Entretien de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, dans le bimensuel "L'essentiel des relations internationales" de janvier-février 2006, notamment sur la relations franco-africaines, la situation en Haïti et en Côte d'Ivoire, et sur le rôle de la France dans la lutte contre le sida dans le monde.

Prononcé le 1er janvier 2006

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Média : L'Essentiel des Relations Internationales

Texte intégral

Q - Quel bilan tirez-vous du Sommet de Bamako ? Mettre la jeunesse au centre de ce Sommet ne vous paraît-il pas un exercice un peu obligé au moment même où cette jeunesse se révolte dans les banlieues françaises ?
R - Le Sommet Afrique-France de Bamako aura permis des échanges substantiels sur l'aide publique au développement, les négociations commerciales internationales et les problèmes liés à l'immigration. Cette rencontre a aussi été l'occasion, comme d'ailleurs tous les sommets de ce genre, de contacts personnels entre les chefs d'Etat et de gouvernement tant sur les problèmes régionaux - Grands Lacs, Côte d'Ivoire, Soudan... - que sur les sujets où l'Afrique cherche à parler d'une voie commune - réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, négociations de l'OMC...
Le choix du thème de la jeunesse n'avait rien d'"obligé", et c'est en accord avec l'ensemble des chefs d'Etat africains que ce sujet avait été retenu il y a bientôt un an, indépendamment des problèmes qu'ont connu les banlieues françaises en novembre.
Q - Quel bilan tirez-vous de la coopération internationale en Haïti ? Pensez-vous que le message de fermeté que vous avez transmis lors de votre voyage dans ce pays au représentant spécial du Secrétaire général de l'ONU ait été entendu ?
La communauté internationale fournit un effort conséquent, et justifié, en Haïti. Le premier volet, le plus essentiel dans la situation que connaît le pays, est l'appui au maintien de l'ordre. Vous le savez, la force des Nations unies, la MINUSTAH, a une action stabilisatrice importante face à l'insécurité qu règne dans le pays. Dans le même temps, la France a entrepris la formation des forces de l'ordre, comme j'avais pu le constater en septembre dernier lors de ma visite à l'Académie de police de Port-au-Prince. Face à l'action des gangs et de différents mouvements de déstabilisation, seule la fermeté est à même d'apporter aux plus pauvres la sécurité qu'ils attendent.
La seconde priorité de l'action internationale est l'organisation d'élections libres et démocratiques, pour permettre le retour à l'ordre constitutionnel. Les élections présidentielles sont prévues en janvier et février 2006.
Dans le même temps, nous poursuivons ou lançons des actions d'aide dans le domaine de la santé, de l'éducation, du développement économique, pour réduire l'extrême pauvreté dont souffre la population dans ce pays. Malgré un contexte difficile, de nombreux programmes connaissent le succès. Par exemple, le taux de prévalence du sida s'est stabilisé ces dernières années, laissant espérer un meilleur contrôle de l'épidémie.
Nous souhaitons que ce pays retrouve la paix et la sécurité, conditions indispensables à son développement.
Q - Après la médiation des présidents Mbeki, Tandja et Obasanjo, que vous inspirent le début de solution de la crise ivoirienne et la nomination de M. Charles Konan Banny au poste de Premier ministre ? Est-ce que cela modifie le contexte de l'engagement des forces françaises dans ce pays ?
R - La médiation des trois présidents africains a permis - enfin - de dégager un consensus sur le nom de M. Konan Banny pour le poste de Premier ministre. Ce n'est qu'un début de sortie de crise. La communauté internationale, et en particulier le Groupe de travail international dans lequel je représente la France, va aider le nouveau Premier ministre à appliquer la feuille de route que nous avons arrêtée et à conduire le processus qui va mener aux élections d'ici la fin octobre 2006.
L'engagement de nos troupes - la Force Licorne - en Côte d'Ivoire se fait dans le cadre d'une résolution du Conseil de sécurité, et la question n'a pas encore été posée de modifier le dispositif actuel de la MONUCI et de Licorne. Il va de soi que nous espérons tous que la situation va se normaliser au plus vite et que le pays va réussir la délicate phase de transition dans laquelle il est engagé.
Q - Vous avez rencontré les représentants de la communauté française lors de votre voyage au Congo RDC. Ce que vous leur avez dit sur "l'avenir politique de la république démocratique du Congo, et nos efforts pour l'accompagner sur la voie de la démocratie" et l'aide française à ce pays sont-ils de nature à les rassurer par rapport à une situation politique versatile et au processus de transition ?
En République démocratique du Congo également, la transition est engagée, et les échéances semblent devoir être respectées, à commencer par la tenue du référendum constitutionnel du 18 décembre prochain. Le pays "revient de loin", depuis le début de la guerre en août 1998. Nous ne sous-estimons pas les embûches, mais j'ai le sentiment, après avoir rencontré le président Kabila et de nombreux acteurs de la crise, que la volonté d'en sortir domine largement.
Q - Vous êtes allée au Gabon pour réaffirmer l'engagement de la France dans l'aide au développement durable. Comment cela va-t-il se concrétiser dans ce pays et dans le cadre du troisième mandat du président Bongo ?
R - J'ai en effet, à l'occasion de ma récente visite au Gabon, signé le 6 octobre dernier un document contractualisant nos relations de coopération bilatérale : il s'agissait du premier DCP (Document cadre de partenariat) signé en Afrique.
Cette nouvelle approche nous conduit à y privilégier, pour la période 2006-2010, trois secteurs de concentration : la forêt et l'environnement, l'éducation et les infrastructures. Il s'agit donc bien de consolider les acquis, de passer progressivement le relais et de préserver les droits des générations futures.
Pour autant, le choix partagé de ces priorités ne conduit pas à délaisser certains axes forts qui doivent continuer de structurer notre appui : l'amélioration de la gouvernance économique et judiciaire ; la francophonie et le développement de l'intégration régionale, que ce soit dans le cadre institutionnel ancien de la CEMAC ou dans celui, plus nouveau, de la COMIFAC (Commission des Forêts d'Afrique centrale).
La mise en oeuvre de cette coopération ambitieuse et exigeante nous conduira à mobiliser des financements importants et devrait se traduire par un doublement des engagements de l'AFD dans ce pays, dès l'année prochaine, et dans des secteurs bénéficiant directement aux populations (électrification, assainissement, formation professionnelle). Il s'agit, je le rappelle, d'une approche partagée, négociée avec nos partenaires gabonais : le président Bongo a adhéré à cette démarche et s'est félicité des perspectives qu'offrait le DCP.
Q - Dans votre discours lors de l'ouverture de la Conférence pour la Journée mondiale contre le sida, vous parlez d'efforts insuffisants. Que préconisez-vous de plus ?
R - Les besoins nécessaires à la lutte contre le sida dans le monde sont évalués par ONU-SIDA à 20 milliards d'USD en 2008. On estime à au moins six millions le nombre de personnes infectées par le VIH dans le monde en développement qui ont un besoin d'accès aux traitements antirétroviraux.
La France s'est impliquée politiquement et techniquement dès la conception du Fonds mondial, considérant que la réponse de la communauté internationale devait être à la hauteur du défi que représente la pandémie de sida.
Consciente de la nécessité d'assurer des ressources pérennes au Fonds mondial, la France est à l'initiative du processus de reconstitution des ressources du Fonds pour les années 2006-2007 ayant permis la mobilisation de 3,7 milliards d'USD.
Conformément aux engagements du président de la République, la France a annoncé un doublement de sa contribution qui sera de 300 millions d'euros en 2007. A l'issue de ce processus, la France devient avec les Etats-Unis, l'un des tout premiers contributeurs au Fonds mondial pour cette période. La contribution de l'Europe (Commission européenne et Etats membres) représente par ailleurs, plus de 60 % de la contribution totale. Mais ces efforts sont encore insuffisants en volume comme en prévisibilité.
L'accès aux traitements de tous les malades qui en ont besoin implique de mobiliser encore d'importants moyens financiers. Pour que de nouveaux programmes de prévention et de traitement puissent être mis en oeuvre et maintenus, il faut mobiliser des ressources supplémentaires qui soient suffisantes, stables et prévisibles. En apportant des ressources régulières, la contribution de solidarité internationale sur les billets d'avion proposés par la France répond aux exigences des programmes d'accès aux antirétroviraux qui sont des traitements à vie.
Nous souhaitons donc affecter le produit de cette contribution de solidarité internationale sur les billets d'avion, prioritairement dans sa phase pilote, à la lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2006