Interview de M. Jean-Marie Le Pen, président du Front National, à "RMC Info" le 20 avril 2006, sur son appel à "l'union aux patriotes" en vue de l'élection présidenteille de 2007, l'échec du contrat première embauche (CPE) et sur sa candidature à l'élection présidentielle de 2007.

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Texte intégral

Q- Vous lancez l' "union patriotique", qui regrouperait qui ?
R- Qui regrouperait d'abord toutes les organisations qui reconnaissent la validité de cette stratégie, et aussi toutes les individualités ou tous les représentants de tous les courants, sociaux, économiques, politiques, etc.
Q- Cela veut dire qui ? P. de Villiers, F. Bayrou, d'autres ?
R- Eux aussi, oui.
Q- Vous leur lancez un appel ?
R- Bien sûr, je lance un appel pour l'unité de la candidature présidentielle, et pour une union législative, qui permette d'asseoir un gouvernement avec une politique alternative de celle que peuvent faire aussi bien la gauche que la droite, celle qu'elles pratiquent depuis 30 ans.
Avez-vous appelé P. de Villiers ?
R- Non, je ne l'ai pas appelé directement, c'est un appel qui est général, et chacun prend sa position, chacun prend ses responsabilités à l'égard de cette proposition.
Q- Seriez-vous prêt à le recevoir, à le rencontrer ?
R- Bien sûr, d'ailleurs c'est mon collègue au Parlement européen, j'ai souvent l'occasion de le croiser.
Q- Avant d'entrer dans l'actualité - on va parler de l'Iran, de la situation française évidemment, de l'Algérie, avec les dernières déclarations du Président Bouteflika -, un mot sur M.-F. Stirbois, dont les obsèques sont célébrées aujourd'hui.
R- Oui, je voudrais avoir une pensée affectueuse pour M.-F. Stirbois et pour sa famille, ses amis, car c'est ce matin que se déroulent à Villeneuve-Loubet ses obsèques. Et par conséquent, je pense que beaucoup de gens savent le rôle qu'elle a joué au Front national, et auront pour elle une pensée fraternelle.
Q- Je lis quand même, entre le MPF, de P. de Villiers, et le Front national, c'est assez chaud sur le terrain. Je lis ce qu'a écrit J. Bompard sur son site Internet : "Le Front national est devenu le château de La Belle au bois dormant, à ceci près, qu'on n'attend pas le réveil de la princesse, mais qu'un président consente à laisser sa place".
R- Oui, avec le départ de Bompard, ce n'était pas le départ du prince charmant, c'est le départ du crapaud de la légende... Par conséquent,cela n'a aucune importance ce que pense...
Q- Que fait le crapaud ?
R- Il faudrait que la princesse l'embrasse sur la bouche... Il reste à Villiers à faire cette opération-là.
Q- Vous le détestez Bompard ?
R- Non, je ne le déteste pas, je le méprise, c'est tout à fait différent.
Q- Vous le méprisez parce qu'il vous a lâché ?
R- Tout à fait. Parce qu'il a trahi, et avec des arguments qu'il a mis 32 ans à formuler.
Q- C'est-à-dire ?
R- Ce sont des arguments qu'il avance, en disant : "Le Pen, fait ceci... Le Pen, fait cela...", et il a mis 32 ans pour s'apercevoir de cela.
Q- Vous allez avoir 78 ans, plus de cinquante ans de carrière. Je ne dis pas qu'à 78 ans on est fini...
R- Oui, sans cela on n'aurait pas le Pape, on n'aurait pas Moubarak, on n'aurait la Reine d'Angleterre, on n'aurait pas des tas de gens.
Q- Mais cinquante ans de carrière politique : pourquoi avez-vous envie de continuer encore ?
R- Mais parce que je sers une cause, je sers un idéal, je ne fais pas une carrière avec une retraite, etc., et des émoluments ! Je me bats pour une cause sacrée, qui est celle de mon pays, celle de ma patrie, et tant que j'ai les forces, la force de le faire, je le ferai.
Q- J'ai l'impression que vous vous êtes fait relooker un peu, non ?
R- Mais c'est le printemps.
Q- Non, mais franchement, allez-vous suivre...
R- Surtout que vous dites sur votre antenne que je suis grabataire...
Q- Je n'ai jamais dit que vous étiez grabataire ! Mais est-ce important le look en politique ?
R- C'est évident. D'ailleurs, je crois qu'on a toujours le devoir, même personnel et social, d'être le mieux possible, pour soi d'abord, par dignité, et pour l'entourage, pour les gens qui vous entourent, pour les gens que vous représentez, il faut avoir une image qui est conforme à ce qu'ils souhaitent.
Q- Dernière question, plus ou moins personnelle - enfin ce n'est pas personnel puisque vous êtes un homme public - : votre fille, Marine, sort un livre de confidences, sur la politique, sur votre famille. Vous l'avez lu évidemment...
R- Oui, ce ne sont pas des confidences, c'est un livre.
Q- Est-il bon ?
R- Oui, je l'ai trouvé bon.
Q- Elle dit : "Il y aura un après, je serai certainement candidate", dit-elle.
R- Non, elle n'a pas dit cela, elle ne dit pas : "je serai certainement candidate", elle dit : "c'est une possibilité, mais ce n'est pas du tout mon intention"...
Q- Elle a dit cela dans Le Monde.
R- Oui, mais ce n'est pas une raison, [ce n'est pas] parce que cela a été dit dans Le Monde que c'est forcément rapporté exactement. Hélas ! On a souvent la preuve qu'il en est autrement. Elle a dit, "bien sûr", mais pour l'instant, elle dit : "il n'y a pas d'après, pour l'instant, c'est le présent". Le présent, c'est son père, c'est J.-M. Le Pen, qui est le candidat aux élections présidentielles, qui est le président du Front national.
Q- Aimeriez-vous qu'elle vous succède un jour, franchement, en tant que père ?
R- C'est une charge très très lourde. Oui, pourquoi pas... Il paraît que la mode est aux femmes. Je ne suis pas absolument sûr que ce soit vrai. Encore que, ce soit très possible. Je n'ai jamais pronostiqué S. Royal, comme étant probablement la meilleure, la moins mauvaise candidate socialiste.
Q- Pensez-vous qu'elle ira au bout ?
R- Je crois que ses amis vont faire en sorte qu'elle n'aille pas jusqu'au bout.
Q- Ah bon ?
R- Elle a ses concurrents : Fabius, Strauss-Kahn, Lang, et peut-être même, Hollande, qui sait, Jospin...
Q- Dans son livre, M. Le Pen, se déclare partisane d'un Etat laïc, vous aussi ?
R- Oui, tout à fait.
Q- Elle dit : "On ne peut pas, par exemple, guerroyer contre la loi Veil sur l'avortement".
R- Elle dit qu'elle considère, elle qui est une mère de famille, je le rappelle, qui a eu d'ailleurs trois enfants la même année, qu'il vaut mieux lutter contre l'avortement, qui est une horreur, un drame social, avec des mesures incitatives, plutôt qu'avec des interdictions légales, dont on sait que chez nous elles ont de moins en moins de force d'ailleurs.
Q- Alors, l'actualité, précisément. Je voulais vous poser une question sur la cigarette : interdiction du tabac dans les lieux publics. Etes-vous pour ou contre ?
R- Je suis pour. Maintenant qu'il est révélé, de façon quand même assez clair, la nocivité du tabac, non seulement pour le fumeur lui-même, ce qui est après tout son affaire - encore que la collectivité paye les frais de la santé publique - mais pour l'environnement. On sait maintenant que dans une pièce où il y a un fumeur, les gens qui sont là sont en fait des fumeurs passifs, malgré eux, et ce n'est pas acceptable. Je crois que c'est raisonnable de s'orienter vers une interdiction dans les lieux publics, laissant à chacun le droit d'aller fumer sa cigarette dans la rue ou dans un fumoir, s'il en existe dans les bâtiments publics en question.
Q- Le CPE, l'auriez-vous voté à l'Assemblée ?
R- Je ne l'aurais pas voté, parce que le CPE était un leurre. C'était une mesurette, sans commune mesure avec la solution du problème du chômage. Car on s'attaque au chômage alors qu'il faudrait s'attaquer aux causes du chômage. Et le CPE était une de ces mesurettes dont chaque gouvernement se croit obligé de présenter une formule. Cela n'avait pas beaucoup d'importance. Cela a cristallisé, en revanche, je crois, une angoisse de la jeunesse, une crainte de l'avenir, dans un pays qui semble complètement bloqué, et incapable d'effectuer quelque réforme que ce soit. Alors, j'ai des solutions, des propositions justement...
Q- Sur le chômage des jeunes, quelle est la proposition du Front national ?
R- La proposition, c'est de s'attaquer aux causes du chômage. Les causes du chômage, c'est la situation pitoyable de l'enseignement français, aussi bien primaire, secondaire, que supérieur ! C'est l'immigration massive, dont le coût interdit toute croissance réelle, c'est la fiscalité écrasante, c'est toute une série de dispositifs, de protections. Vous savez à quoi me fait penser le Français d'aujourd'hui ? A ce que j'appelle "un scaphandrier cycliste", c'est-à-dire qu'il monte sur son vélo, il a un scaphandre, en plus on lui a mis un casque lourd, on lui a mis un parachute, de peur qu'il ne tombe, on ne sait jamais, sans parler des genouillères, des bottes, etc. Résultat, il n'a même pas la force de monter sur son vélo.
Q- On va parler du projet de loi Sarkozy sur l'immigration. Mais je voudrais que vous réagissiez aux propos du Président algérien, A. Bouteflika. "La colonisation a réalisé un génocide de notre identité, de notre histoire, de notre langue et de nos traditions", a-t-il déclaré, à propos de l'Algérie. Alors, la colonisation, oui ou non, a t- elle réalisé un génocide de l'identité, de l'histoire, de la langue et des traditions algériennes ?
R- Ce que je veux dire d'abord, c'est que je trouve scandaleux que M. Bouteflika, se permette de dire cela publiquement, et le lendemain, d'être chez nous pour se faire soigner ! Car il est chez nous aujourd'hui pour se faire soigner, aujourd'hui, à l'heure où je parle. Je trouve cela scandaleux ! La déclaration elle-même est, quant au fond, est scandaleuse, et ensuite, je ne comprends pas très bien que ce monsieur vienne se faire soigner chez les abominables colonialistes que nous sommes !
Q- Avons-nous été d'abominables colonialistes ?
R- Je ne le crois pas.
Q- Parfois ?
R- Sans doute, mais dans toute vie humaine, dans toute activité humaine, il y a évidemment du positif et du négatif. D'ailleurs je rappelle que c'était l'effort, l'idéal de la IIIème République, qui était en quelque sorte, d'élever, d'attirer vers nous, vers notre forme de civilisation démocratique, des peuples qui, jusque-là, vivaient dans d'autres situations. Que ce but ait été atteint, ce n'est pas sûr. Mais qu'il ne l'ait pas été, en tous les cas, dans le temps qu'il fallait, je le crois. Je le dis comme un homme qui a, je le rappelle, présenté la candidature d'un Arabe à la députation à Paris, en 1957. Par conséquent, je suis un précurseur dans l'égalité des chances, et dans l'égalité des droits de ceux qui étaient à ce moment-là des citoyens français, et dont il est vrai qu'ils étaient politiquement et socialement tenus dans une situation, il faut bien le dire, un peu subalterne.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 21 avril 2006