Déclaration de Mme Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, sur les propositions européennes en matière de système commercial multilatéral, New York le 6 avril 2006.

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Circonstance : Conférence à l'Université de Columbia (USA) le 6 avril 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Permettez-moi de remercier l?Université Columbia d?accueillir cet événement important et de m?avoir invitée. Je souhaiterais présenter ce soir un point de vue européen sur les défis auxquels le système commercial multilatéral est actuellement confronté et, très modestement, formuler quelques propositions d?actions.
Le défi que je dois moi-même relever dans l?immédiat n?a rien à voir avec le système multilatéral en tant que tel : s?exprimer sur des questions de politique commerciale devant un aréopage d?éminents universitaires et responsables politiques est en effet un exercice difficile, en particulier lorsque l?on vient d?un pays considéré, à tort, comme un bastion du protectionnisme. J?espère que mes remarques vous rassureront sur ce dernier point.
Ce soir, je souhaite livrer mon point de vue sur trois des défis qui nous attendent :
1. renforcer le consensus en faveur de politiques commerciales ouvertes ;
2. achever les négociations du Programme de Doha pour le développement par un accord ambitieux et équilibré ;
3. bâtir le système commercial multilatéral dont le XXIe siècle a besoin.
I. Renforcer le consensus en faveur de politiques commerciales ouvertes
Comme la plupart d?entre vous le savent, les politiques commerciales ne sont pas élaborées en vase clos et c?est dans leur pays que les décideurs doivent relever leur premier défi : en effet, les politiques commerciales qui visent à l?ouverture des marchés ne sont pas très populaires. La mondialisation et son corollaire, l?ouverture des échanges, ont progressivement cristallisé les craintes des populations. Elles servent de bouc émissaire, comme le bloc communiste en son temps. Cette opposition à la mondialisation ne constitue pas une exception française de plus car elle est largement partagée par d?autres pays développés, le premier étant les Etats-Unis (négociations relatives à l?accord de libre-échange Etats-Unis/Amérique centrale, Dubai Ports World) et, dans une certaine mesure, par les grands pays émergents (Inde, Brésil).
Les responsables de la politique commerciale doivent rallier les citoyens à leur vision positive de la mondialisation et apporter une réponse à leurs craintes, qui compromettent toute action au niveau international.
Cela suppose de relever trois défis :
Premier défi : passer de différends idéologiques à un débat rationnel et sensé
Nous devons tout d?abord procéder à une analyse rationnelle et préciser les véritables enjeux des négociations commerciales.
Cette tâche n?est pas facile car la politique commerciale est complexe et multidimensionnelle. L?excellente étude récemment réalisée par la Fondation Carnegie sur le Programme de Doha vient confirmer qu?il n?est plus possible d?aborder la politique commerciale de manière simpliste. Elle confirme aussi ce que la plupart d?entre nous savent, à savoir que les effets de la libéralisation du commerce dépendent du moment où cette dernière intervient et des politiques d?accompagnement adoptées, que les bénéfices à long terme ne sont pas automatiques mais fonction d?un grand nombre de facteurs externes comme l?intégration régionale ou le cadre institutionnel et, enfin, que la libéralisation entraîne des coûts d?ajustement qui peuvent pénaliser en premier les plus pauvres, tant dans les pays développés que dans les pays en développement.
Les responsables politiques ne peuvent plus aujourd?hui brosser un tableau flou ou approximatif de la situation : ils doivent convaincre les populations que l?ouverture du commerce est un bien public qui crée des emplois, est porteur d?une croissance durable et n?a aucune incidence négative sur notre culture, notre environnement ou notre santé. Ils doivent apporter la preuve que la mondialisation ne profitera pas seulement à un petit nombre de multinationales ou à quelques grands propriétaires terriens en Amérique du sud.
La politique commerciale doit pour cela s?appuyer sur des faits concrets. Nous ne relèverons pas ce défi à moins d?améliorer et de développer les outils et les modèles d?analyse, les bases de données et les études prospectives. Un travail considérable a été d?ores et déjà été accompli mais il reste encore beaucoup à faire.
Deuxième défi : nous devons accorder une plus large place à la consultation
Le dialogue et les échanges de vues sont un complément nécessaire aux négociations. Les responsables de la politique commerciale doivent se montrer disposés à s?entretenir avec toutes les acteurs ? syndicats, parlementaires, ONG ? qui craignent que la libéralisation ne conduise dans leur pays au dumping social et au chômage, ainsi qu?à accélérer l?extension des terres agricoles dans la forêt tropicale amazonienne et dans les pays en développement.
Ce dialogue devrait être équilibré et ouvert à de nombreux acteurs. Une attention particulière devrait être portée aux initiatives visant à une participation plus globale des PME.
L?engagement du dialogue avec les PME constitue un défi car ces dernières évoluent dans un environnement plus dispersé que les grandes entreprises organisées. Il reste cependant indispensable car les PME peuvent se révéler de précieuses alliées dans le cadre de la promotion d?un commerce ouvert et loyal.
1. L?amélioration des règles commerciales profite en premier lieu aux PME, qui ne sont pas en mesure de négocier directement avec les gouvernements pour accéder à de nouveaux marchés, contrairement à ce que les multinationales parviennent parfois à faire.
2. La défense de positions acquises est un phénomène moins répandu chez les PME que dans les grands groupes, qui peuvent chercher à conserver des positions dominantes sur des marchés fermés.
Depuis 1999, la Commission européenne place davantage l?accent sur la consultation. Elle a notamment lancé un programme d?évaluation de l?impact sur le développement durable afin de généraliser la pratique de la concertation, ce qui constitue un pas dans la bonne direction.
Nous devons, ensemble, partager nos expériences afin d?améliorer nos processus de consultation respectifs.
Troisième défi : nous devons gérer de manière plus attentive les coûts d?ajustement
La politique commerciale s?apparente à un iceberg : les effets négatifs des restructurations ? pertes d?emplois fortement concentrées géographiquement ? sont la partie de loin la plus visible mais sont moindres que les effets bénéfiques à long terme pour l?économie mondiale, même s?ils sont diffus. Tel est du moins l?avis des économistes !
Ce discours opposant bénéfices à long terme et sacrifices à court terme mène à une impasse politique : à quoi cela avance-t-il de dire à un ouvrier du textile qui s?apprête à perdre son emploi que cela sera largement bénéfique au secteur des services financiers, désormais en mesure de créer davantage d?emplois ?
Le seul moyen de s?attaquer courageusement à ce problème politique consiste à anticiper et gérer les ajustements induits par l?ouverture des échanges. La gestion de la période transitoire est non seulement judicieuse sur le plan politique, mais également saine d?un point de vue économique en ce sens qu?elle permet de réduire le coût socio-économique des ajustements. Une telle approche suppose entre autres de passer d?un système protégeant des secteurs non compétitifs à un système protégeant les salariés. Le « fonds d?ajustement à la mondialisation » proposé par la Commission européenne permet à l?Europe d?avancer dans la bonne direction.
Mais nos efforts ne doivent pas s?arrêter là : il nous faut développer les outils de prévision et d?analyse, les programmes de formation destinés aux salariés et les instruments innovants tels que les fonds d?assurance destinés à compenser les pertes de salaires liées aux restructurations.
II. Achever les négociations du Programme de Doha pour le développement par un accord ambitieux et équilibré
Vous n?ignorez sans doute pas que la politique commerciale de l?UE est mise en oeuvre au niveau communautaire car l?Union européenne est dotée d?un marché unique et d?une monnaie unique. La France, à l?instar des autres Etats membres de l?UE, applique cette politique d?ouverture des échanges et appelle de ses voeux, depuis la Conférence de Doha, l?achèvement des négociations du Programme de Doha pour le développement par un accord ambitieux et équilibré. Aussi la France ne peut-elle pas être qualifiée de pays protectionniste. En effet, l?ensemble des pays européens mettent en oeuvre la même politique.
Je considère que la déclaration de Hong Kong offre encore la possibilité de parvenir à un accord global, ambitieux et équilibré. Les avancées et le résultat final dépendront de la volonté politique dont voudront bien faire preuve tous les Membres de l?OMC pour respecter les engagements de Doha. En pratique, ils dépendront de la réponse qu?ils apporteront aux quatre questions suivantes :
1) Sommes-nous prêts à appliquer un traitement différencié selon les pays en développement ?
Les négociations réunissent désormais 150 pays présentant des niveaux de développement et des structures d?échanges très différents. Certains sont des pays très pauvres ou de faible superficie qui n?ont pas profité de la mondialisation, d?autres de grands pays émergents dont les économies respectives sont d?ores et déjà parfaitement intégrées dans le commerce international. Certains pays ne sont devenus membres de l?OMC que récemment après d?âpres négociations, tandis que d?autres ont maintenu des tarifs consolidés bien au delà de leurs tarifs appliqués.
Les objectifs du Programme de Doha pour le développement ne pourront être atteints sans l?application d?un traitement différencié entre pays en développement. Les droits et obligations doivent être adaptés au niveau de développement du pays. Il doit être possible de demander moins et d?offrir davantage au Ghana, dont le PIB est de 260 ? par habitant, qu?au Brésil qui est dix fois plus riche.
L?absence de traitement différencié risquerait de compromettre le succès du Programme de Doha pour le développement dans son ensemble car il serait inacceptable que les avantages offerts par le Programme de Doha pour le développement profitent essentiellement à un nombre très restreint de pays, tels que la Chine pour les produits manufacturés et le Brésil pour les produits agricoles.
2) Sommes-nous réellement engagés dans la réalisation d?un Programme pour le développement ?
Il est évident que les résultats obtenus jusqu?à présent en termes de développement sont insuffisants et que la conclusion du Programme de Doha pour le développement nécessite l?implication de tous les Membres sur l?ensemble des questions.
Depuis le début des négociations, l?Europe a montré son désir sincère de progresser dans tous les domaines de négociation, y compris l?agriculture. Sur le plan intérieur, nous avons pris des décisions difficiles en matière de politique agricole dans le cadre de la réforme de la PAC. La Commission a présenté des offres globales et sérieuses à nos partenaires de l?OMC, qui ouvriraient considérablement nos marchés aux biens et services étrangers, y compris aux produits agricoles : cela entraînerait le triplement de nos importations de boeuf et diviserait par cinq nos exportations de beurre.
Il est temps à présent que les autres pays prouvent qu?ils partagent notre vision ambitieuse du Programme de Doha pour le développement et qu?ils jouent leur rôle. De nouvelles offres audacieuses concernant les subventions agricoles, l?accès aux marchés non agricoles (NAMA), les services et les indications géographiques permettront très certainement de mesurer l?engagement de nos partenaires en faveur d?une conclusion du cycle. Je pense ici plus particulièrement aux États-Unis, à l?Inde et au Brésil.
Les pays en développement, y compris les plus pauvres, devraient participer plus activement aux discussions : ils devraient rattraper le train du développement, et ne pas se contenter de le regarder passer. Nous savons tous que les avantages de la libéralisation des marchés dépendent pour moitié de la libéralisation Sud-Sud, essentiellement de la part des grands pays émergents. Au lieu de cela, de nombreux pays en développement sont restés silencieux à Hong Kong, soit parce qu?ils ne se sentaient pas concernés par les sujets abordés, soit parce qu?ils ne voulaient pas faire de concessions.
La réalisation des objectifs du Programme de Doha dépendra également de la progression simultanée de toutes les questions qui sont sur la table, en particulier l?agriculture, l?accès aux marchés non agricoles et les services.
Des progrès dans le domaine des biens industriels sont essentiels pour les pays pauvres, comme nous l?a rappelé l?étude réalisée par la Fondation Carnegie : nous avons besoins de véritables réductions, et non de réductions sur le papier, comme se plaît à le déclarer Peter Mandelson.
Des progrès sur les règles et les services sont également essentiels pour favoriser le développement. Les avantages potentiels de la libéralisation du commerce des services sont immenses, en particulier pour les pays en développement. En refusant de s?impliquer dans ces négociations et en se contentant d?offres rares et trop modestes ? bien en dessous des conditions d?accès au marché existantes ?, la plupart des pays de l?OMC ratent une opportunité d?attirer davantage d?investissements directs étrangers. Ces prochaines semaines, les négociations vont, je l?espère, prendre un nouvel élan grâce à cette relance du « multilatéralisme ».
Les progrès sur l?agriculture : les Etats-Unis devraient clairement rattraper l?Europe et prendre des engagements forts en matière de subventions nationales et de concurrence à l?exportation.
3) Sommes-nous prêts à renoncer aux jeux tactiques pour entamer des négociations sincères ?
Les négociations ont de toute évidence progressé depuis l?accord-cadre de juillet 2004 et nous avons à présent une vision plus claire des points sur lesquels elles continuent d?achopper.
Aujourd?hui, cette vision demeure toutefois brouillée par la position extrême adoptée sur l?agriculture par certains acteurs-clés pour des raisons de politique intérieure. Pour qu?un accord soit possible, il faudra que ces pays abandonnent leur position tactique et fassent comprendre à leurs électeurs que la libéralisation totale n?est pas au programme, que ce soit dans le domaine de l?agriculture ou dans les autres domaines.
Aujourd?hui, nous sommes arrivés au point où les Membres de l?OMC doivent rendre leurs attentes « claires comme de l?eau de roche » ; l?Europe, notamment, espère :
- une ouverture réelle et efficace des marchés des pays du G20 aux services et aux produits non agricoles ;
- des engagements forts des Etats-Unis en matière de subventions qui faussent la concurrence et de concurrence à l?exportation.
Nous devrions également faire comprendre aux pays en développement les plus pauvres que ce que nous sommes prêts à leur donner est largement supérieur à ce que nous espérons obtenir d?eux. Dans certains cas, nous ne demandons même rien du tout !
Nous devrions également être clairs quant à ce que nous sommes prêts à offrir, quelles sont nos lignes rouges et ce que nous attendons de nos partenaires.
Nous devons clarifier ces points de manière constructive mais déterminée, sans laisser planer d?ambiguïté quant au fait que nous ne sacrifierons pas nos besoins fondamentaux, tant il est vrai, pour citer Adam Smith que « la défense est bien plus importante que l?opulence » (*1)
4) Les négociations multilatérales demeurent-elles la priorité ?
A Hong Kong, j?ai eu l?impression que la balance ne penchait pas toujours en faveur du multilatéralisme. L?intensification des négociations bilatérales à laquelle on assiste aux quatre coins du monde n?est pas totalement nouvelle et interfère avec les négociations de l?OMC. Ce qui est clair, toutefois, c?est que tous les Membres de l?OMC doivent conserver un réel attachement au multilatéralisme pour déployer les efforts nécessaires à l?obtention d?un accord final.
La France considère la libéralisation des échanges multilatéraux comme la priorité : nous croyons au multilatéralisme, aussi bien au sein de l?OMC que du système des Nations unies. Nous estimons que les négociations menées à l?OMC constituent le meilleur moyen de favoriser le développement des pays les plus pauvres et que le système multilatéral est de toute évidence le cadre idéal pour garantir des pratiques commerciales équitables.
Ce système ouvre en effet les mêmes droits aux petites et aux grandes puissances. La France est profondément attachée au mécanisme de règlement des différends de l?OMC. A l?instar d?autres pays
européens, elle est habituée à partager sa souveraineté. Elle ne prend pas ombrage des décisions de règlement de différends qui peuvent lui être défavorables et est toute disposée à les respecter et les appliquer.
III. Bâtir le système commercial multilatéral dont le XXIe siècle a besoin
Plus que jamais, il nous faut renforcer ce système fondé sur des règles afin de mettre à profit la mondialisation et garantir que les bénéfices tirés de cette dernière seront largement partagés.
Toutefois, il apparaît clairement que le système n?est pas parfait. Il doit être adapté à la conjoncture actuelle : l?organisation de négociations approfondies et couvrant un large éventail de sujets entre 150 pays exige des institutions plus solides et un processus de prise de décision plus efficace.
Dès que le programme de Doha pour le développement aura été mené à son terme, il nous faudra nous atteler à la réforme de l?OMC, qui revêtira un aspect prioritaire pour l?Europe et la France. Aujourd?hui, sans pour autant vouloir devancer les discussions futures, je souhaiterais vous exposer certaines pistes que nous pourrions explorer.
1. Nous devrions améliorer la capacité d?analyse de l?OMC
Les négociations au sein de l?OMC sont devenues d?une telle complexité que les participants doivent pouvoir disposer d?évaluations, d?analyses et d?instruments indépendants. Les initiatives prises ça et là en matière d?évaluation, comme celle qui a précédé la réunion ministérielle du G6 qui s?est tenue à Londres la semaine dernière, sont trop peu nombreuses, d?une portée par trop limitée et pas assez indépendantes.
Les Membres de l?OMC pourraient juger utile de renforcer la capacité d?analyse du Secrétariat de l?OMC afin que ce dernier puisse élaborer des modèles et fournir aux Membres des évaluations et analyses en cours de négociation.
2. Nous devrions moderniser le processus de prise de décision de l?OMC
L?idée selon laquelle le fonctionnement de l?OMC doit être réformé n?est pas nouvelle et est largement partagée. En 2004, le rapport Sutherland énonçait déjà quelques propositions susceptibles d?améliorer l'organisation.
À Hong Kong, j?ai été frappée par la lourdeur du processus de prise de décision : il y avait d?une part des sessions en groupes restreints où les véritables négociations se déroulaient et, d?autre part, des sessions plénières silencieuses présidées avec fermeté par Pascal Lamy. Bien des propositions ont déjà été formulées en vue d?accroître la participation et l?efficacité au sein de l?OMC. Permettez-moi toutefois d?avancer trois pistes envisageables :
Le processus de prise de décision gagnerait certainement à une simplification des règles de consensus
Il serait utile d?envisager la simplification du processus de prise de décision, par l?instauration de la majorité qualifiée par exemple, tout au moins pour les questions ne relevant pas des prérogatives essentielles des Membres l?OMC.
Les consultations informelles en petits comités (« green rooms ») devraient être institutionnalisées afin d?empêcher que le système médiéval actuel ne se transforme en oligarchie athénienne. Les délégations qui prennent part aux discussions en petits comités devraient être désignées par les Membres de l?OMC et se voir imposer certaines obligations redditionnelles vis-à-vis des autres Membres. Cela contribuerait à une plus grande transparence et garantirait que ces consultations reflètent l?intégralité des points de vue rencontrés parmi les Membres de l?OMC.
Enfin, les négociations au sein de l?OMC devraient s?ouvrir à des acteurs plus divers : les parlementaires, de même que les organisations internationales et la société civile, devraient y être associés plus étroitement.
3. L?OMC devrait s?intéresser davantage à l?application des accords
Les négociateurs ont tendance à considérer que le travail d?élaboration de la politique commerciale est achevé une fois pour toutes dès lors qu?un accord est signé ! Or, au vu de l?actualité du commerce international et de la multiplication des conflits commerciaux, je ne partage pas cet avis. Les difficultés posées par une application incorrecte ou partielle des accords sont de plus en plus nombreuses, notamment dans le domaine de la propriété intellectuelle, des règles d?origine ou des subventions.
Les Membres de l?OMC devraient réfléchir aux moyens de favoriser l?application réelle des accords dès le stade de la négociation. Le mécanisme d?examen des politiques commerciales pourrait notamment être renforcé de manière à garantir un plus grand respect des règles de l?OMC.
Les Membres de l?OMC devraient également améliorer la capacité des pays en développement à appliquer les accords de l?OMC. A cette fin, il conviendrait d?intensifier les programmes d?assistance technique. Enfin, nous pourrions chercher comment valoriser le rôle de l?OMC dans la gestion de ces fonds, en coordination avec d?autres organisations internationales (BM, FMI).
4. L?OMC devrait mieux tenir compte des préférences collectives
Les préférences collectives, telles que la protection de l?environnement, la sécurité alimentaire et la diversité culturelle sont le reflet d?une demande et de choix collectifs. Il faut se garder d?assimiler les préférences collectives au protectionnisme, qui consiste à protéger un secteur économique et non à répondre à une demande sociale.
La politique commerciale met en présence des préférences collectives qui diffèrent d?un pays à l?autre, ce qui mène à des confrontations qui se traduisent de plus en plus souvent par des différends commerciaux, comme sur la question des crevettes et des tortues, des hormones ou encore des OGM.
Les préférences collectives « parasitent » par ailleurs les négociations commerciales
Une partie des négociations actuelles sur l?agriculture traitent en effet des préférences collectives : certains Membres de l?OMC estiment que l?agriculture devrait être abordée comme n?importe quel autre secteur économique, tandis que d?autres, dont les pays d?Europe, attribuent un rôle social et culturel fondamental à ce domaine, dont la valeur est il est vrai sans commune mesure avec sa contribution au PIB.
Il ne fait aucun doute qu?à l?avenir, l?OMC devra se montrer plus efficace dans sa gestion des préférences collectives. Dans une vie antérieure, Pascal Lamy a suggéré de convenir d?une clause de sauvegarde destinée à résoudre d?éventuels conflits liés aux préférences collectives. C?est une solution qui mérite réflexion.
III. Conclusion
Turgot, qui a retracé la première histoire du progrès humain vers le milieu du XVIIIe siècle (*2), estimait la politique commerciale indissociable de l?idée de progrès puisqu?elle permettait de rapprocher les peuples. Il pensait que l?histoire du progrès humain était aussi l?histoire de la mondialisation et que la mondialisation était une promesse de réussite économique. Ce point de vue a du reste dominé jusque dans les années 1980. Depuis, la mondialisation est de plus en plus ressentie comme une menace par la population et devenue l?otage des idéologies altermondialiste et néolibérale.
Chacun dans notre rôle, nous devons nous attacher à ce que le point de vue de Turgot redevienne d?actualité, en faisant en sorte que la mondialisation contribue pleinement au développement de l?être humain et vienne à bout de la pauvreté. Si l?on en juge par l?intitulé de cette session et la longueur de mon intervention, il nous reste un long chemin à parcourir? mais quoi qu?il en soit, nous ne pourrons pas réussir sans l?OMC.
Je vous remercie de votre attention.
Source http://www.minefi.gouv.fr, le 12 avril 2006