Texte intégral
Ici même, sur cette terre intensément martyrisée, Douaumont, lieu emblématique de la « Grande Guerre », s'élèvera dans quelques mois, un monument à la mémoire des combattants musulmans « morts pour la France » pendant la Première Guerre mondiale.
Avec ce nouveau mémorial, voulu par les plus hautes autorités de l'Etat, la République affirme qu'elle n'oublie aucun de ses enfants tombés au champ d'honneur. A tous, elle veut exprimer le même respect, la même reconnaissance.
Dès le lendemain du conflit, nous le savons, la France manifesta sa gratitude aux combattants musulmans avec la construction de la Grande Mosquée de Paris.
Aujourd'hui, près d'un siècle plus tard, nous voulons attester de notre fidélité à leur mémoire sur un des plus hauts lieux où ces hommes s'illustrèrent avec tant de courage et de loyauté.
Désormais, à Douaumont, une marque plus tangible et pérenne témoignera de la gratitude de la Nation pour les soldats musulmans qui y ont si vaillamment servi la France, comme, déjà, l'ossuaire et le monument israélite rendent un légitime hommage à leurs frères d'armes. Il est juste que ce signe visible soit, enfin, à la hauteur de leur engagement.
Voici 90 ans?
dans la boue des tranchées, à l'assaut des lignes ennemies, pour tenir l'arrière, servaient ensemble des soldats de toutes origines, de toutes conditions, de toutes convictions, de toutes confessions.
Revêtus du même uniforme, réunis sous un seul et même drapeau tricolore, combattaient ensemble des hommes de métropole et d'autres venus des vastes territoires de ce qui était alors « l'Empire ».
Confrontés aux mêmes peurs, aux mêmes horreurs, parfois aux mêmes doutes, souffraient ensemble des combattants chrétiens, juifs, musulmans ; croyants et non-croyants.
Ayant acquis au combat la même gloire, tous furent des hommes d'honneur, tous ont inscrit leur nom dans l'Histoire.
Aujourd'hui, nous nous souvenons plus spécialement des combattants d'Afrique et du Maghreb venus, dès les premiers temps de la guerre, prêter main forte aux soldats de métropole en butte avec un ennemi puissant et déterminé.
Nombre d'entre eux - ne l'oublions pas - sont authentiquement volontaires.
A Verdun, pour reprendre le fort de Douaumont, les fantassins marocains consentent de terribles sacrifices. L'histoire se souvient de leur ardeur et de leur valeur au combat.
Tirailleurs sénégalais arrivés de l'Afrique sub-saharienne, tirailleurs algériens, marocains et tunisiens, soldats musulmans de Madagascar, mais aussi d'Amérique, d'Indochine, d'Asie, d'Océanie, tous paient un terrible tribut à la Guerre.
Par dizaines de milliers, ils vont jusqu'au sacrifice suprême.
Sur tous les fronts, de Lorraine et de Champagne, de Picardie et du Nord, jusqu'au Levant et en Orient, leur rôle est reconnu.
En ce jour, au nom du Gouvernement, je leur rends un hommage hautement mérité. Tous ont acquis notre admiration, notre gratitude.
Nous nous souvenons aussi, qu'à leur suite, à leur exemple, lors de la Seconde Guerre mondiale, leurs enfants s'illustreront dans l'épopée de la Libération.
Alger, capitale de la France combattante et décorée à ce titre de la Légion d'Honneur, le Sultan du Maroc, Mohamed V fait Compagnon de la Libération par le Général de Gaulle, les combats de Tunisie et de Libye, parmi d'autres, le débarquement de Provence, l'ardeur de la 3ème Division d'infanterie algérienne du Général de Monsabert, celle de la 2ème DB de Leclerc, la remontée légendaire de la Première Armée du Maréchal de Lattre jusqu'au Rhin et au Danube, cette geste épique nous le rappelle : les combattants musulmans furent, à nouveau, au rendez-vous de la gloire et de l'honneur.
A leurs enfants, à leurs petits-enfants, nous disons : vous pouvez être fiers de vos aînés.
Ces hommes ont servi la France et la cause de la liberté avec dignité, abnégation et héroïsme.
Les valeurs pour lesquelles ils ont tant donné, ces valeurs sont toujours les nôtres, toujours modernes.
Par-delà les vicissitudes de l'Histoire, malgré les cruelles incompréhensions qui suivirent et les difficultés des temps présents, ces hommes nous adressent un message fort et actuel.
Quand elle sait rassembler tous ses enfants, quand elle sait être juste et équitable avec eux, quand ceux-ci savent s'unir pour défendre un même idéal, la France est capable de surmonter les défis les plus redoutables.
Aujourd'hui, avec la réalisation de ce monument, nous faisons oeuvre de mémoire. Nous faisons aussi oeuvre de justice. Nous regardons le passé, parce que nous savons qu'il peut éclairer le présent et l'avenir.
Aujourd'hui, je ressens comme un honneur tout particulier d'avoir posé la « première pierre » d'un édifice aussi fort en symboles.
En cet instant, avec une profonde émotion, je pense sincèrement à chacun de ces soldats, à ceux qui reposent dans cette nécropole, à tous leurs frères d'armes.
En 1914, quand ils ont rejoint le front, la République était encore fragile. Les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité étaient contestés. Pour elle, pour eux, ils se sont battus jusqu'à la victoire.
La victoire de la France fut celle de la République, de la démocratie. Elle fut la leur.
Si on l'oublia sans doute trop vite sur le moment, il nous appartient aujourd'hui de nous en souvenir. Aujourd'hui, à nous d'être dignes de leur courage en défendant ces mêmes principes humanistes, en sachant les conjuguer au présent.
Vive la République !
Vive la France !Source http://www.defense.gouv.fr, le 29 mars 2006