenant de nouvelles actions, notamment sur la prévention pour mettre à disposition gratuitement, de toutes les personnes fragiles, des produits anti-moustiques, les femmes enceintes, les nouveaux-nés, les personnes âgées. Je veux aussi qu'on le fasse pour les enfants parce que le décès notamment d'une fillette montre que même les enfants font partie des plus fragiles, même si les faits scientifiques nous disent que ce n'est pas la même chose que pour un nouveau-né, je veux qu'eux aussi soient protégés.
Q - On ne sait pas tout sur le chikungunya, c'est cela qui est inquiétant. On ne connaît pas les séquelles, on ne sait pas les conséquences des méningo-encéphalites chez les enfants, des hépatites fulminantes, des myocardites, qui ont été signalées. On découvre, en quelque sorte, les effets de ce virus, il n'y a pas de vaccin ni de traitement spécifique, il faut le rappeler.
R - Je sais que cela peut surprendre, peut choquer : on a beau être au XXIème siècle, sur une maladie comme le chikungunya, on ne sait presque rien, et on pourrait dire la même chose notamment, sur la dengue, aux Etats-Unis sur le "West Nile", sur ces virus, sur ces arbovirus, pour lesquels, il faut dire les choses, on n'a pas assez de connaissance. Or, si vous voulez être efficace par rapport à des maladies comme ça, il faut bien les connaître, bien les comprendre, pour pouvoir les combattre. Aujourd'hui, je recevrai cet après-midi, au ministère, tous les laboratoires pharmaceutiques, qui sont dans notre pays, pour que l'on passe en revue, dans les jours qui viennent, les 5.000 médicaments qui existent dans la pharmacopée française et pour que l'on voit si dans ceux-là, pour chacun des labos existants sur notre territoire, il n'y a pas des médicaments qui pourraient être efficaces. Pas seulement pour la douleur mais pour enrayer le chikungunya. Cela a été l'une des propositions de la mission de chercheur qui est revenue lundi soir ; je verrai tout le monde cet après-midi pour se mettre au travail et que l'on aille vite, parce qu'il n'est pas possible, aujourd'hui...
Q - Il y a urgence ?
R - Oui, bien sûr qu'il y a urgence. Il y a une situation aujourd'hui nouvelle. C'est vrai que pendant des mois et des mois, les avis scientifiques nous ont indiqué que le chikungunya était [inaud]...
Q - On vous a même reproché d'avoir sous-estimé ce virus et ses conséquences. J'ai entendu l'Assemblée nationale, l'autre jour...
R - J'ai aussi entendu, à l'Assemblée nationale, les élus de la Réunion, toutes tendances politiques confondues, et à chaque fois qu'il pose une question, il pose cette question avec dignité et avec le sens des responsabilités. Je n'ai jamais entendu les Réunionnais, les parlementaires, à Paris ou sur l'île de la Réunion quand je les ai rencontrés, faire preuve du début de la moindre polémique, jamais ! Parce que ce que nous demande aujourd'hui les Réunionnais, c'est d'être efficace, c'est d'être à leurs côtés. La polémique ne les intéresse pas.
Q - Vous la comprenez cette polémique ? Est-ce le rôle de l'opposition de l'encourager, de la nourrir ?
R - J'ai rencontré des élus socialistes, notamment d'anciens ministres qui m'ont dit que la polémique n'avait rien à faire dans un dossier comme celui-ci. Quand on parle de Tricia, quand on parle de santé publique, on doit tout dire, on doit tout savoir, mais la polémique n'a vraiment pas sa place. Vous indiquiez vous-même à l'instant que sur des maladies comme celles-ci, nous ne savons pas suffisamment de choses, c'est vrai. Mais il faut absolument que l'on accélère notre état de connaissance, parce qu'aujourd'hui, nous sommes engagés dans la prévention, la démoustication...
Q - Le chikungunya, ce n'est pas nouveau !
R - C'est la première fois...
Q - Depuis février 2005, le chikungunya est présent à la Réunion !
R - Depuis mars 2005, en février, c'était au Comores. Qu'avons-nous fait dès le début du mois de mars ? Nous avons commencé à démoustiquer avec ce que l'on appelle "une stratégie en anneau", c'est-à-dire autour des endroits où des personnes avaient été contaminées. Disons les choses telles qu'elles sont : que s'est-il passé ensuite, à partir du mois d'avril ? Il y a eu l'hiver austral, or le premier pic qui a été connu était à 450 cas fin mars-début avril, et ensuite, cela a quasiment disparu pour être à même pas 50 cas. Les Réunionnais ont pensé que nous étions comme avec la dengue, l'an dernier, avec une poussée d'épidémie qui disparaissait. Ensuite, à partir du mois d'octobre, il y a eu le retour du chikungunya, et nous avons continué à mettre des moyens, du matériel de démoustication. Mais la vérité, c'est que vous avez 12.000 cas sur toute l'année 2005, et pendant l'année 2005, on a mis les moyens, mais la véritable explosion, c'est à partir du début de l'année 2006 : près de 120.000 cas depuis le début de l'année 2006. Savez-vous à quel moment l'hôpital de Saint-Denis de la Réunion a jugé nécessaire de mettre en place un service spécial chikungunya ? Il n'avait besoin de personne pour prendre cette décision, il l'a fait le 20 janvier, ce qui montre bien que c'est à partir de ce moment là qu'il a fallu vraiment mettre tout ce qui était possible, notamment le pont aérien que nous avons entre la métropole et la Réunion.
Q - Est-ce le pic de l'épidémie, en ce moment ?
R - J'aimerais pouvoir le dire, j'aimerais en être certain. Nous avons aujourd'hui des chiffres sur les passages aux urgences, sur le ressenti, parce que je suis très attentif à ce que disent et pensent les acteurs locaux, qui nous disent aujourd'hui que l'épidémie ne progresserait plus au même rythme. Je veux qu'on en soit sûr avant de la dire, et pour en être sûr, il y a une façon de le faire : la façon de la faire, c'est de mettre en place ce que j'ai mis en place dès la fin de la semaine dernière, ce sont des tests de séro-prévalence, c'est-à-dire avec des prélèvements sanguins, qu'on puisse regarder si les personnes ont déjà été contaminées ou pas par le chikungunya. Parce que si nous avons 10 à 20 % des personnes qui sont contaminées, cette épidémie peut encore progresser, si ce chiffre est beaucoup plus important, cela veut donc dire que le gros de l'épidémie est derrière nous. Quand j'étais allé sur l'île, fin janvier, j'avais dit que personne ne pouvait dire si le gros de l'épidémie est derrière nous. Aujourd'hui, je ne le dirais pas non plus, mais je n'ai qu'une envie, c'est que l'on puisse combattre et réussir contre le chikungunya, avant même que l'hiver austral n'arrive, et ne permette, justement de gagner cette bataille. Il faut que nous soyons efficaces maintenant.
Q - Mayotte, les Seychelles, l'Ile Maurice... D'autres cas sont signalés.
R - Mayotte, c'est aussi notre responsabilité. Je tiens à vous dire que j'avais demandé à l'Organisation mondiale de la santé d'envoyer une mission sur place. C'est fait, ils sont sur place, parce qu'il faut aussi que l'on développe la coopération régionale et internationale.
Q - Autre sujet, la grippe aviaire, autre sujet qui vous occupe et vous préoccupe, comme nous d'ailleurs. On en est à deux oiseaux sauvages - des canards sauvages, porteurs du virus H5N1 ; y en a-t-il d'autres ? Des tests sont en cours en ce moment...
R - Des tests sont faits quand il y a des décès suspects. N'oublions pas que chaque hiver, notamment pour certains espèces animales, il peut y avoir 50 % de mortalité, mais les années précédentes, on n'y fait pas toujours attention. Aujourd'hui, dès qu'il y a des cas suspects, on procède aussitôt aux analyses. Au moment où nous vous parlons, nous l'avons indiqué très tard hier soir parce que nous avons également eu les informations tard. Il y a un deuxième cas, sur un oiseau sauvage. Je veux bien le rappeler et bien insister sur ce point : cela veut dire qu'aucun élevage, dans notre pays n'est effectivement concerné par la grippe aviaire. Et d'ailleurs c'est pour cela que dès le mois d'octobre, nous avions pris des mesures de confinement pour protéger les élevages, pour protéger la filière. Donc, aujourd'hui, c'est un deuxième cas. Ce sont des situations que nous avions anticipées, aussitôt des mesures sont prises : zones de protection dans un rayon de trois kilomètres, zones de surveillance dans un rayon de dix kilomètres.
Q - Ne pensez-vous pas que vous affolez les populations quand on voit le président de la République qui nous dit qu'il mange des oeufs et du poulet, quand on voit le Premier ministre qui mande du poulet, on vous voit aussi à la télévision, en train d'avaler du poulet avec plaisir... Cela n'aurait-il pas un effet pervers, un effet inverse ?
R - Je suis persuadé du contraire. [...] Je crois que la pire des choses serait de ne rien dire. Or, sur tous ces sujets sanitaires, sur toutes ces crises sanitaires, il est important de dire exactement ce que l'on sait sur l'épidémie, sur ce que nous faisons, et surtout, sur ce que nous allons continuer à faire. Parce qu'on parle aujourd'hui de cette dimension animale chez les oiseaux sauvages, je tiens à le rappeler, mais vous savez qu'il y a d'autres étapes dans la grippe aviaire, il y a le passage de l'oiseau à l'homme, qui a été constaté en Turquie et en Asie du Sud-Est, parce que les conditions d'élevage et de proximité avec les oiseaux n'ont rien à voir avec ce que l'on connaît chez nous. Et puis, il y a ce troisième risque, cette transmission de l'homme à l'homme, qui n'a été constaté nulle part sur la planète. Mais à partir du moment où le risque existe, nous, notre rôle, c'est d'être dans l'anticipation et dans la prévention parce que l'on sait quels sont les risques et que notre devoir, c'est de protéger au mieux la population. Le plan français est un plan qui est en permanence évolutif. Tant que l'on peut l'améliorer, on le fait. Demain, je serai à Lyon avec le Premier ministre car nous participerons à un exercice de simulation, de façon à pouvoir voir si chacun sait ce qu'il a à faire si nous étions face à une situation de grippe aviaire qui toucherait les humains ; Même si, je tiens à le rappeler, la contamination de l'homme à l'homme n'a été constatée nulle part sur la planète.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 23 février 2006