Interview de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, à "France 2" le 22 mars 2006, sur les motifs de la création du CPE dont la lutte contre le chômage des jeunes et les désaccords des syndicats et des jeunes entrainant des manifestations.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Avec J.-F. Copé, nous allons essayer d'y voir plus clair dans l'évolution de ce dossier du CPE. Je serais tentée de dire ce matin qu'on n'y comprend plus grand-chose dans la stratégie gouvernementale. Hier, on avait le sentiment que les choses étaient en train de s'ouvrir. D. de Villepin avait reçu les chefs d'entreprise, il y avait des pistes de réflexion... Et puis, hier soir, il déclare tout à trac : "Ni retrait, ni suspension, ni dénaturation". Cela veut dire qu'il referme la porte qui était entr'ouverte ?
R- Non, non, c'est tout l'inverse. Il a simplement à la fois remis tout ça en perspective, et puis, deuxièmement, rappelé les ouvertures, qui sont très importantes. Pourquoi est-ce qu'on fait tout ça ? Ce n'est pas, encore une fois, pour simplement créer des tensions, c'est tout l'inverse. C'est parce qu'aujourd'hui il y a une priorité majeure : c'est la lutte contre le chômage des jeunes. Et que ce contrat "première embauche", c'est un des outils pour mettre un certain nombre de jeunes, le pied à l'étrier, parce qu'aujourd'hui, ils n'ont aucune perspective. La durée moyenne des contrats qu'ils arrivent à décrocher, c'est moins de cinq jours d'intérim, moins d'un mois en CDD. C'est pour cela qu'on propose ce contrat, parce que partout où il a été fait ailleurs, ça a marché, le chômage a baissé. Mais en même temps, il a indiqué que le message était reçu. Il y a deux sujets sur lesquels il y a des inquiétudes : d'une part la durée de la période, et puis d'autre part, les conditions d'un éventuel licenciement. Sur ces deux sujets, il a montré que la loi elle-même permettait des ouvertures à travers les discussions avec les partenaires sociaux. Il a donc rappelé combien il était ouvert à cela. Je crois que c'est vraiment important d'avoir bien cela à l'esprit.
Q- F. Chérèque, qui était assis ici même hier, propose un certain nombre de pistes. Il dit par exemple qu'on pourrait remplacer la référence à l'âge - parce ces contrats s'appliquent aux moins de 26 ans - à une référence à l'absence de formation. Par exemple, réserver les CPE à ceux qui, en effet, n'ont aucune espèce de formation, auquel cas cela permettrait aux étudiants d'être un peu rassurés. Est-ce que ce sont des pistes sur lesquelles on peut travailler ? Mais est-ce que les syndicats peuvent aller négocier, quand on commence, avant même la négociation, de leur dire : la marge de manoeuvre est proche de ça ?
R- Chacun son métier. F. Laborde vous faites le vôtre très bien, ce n'est pas le sujet. Mais je crois qu'on ne peut pas non plus sous interpréter ou sur interpréter. Les propos du Premier ministre, depuis le début, ils sont parfaitement clairs. Ils consistent à dire : premièrement, si on fait tout ça, c'est parce qu'il y a un objectif de lutte contre le chômage des jeunes, qu'on doit y travailler ensemble, et que le CPE prolonge le CNE qui a été créé il y a cinq mois, et qui a donné lieu à 400.000 contrats signés. Je veux dire, ça marche !
Q- 400.000 contrats et promesses de contrat, parce que d'autres n'ont pas été signées ! Bon, on ne va pas chipoter...
R- Si vous voulez, on peut trouver que tout est nul, que rien ne marche jamais, je veux bien !
Q- Non, non, on ne va pas chipoter.
R- Premièrement, c'est donc que le CNE ça marche. Le CPE en est un prolongement. Ce n'est pas la révolution, c'est un prolongement du CNE, avec des garanties supplémentaires pour les jeunes. Par rapport à cela et dans ce cadre-là -juste pour être clair là-dessus - les discussions sont naturellement ouvertes parce que la loi le prévoit.
Q- Une question : on sait bien que dans ce genre de conflits, à un moment donné, on est dans des rapports un peu psychologiques. On peut donc en effet se demander si, à un moment donné, les étudiants ne veulent pas simplement pousser le Gouvernement - le Premier ministre - à prononcer le mot "retrait", à "rendre les armes" devant la rue, en quelque sorte. Mais à l'inverse, quand on a vraiment envie d'ouvrir une négociation, est-ce tactiquement habile de commencer par dire : "il n'y aura ni retrait, ni suspension, ni dénaturation" ? C'est-à-dire de fermer le champ de la discussion ? On sait bien que dans ces négociations, la psychologie joue beaucoup.
R- Vous avez raison, et en même temps, c'est bien qu'on puisse avoir ce petit échange tous les deux. Lorsque vous êtes Premier ministre, vous vous adressez, bien sûr, à ceux qui aujourd'hui sont des responsables syndicaux, qui appellent à la mobilisation, à la manifestation. Mais vous vous adressez aussi à l'ensemble des Français. C'est bien pour l'ensemble des Français que l'on gouverne. C'est notre mission. Et donc, ce qui est important, à chaque fois dans un discours gouvernemental, c'est de remettre les choses en perspective, de ne pas créer d'ambiguïtés ou de malentendus. Donc, qu'a fait D. de Villepin ? Il a fait ce que les uns et les autres nous faisons depuis plusieurs jours, à la fois de rappeler l'esprit dans lequel on travaille - il y a une loi qui a été votée par le Parlement - et de rappeler que, dans cette loi, parce qu'il y a beaucoup de désinformation, il y a beaucoup de choses qu'on dit sans savoir forcément, dans cette loi, il est prévu, c'est l'article 8, des ouvertures, des aménagements possibles. C'est dans ce cadre-là que les pistes, qui ont été proposées par D. de Villepin - auxquelles fait écho d'ailleurs, à certains égards, F. Chérèque - méritent d'être discutées. Et d'ailleurs, depuis le premier jour, D. de Villepin l'a dit, je l'ai dit moi même, tout le monde l'a dit : la porte est ouverte, on y va !
Q- C'est formidable : "La porte est ouverte" ! Mais ils ne vont pas venir demain matin dire "Bonjour ! Allo ! Allo ! Nous sommes les syndicats"... Il faut que le Premier ministre convoque une réunion à Matignon. Sinon, les syndicats ne s'invitent pas à la porte ...
R- Sans doute. Mais enfin, en tout cas, je crois qu'on voit bien à travers tout cela... Bien sûr qu'il y a un discours par médias interposés, c'est aussi la règle du jeu. Cela fait quand même vingt ou vingt-cinq ans que c'est à chaque fois un peu le même scénario : d'un côté, une mesure qui fait bouger un peu les lignes, qu'on prend parce qu'on pense qu'il faut un peu sortir des carcans traditionnels et surtout qu'on essaie de trouver des formules qui marchent. Et de l'autre, et depuis des années, des manifs, des termes agressifs, etc...
Q- Pour reprendre les formules anciennes, on disait à l'époque qu'il il ne faut pas désespérer Billancourt, en parlant des syndicats Renault. Mais est-ce qu'il ne faut non plus ne pas désespérer les syndicats ?
R- L'objectif n'est de désespérer personne. Il est justement d'essayer, autour de la table, de parler d'avenir de la France et de l'avenir des jeunes. Je pense que c'est un sujet suffisamment essentiel pour que l'on puisse, au-delà de la passion du moment, trouver les voies de sortie sur ce sujet.
Q- Mais est-ce que la solidarité gouvernementale ne va pas un peu souffrir tout de même ? Quand on voit ou quand on a entendu des proches de N. Sarkozy dire : si ça continue comme ça, N. Sarkozy, président de l'UMP par ailleurs ministre de l'Intérieur, pourrait prendre une initiative, et faire entendre sa voix, si ce n'est sa différence ?
R- Moi je suis moins fort que vous pour faire les commentaires des commentaires...
Q- Vous n'avez pas entendu dire ça du côté de Sarkozy ?
R- Si, si. Ce que je veux dire par là, c'est que je ne suis pas forcément très pro pour dire le commentaire du commentaire du commentaire. C'est la vie. La seule chose que je peux dire, c'est que, sur ce sujet, cette mesure, elle s'inscrit complètement dans la philosophie qui est la nôtre, qui est celle de toute notre famille politique : comment essayer d'emprunter aux autres pays qui ont réussi des formules qui peuvent ou qui pourraient marcher en France et donner des résultats.
Q- Mais quand vous voyez les titres des journaux "Le Gouvernement au bord de la crise de nerfs"... C'est peut-être très exagéré, mais l'ambiance...
R- C'est une ambiance qui est quand même un peu particulière, parce que c'est un moment difficile. Enfin, je veux dire, je ne suis pas là pour faire de la langue de bois, c'est un moment difficile pour un Gouvernement, pour un pays. Ce n'est pas un petit sujet celui-là, c'est un sujet qui concerne l'avenir de nos jeunes...
Q- Et puis un peu l'avenir du Gouvernement, peut-être aussi...
R- D'accord, mais vous savez, un Gouvernement ça succède à un autre. Il y aura toujours un Gouvernement, ce n'est pas le sujet. Ce que voudrais simplement dire, c'est qu'il y a dans tout cela quand même une part aussi d'idéologie, de politique politicienne, on le voit bien. Nous, notre rôle dans tout cela, c'est d'essayer de voir clairement comment proposer aux Français un modèle qui marche, parce que depuis 25 ans, nous avons accumulé une situation dans lequel on a le taux de chômage le plus élevé en Europe pour les jeunes. C'est quand même un problème !
Q- Une inquiétude qui se manifeste : il semble que des casseurs, des voyous - on les appelle comme on veut - en tout cas, les fins de manifs sont de plus en plus violentes. Il y a eu un épisode dramatique avec ce syndicaliste dont on ne sait pas dans quelles conditions il a été réduit dans cet état. Avez-vous peur, vous, qu'à un moment donné, les choses ne s'agrègent et qu'en effet, après les émeutes de novembre dans les banlieues, il y ait une sorte de...
R- D'abord, je voudrais d'abord dire qu'il faut faire une différence absolument totale entre d'un côté, les manifestations, le droit de manifester, et de l'autre, ces comportements inacceptables de casseurs, extrêmement violents, et pour lequel évidemment, il faut mener une action d'ordre public. Comment faire les choses autrement face à cela ?
Q- Les syndicats eux-mêmes disent que c'est compliqué dans les manifs de surveiller tous ces gens.
R- Bien sûr que tout cela est difficile, et vous savez combien sur ce point les forces de police sont extrêmement mobilisées. En même temps, je veux quand même dire aussi, puisque vous évoquez la question des banlieues, c'est tout le débat sur l'égalité des chances. Et cette mesure, elle s'adresse d'abord à ceux de nos jeunes, où qu'ils habitent en France, qui sont aujourd'hui les moins qualifiés, dont la précarité est la situation d'aujourd'hui. Donc, il ne faut pas se tromper. Quand on entend dire - cela fait partie du vocabulaire, je le sais - "A bas la précarité du CPE !". Non, c'est aujourd'hui qu'ils sont victimes de la précarité. Et quand on voit que nous avons 160.000 chômeurs de moins en dix mois, cela veut donc dire que ça peut bouger positivement. Donc, je pense que ça vaut la peine d'y regarder de près.
Source: premier-ministre? Service d'information du gouvernement, le 23 mars 2006