Déclaration de M. Alain Richard, ministre de la défense, sur la mise en place de la force de réaction rapide, les relations avec l'OTAN et les pays tiers, la participation de la France à cette force et les projets nationaux et en coopération en matière de défense, au Sénat le 22 novembre 2000.

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Circonstance : Audition par la Commission de défense nationale du Sénat le 22 novembre 2000

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les sénateurs,
La question orale a été l'occasion hier soir de vous présenter rapidement les principaux résultats de la conférence d'engagement des forces qui s'est tenue à Bruxelles. Il s'agit d'une étape cruciale sur la voie de la constitution d'une capacité européenne d'action militaire au service d'une politique européenne de sécurité et de défense, et je crois que la France peut être satisfaite du travail qu'elle a accompli à cette occasion.
Satisfaction d'avoir rempli le mandat remis à la présidence française au sommet de Feira. Ce mandat était ambitieux, il nous fallait cheminer sur des terrains nouveaux, créer des structures réactives et crédibles et des procédures nouvelles pour atteindre nos objectifs. Nous avons poursuivi méthodiquement notre approche pragmatique et réaliste, en identifiant nos besoins, nos moyens, les domaines où il nous faut encore progresser et le système de suivi qui nous permettra de mesurer les progrès continus. Nous y sommes parvenus alors que le résultat n'était pas acquis par avance.
[Quel en est le contenu ?]
Pour ce qui concerne les capacités militaires, vous savez que les Etats membres se sont fixés à Helsinki l'objectif d'être en mesure, d'ici 2003, de déployer en moins de 60 jours et de soutenir pour une durée d'au moins un an, des forces pouvant aller jusqu'au niveau d'un Corps d'armée (60 000 personnes). Ces forces doivent être autosuffisantes d'un point de vue militaire, et dotées des capacités nécessaires de commandement, de contrôle et de renseignement, de la logistique et d'autres unités d'appui aux combats ainsi que, si cela était nécessaire, d'éléments aériens et navals.
Depuis le conseil de Feira, les Quinze ont mené à bien le délicat travail de traduction en termes concrets de ces objectifs. Pour la première fois, des représentants militaires de nos quinze nations effectuent ensemble un travail de planification militaire, et le font de manière exemplaire. Ce travail n'a été possible que parce que nous y avons mis la volonté politique et la détermination nécessaires.
[le catalogue de capacités]
Les objectifs politiques ont donc désormais une traduction concrète, celle des documents de planification militaire extrêmement détaillés.
Il s'agit en premier lieu " catalogue de capacités ", document de plus de 300 pages qui identifie de façon très rigoureuse les capacités militaires nécessaires pour assumer l'ensemble des missions de Petersberg : aide humanitaire, évacuation des ressortissants, prévention des conflits, séparation par la force des parties belligérantes. Il s'agit d'autre part d'un " catalogue de forces ", qui prend acte des contribution de chacun des Etats membres.
Les contributions volontaires confirmées hier par les Quinze dans le catalogue de forces constituent un réservoir de plus de 100.000 hommes, d'environ 400 avions de combat et 100 bâtiments. Ces contribution permettent donc, sur le plan quantitatif, de répondre pleinement à l'objectif global défini à Helsinki.
[les Quinze se sont engagés à poursuivre l'effort]
Le résultat de cette conférence d'engagement va au-delà de ce catalogue. Nous sommes en effet convenus que nous devions poursuivre ensemble un travail d'amélioration qualitative de ces forces, en particulier pour en améliorer encore la réactivité, la disponibilité, la déployabilité, l'interopérabilité, la capacité à durer. Un effort en équipement devra également être fait sur des capacités opérationnelles comme les moyens de recherche et de sauvetage en conditions opérationnelles, de ravitaillement en vol, de suppression des défenses aériennes, les moyens de défense contre les missiles sol-sol ou encore les armements à guidage terminal.
Par ailleurs, conformément à nos objectifs collectifs de capacités de Helsinki, nous allons nous efforcer de compléter nos capacités stratégiques.
En matière de commandement, les Etats membres ont offert un nombre satisfaisant d'états-majors nationaux ou multinationaux aux niveaux stratégique, d'opération, de force, et de composante. Ces offres devront être évaluées et les procédures validées. Par ailleurs, l'état major de l'Union Européenne qui devrait disposer être déclaré opérationnel au cours de l'année 2001 renforcera la capacité collective d'alerte rapide de l'Union Européenne et la dotera d'une capacité d'évaluation de situation et de planification stratégique pré-décisionnelle.
En matière de renseignement, outre les capacités d'interprétation d'images du Centre satellitaire de Torrejon, les Etats membres se sont mis d'accord sur un certain nombre de moyens qui peuvent contribuer à la capacité d'analyse et de suivi de situation de l'Union européenne.
En ce qui concerne les capacités aériennes et navales de transport stratégique dont dispose l'Union Européenne, des améliorations restent nécessaires pour permettre à l'Union d'être en mesure de répondre à tous les besoins. Cela passe par un renforcement de la capacité de chacun des pays, ainsi que par le développement de projets en coopération. Les hélicoptère NH 90, les navires de transport opérationnel, et surtout l'Avion de transport du futur, l'A 400 M, sont des projets essentiels qui contribueront puissamment au renforcement des capacités à disposition de l'Union.
[le suivi]
C'est donc aujourd'hui une nouvelle dynamique qui est lancée, sur la base d'une démarche volontaire des Etats membres. Elle ne sera crédible que si elle s'inscrit dans la durée. C'est pour cette raison que nous avons adopté aujourd'hui les principes d'un mécanisme de suivi et d'évaluation qui sera approuvé lors du Conseil européen de Nice. Ce mécanisme nous permettra de mesurer nos progrès.
[Qu'en est-il du calendrier ?]
Notre souhait est que les organes permanents soient mis en place le plus rapidement possible après Nice. Il faudra ensuite travailler à rendre le système opérationnel, en particulier l'Etat major de l'Union européenne, qui doit disposer de ses installations propres et valider ses procédures. Il s'agit d'un élément déterminant de la future capacité opérationnelle de l'UE, et je me réjouis que sa construction se poursuive à un rythme élevé. Le processus de désignation des responsables est en cours. Les CEMA ont désigné le général Schuhwirth comme directeur.
A nos yeux, d'ici 2003, lorsque ces organes seront tous en mesure d'assumer leurs fonctions et que nous assisterons à la montée en puissance du dispositif militaire, l'UE sera progressivement capable d'accomplir des missions de Petersberg.
[les relations avec l'OTAN]
Pour nombre de nos partenaires, le crédit même de cette dynamique dépendait pour beaucoup des échanges avec l'OTAN. La définition des relations entre l'UE et l'OTAN représentait donc un aspect important du mandat qui nous a été confié à Feira, et de très grands progrès ont déjà été accomplis dans ce domaine. Je voudrais souligner à la fois l'accord des Quinze quant aux principes qui doivent régir cette relation, et la qualité de la coopération développée avec l'Alliance lors des six réunions de travail en commun.
Les principes généraux en la matière ont fait l'objet d'un accord à quinze, et ont été exposés lors du dîner de travail que nous avons eu hier soir avec Lord Robertson. Les Quinze ont une nouvelle fois réaffirmé le principe de l'autonomie de décision par rapport à l'OTAN. Si l'Union Européenne décide d'agir seule, cette décision n'est soumise à aucun autre accord que celui de ses Etats membres. Elle tient bien entendu dans ce cas l'OTAN informée. Si l'UE décide d'agir avec les moyens de l'Alliance, elle transmet une demande à l'OTAN sur les moyens et les capacités nécessaires, qu'elle aura déterminés en relation avec l'OTAN. Les Quinze ont également rappelé la différence de nature qui existe entre l'UE et l'OTAN, dont il faudra tenir compte dans la mise au point des arrangements permanents. Enfin, chaque organisation traitera l'autre sur un pied d'égalité.
L'objectif est d'aboutir à une consultation, une coopération et une transparence complètes et réelles, pour déterminer quelle est la réponse militaire la plus appropriée en cas de crise, et prendre des décisions rapides pour assurer une gestion efficace des crises.
Je me réjouis de constater qu'une coopération de grande qualité s'est d'ores et déjà engagée sur ces bases entre l'UE et l'OTAN et que les Etats-Unis soutiennent les efforts des Européens.
[les relations avec les pays tiers]
Comme j'ai eu l'occasion de vous l'indiquer hier soir, nous avons également beaucoup progressé dans les discussions avec les pays tiers, en particulier avec les quinze Etats européens membres de l'OTAN mais qui ne font pas, ou pas encore, partie de l'Union européenne, et notamment les six Etats européens membres de l'OTAN et non membres de l'UE.
Un accord entre les Quinze a été trouvé. En période de crise, il s'agit de permettre, le plus tôt possible, des consultations avec les éventuels contributeurs. Celles-ci se tiendront dès l'émergence d'une crise, et avant même la décision du Conseil, qui reste évidemment de la responsabilité des Quinze. Dès la décision prise, les travaux de planification sont présentés aux contributeurs pour leur permettre de définir leurs propres apports. Au cours de l'opération, les Etats tiers participeront à la conduite au jour le jour avec les mêmes droits et les mêmes obligations que les Etats membres. A cette fin, un comité de contributeurs sera constitué.
En dehors de ces périodes de crise, des réunions régulières sont prévues entre les Etats tiers et l'UE, dont une au moins par présidence au niveau ministériel, comme celle que nous avons eu hier matin. Pour le travail quotidien, chaque pays tiers pourra désigner des représentants pour servir d'interlocuteur au COPS et pour servir de point de contact auprès de l'EMUE.
[la contribution française au réservoir de forces]
La France apportera une contribution très significative au réservoir de forces. Le volume global de son engagement s'élève à environ 20% de la force de réaction rapide soit une contribution terrestre maximale de 12 000 hommes avec des moyens aériens et navals appropriés, soit 75 avions de combat et 12 bâtiments dont le porte avions Charles de Gaulle.
C'est dans le domaine des capacités "clés" qui fondent la cohérence d'ensemble de la force de réaction rapide européenne que la France fournit proportionnellement sa plus forte contribution.
Dans le domaine du commandement, elle tient à la disposition de l'Union ses états-majors de niveau stratégique et opératif ainsi que des états-majors tactiques et des moyens projetables de communication, notamment par satellite.
Dans le domaine du renseignement, elle offre des capacités d'imagerie satellitaire grâce à des stations de théâtre Hélios. Elle tient aussi à la disposition de l'Union des moyens de reconnaissance et de surveillance du champ de bataille tels que les Mirage IV et le système héliporté Horizon.
Enfin, dans le domaine de la mobilité, elle participe significativement à l'effort collectif avec 29 avions à long et moyen rayon d'action et deux grands bâtiments amphibies.
La totalité des moyens français pourra être déployée dans le délai de soixante jours imparti. Nous pourrons également maintenir ces capacités sur le théâtre d'opérations pour au moins une année, seul le groupe aéronaval fera exception en n'étant déployé qu'au maximum six mois.
[une perspective de long terme pour notre défense]
Cet engagement de la France est en grande partie le résultat de l'intense effort d'adaptation de son outil militaire qu'elle mène depuis 1996. Mais nos efforts ne s'arrêtent pas là. Le format d'armée que nous nous sommes fixés pour 2015 implique de nombreuses mesures d'adaptation et d'investissement. Ces projets, nationaux et multinationaux, renforceront les capacités de l'Union, et feront l'objet d'un examen particulier lors de l'établissement de notre loi de programmation militaire 2003/2008. Je proposerai d'ailleurs à la commission de la défense un document introductif à la prochaine LPM afin d'engager avec vous un dialogue et une concertation sur nos choix et nos orientations.
[les projets nationaux]
Nos premiers efforts se feront donc au niveau national. Dans le domaine des moyens d'imagerie satellitaire, nous disposerons en 2004 de stations de théâtre améliorées d'exploitation d'images dotées de capacités de très haute définition et de cadences de renouvellement accrues.
En matière de renseignement encore, nous désirons offrir une capacité de drones tactiques plus performants, y compris un système moyenne altitude et longue endurance, ainsi que des nacelles de reconnaissance de nouvelle génération pour améliorer nos moyens de reconnaissance aéroportés.
Pour les communications satellitaires, des capacités accrues en matière de débit et de protection sont prévues sur notre programme Syracuse III.
Afin d'améliorer l'efficacité de nos armées, je souhaite les équiper de nouveaux armements de précision et de missiles de croisière, y compris sur porte avions. Le renforcement des capacités de projection de force à partir de la mer bénéficiera dès 2006 de la mise en service du Rafale F2. Nous avons par ailleurs un programme d'amélioration de nos moyens de projection amphibie.
[les projets en coopération]
Naturellement, j'entends soutenir les projets de coopération bi ou multinationaux existants dans lesquels nous sommes déjà engagés ainsi que d'en promouvoir de nouveaux dont je veux vous citer quelques exemples.
Nous désirons poursuivre, avec le concours des autres membres des différents états-majors multinationaux le renforcement du Corps européen, de l'EUROFOR et de l'EUROMARFOR et, sous l'impulsion du Groupe aérien européen, la mise sur pied d'un état-major européen projetable de composante aérienne.
Nous étudions avec l'Allemagne la réalisation d'une messagerie sécurisée, aux normes OTAN, permettant l'intercommunication des systèmes d'information et de commandement de nos deux pays et, à terme, l'intercommunication des autres Etats membres permettant le développement d'un système unique au sein du Corps européen.
Dans le domaine du renseignement, nous nous proposons, avec l'Allemagne et l'Italie, d'acquérir une capacité d'observation satellitaire tout temps en partenariat multinational ouvert à d'autres nations.
Pour l'optimisation de l'emploi des moyens de transport stratégique, nous mettrons en commun avec nos partenaires du Groupe aérien européen les accords techniques existants et nous étudions la mise sur pieds d'une structure conjointe de coordination de plans de transport. L'optimisation ne suffisant bien entendu pas dans ce domaine essentiel de nos besoins, nous nous engageons à acquérir avec les autres membres du programme du futur avion de transport 225 A400M. Dans le même esprit, nous avons proposé avec les Pays Bas qu'en marge de la HTF se constitue un groupe de travail sur le transport maritime qui étudierait les différentes solutions d'accroissement des moyens maritimes.
[conclusion]
Après la réunion la semaine dernière à Marseille des Etats membres de l'UEO où nous avons pris en accord avec les Etats observateurs, associés et associés partenaires les décisions importantes de transferts de l'UEO vers l'UE qui étaient prévus, ces deux jours ont marqué une étape importante dans le processus de construction d'une Europe de la défense. Après avoir démontré sa détermination en Bosnie puis au Kosovo, l'Europe affirme aujourd'hui ses capacités. Tous les Européens en sont conscients, et je crois que c'est là un autre des résultats très positifs de ces derniers mois : remplir de façon très précise le calendrier qui nous était fixé tout en traçant des perspectives de long terme, et en posant les bases d'une culture de défense commune.
(source http://www.defense.gouv.fr, le 12 février 2001)