Interview de M. Bernard Van Craeynest, président de la CFE-CGC, sur LCI le 20 mars 2006, sur la position de la CFE-CGC dans le contexte du renforcement de la mobilisation contre le contrat première embauche.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Eric Revel : Les syndicats viennent de décider ce soir d'une nouvelle journée d'action contre le CPE, le contrat de première embauche. Bernard van Craeynest, vous êtes le président de la CFE-CGC, les cadres donc dans ce pays. Vous étiez associés évidemment à cette réunion syndicale. Avant que l'on parle de cette journée d'action, on a appris également qu'un syndicaliste SUD, pendant les événements qui ont mis face-à-face la police et des étudiants, a été blessé. Il se trouve dans le coma aujourd'hui. Quelle est votre réaction ?
Bernard van Craeynest : Une réaction attristée bien entendu parce qu'il est évident qu'on se passerait bien de ce genre d'affrontement avec les graves conséquences que nous identifions ce soir. Je rappelle à ce sujet d'ailleurs que depuis le début de ces manifestations, il y a également de nombreux policiers qui ont été blessés dans ces affrontements. Mais là, savoir ce soir qu'un de nos collègues est entre la vie et la mort, d'après les informations dont nous disposons, est particulièrement préoccupant.
ER : Au-delà de la douleur de la famille, est-ce que ce type d'événement ? pardonnez d'employer ce mot ? peut faire basculer d'un côté ou d'un autre les négociations qui sont en cours, le bras de fer qui est en cours entre le gouvernement et les syndicats ?
BVC : Oui, je préfère que vous employiez l'expression bras de fer parce qu'on ne peut vraiment pas parler de négociation. Je rappellerais simplement que c'est particulièrement triste de voir que nous avons, en tant que CFE-CGC, été très ouverts sur la proposition du Premier ministre bien que celle-ci soit sortie de son chapeau le 16 janvier. Nous n'avons pas rejeté d'emblée cette proposition. Je lui ai écrit le 24 janvier pour lui dire que ce contrat première embauche tel qu'il le présentait n'était pas vraiment adapté à la situation et qu'il fallait l'aménager. Il a fallu attendre trois semaines pour que j'ai une réponse dilatoire de la part de Matignon. C'est ce qui explique qu'aujourd'hui, enfin dès le 14 février, nous avons rejoint nos collègues dans le mouvement contre ce CPE.
ER : Est-ce que pour vous, la nouvelle graduation : nouvelle journée d'action le 28 mars contre le CPE avec débrayages, avec mouvements de grèves parcellaires, est-ce que c'est le dernier cran avant une éventuelle grève générale à laquelle pourraient appeler les syndicats de ce pays ?
BVC : J'espère que nous n'aurons pas à en arriver là parce que vous savez que, comme vous le rappeliez, il y a des expressions sociales fortes. La grève générale, ça n'est pas neutre dans notre histoire sociale. Et il est bien évident que c'est un potentiel blocage du pays dont notre économie n'a pas besoin aujourd'hui. Donc nous sommes face à une attitude intransigeante du Premier ministre. Il est bien évident que nous poursuivons le mouvement parce qu'analysons les choses objectivement : ce CPE est mort-né. Alors qu'il y a un véritable problème de l'insertion durable dans l'emploi des jeunes...
ER : Vous dites intransigeant, manque de dialogue, mais d'une certaine manière, lorsque Dominique de Villepin convoque des patrons, des grands patrons ? pourtant, y a peu de patrons de PME pourtant concernés par le CPE à Matignon ?, quand il les convoque, il leur dit ou il laisse filtrer qu'il pourrait revenir sur la période d'essai à un an pour le CPE au lieu de deux, qu'il va sans doute revoir un peu l'intégralité du texte, notamment sur la motivation du licenciement. Pour l'instant, dans le CPE, il n'y a pas de motivation, ce qui met les étudiants dans la rue...
BVC : Comme dans le CNE...
ER : Est-ce qu'il n'est pas en train, d'une manière ou d'une autre, d'après vous, de vider le CPE de son contenu ? Il garde l'étiquette CPE, mais ça ressemble presque à un CDI dès lors qu'il n'y a pas plus... qu'il y a motivation du licenciement et que la période d'essai serait d'un an ou moins.
BVC : Oui, j'observe simplement que rassembler les grands patrons, mais est-ce que ce sont eux qui vont embaucher en CPE ? Je ne le crois pas d'après tout ce que nous entendons depuis des semaines de la part de ces mêmes grands patrons ou de leur DRH. Mais vous avez raison, si les propositions faites aujourd'hui par le Premier ministre se concrétisent dans les jours qui viennent, cela veut dire que le CPE sera vidé de sa substance. Alors puisque c'est une position de blocage sur ce CPE qui paralyse toute possibilité de débat actuellement, pourquoi ne pas aller au bout du raisonnement, au bout de la démarche et retirer dès à présent le CPE ? Il faut que nous soyons en capacité de renouer le dialogue et pour l'instant, c'est le maintien de ce CPE qui y fait obstacle.
ER : Alors renouer le dialogue. Vous êtes un syndicaliste. Souvent, on reproche aux syndicats dans ce pays de contester et de pas faire de proposition. Concrètement, qu'est-ce que la CFE-CGC, le syndicats des cadres, propose pour sortir de cette ornière, pour sortir de cette impasse ? Est-ce que vous avez réfléchi à une porte de sortie ?
BVC : Bien entendu. Je rappelle simplement que la CFE-CGC, c'est le syndicat de l'encadrement. Quand on est dans une situation totalement paralysée, d'affrontement bloc contre bloc, situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, la seule porte de sortie à notre sens, c'est un terrain neutre parce que devant la situation que nous vivons depuis plusieurs semaines, personne ? compte tenu encore une fois de l'attitude intransigeante du Premier ministre ? n'est prêt à se rendre à une quelconque négociation à Matignon ou ailleurs dans un autre ministère. Le terrain neutre, à notre sens, pourrait être le conseil économique et social, qui a le mérite de rassembler la société civile : il y a les représentants des entreprises publiques, des entreprises privées, des organisations syndicales de salariés, de l'artisanat, des associations, etc. Et compte tenu du fait que ce même CES a travaillé l'an dernier sur un rapport de notre collègue Jean-Louis Walter sur l'insertion des jeunes issus de l'enseignement supérieur avec un certain nombre de pistes qui méritent d'être concrétiser, compte tenu du fait qu'à la suite des événements de la banlieue d'octobre-novembre dernier, Jacques Dermagne, président du CES, est en train de monter une opération pour ces prochaines semaines et ces prochains mois d'assises sur les problèmes de la jeunesse en général, il me semble que ça peut être ce terrain neutre qui serait propice à renouer le dialogue entre partenaires sociaux...
ER : Donc si on comprend bien, ce soir, la CFE-CGC dont vous êtes le président, propose à Dominique de Villepin une sorte de Grenelle social autour de la question du CPE qui se tiendrait au CES, où on retrouverait des jeunes, des syndicats d'étudiants, les syndicats et le gouvernement s'il veut s'y rendre.
BVC : Absolument. Sachant que bien évidemment, en ce qui nous concerne, pour faire en sorte que nous puissions progresser dans ce débat, il faudrait que Dominique de Villepin, comme nous le disions tout à l'heure, aille au bout de sa logique, c'est-à-dire que plutôt que de le vider progressivement de sa substance, d'ores et déjà il fasse preuve de bonne volonté et il retire le CPE.
ER : Donc avant de tenir éventuellement ce Grenelle CPE au CES, vous demandez tout de même au Premier ministre de retirer son texte d'abord, la loi votée ? ...
BVC : Oui, parce que vous savez, ce Grenelle dont vous parlez, il ne va pas se tenir demain matin. Ça nécessite quand même que l'ensemble des parties prenantes se concerte et que nous tombions d'accord sur une date et que chacun accepte de s'y rendre. Donc ça prendra quelques jours pour ne pas dire... C'est une opération qui est envisageable dans le courant du mois d'avril. Donc d'ici là, il appartient encore une fois au Premier ministre de faire preuve de bonne volonté et d'annoncer une mesure qui le grandira.
ER : Bernard van Craeynest, président de la CFE-CGC, le syndicat de l'encadrement en France, merci de vos explications et de cette information. Source http://www.cfecgc.org, le 22 mars 2006