Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "Europe 1" le 22 mars 2006, sur le CPE, l'attitude du gouvernement, les propositions de sortie du conflit du PS, et sur le respect du principe de parité homme femme dans la constitution de listes pour les prochaines élections législatives.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Quelle est votre lecture politique d?une situation qui est plutôt tendue ? D. de Villepin était plus ferme que jamais hier soir. Et si c?était sa manière de préparer à négocier et à concéder ?
R- Ce serait une mauvaise manière, parce que déjà, c?est une logique de provocation qui se met en place. On s?attendait, hier soir, qu?après une période de dialogue qu?il avait voulu engager, même si elle n?était que très courte, très brève, et que ce dialogue était virtuel, il y ait des ouvertures. Il n?y a eu que des fermetures. Je dois dire que la surprise n?était pas simplement dans le camp des opposants, chez les manifestants de l?autre jour.
Q- Vous vous attendiez à un geste d?ouverture ?
R- Nous attendions tous qu?il ait tiré les enseignements à la fois de l?ampleur des mobilisations de samedi, des contacts qu?il avait pu avoir et qu?il montre qu?il avait pris la mesure de la situation et qu?il ouvre un certain nombre de perspectives.
Q- Peut-on quand même nuancer, parce que les propos sont rapportés par les élus UMP, on ne l?a pas entendu lui-même, D. de Villepin, ni ses arguments ni son ton.
R- Vous n?allez pas me faire croire qu?il a été mal compris ou que l?on a mal interprété ses déclarations.
Q- Il faut peut-être qu?il s?explique lui-même !
R- Quand il dit, sur les deux points essentiels, la période d?essai : pas question de revenir vers le Parlement pour la raccourcir ; et sur le deuxième point, la motivation du licenciement, qui n?existe pas dans le CPE : pas question de réintroduire cette motivation, alors que reste-t-il à négocier ? Que reste-t-il à discuter ? Et c?est là qu?il faut essayer de comprendre quelle est la stratégie - il doit y en avoir une - du Premier ministre ? Il n?est pas possible qu?il rentre dans un processus de cette gravité-là, de cette ampleur-là, dans la confrontation qui est maintenant engagée, sans qu?il y ait une explication. Quelle est-elle ? Elle est toute simple, elle est grave : c?est que le Premier ministre, loin de considérer l?état du pays, loin de savoir si le CPE est adapté ou pas à la situation du marché de l?emploi, il est dans une stratégie personnelle, politique : mettre sa majorité UMP, ou ce qui lui en reste, derrière lui, obliger le président de la République à le protéger, mettre N. Sarkozy dans l?obligation de le soutenir, engager une épreuve de force avec la gauche, les syndicats, la jeunesse, bref tout ce qui est pour lui l?adversaire, et faire en sorte, quel que soit le prix à payer pour les salariés, pour les jeunes, pour le pays, pour l?économie française, d?avoir un succès. Mais c?est très grave, parce c?est la monopolisation du débat politique par une personne, la volonté d?engager un conflit direct sans prendre en compte les conséquences sur l?économie, dans le seul but d?imposer une stratégie personnelle.
Q- Peut-on vous faire deux/trois remarques ? Que lui reprochez-vous : sa méthode ou son caractère ? Apparemment, c?est un politique que vous ne comprenez pas, parce qu?il est possédé, peut-être, par d?autres rêves, d?autres ambitions pour la France, qui n?entrent pas dans vos catégories et qu?il est hors normes ?
R- Il a le droit d?avoir de l?ambition, mais d?abord, qu?il ne la mette pas en contradiction avec le pays. Il y a une espèce de prise d?otages qui est en train de se faire : on prend le pays, on prend la majorité, on prend le CPE et on en fait un sujet de confrontation avec la gauche.
Q- Après votre explication, quelques précisions : est-ce que l?autorité du Premier ministre, ce n?est pas de refuser de livrer la démocratie à la rue ? Est-ce que c?est normal que le dirigeant de l?Unef lance chaque jour des menaces, des injonctions et des ultimatums à un Gouvernement ? Si vous gouverniez, vous l?accepteriez ?
R- Au sein même de la majorité, on sent qu?il y a des voix qui s?élèvent pour dire qu?il n?est pas possible d?aller plus loin, il y a trop de risques. On voit bien que des manifestations peuvent dégénérer, on voit bien que les étudiants ne peuvent pas aller travailler, alors qu?ils le voudraient, grévistes ou non grévistes, parce que l?objectif d?un étudiant c?est d?étudier. On voit bien qu?il y a des lycées qui aujourd?hui ne sont pas en état de fonctionner. On voit bien qu?il y a une menace de grève mardi prochain. Alors, quand on est un dirigeant responsable, et je me pose la question : aujourd?hui, le Premier ministre est-il un dirigeant responsable ?
Q- C?est grave ce que vous dites !
R- Oui, c?est grave.
Q- Vous interrogez sur la responsabilité de celui qui est à Matignon et qui gouverne...
R- Oui. Quand on est dans cette situation, on cherche l?ouverture, on cherche l?issue, et lui, il ferme toutes les portes, obstrue toutes les fenêtres, fait qu?il n?y ait plus aucune solution que la confrontation. Je vais proposer une solution - c?est mon rôle - qui est de dire, puisque...
Q- Qu?est-ce que vous cherchez ? La chute de D. de Villepin ? Elle ne vous appartient pas.
R- ...Puisqu?on ne veut pas que la rue impose sa propre vision, le mieux est de renvoyer le texte devant le Parlement, de demander une nouvelle lecture du texte sur le CPE et de faire en sorte qu?il puisse y avoir une refondation de cette mesure, qu?elle soit retirée et qu?un nouveau projet de loi puisse de nouveau être discuté au Parlement. Voilà quelles seraient les solutions.
Q- Mais qui est le "on" ? Est-ce que vous attendez le Conseil constitutionnel ou le président de la République ?
R- C?est au président de la République de renvoyer devant le Parlement ce texte. C?est aux parlementaires de faire leur travail. Le Conseil constitutionnel, je ne peux pas savoir quelle sera sa décision. J?en réfère d?abord aux autorités politiques. Je demande donc au président de la République, au Premier ministre, de renvoyer le texte devant le Parlement. Là, nous pourrons regarder et les questions de période d?essai et les questions de motivation et les questions de défense des salariés, et les questions d?équilibre dans le contrat de travail. Tout ce qui est fait en dehors du Parlement aujourd?hui est une confrontation.
Q- D?accord, mais c?est donc une condamnation de ce qui va se faire dans la rue, puisque vous voulez tout ramener au Parlement ?
R- Si les syndicats, tous les syndicats, des plus modérés jusqu?aux plus radicaux, si l?ensemble des organisations de jeunesse sont aujourd?hui dans le refus du CPE et dans l?organisation de manifestations, et de grève, mardi, c?est bien parce qu?ils veulent chercher une issue, ce n?est pas par plaisir qu?ils rentrent dans ce mouvement. Donc le Premier ministre engage de nouveau cette confrontation, alors qu?il n?a comme issue que de revenir devant le Parlement. Ce que je demande, c?est que le Parlement soit de nouveau saisi de cette question.
Q- Mais vous ne dites pas qu?il faudrait que, ou D. de Villepin ou ses ministres Larcher, J.-L. Borloo, G. de Robien, entament des discussions avec les syndicats ou que lui-même reçoive les syndicats. Il faut d?abord passer par le Parlement ou y revenir ?
R- Mais il n?y a plus de discussion possible, puisque le Premier ministre, hier soir, a dit sur les deux points qui sont controversés en matière de CPE, il a dit : "sur la période d?essai, nous ne reviendrons pas là dessus", et sur la motivation : "il n?y aura pas de motivation en matière de dénonciation du contrat CPE". C?est-à-dire que l?employeur pourra toujours librement licencier à tout moment, et sans motif, le salarié. Il a reçu des patrons - et je crois que vous avez vous-même interrogé le ministre de l'économie là-dessus - que disaient les patrons qu?il a reçus, pour beaucoup d?entre eux ? "Nous ne voulons pas de période d?essai aussi longue, deux ans, c?est bien trop pour juger..."
Q- ...D?accord, mais ils demandaient le maintien du CPE.
R- Deuxièmement, ils disaient qu?ils étaient d?accord sur la motivation. Et le Premier ministre, même par rapport à cette aile du patronat, ferme toute porte. A partir de là, c?est bien qu?il est dans une autre logique, il n'est pas dans une logique de discussion, pas dans une logique de correction, d?amendements, encore moins dans une logique de retrait. Il n?est pas dans une logique de retour au Parlement, il est dans une logique de conflit. Le Premier ministre organise le conflit avec le pays. Et quand on est un Premier ministre responsable, dans un pays qui souffre - car il souffre -, qui peut être bloqué mardi, la moindre des choses, c?est d?essayer d?ouvrir des portes. Il les ferme.
Q- Vous avez un droit d?opposition, vous en faites usage, ce matin encore...
R- Je ne le fais pas par plaisir, vous croyez que c?est bon pour le pays cette situation ? Vous croyez que c?est réjouissant pour un dirigeant d?opposition de voir que mardi, on s?apprête à faire une grève qui va être puissante et forte, qui va gêner nos concitoyens ? Croyez-vous que ce soit bon pour l?économie française, que des salariés ne puissent aller au travail ? Croyez-vous que ce soit bon que les étudiants ne puissent pas étudier, que les lycéens ne puissent pas aller à leur lycée ?
Q- Donc, vous demandez au président de la République de nous sauver de D. de Villepin ?
R- Je demande au président de la République, au Premier ministre de faire retour au Parlement. Je ne fais pas de distinction entre J. Chirac, N. Sarkozy et D. de Villepin, ils sont tous les trois co-responsables de cette situation. Et je ne voudrais pas entendre que l?un voudrait prendre ses distances, que l?autre reste dans un silence prudent, et qu?il n?y aurait que le troisième, D. de Villepin, qui serait dans une logique de fermeté. Ils sont co-r-responsables de cette situation.
Q- Est-ce que le PS ne serait pas plus crédible, si, tous ensemble, tous les leaders, avançaient des propositions nouvelles, des alternatives réelles sur l?emploi, sur la croissance, sur l?avenir des jeunes ?
R- Nous l?avons fait. J?ai même fait une proposition...
Q- Mais ce n?est pas audible !
R- Je vais au moins essayer de me faire entendre à votre micro... J?ai fait moi-même la proposition d?un contrat pour les jeunes sans qualification, qui sont éloignés du marché du travail et qui représentent 20 % d?une classe d?âge. Pour ceux-là, il faut un contrat spécifique, un CDI, l?Etat payant les charges de formation et de qualification, payé par l?employeur, et l?employeur faisant cet effort d?insertion du jeune, et le jeune, lui-même, rentrant dans un parcours professionnel. Voilà ce que pourrait être une bonne formule. J?ai même fait une nouvelle proposition, j?ai dit au Premier ministre : "convoquez - après le retrait du contrat "première embauche", bien sûr - des états généraux de la jeunesse, demandez même à l?opposition d?y venir pour faire ses propositions, pour qu?à ce moment-là, nous cherchions ensemble la meilleure des formules".
Q- Est-ce que S. Royal est absente de France ?
R- Pourquoi cette question ? Elle est, comme tous les parlementaires socialistes...
Q- Mais on ne l?entend pas, on ignore ce qu?elle pense, ce qu?elle veut.
R- Invitez là à votre micro et elle viendra...
Q- Peut-être se cache-t-elle pour grandir ?
R- Nul n?a besoin de se montrer ou de se cacher, chacun doit faire son travail ; je le fais.
Q- Il parait qu?hier le PS a approuvé le principe de la parité homme femme pour les 551 circonscriptions. Les fabiusiens se sont abstenus : beaucoup reprochent à F. Hollande un esprit de clan, vous privilégieriez les vôtres, etc. Est-ce vrai ? Cela veut-il dire qu?il y a parmi les députés, les élus actuels du PS, beaucoup d?hommes qui vont aller à la trappe ?
R- Je constate d?abord que le PS a tenu cet engagement de parité et que c?est une première historique, c?est-à-dire que nous présenterons autant de femmes que d?hommes aux élections législatives, nous serons le seul grand parti à le faire et j?en suis fier. Je l?ai fait dans un esprit de rassemblement et de responsabilité, sans humilier personne, en faisant en sorte que chacune et chacun se trouvent bien dans le PS. Mais ce sont des efforts. Des hommes, effectivement, ne pourront pas être candidats pour que des femmes le soient. Je l?ai fait sans tenir compte de telle ou telle sensibilité. Mais aujourd?hui, permettez, J.-P. Elkabbach, de me rendre un peu responsable de cette situation : s?il y a la parité aujourd?hui, c?est que nous l?avons voulue, nous, les socialistes, et que nous avions fait voté une loi. La moindre des choses, c?est de la respecter.Source: premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 23 mars 2006