Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France Inter" le 18 avril 2006, sur l'échec du CPE, le rapprochement de Gaz de France avec Suez, et les conséquences pour l'avenir du montant de la dette publique .

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Comment gouverner ? Quelles initiatives économiques restent possibles après l'échec du CPE ? Invité de "Question directe", T. Breton, le ministre de l'économie, des Finances et de l'industrie, Première question précise : préparez-vous un projet de loi permettant la privatisation de GDF, ce qui permettrait la fusion GDF-Suez, un texte qui autoriserait l'état à devenir minoritaire dans GDF ? Oui, non ?
R- Sur ce sujet les choses sont extrêmement claires : le Premier ministre l'a annoncé, à la suite de la volonté exprimée par les deux entreprises, d'une part Suez, d'autre part, Gaz de France ; de se rapprocher industriellement. Le Premier ministre m'a demandé de mener une concertation avec les deux présidents, très large, très large ; nous avons eu déjà une vingtaine de réunions avec les organisations syndicales, pour aux côtés du projet industriel, bâtir le projet social, répondre aux questions. Il y en a 71 qui ont été identifiées, en huit chapitres. On y répond maintenant semaine après semaine. Et puis lorsque ceci sera prêt, évidemment, il faudra aller devant le Parlement et ce sera le Parlement qui décidera, puisque comme vous le savez, il faudra modifier la loi de 2004 et on aura quelque chose de précis à proposer.
Q- Donc Gaz de France sera privatisée ?
R- Ce sera le Parlement qui en décidera.
Q- Oui, mais enfin, vous le voulez, vous ?
R- C'est, encore une fois, ce qu'ont souhaité pour des raisons évidentes et du reste, ce que B. Guetta vient de dire, nous remet immédiatement dans cette logique, parce que tout simplement nous sommes dans une logique où les prix du baril montent, où donc des concentrations massives vont avoir lieu dans le secteur des opérateurs de l'énergie et où la France doit être aussi dans ce jeu-là si on souhaite pouvoir continuer à sécuriser les approvisionnements, mais aussi peser sur les coûts. Donc évidemment c'est une logique aujourd'hui inéluctable.
Q- Alors venons-en à la dette publique de la France, les commissions des finances du Parlement s'inquiètent...
R- Alors là, je suis très content ! Je suis très content qu'elles s'inquiètent. (...) Cela aide beaucoup le ministre des Finances. Mais c'est parce que monsieur Arthuis est un ancien ministre des Finances, qu'il fait pour m'aider...
Q- Oui, permettez-moi de m'exprimer, elles disent donc que vous multipliez les dépenses non financées. Alors voici...
R- Non, je vous rassure.
Q- Alors voici la liste : allègements de charges pour les restaurateurs...
R- Financés.
Q- Mesures de remplacement du CPE....
R- Financées.
Q- Financement de toutes les dispositions de la loi sur l'égalité des chances...
R- Financées.
Q- Et puis il y a la remontée des taux d'intérêt...
R- Financée.
Q- Qui renchérit le coût de la dette...
R- Non, financée, financée, parce que...
Q- Oui, tout va très bien, je vous rappelle quand même le montant de la dette à la fin de l'année dernière, 1138 milliards d'euros.
R- Oui, je voudrais apporter l'article, nous allons faire de la publicité même de monsieur Arthuis, que j'aime beaucoup par ailleurs, qui est dans les Échos ce matin. Vous voyez les auditeurs l'entendent, j'ai le journal devant moi. D'abord il m'aide, parce qu'évidemment, qui a lancé le débat sur la dette en France ? Pardon de le dire, mais c'est moi qui l'ai lancé et si je l'ai lancé, c'est parce que j'estimais qu'on aurait dû le faire depuis longtemps. On aurait dû le faire depuis longtemps. Je suis arrivé, comme vous le savez, il y a un peu plus d'un an à mes fonctions à Bercy et j'ai lancé le débat sur la dette au mois de juin.
Q- Quelle ardoise !
R- M. Pébereau m'a rendu le rapport le 18 décembre. Moins de trois semaines plus tard, le 11 janvier, nous avions donc le montant exact de cette dette et nous avions proposé, avec D. de Villepin et J.-F. Copé, dans le cadre d'une réunion des finances publiques, une première dans nos institutions républicaines. C'était le 11 janvier de cette année, un plan de désendettement à cinq ans qui est crédible et qui est réaliste. Alors vous voyez, J. Arthuis dans son interview aujourd'hui, dans les Échos dit qu'il s'inquiète. Il s'inquiète sur trois points, en disant... Par exemple il dit que [pour l'impôt sur les sociétés, il y a eu des éléments complémentaires. Non, je le rassure c'est tous les ans. Vous savez, moi, je suis comptable de l'argent des Français. J'ai donc décidé que, comme les entreprises avaient fait des bénéfices importants en 2004, en 2005 et qu'elles risquent d'en faire en 2006, qu'elles paient leurs impôts l'année même et cette mesure sera reconductible. Deuxièmement, il s'inquiétait du fait qu'une amende qui avait été estimée à 535 millions pour les opérateurs mobiles ait été comptabilisée en 2005. Non, elle sera comptabilisée en 2006. Donc c'est du bonus pour les finances publiques en 2006 etc. Donc qu'on ne s'inquiète pas...
Q- Qu'on ne s'inquiète pas ?
R- Non, qu'on ne s'inquiète pas, les choses...
Q- Vous êtes certains de ramener cette dette en deçà de 3 % du PIB cette année ?
R- Non. Ça, c'est le déficit. Le déficit effectivement il a été ramené en dessous de 3 % dès 2005. C'était une gageure, parce que les économistes la voyaient plutôt à 3,2 ou 3,4. Grâce aux efforts considérables des équipes de Bercy... Vous savez, moi, je suis comptable des finances des Français ; l'engagement avait été pris de tenir les 3 %, on a fait moins 2,87. C'est une première depuis des années. Pourquoi ? Cela ne s'est fait par hasard ! ? Pas du tout, ça s'est fait parce que nous avons géré minutieusement, ligne après ligne, l'argent des Français. Car du déficit en moins, c'est effectivement de la dette en moins et donc en 2005, ça a été fait, au-delà de tout ce que tout le monde pensait. En 2006, ce sera fait. J'en prends l'engagement.
Q- 1138 milliards d'euros, c'est le montant de la dette française. Avec un chiffre pareil, est-ce qu'on pourra échapper à la rigueur ? Et est-ce qu'on n'attend pas l'après présidentielle 2007, pour annoncer la rigueur ?
R- C'est une excellente question. C'est vraiment une bonne question, parce que c'est vrai qu'à partir du moment où j'ai révélé ce chiffre aux Français et encore une fois, ces chiffres, ce n'est pas moi qui les ait créés. Ces chiffres, c'est 25 ans de gestion successive.
Q- Oui, ça, c'est la théorie de l'héritage ?
R- Non ! Ce n'est pas la théorie de l'héritage, c'est une boule de neige une dette. A partir du moment où vous faites du déficit, 25 ans successifs, la dette s'accumule. Je vous prends un exemple entre 1997 et 2002 - entre 1997 et 2002, c'était le gouvernement Jospin -, la croissance de tous les pays d'Europe a été de plus de 3 %, la France aussi. Tous les pays en ont profité pour se désendetter, sauf la France et l'Allemagne. L'Allemagne pour investir en ex-Allemagne de l'Est, la France pour ne rien faire. La dette a augmenté sous le gouvernement Jospin de 160 milliards d'euros, pour quoi faire ?
Q- La rigueur, on n'y échappera pas ?
R- Pour quoi faire ? Je pose la question. Donc aujourd'hui, ce n'est pas la rigueur, c'est la vertu, c'est la vertu budgétaire. Et le plan à cinq ans que nous sommes en train de finaliser avec J.-F. Copé, alors moi, je vous le dis, on se pose des questions : est-ce que D. de Villepin et son gouvernement vont pouvoir faire des choses ? Je peux vous dire que nous, à Bercy, on fait des choses, parce que l'engagement que le Premier ministre a pris le 11 janvier, de proposer au mois de juin, avant l'été, au Parlement un plan de réduction à 5 ans... Alors, la bonne nouvelle pour les auditeurs, c'est qu'en cinq ans, c'est faisable. C'est faisable, sans que ce soit trop douloureux. C'est pour ça qu'il nous faut une période de cinq ans ; il sera proposé et débattu au Parlement dès le mois de juin.
Q- Le groupe japonais Toyal a déploré hier, je cite, "l'entrave à la liberté d'entreprendre constituée par la fameuse grève de la faim, du député UDF J. Lassalle. Est-ce que cette affaire ne porte pas atteinte à notre image à l'étranger, au Japon ?
R- D'abord, le combat d'un homme est toujours respectable et là, on a eu vraiment le combat d'un homme et en tant que tel, bien sûr qu'il est respectable, surtout lorsqu'il met sa vie en péril pour défendre ce qu'il croit être juste. Ce qu'il croit être juste, je dis. Parce que, finalement, au-delà de cela, il y a effectivement cette entreprise, ce groupe japonais. Ils ont finalement décidé... Ils étaient bien disposés. Vous savez, on les a beaucoup, beaucoup rencontrés. F. Loos s'en est énormément occupé. Il a tout fait pour faire en sorte...
Q- Oui, mais ça donne une drôle d'image de la France quand même ?
R- Oui, mais vous savez au Japon, on comprend cela. Le Japon est un pays également qui est très patriote et donc, au Japon, on comprend bien cela. Je suis heureux que tout ça soit derrière nous, parce que c'est vrai que ça durait et ça durait pour sa santé en particulier.
Q- Vous êtes ministre, mais aussi ancien chef d'entreprise, donc homme de terrain avec du recul, où est l'erreur dans l'affaire du CPE ?
R- Vous savez, je ne sais pas si on peut parler d'erreur, parce que je vais vous dire les choses, telles que je les ai vécues. D'abord la France est le dernier des pays de l'OCDE qui n'ait pas intégré, qu'il fallait plus de flexibilité dans la relation au travail, qui n'est plus aujourd'hui ce qu'elle est par rapport à ce qu'elle était, il y a 50 ans, lorsqu'on a bâti les contrats de travail et cette relation au travail. Il faut donc un peu plus de flexibilité, il faut un peu plus de sécurité, c'est ce que la quasi totalité des pays européens et des pays de l'OCDE ont fait. La France était le dernier à se poser la question comme cela. Alors on avait commencé à faire une toute petite approche avec le CNE et un succès énorme, plus de 400 000 contrats signés. Et c'est vrai que le Premier ministre face au chômage massif des jeunes, le seul encore une fois d'une telle ampleur dans les pays de l'OCDE a décidé de s'attaquer à ce problème. Pendant des semaines, je dis bien pendant des semaines, les Français étaient majoritairement pour. Pendant des semaines les jeunes, non, non, mais c'est la vérité, pendant...
Q- Vous ne répondez pas. Où est l'erreur ? Ça a coincé...
R- Mais on va y venir, pendant cinq ou six semaines, les jeunes sondages de l'humanité à l'appui étaient favorables à 58 %. Alors qu'est-ce qui s'est passé ? Moi, j'ai rencontré des jeunes l'autre jour. Je leur ai dit : est-ce que c'était facile ou difficile de comprendre le CPE ? Ils me disent : "Ah Monsieur le ministre, très facile !" "Combien de temps il vous a fallu ?" "Trois minutes". "Alors, il faut m'expliquer pourquoi, pendant cinq semaines, vous étiez deux jeunes sur trois pour le CPE et puis d'un seul coup deux jeunes sur trois contre ?" Ce qui s'est passé, c'est que, derrière, et c'est la vie de la démocratie, il y a eu d'abord la politique, il y a eu une expression, qui est une expression d'une vraie interrogation, qu'il faut savoir entendre, des jeunes aujourd'hui, qui ont du mal à comprendre le monde dans lequel nous rentrons. C'est ça la question. La question, c'est qu'au-delà du CPE, on n'explique sans doute pas assez et c'est la raison pour laquelle j'ai fait de la pédagogie, une des vertus cardinales de mon ministère. On n'explique pas assez aux jeunes le monde tel qu'il est, le monde dans lequel ils entrent. Voilà ce que j'en retire moi.
Q- Alors justement l'économie aujourd'hui, c'est la mondialisation, l'ouverture des marchés à la concurrence, alors réponses précises à des questions. L'emploi stable pour chacun, c'est fini ?
R- Ah ! De toute façon, le même métier tout au long de sa vie, c'est terminé. On va faire, on va faire cinq, dix, peut-être métiers, quinze peut-être métiers différents dans sa vie. En tout cas, moi, je regarde c'est mon cas, vous voyez, je ne suis pas non plus un modèle, mais j'ai une dizaine d'activités dans ma vie, et je crois que plus ça va aller, plus on va changer d'activité dans sa vie. Donc la formation tout au long de sa vie, devient un élément fondamental.
Q- Les avantages acquis, c'est fini ?
R- Mais le mot "acquis" ne fait pas partie de la vie. La vie, c'est un combat permanent, la vie on le sait, la vie quotidienne, la vie dans l'entreprise. Et donc il faut toujours se remettre en mouvement, se remettre en cause. Je crois que c'est cela, le monde moderne. Alors ceci dit, il faut beaucoup plus de sécurité pour pouvoir aider les uns et les autres à se repositionner sur des activités nouvelles. C'est ce que je fais moi, à Bercy. On fait beaucoup de réformes à Bercy. Ça ne fait pas de bruits et pourtant , on fait des réformes très importantes, très profondes. Mais derrière, je mets en place de la formation, de la sécurisation des parcours, pour que... Vous savez les hommes et les femmes souvent disent qu'ils sont réticents au changement. Non, ils ont peur tout simplement de ne pas pouvoir faire ce qu'on leur demande de faire. Il faut les aider avec de la formation.
Q- Les Français pensent que leurs enfants vivront moins bien qu'eux, ils ont tort ?
R- Quand on voit effectivement la dette qu'on leur a laissée, ils ont des raisons de se... Je vais vous dire : c'est pour cela que j'étais sans doute, le plus, même j'ai été le premier des ministres des Finances, à poser aussi fortement ce problème de la dette, je le rappelle l'engagement qui avait été pris, c'est une réduction à partir de 2007. Moi, je prends un engagement un an plus tôt et puis on va être jugé sur les faits, réduction dès 2006.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 19 avril 2006