Entretien de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, avec la télévision de Radio-Canada le 17 mars 2006 à Montréal, sur les conditions fixées au déroulement du référendum du 21 mai au Montenegro et le précédent créé dans l'éventualité d'un référendum au Québec.

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Circonstance : Voyage de Philippe Douste-Blazy au Canada les 16 et 17 mars 2006

Texte intégral

Q - Monsieur le Ministre, quel est finalement le but de votre court voyage au Canada ?
R - D'abord, la France et le Canada sont des pays amis qui ont la même vision de la politique internationale, des Droits de l'Homme, de la justice internationale, du multilatéralisme, de la diversité culturelle. Il y a eu des élections au Canada, il y a un mois et demi. Il était donc normal que la France fasse ce pas vers le Canada ; c'est pour cela que je suis venu. Le Premier ministre Dominique de Villepin devait venir en novembre, il va venir, très vite, pour vous dire combien nous avons envie de travailler avec vous au plan politique et au plan économique ; et puis bien évidemment, je profite de ce voyage pour aller à Ottawa et aussi à Montréal, ma deuxième ville, la ville où j'ai vécu pendant presque deux ans, quand j'étais plus jeune et que j'étais étudiant. Donc j'y reviens. De plus, j'ai rencontré le Premier ministre Jean Charest et je rencontre aussi mon ancien Premier ministre Alain Juppé qui donne des cours chez vous pendant un an.
Q ? (...) Le 400ème anniversaire de la ville de Québec dans deux ans, est-ce que c'est important pour la France ?
R - C'est très important.
Q - On a vu la nomination de M. Raffarin comme ambassadeur. Ca veut dire quoi ?
R - Cela veut dire que le 400ème anniversaire, pour nous, constitue un signe très fort d'abord pour la francophonie, pour votre combat, le combat des Québécois, mais aussi des autres francophones du Canada, au-delà du Québec, puisqu'il y a un million de francophones en dehors du Québec au Canada. Pour nous, c'est le plus noble combat qui soit sur le plan de la diversité culturelle dans le monde. Nous ne sommes pas capables de défendre la langue française comme vous le faites. C'est pour nous, vraiment, une source d'admiration très profonde. Ce sera donc l'occasion d'organiser un grand sommet de la francophonie mais aussi le grand congrès mondial de tous les professeurs de français. Si nous voulons que le français se développe, nous devons défendre l'idée d'écoles primaires, de lycées, de collèges avec des professeurs de français.
Q - Ce grand congrès aura donc lieu en 2008, en même temps que le 400ème anniversaire ?
R ? A Montréal et à Québec car tout cela se fait évidemment avec Montréal mais aussi avec la mairie de Québec. Ce sera aussi l'occasion de fêter le 40ème anniversaire de l'Office franco-québécois de la Jeunesse. Il faut donc que la jeunesse soit au coeur de ce 400ème anniversaire parce que la jeunesse c'est l'avenir et, donc, le plus important.
Q ? (...) La Communauté européenne, avec la participation active de la France, a convenu d'un minimum de 55 % des voix au référendum pour que le Monténégro puisse faire sécession. Pourriez-vous expliquer aux Québécois ce que cela veut dire ?
R - En fait c'est très simple. Comme vous le savez le Monténégro a décidé de faire un référendum. Ce référendum est préparé par le Premier ministre actuel du Monténégro. Il fallait que toutes les forces en présence soient d'accord. Les amis du Premier ministre trouvaient cela très bien mais l'opposition trouvait cela très mal. Alors l'opposition a dit : "Il faut fixer le seuil des "oui" à 55 %". Ce n'était pas à l'Union européenne de juger, mais si c'était la seule condition pour que les uns et les autres se mettent d'accord, alors oui, pourquoi pas. Mais c'est vraiment un choix qui a été propre au Monténégro. Nous n'avons fait qu'accompagner. Il n'y a évidemment aucune comparaison à faire avec un autre pays. Maintenant, si vous me parlez plus particulièrement du Québec et du Canada, vous comprendrez bien que je ne vais pas prendre part à un débat qui est purement de politique intérieure canadienne.
Q - Mais revenons au 55 %, est-ce qu'on est en train d'établir une règle internationale sur les référendums ?
R - Non, c'est purement spécifique au Monténégro parce que l'opposition et la majorité se sont mis d'accord en disant : "écoutez le mieux c'est qu'il y ait une participation forte, que tout le monde vote, que tout le monde se sente investi par cette responsabilité". Ils se sont mis d'accord pour fixer le seuil à 55 %. Voilà, mais c'est spécifique au Monténégro.
Q - Est-ce que vous croyez que ce précédent aura un impact dans une éventuelle négociation sur le déroulement d'un éventuel référendum québécois ?
R - Je ne sais pas s'il y aura un référendum. Je ne sais pas si cela rentrera en ligne de compte. Je ne sais pas si ce précédent monténégrin pourra être pris en compte par les uns ou par les autres. Je ne le sais pas et surtout je n'ai aucun avis là-dessus. Je ne me permets pas d'avoir un avis puisque je suis français, que je suis un ami des Canadiens et que je n'ai pas à rentrer dans la politique intérieure du Canada.
Q - Vous êtes aussi un ami des Monténégrins. Alors?
R - Alors là ce n'est pas pareil, parce que pour le Monténégro, il y a eu, comme vous le savez, une discussion entre l'Union européenne, la Serbie, le Monténégro, les Balkans en général, sur leurs perspectives européennes.
Nous faisons partie du Groupe de contact en Serbie pour parler du Kosovo, pour parler du Monténégro, parce que c'est en Europe. Il était très important que nous donnions notre avis parce que la stabilité de l'Union européenne passe par la stabilité des Balkans. C'est une chose, encore une fois qui n'est pas comparable.
Q - Cela vous est plus proche, cela je le comprends très bien.
R - Plus proche... Pas dans notre coeur.
Q ? (...) Au Canada il y a eu un jugement de la Cour Suprême qui a décidé, si cela ne se règle pas à l'amiable, que le Québec pourrait accéder à l'indépendance selon ses propres règles avec l'appui de la communauté internationale. Seriez-vous prêt à venir donner un coup de main à un éventuel déroulement d'un référendum au Québec ?
R ? Cela, c'est vraiment de la pure science-fiction. Aujourd'hui on en est pas là puisqu'il y a la Cour suprême, qu'il y a une démocratie au Canada et que les valeurs démocratiques sont majeures pour vous et pour nous. Elles sont trop précieuses et trop rares dans le monde pour que je les enfreigne. Par contre, ce que je peux vous dire c'est que, j'étais hier avec mon homologue, le ministre des Affaires étrangères du Canada, M. MacKay, et j'ai ressenti, lorsqu'il m'a parlé du Québec, qu'il y avait une véritable entente, prise en compte, harmonie, pourquoi ne pas dire le mot, avec le gouvernement fédéral. Nous avons également parlé de l'Alberta et des autres provinces et j'ai trouvé qu'il y avait une volonté d'harmonie, de respect aussi de la spécificité. Pour moi qui connaît un peu le Québec et le Canada, j'ai trouvé que cela était intéressant.
Q - Donc vous n'avez pas senti qu'on allait vous appeler à l'aide dans les prochains mois, prochaines années ?
R - En fait personne ne m'a demandé de l'aide pour l'instant.
Q - Vous revenez au Québec après 20 ans d'absence. Que faisiez-vous ici alors ?
R - Ici j'ai eu la grande chance de préparer une thèse sur les maladies cardiaques, les maladies cardio-vasculaires, de rencontrer des équipes exceptionnelles : le professeur Davignon et son équipe, le docteur Marcel ; des gens exceptionnels qui m'ont appris ce qu'était la rigueur scientifique et ce qu'étaient les Québécois : des gens droits. Ne pensez pas que ce soit de la démagogie de ma part. Je pense que vous êtes un peuple droit. Quand vous n'êtes pas d'accord, vous le dites. Quand vous dites quelque chose, c'est que vous le pensez. J'ai beaucoup d'amis ici ; c'est ma deuxième patrie. J'aime ce pays ; j'aime ce peuple. Je trouve qu'il y fait parfois froid l'hiver, mais que justement la chaleur humaine y rayonne. Je suis donc très heureux de revenir. J'espère que ce n'est pas la dernière fois.
Q - Alors avec un ministre des Affaires Etrangères français qui a passé deux années, on ne vous demandera pas tous les détails de votre séjour ici, dans les années étudiantes, on sait que...
R - Je n'ai rien à cacher ; c'était le référendum, à l'époque, en 1980.
Q - ah oui, bien sûr...
R - Avec René Lévesque, plus de 40 % pour le "oui", une tension extrême, j'ai vécu tout ça. J'ai vécu aussi la loi 101 ; j'ai vécu ce combat merveilleux de la francophonie et oui, l'histoire de ce pays me passionne.
Q - Alors quel est le souvenir que vous gardez de l'époque référendaire, du premier référendum ?
R - J'ai trouvé que c'était un climat passionnel. La vie politique est souvent passionnelle mais il faut toujours se garder. Il faut toujours faire attention. Moi je suis un passionné aussi, mais il faut toujours contrôler sa passion, surtout quand il s'agit de l'avenir d'un pays. Je crois qu'il faut toujours réfléchir aux avantages et aux inconvénients. Mais moi, encore une fois, je n'habite pas ici, je ne suis pas citoyen canadien ni québécois et donc tout ce que vous ferez, je le respecterai. Tout ce que le Québec décidera, la France le respectera et accompagnera toujours le Québec, toujours. Mais au-delà de cela, je crois que c'est un débat, surtout dans la mondialisation actuelle, qui mérite quand même d'avoir une vision grand angle. Vous savez dans mon pays aussi, aujourd'hui par exemple, il y a des troubles et des manifestations et je n'ai donc aucune leçon à donner, sauf qu'il vaut mieux toujours prendre un peu de recul, surtout dans le monde dans lequel nous vivons, pour mieux prendre une décision et pour mieux comprendre ce que parfois les hommes politiques veulent faire.
Q - Mais on peut attendre d'un ministre des Affaires étrangères de France qui a vécu deux ans au Québec, qui a vécu le premier référendum ici, une sensibilité particulière ?
R - Oui, on peut presque dire que vous n'avez pas affaire à un ministre des Affaires étrangères. Il connaît trop bien les affaires du Québec !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 mars 2006