Interview de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, sur France Inter le 20 mars 2006, sur le renforcement de la mobilisation contre le contrat première embauche et les propositions de la CFDT en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes.

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Média : France Inter

Texte intégral

S. Paoli - Imagine-t-on D. de Villepin céder à une telle injonction : retirer le CPE d?ici à ce soir faute d?une grève générale ? Mais imagine-t-on les syndicats de salariés, d?étudiants et de lycéens accepter le maintien du CPE, même amélioré et enrichi, comme le propose le Premier ministre, aux partenaires sociaux ? La France est-elle entrée, comme le disent 71% des personnes interrogées dans le sondage LH2, publié ce matin par Libération, dans une crise sociale profonde pouvant prendre de l?ampleur dans les semaines qui viennent" ? La réponse est connue. A la question : "Retirez-vous le CPE ?", D. de Villepin a dit "non". Il le dit dans ce journal pour les lycéens, Citato, il ne retire pas !
R - Le Premier ministre, ce matin, effectivement, s?exprime dans ce sens-là. J?espère que c?est une interview qu?il aura donnée avant le week-end, et qu?il va réfléchir encore aujourd?hui à sa décision. Mais je pense que le Premier ministre, le Gouvernement, peut-être le président de la République, n?ont pas compris ce qui se passait aujourd?hui dans notre pays. Nous sommes face à une perte de confiance importante de la population française en l?avenir : des jeunes vis-à-vis de leur avenir, des familles vis-à-vis de l?avenir de l?emploi en général dans notre pays, et vis-à-vis de l?emploi de leurs enfants. Et cette perte de confiance dans l?avenir, elle s?est déjà exprimée à plusieurs fois ces dernières années : en avril 2002, lors des élections européennes - le fameux Traité constitutionnel - où tout le monde a dit que les Français n?avaient pas voté uniquement sur l?Europe, mais qu?ils avaient voté par rapport à leur situation en France. Et il semble que les hommes politiques dans notre pays, peut-être aussi les syndicalistes, n?ont pas compris ces messages, et n?ont pas répondu à ces messages. Et le CPE, aujourd?hui, devient la cristallisation de ces peurs. Une raison supplémentaire pour laquelle il faut l?enlever.
Q - Mais les uns et les autres ne sont-ils pas en train de créer une situation, j?allais dire à la française, c?est-à-dire le blocage total ? Est-ce que, sincèrement, vous imaginez une seconde que D. de Villepin puisse entendre - il y a un débat : injonction, ultimatum, qu?importe - d?ici ce soir et retirer le CPE ?
R - Nous n?avons jamais fait d?ultimatum à la CFDT. Nous avons simplement souhaité - et c?est nous, la CFDT, qui avons souhaité ? qu?il n?y ait pas de décision prise samedi soir, dans la précipitation, après la journée de manifestations qui a été énorme, nous avons souhaité que tout le monde puisse avoir deux jours de réflexion. Ces deux jours de réflexion sont pour le Premier ministre, elles étaient aussi pour nous. Et il est extraordinaire de voir que nous sommes le seul pays en Europe où on règle les problèmes sociaux par des crises majeures.
Q - Mais vous avez eu des contacts pendant ces 48 heures ou pas du tout ?
R - Rien de fondamental. Quelques conseillers qui me téléphonent pour essayer d?obtenir des aménagements au CPE de la part du secrétaire général de la CFDT, et je leur dis régulièrement "non". Le problème n?est pas là. Aujourd?hui, le problème est de savoir comment on est capables collectivement, de créer des parcours d?accès à la vie active pour tous les jeunes en fonction de leur situation individuelle. Et non pas une réponse globale qui fait peur à tout le monde.
Q - Pensez-vous à l?hypothèse du passage en force, que D. de Villepin se dise : eh bien, il va y avoir bientôt les vacances de Pâques, il y a un débat chez les étudiants entre ceux qui veulent bloquer et ceux qui ne veulent pas bloquer, attendons un peu, ça va passer ?
R - C?est ce qu?il fait depuis le début, c?est ce qu?il a fait avant les vacances de février : il a accéléré le calendrier parlementaire pour passer en force pendant les vacances. Et ça n?a pas marché. C?est ce qu?il peut continuer à faire. C?est là que je ne comprends pas le blocage. Le Premier ministre le dit : sa méthode n?était pas la bonne, il le reconnaît. Nous, la CFDT, vous savez à quel point nous sommes attachés à essayer de construire collectivement des solutions. Cette majorité s?est engagée vis-à-vis des partenaires sociaux, par une loi, en disant qu?il n?y aurait plus d?évolution de contrat de travail sans négociations entre partenaires sociaux. Donc, il nous semble important de reconnaître collectivement la difficulté pour les jeunes d?accès à l?emploi, et d?essayer de construire collectivement des réponses. Et on nous refuse cette démarche-là ! Donc, la meilleure solution, c?est effectivement qu?on retourne au dialogue. Mais comment le faire avec un Premier ministre qui se bloque de cette façon-là !
Q - Imaginons que dans cette journée, tout à coup, D. de Villepin entende ce que vous dites, là, à l?instant, et qu?il vous dise : "Je supprime la non justification de la rupture de contrat, je supprime le délai de deux ans". Que font les syndicats ?
R - Le CPE est annulé s?il supprime ces deux parties principales. La contestation est faite sur ce contrat, principalement sur deux points : parce qu?il y a une période d?essai de deux ans, et parce qu?il n?y a pas de justification de licenciement. Donc, s?il enlève ces deux points-là, cela veut dire qu?on est sur un autre domaine. A ce moment-là, on peut négocier des parcours d?accès à l?emploi pour tous les jeunes, en fonction de leur situation individuelle. On a dans notre pays des jeunes qui ont une formation, qui ont besoin simplement d?un coup de pouce pour aller à l?emploi. On a d?autres qui ont une formation mais pas un vrai métier. On a des contrats de professionnalisation, on les a négociés avec le patronat. On a des jeunes qui n?ont aucune qualification : 150.000 par an. Ceux-là, il faut leur donner une deuxième chance. Nous proposons donc, nous à la CFDT, qu?à chaque fois qu?un jeune sort du système scolaire, il ait un accompagnement de service public de l?emploi pour [l?aider dans ?] ce parcours d?accès à la vie active, en fonction de leur réalité, c?est ça qu?il faut qu?on négocie. Or le Gouvernement nous propose un contrat global pour tout le monde qui va mettre tout le monde dans l?insécurité. Donc, voilà. Alors, derrière ça, on a un deuxième sujet : ce sont les entreprises qui hésitent d?embaucher, parce qu?il y a des problèmes économiques. Nous avons proposé au moment où le Gouvernement faisait le CNE, de parler du problème de l?accompagnement des entreprises et des personnes qui se retrouveraient licenciées, éventuellement pour accélérer certaines procédures, mais pour avoir un meilleur accompagnement du chômeur. On nous a promis de ne pas aller plus loin après le CNE. Résultat, on a fait le CPE, sans nous écouter. Donc, c?est cela qu?il faut qu?on mette aujourd?hui sur la table. La démarche de la CFDT, ce n?est pas une démarche de blocage, de dire : on ne peut rien changer. Au contraire, on voit bien la réalité du monde du travail. Mais comment faisons-nous pour trouver des solutions, avancer collectivement, plutôt que par des mesures autoritaires !
Q - Vous savez bien que quelquefois on joue un peu sur les mots, il faut que chacun sauve un peu la face, c?est comme dans les négociations en Orient. Il va falloir que le Premier ministre s?en sorte, et vous aussi. S?il vous dit : c?est toujours le CPE mais, encore une fois, on enlève ça, on enlève la durée de deux ans, ça passe ou ça ne passe pas ? Pas simplement pour vous, mais pour les syndicats ?
R - Mais j?ai envie de vous dire : laissons le Premier ministre faire ses propositions. Mais qu?il les fasse ! Pour le moment, il n?en fait aucune. Que fait-il comme propositions, le Premier ministre ? Il dit : "Les deux éléments que vous me dites sont au centre et on n?y touche pas, et on fait des adaptations à la marge". Donc, qu?il fasse ses propositions, et on verra ensuite si c?est acceptable ou pas acceptable. Nous, ce que l?on veut, c?est que ce contrat, qui donne la possibilité aux employeurs de licencier sans justificatif, ce principe-là disparaisse. Vous imaginez quand même, on est dans une drôle de situation ! Un jeune qui est dans une entreprise, il n?aura même plus le droit de savoir pourquoi il quitte l?entreprise ! Est-ce qu?il y a un problème économique ? Est-ce qu?il a mal travaillé ? Quelles sont ses insuffisances ? Est-ce qu?il est victime de discrimination ? Vous voyez dans quelle angoisse on va mettre les jeunes ! On demande au jeune une forme d?entrée dans l?entreprise, qu?il prenne l?habitude d?avoir une démarche professionnelle, on ne lui fait même pas confiance sur le point qui pourrait comprendre pourquoi il est licencié. C?est une défiance vis-à-vis des jeunes qui est insupportable !
Q - Mais alors est-ce que ce matin, on est vraiment dans l?escalade ? Il y a une intersyndicale qui va se réunir en fin d?après-midi, à 17h00, au siège de la CFTC. A votre avis, on va vers la grève générale ou pas ?
R - Prendre une décision de grève générale ne se fait pas à la légère. Pour la CFDT, cette décision ne peut pas se prendre comme cela, par une ou deux personnes, parce qu?on engage trop de personnes. La CFDT ne prendra donc cette décision qu?après consultation de toutes ses régions et toutes ses fédérations. Ce n?est pas une habitude pour nous, pour différentes raisons. Demander aux salariés de perdre une journée de travail, ce n?est pas une moindre responsabilité. En plus, est-ce qu?on sera suivi ? Donc, on a besoin de savoir auprès de nos équipes s?ils nous suivront ? Est-ce que ce sera une grève uniquement dans les services publics et pas dans le privé ? Il y a beaucoup de choses à demander à nos équipes syndicales. Donc, nous allons, puisque certains apparemment ont déjà décidé sans qu?on en ait discuté d?aller à cette grève générale, on va consulter nos responsables de régions, de fédérations, avant de prendre une décision, parce que cette décision, je répète, ne se prend pas à la légère. En tout état de cause, il faut prendre un délai entre une prise de décision et éventuellement une journée de ce type, de telle façon qu?on rentre dans une démarche de dialogue au minimum ?
Q - Ce qui laisse encore un petit peu de temps parce que de toute façon, dans ce cas-là, il y a les préavis à déposer. Donc une grève pour jeudi paraît impensable ?
R - Vous savez, jeudi, il y a une journée d?action sur Gaz de France. La CFDT ne souhaite pas mélanger les genres. Et ceux qui souhaitent mélanger Gaz de France et le problème des jeunes, aujourd?hui, souhaitent politiser le mouvement. Donc, il n?est pas question pour nous de mélanger les genres. On a toujours dit que si on veut avoir une efficacité sur le CPE, c?est si on reste sur ce projet-là, c?est-à-dire, le problème de la jeunesse, et comment, collectivement, on est capables de trouver des solutions pour notre jeunesse en France !Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 mars 2006