Texte intégral
Interview de Bernard Thibault, Secrétaire général de la Cgt.
« Au moins un demi-million de manifestants »
du 06 Mars 2006
"Soyez-en persuadé, de très nombreux manifestants, dont beaucoup de jeunes, seront dans les rues demain. Au fil des semaines, nous sommes parvenus à expliquer à l'opinion les vrais dangers du CPE."
Comment s'annonce la mobilisation, demain, contre le CPE sachant que les précédentes n'ont pas vraiment fait le plein?
Elle sera beaucoup plus forte que celle du 7 février. Le nombre de manifestations organisées tant à Paris qu'en Province est sensiblement plus important. Les vacances scolaires seront terminées, nous avons mieux préparé cette journée avec les organisations d?étudiants et de lycéens. Des décisions d?aller à des arrêts de travail dans les entreprises privées et publiques se sont multipliées. Cela confirme que nous ne serons pas sur une journée sur une de solidarité avec les plus jeunes, mais bien sur mobilisation pour rejeter la précarité au travail en général.
Le 7 février dernier, entre 200 000 et 400 000 personnes avaient défilé. A combien fixez-vous le niveau de mobilisation pour que le 7 mars soit, à vos yeux, un succès ?
Il n'est pas facile de donner un pronostic chiffré. Plus de 400 000 personnes ont répondu présent le 7 février, nous étions en période de congés scolaires, c?était déjà un succès. Le gouvernement a eu tort de considérer que la partie était gagnée en malmenant les chiffres. On en aura confirmation demain.
Je reformule ma question : combien de manifestants attendez-vous demain?
Soyez-en persuadé, de très nombreux manifestants, dont beaucoup de jeunes, seront dans les rues demain. Au fil des semaines, nous sommes parvenus à expliquer à l'opinion les vrais dangers du CPE. Les enquêtes montrent en effet que chaque semaine qui passe amplifie la critique contre le CPE. Les Français ont compris que, avec ce dispositif, les employeurs peuvent licencier sans avoir motif sur un simple claquement de doigts. Ils ne l?acceptent pas. Croyez moi, contrairement à ce que laissait entendre, hier, le Premier ministre dans vos colonnes, la contestation est réelle dans le pays. Jean-Pierre Raffarin avait le boulet des retraites au pied qu'il a traîné pendant des mois, Dominique de Villepin traînera celui du CPE, s?il ne réagi pas.
Dominique de Villepin l'a rappelé dans notre journal : pas question pour lui de faire machine arrière sur le CPE. Que lui répondez-vous ?
Qu?il ne sera pas le premier Premier ministre à devoir faire marche arrière sur une mesure antisociale. Si le gouvernement ne bouge pas sur le CPE, je peux d'ores et déjà vous affirmer qu'il y aura des suites. Nous mettrons le temps qu?il faudra, mais nous y arriverons. Nous sommes sur un aspect fondamental du droit social, nous ne laisserons pas s?installer la liberté de licencier selon le bon vouloir des employeurs dans la législation française. Il est hors de question que la France devienne parmi les pays les moins développés en matière de droit social. Si nous laissons faire, la France s'alignerait sur les Etats socialement les plus rétrogrades. Voilà pourquoi l'enjeu de cette mobilisation est aussi de portée européenne, voir internationale.
Dominique de Villepin a de nouveau justifié hier la fusion Suez-Gaz de France et affirmé qu'EdF, notamment, ne serait pas privatisé. Qu'en pensez-vous?
L'Etat a renié ses propres engagements sur Gaz de France en quelques mois. Quand Nicolas Sarkozy et le gouvernement ont changé le statut d'EdF et de GdF, ils nous avaient assuré, la main sur le coeur, que la part de l'Etat ne descendrait jamais sous la barre des 70% dans le capital de ces entreprises publiques stratégiques. Il y a quelques jours, le Premier ministre, nous a annoncé, un samedi après-midi, la privatisation de GdF dans le cadre de sa fusion avec Suez. Il pourra faire la même chose avec Edf, la Sncf ou autres entreprises. Comment voulez-vous que ses engagements, aujourd'hui, soient crédibles ? Cette opération Suez-GdF est périlleuse pour les personnels mais aussi pour la collectivité nationale.
Que va faire la Cgt sur le dossier Suez-GDF?
Là aussi, le gouvernement veut nous mettre devant le fait accompli. Dans un premier temps, la Cgt s'adresse aux salariés des groupes GDF, Suez et Edf mais aussi à la population pour les aider à décrypter les véritables enjeux et les dangers du mécano Villepin-Breton. Nous pèserons également à chaque étape du débat, en particulier, lors du calendrier parlementaire car nous ne sommes pas dans une bataille à gagner sous plusieurs mois. Comme pour le CPE, nous organiserons des mobilisations coordonnées au plan syndical, national comme européen. Notamment dans la perspective du Conseil des ministres européen de fin mars sur la politique énergétique.
La mobilisation anti-CPE pourrait-elle rejoindre celle de l'énergie. Autrement dit, va-t-on, vers un printemps «chaud» au plan social ?
Si le gouvernement ne comprend pas la mesure de la contestation, le printemps s'annonce effectivement chaud car les motifs de conflits s'accumulent et il est de notre responsabilité de syndicat de créer les conditions pour obtenir des négociations sur nos propositions.
Source http://www.cgt.fr, le 13 mars 2006RTL
le 07/03/06
Richard Arzt : Bonjour, Bernard Thibault.
Bernard Thibault : Bonjour.
Q- Vous êtes-vous levé, ce matin, en disant : "Ah, c'est aujourd'hui que la mobilisation va obliger le Premier ministre à retirer le C.P.E !"
R- On travaille tous les jours à la mobilisation, maintenant, depuis, de nombreuses semaines. Nous sortons de la période où le gouvernement avait cherché à mettre en avant une faible mobilisation, un calendrier qu'il a souhaité mettre à son avantage et, judicieusement, dans sa stratégie, il a utilisé la période des congés scolaires, il a écourté le débat parlementaire. Mais nous avions dit, déjà, en son temps, que c'était faire peu de cas des critiques qui allaient s'exprimer sur le sujet.
Et je crois qu'aujourd'hui nous aurons une belle confirmation que ce contrat est rejeté par une majorité de l'opinion. Ce qui me fait dire que le Premier ministre doit prendre la mesure, le plus rapidement possible. Alors, j'ai bien entendu l'appréciation d'Alain Duhamel, sur ce qu'était le caractère du Premier ministre : sans doute qu'il y a, là, des considérations plus politiques. Ce qui nous intéresse, nous, c'est la mesure au plan social. Et avec les jeunes, aujourd'hui, nous allons redemander le retrait de cette disposition.
Q- Vous avez dit - dans "Le Parisien", hier - que 500.000 manifestants dans toute la France, ce serait bien. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de F.O, trouve que ce pronostic est un peu modeste. Il espère que ce sera plus.
R- Je parlais sans doute du nombre de manifestants sous les bannières de la C.G.T. Maintenant, si Jean-Claude Mailly peut en amener beaucoup plus sous les siennes, ce sera parfait. Cela veut dire que nous serons très, très nombreux.
Q- Le C.P.E a été adopté par le Parlement. Comment imaginez-vous que le Premier ministre puisse reculer ?
R- Tout simplement, en prenant conscience, en prenant la mesure du mécontentement et de la critique sur ce sujet. Je voudrais dire très clairement que nous ne laisserons pas s'installer, dans la législation française, le droit de licencier sur un claquement de doigts. Nous ne laisserons pas la France s'aligner sur les pays les moins évolués au plan social.
Q- D'accord. Mais comment fait-on concrètement ? Ce texte, maintenant, est là. Vous demandez à voir le Premier ministre d'urgence ?
R- Mais c'est à lui de prendre la décision. Peu importe la méthode ! L'essentiel est qu'on revienne sur une disposition qui est contestée de plus en plus largement et, encore une fois, que nous ne laisserons pas s'installer. Nous y mettrons le temps qu'il faudra et, à l'appui de cette journée qui sera, je crois, un succès, nous envisagerons d'autres étapes. Il y a encore des crans supplémentaires à franchir, s'il le faut.
Donc, que le gouvernement et que le Premier ministre prennent la mesure le plus vite possible. Quand on a fait une erreur, on peut aussi la rattraper avec la rapidité par laquelle on reconnaît qu'on a fait une erreur. Il n'y a pas eu de négociations, il n'y a pas eu de concertations.
Q- Et c'est cela que vous demandez, maintenant ?
R- Oui, mais une concertation pour revenir sur cette disposition, pas pour l'accompagner.
Q- Et si c'est le cas, qu'allez-vous proposer ? Pensez-vous que le droit du travail est intangible ? Ou qu'on peut, quand même, considérer dans la logique d'assouplissement, il peut y avoir du bon ?
R- Je conteste le fait - comme la ligne politique nous est présentée par la majorité actuelle, que ce soit par une modification du droit du travail - que l'on agisse efficacement sur l'emploi.
Q- Il ne faut pas y toucher ?
R- Si le gouvernement veut discuter avec nous de l'emploi, discutons de l'emploi. Discutons de la politique d'investissements, discutons de la politique fiscale, discutons budget recherche, discutons formation, y compris pour les jeunes ou les autres. Mais ce n'est pas en déstructurant unilatéralement le droit social que l'on va créer de l'emploi. D'autant plus - entendez les commentaires que font un certain nombre d'employeurs qui, d'ailleurs, s'accommodent moyennement de cette nouvelle disposition.
Ils aimeraient une généralisation de cette mesure en estimant qu'il n'y a aucune raison de se limiter aux moins de 26 ans, qui sont l'objet d'une discrimination effective. Pourquoi, pour les moins de 26 ans, avoir cette mesure du salarié "kleenex" ? C'est à cela que ça revient ! Donc, l'attente des employeurs, c'est de généraliser cette approche. Mais ils ne s'en tiennent pas là ! Dans les éléments de comparaison qu'ils font, au nom de la mondialisation, au nom d'une économie ouverte.
Q- Qui existe quand même. C'est pour cela, on peut penser qu'il faut faire quelques changements.
R- Bien sûr ! Mais si on s'en tient à cette spirale, vous comprenez bien qu'on ne s'en tiendra pas, simplement, au droit du licenciement, par exemple. Les rapports sur les coûts salariaux avec certains autres pays sont de l'ordre de 20 à 30. Donc, inévitablement, on aura le chapitre des congés payés, des conventions collectives. Si c'est le moins-disant social qui devient la boussole - et je crois que c'est cela qui est contesté et qui va être de plus en plus contesté, notamment, aujourd'hui - cela n'est en rien une approche, selon nous, qui est susceptible de créer de l'emploi.
Q- Un autre sujet : la fusion G.D.F-Suez. Vous avez vu que, depuis hier, le groupe d'électriciens Enel, groupe italien, ne renonce pas à une O.P.A sur Suez. Au contraire, il prépare une contre-offensive avec des banques. Que se passe-t-il si, faute de fusion - puisque vous êtes contre - cette O.P.A réussit contre Suez ?
R- Dans le domaine de l'énergie, on est sur des approches nationales. Au passage : autre sujet, même méthode gouvernementale. Nous sommes confrontés à une annonce, durant un week-end, d'une décision politique qui remet en cause.
Q- Ce sont peut-être des domaines où il faut aller vite ?
R- Il y a aller vite et aller vite ! Il n'est pas vrai qu'il était nécessaire - d'autant plus pour un plan dont on apprend, maintenant, qu'il était concocté depuis plusieurs mois par la direction des entreprises, sans que les représentants des salariés des confédérations syndicales sur un enjeu.
Q- C'est un domaine où il faut être discret, peut-être ?
R- On sait aussi, parfois, être discret quand on veut l'être, ou quand on veut donner des informations. On sait aussi être secret quand on ne veut absolument pas donner d'informations. Il y avait des engagements du gouvernement, et pas n'importe lesquels. Monsieur Sarkozy, numéro 2 du gouvernement. Le premier ministre, numéro un au moment de la réforme des statuts.
Q- D'accord. Mais au point où on en est, s'il y a un risque d'O.P.A sur Suez ?
R- Au point où on en est, il faut que dans le secteur énergétique européen, il y ait une politique européenne. Aucun des pays ne pourra s'en sortir par des approches nationales. Et il est quand même fort de café que les mêmes responsables politiques, qui nous ont expliqué toutes les vertus de l'Europe, il y a quelques mois, aujourd'hui, soient dans des opérations de Monopoly national. C'est très dangereux pour les usagers et pour les industriels de notre pays comme des autres.
Q- Vous êtes donc parfaitement pro-européen ?
R- En matière de politique énergétique, c'est une urgence.
Merci Bernard Thibault, secrétaire général du syndicat C.G.T.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, 10 mars 2006
« Au moins un demi-million de manifestants »
du 06 Mars 2006
"Soyez-en persuadé, de très nombreux manifestants, dont beaucoup de jeunes, seront dans les rues demain. Au fil des semaines, nous sommes parvenus à expliquer à l'opinion les vrais dangers du CPE."
Comment s'annonce la mobilisation, demain, contre le CPE sachant que les précédentes n'ont pas vraiment fait le plein?
Elle sera beaucoup plus forte que celle du 7 février. Le nombre de manifestations organisées tant à Paris qu'en Province est sensiblement plus important. Les vacances scolaires seront terminées, nous avons mieux préparé cette journée avec les organisations d?étudiants et de lycéens. Des décisions d?aller à des arrêts de travail dans les entreprises privées et publiques se sont multipliées. Cela confirme que nous ne serons pas sur une journée sur une de solidarité avec les plus jeunes, mais bien sur mobilisation pour rejeter la précarité au travail en général.
Le 7 février dernier, entre 200 000 et 400 000 personnes avaient défilé. A combien fixez-vous le niveau de mobilisation pour que le 7 mars soit, à vos yeux, un succès ?
Il n'est pas facile de donner un pronostic chiffré. Plus de 400 000 personnes ont répondu présent le 7 février, nous étions en période de congés scolaires, c?était déjà un succès. Le gouvernement a eu tort de considérer que la partie était gagnée en malmenant les chiffres. On en aura confirmation demain.
Je reformule ma question : combien de manifestants attendez-vous demain?
Soyez-en persuadé, de très nombreux manifestants, dont beaucoup de jeunes, seront dans les rues demain. Au fil des semaines, nous sommes parvenus à expliquer à l'opinion les vrais dangers du CPE. Les enquêtes montrent en effet que chaque semaine qui passe amplifie la critique contre le CPE. Les Français ont compris que, avec ce dispositif, les employeurs peuvent licencier sans avoir motif sur un simple claquement de doigts. Ils ne l?acceptent pas. Croyez moi, contrairement à ce que laissait entendre, hier, le Premier ministre dans vos colonnes, la contestation est réelle dans le pays. Jean-Pierre Raffarin avait le boulet des retraites au pied qu'il a traîné pendant des mois, Dominique de Villepin traînera celui du CPE, s?il ne réagi pas.
Dominique de Villepin l'a rappelé dans notre journal : pas question pour lui de faire machine arrière sur le CPE. Que lui répondez-vous ?
Qu?il ne sera pas le premier Premier ministre à devoir faire marche arrière sur une mesure antisociale. Si le gouvernement ne bouge pas sur le CPE, je peux d'ores et déjà vous affirmer qu'il y aura des suites. Nous mettrons le temps qu?il faudra, mais nous y arriverons. Nous sommes sur un aspect fondamental du droit social, nous ne laisserons pas s?installer la liberté de licencier selon le bon vouloir des employeurs dans la législation française. Il est hors de question que la France devienne parmi les pays les moins développés en matière de droit social. Si nous laissons faire, la France s'alignerait sur les Etats socialement les plus rétrogrades. Voilà pourquoi l'enjeu de cette mobilisation est aussi de portée européenne, voir internationale.
Dominique de Villepin a de nouveau justifié hier la fusion Suez-Gaz de France et affirmé qu'EdF, notamment, ne serait pas privatisé. Qu'en pensez-vous?
L'Etat a renié ses propres engagements sur Gaz de France en quelques mois. Quand Nicolas Sarkozy et le gouvernement ont changé le statut d'EdF et de GdF, ils nous avaient assuré, la main sur le coeur, que la part de l'Etat ne descendrait jamais sous la barre des 70% dans le capital de ces entreprises publiques stratégiques. Il y a quelques jours, le Premier ministre, nous a annoncé, un samedi après-midi, la privatisation de GdF dans le cadre de sa fusion avec Suez. Il pourra faire la même chose avec Edf, la Sncf ou autres entreprises. Comment voulez-vous que ses engagements, aujourd'hui, soient crédibles ? Cette opération Suez-GdF est périlleuse pour les personnels mais aussi pour la collectivité nationale.
Que va faire la Cgt sur le dossier Suez-GDF?
Là aussi, le gouvernement veut nous mettre devant le fait accompli. Dans un premier temps, la Cgt s'adresse aux salariés des groupes GDF, Suez et Edf mais aussi à la population pour les aider à décrypter les véritables enjeux et les dangers du mécano Villepin-Breton. Nous pèserons également à chaque étape du débat, en particulier, lors du calendrier parlementaire car nous ne sommes pas dans une bataille à gagner sous plusieurs mois. Comme pour le CPE, nous organiserons des mobilisations coordonnées au plan syndical, national comme européen. Notamment dans la perspective du Conseil des ministres européen de fin mars sur la politique énergétique.
La mobilisation anti-CPE pourrait-elle rejoindre celle de l'énergie. Autrement dit, va-t-on, vers un printemps «chaud» au plan social ?
Si le gouvernement ne comprend pas la mesure de la contestation, le printemps s'annonce effectivement chaud car les motifs de conflits s'accumulent et il est de notre responsabilité de syndicat de créer les conditions pour obtenir des négociations sur nos propositions.
Source http://www.cgt.fr, le 13 mars 2006RTL
le 07/03/06
Richard Arzt : Bonjour, Bernard Thibault.
Bernard Thibault : Bonjour.
Q- Vous êtes-vous levé, ce matin, en disant : "Ah, c'est aujourd'hui que la mobilisation va obliger le Premier ministre à retirer le C.P.E !"
R- On travaille tous les jours à la mobilisation, maintenant, depuis, de nombreuses semaines. Nous sortons de la période où le gouvernement avait cherché à mettre en avant une faible mobilisation, un calendrier qu'il a souhaité mettre à son avantage et, judicieusement, dans sa stratégie, il a utilisé la période des congés scolaires, il a écourté le débat parlementaire. Mais nous avions dit, déjà, en son temps, que c'était faire peu de cas des critiques qui allaient s'exprimer sur le sujet.
Et je crois qu'aujourd'hui nous aurons une belle confirmation que ce contrat est rejeté par une majorité de l'opinion. Ce qui me fait dire que le Premier ministre doit prendre la mesure, le plus rapidement possible. Alors, j'ai bien entendu l'appréciation d'Alain Duhamel, sur ce qu'était le caractère du Premier ministre : sans doute qu'il y a, là, des considérations plus politiques. Ce qui nous intéresse, nous, c'est la mesure au plan social. Et avec les jeunes, aujourd'hui, nous allons redemander le retrait de cette disposition.
Q- Vous avez dit - dans "Le Parisien", hier - que 500.000 manifestants dans toute la France, ce serait bien. Jean-Claude Mailly, le secrétaire général de F.O, trouve que ce pronostic est un peu modeste. Il espère que ce sera plus.
R- Je parlais sans doute du nombre de manifestants sous les bannières de la C.G.T. Maintenant, si Jean-Claude Mailly peut en amener beaucoup plus sous les siennes, ce sera parfait. Cela veut dire que nous serons très, très nombreux.
Q- Le C.P.E a été adopté par le Parlement. Comment imaginez-vous que le Premier ministre puisse reculer ?
R- Tout simplement, en prenant conscience, en prenant la mesure du mécontentement et de la critique sur ce sujet. Je voudrais dire très clairement que nous ne laisserons pas s'installer, dans la législation française, le droit de licencier sur un claquement de doigts. Nous ne laisserons pas la France s'aligner sur les pays les moins évolués au plan social.
Q- D'accord. Mais comment fait-on concrètement ? Ce texte, maintenant, est là. Vous demandez à voir le Premier ministre d'urgence ?
R- Mais c'est à lui de prendre la décision. Peu importe la méthode ! L'essentiel est qu'on revienne sur une disposition qui est contestée de plus en plus largement et, encore une fois, que nous ne laisserons pas s'installer. Nous y mettrons le temps qu'il faudra et, à l'appui de cette journée qui sera, je crois, un succès, nous envisagerons d'autres étapes. Il y a encore des crans supplémentaires à franchir, s'il le faut.
Donc, que le gouvernement et que le Premier ministre prennent la mesure le plus vite possible. Quand on a fait une erreur, on peut aussi la rattraper avec la rapidité par laquelle on reconnaît qu'on a fait une erreur. Il n'y a pas eu de négociations, il n'y a pas eu de concertations.
Q- Et c'est cela que vous demandez, maintenant ?
R- Oui, mais une concertation pour revenir sur cette disposition, pas pour l'accompagner.
Q- Et si c'est le cas, qu'allez-vous proposer ? Pensez-vous que le droit du travail est intangible ? Ou qu'on peut, quand même, considérer dans la logique d'assouplissement, il peut y avoir du bon ?
R- Je conteste le fait - comme la ligne politique nous est présentée par la majorité actuelle, que ce soit par une modification du droit du travail - que l'on agisse efficacement sur l'emploi.
Q- Il ne faut pas y toucher ?
R- Si le gouvernement veut discuter avec nous de l'emploi, discutons de l'emploi. Discutons de la politique d'investissements, discutons de la politique fiscale, discutons budget recherche, discutons formation, y compris pour les jeunes ou les autres. Mais ce n'est pas en déstructurant unilatéralement le droit social que l'on va créer de l'emploi. D'autant plus - entendez les commentaires que font un certain nombre d'employeurs qui, d'ailleurs, s'accommodent moyennement de cette nouvelle disposition.
Ils aimeraient une généralisation de cette mesure en estimant qu'il n'y a aucune raison de se limiter aux moins de 26 ans, qui sont l'objet d'une discrimination effective. Pourquoi, pour les moins de 26 ans, avoir cette mesure du salarié "kleenex" ? C'est à cela que ça revient ! Donc, l'attente des employeurs, c'est de généraliser cette approche. Mais ils ne s'en tiennent pas là ! Dans les éléments de comparaison qu'ils font, au nom de la mondialisation, au nom d'une économie ouverte.
Q- Qui existe quand même. C'est pour cela, on peut penser qu'il faut faire quelques changements.
R- Bien sûr ! Mais si on s'en tient à cette spirale, vous comprenez bien qu'on ne s'en tiendra pas, simplement, au droit du licenciement, par exemple. Les rapports sur les coûts salariaux avec certains autres pays sont de l'ordre de 20 à 30. Donc, inévitablement, on aura le chapitre des congés payés, des conventions collectives. Si c'est le moins-disant social qui devient la boussole - et je crois que c'est cela qui est contesté et qui va être de plus en plus contesté, notamment, aujourd'hui - cela n'est en rien une approche, selon nous, qui est susceptible de créer de l'emploi.
Q- Un autre sujet : la fusion G.D.F-Suez. Vous avez vu que, depuis hier, le groupe d'électriciens Enel, groupe italien, ne renonce pas à une O.P.A sur Suez. Au contraire, il prépare une contre-offensive avec des banques. Que se passe-t-il si, faute de fusion - puisque vous êtes contre - cette O.P.A réussit contre Suez ?
R- Dans le domaine de l'énergie, on est sur des approches nationales. Au passage : autre sujet, même méthode gouvernementale. Nous sommes confrontés à une annonce, durant un week-end, d'une décision politique qui remet en cause.
Q- Ce sont peut-être des domaines où il faut aller vite ?
R- Il y a aller vite et aller vite ! Il n'est pas vrai qu'il était nécessaire - d'autant plus pour un plan dont on apprend, maintenant, qu'il était concocté depuis plusieurs mois par la direction des entreprises, sans que les représentants des salariés des confédérations syndicales sur un enjeu.
Q- C'est un domaine où il faut être discret, peut-être ?
R- On sait aussi, parfois, être discret quand on veut l'être, ou quand on veut donner des informations. On sait aussi être secret quand on ne veut absolument pas donner d'informations. Il y avait des engagements du gouvernement, et pas n'importe lesquels. Monsieur Sarkozy, numéro 2 du gouvernement. Le premier ministre, numéro un au moment de la réforme des statuts.
Q- D'accord. Mais au point où on en est, s'il y a un risque d'O.P.A sur Suez ?
R- Au point où on en est, il faut que dans le secteur énergétique européen, il y ait une politique européenne. Aucun des pays ne pourra s'en sortir par des approches nationales. Et il est quand même fort de café que les mêmes responsables politiques, qui nous ont expliqué toutes les vertus de l'Europe, il y a quelques mois, aujourd'hui, soient dans des opérations de Monopoly national. C'est très dangereux pour les usagers et pour les industriels de notre pays comme des autres.
Q- Vous êtes donc parfaitement pro-européen ?
R- En matière de politique énergétique, c'est une urgence.
Merci Bernard Thibault, secrétaire général du syndicat C.G.T.
Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, 10 mars 2006