Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur les relations franco-ivoiriennes et sur le Groupe de travail international consacré à la Côte d'Ivoire, à Abidjan le 20 avril 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement en Côte d'Ivoire, du 19 au 21 avril 2006

Texte intégral

Monsieur l'Ambassadeur,
Madame et Monsieur les Conseillers à l'Assemblée des Français de l'Etranger,
Mesdames et Messieurs,
Mes Chers Compatriotes,
Enfin, l'occasion m'est donnée ce soir de vous rencontrer dans une configuration élargie, vous qui avez fait le choix courageux de rester - ou parfois de revenir - en Côte d'Ivoire, dans des conditions que je sais particulièrement difficiles, et dans un environnement contraignant que je ne sous-estime pas.
Enfin, car c'était aujourd'hui la 6ème réunion du Groupe de Travail International à laquelle je représentais notre pays, et que je n'avais pas encore eu la possibilité de m'exprimer devant l'ensemble de votre communauté sur ce que nous défendons au sein de ce GTI.
Cette rencontre d'aujourd'hui, à Abidjan, je vous la devais donc, et je l'ai souhaitée pour pouvoir vous délivrer quelques messages, à vous toutes et à vous tous qui êtes aux avant-postes de la présence de la France en Côte d'ivoire.
Le premier message, le plus important peut-être, c'est que la France est en Côte d'Ivoire pour y assumer ses responsabilités. La première de ses responsabilités, c'est celle qu'elle a vis-à-vis de ses ressortissants, c'est-à-dire vis-à-vis de vous-mêmes qui représentez une communauté d'environ 10.000 personnes, dont nous nous devons de garantir la sécurité. Au-delà, nous avons aussi une responsabilité que nous confère notre lien historique et affectif avec la Côte d'Ivoire, et qui nous conduit à nous impliquer, avec la communauté internationale, pour l'aider à sortir de la crise qu'elle traverse. Enfin, notre engagement est également fondé sur le risque fort de déstabilisation des pays de la région, voire de tout le continent africain, si la crise ivoirienne n'est pas rapidement résolue.
Contrairement à une idée reçue, la France n'a en revanche aucun intérêt à défendre dans les secteurs clés de l'économie ivoirienne, et vous le savez mieux que quiconque : les entreprises françaises ne détiennent ni les secteurs du cacao, ni ceux du café ou du pétrole. Mais 500 PME françaises jouent un rôle essentiel dans l'économie ivoirienne en matière d'investissements et d'emplois, et elles procurent près de 50 % des recettes fiscales du budget ivoirien.
C'est donc la claire perception de sa responsabilité particulière qui constitue le seul fondement de l'engagement de la France en Côte d'Ivoire : un engagement qui est à la fois militaire, et politique.
Engagement militaire, avec l'implantation de la Force Licorne et de ses 4.000 soldats intégrés au sein du dispositif des Nations unies, et auxquels je souhaite rendre ici publiquement un hommage appuyé au travers de leur commandant le général Irastorza, dont les qualités de sang froid et de rigueur professionnelle sont, je crois, reconnues de tous. Général, permettez-moi de vous témoigner ici de toute mon estime personnelle, mais aussi de la reconnaissance du gouvernement pour le tact et la mesure qui caractérisent votre commandement.
S'agissant de ce dispositif Licorne, je tiens à dire devant la communauté française ici rassemblée que la question de son maintien ne se posera qu'à partir du moment où la Côte d'Ivoire aura retrouvé la paix, et que la sécurité y sera assurée pour tous, Ivoiriens et étrangers. Aujourd'hui, il est manifeste que ce moment n'est pas encore venu, et que la question ne se pose donc pas. Je rappelle simplement qu'il s'agit-là d'un effort humain et financier important, que la France consent pour le rétablissement de la paix en Côte d'Ivoire.
Mais au-delà de cet engagement militaire, il y a aussi bien sûr notre engagement diplomatique pour trouver une issue pacifique à la crise politique que traverse le pays. C'est tout le sens de notre implication dans le Groupe de Travail international auquel je participe chaque mois, depuis novembre dernier.
C'est dans le cadre de ce GTI que la France entend agir, car c'est le lieu où l'ensemble de la communauté internationale se coordonne pour hâter la sortie de crise. En terme de méthode, il importe en effet que la concertation internationale, au niveau des Nations unies mais aussi au travers de l'Union africaine et de la CEDEAO, soit suffisamment forte pour accompagner les parties ivoiriennes vers le retour à la paix. J'étais ainsi il y a une dizaine de jours en Afrique du Sud pour des entretiens particulièrement fructueux avec le président Mbeki, qui ont permis de confirmer notre approche commune sur le dossier ivoirien.
Vous le savez, l'objectif fixé par la résolution des Nations unies est de parvenir avant la fin du mois d'octobre à des élections libres, transparentes et crédibles. Le GTI est le garant et l'arbitre du processus devant conduire à ces élections.
Sur le déroulement de ce processus, et sur les perspectives des prochains mois, je souhaite ce soir vous délivrer un message de relatif espoir. Relatif, parce que les difficultés ne doivent pas être sous-estimées, à commencer par celles du désarmement et de l'identification qui constituent des éléments indissociables du retour à la paix. Mais je crois très sincèrement qu'une dynamique positive s'est mise en place depuis quelques mois, qui a déjà permis d'enregistrer de premières avancées.
Il y a d'abord eu la désignation du Premier ministre, M. Konan Banny, qui a pris les choses en main et qui gère la transition de manière très consensuelle. Il a su gagner la confiance de l'opinion ivoirienne, des forces politiques, et de la communauté internationale. Sous son impulsion, une dynamique est en marche, et nous devons tout faire pour éviter les blocages qui compromettraient l'ensemble du processus. C'est à mon sens le rôle du GTI, que d'appuyer ce processus en veillant au respect des engagements pris par les uns et par les autres pour satisfaire aux exigences posées par les Nations unies. Il y faut pour cela de la détermination, et même de la fermeté lorsque les engagements ne sont pas tenus.
S'agissant du calendrier, nous sommes bien sûr conscients que l'échéance de la fin octobre sera difficile à respecter, mais nous devons tout faire pour y parvenir. Ce n'est certainement pas le moment de baisser les bras, et les interventions d'aujourd'hui au sein du GTI ont d'ailleurs souligné que le temps pressait. Nous avons encore 6 mois devant nous pour avancer, et beaucoup à faire. Mais je crois que ce qui importe le plus dans cette phase de transition, c'est de maintenir la dynamique devant mener à des élections. Car il ne saurait y avoir de solution durable pour la Côte d'Ivoire en dehors d'un choix démocratique de sa population sur la manière dont elle entend être dirigée.
En tout état de cause, je veux redire ici avec force que la France, comme d'ailleurs les autres membres du GTI, n'a pas à s'immiscer dans la politique intérieure ivoirienne. La seule exigence de la communauté internationale, c'est que le choix des Ivoiriens puisse se faire librement, au terme d'un scrutin régulier et honnête.
Voilà donc, Mes Chers Compatriotes, ce que je souhaitais vous dire ce soir sur le sens et les perspectives de notre engagement en Côte d'Ivoire.
Mais avant de conclure, je tiens aussi à rendre un hommage très sincère pour la constance, la détermination et le courage dont vous savez faire preuve au cours de cette crise que traverse la Côte d'Ivoire.
Depuis septembre 2002, je sais combien vous avez été confrontés à des situations difficiles, à des événements douloureux. Et je n'oublie d'ailleurs pas que pour beaucoup d'entre vous les difficultés ont commencé encore plus tôt, et que la succession des secousses qui ont frappé ce pays depuis 1999 a eu de profondes répercussions sur votre vie familiale et professionnelle.
Je songe plus particulièrement au traumatisme de l'évacuation de la fin 2004, lorsqu'il a fallu abandonner derrière vous des biens, des amis, une partie de votre vie. Je songe aux phases de tensions auxquelles vous avez été confrontés, aux périodes de couvre-feu prolongé. Je songe aux écoles françaises saccagées, aux entreprises détruites. Et je n'oublie pas, surtout, nos neuf soldats morts à Bouaké : comment pourrait-on d'ailleurs les oublier...
Au cours de toute cette période, le comportement de la communauté française en Côte d'Ivoire est resté exemplaire : elle a affronté la situation avec calme ; elle l'a affrontée avec dignité. Elle l'a surtout affrontée en faisant preuve d'un esprit de cohésion et de solidarité remarquable. Pour tout cela, je souhaitais vous rendre hommage.
Naturellement, vous vous posez des questions légitimes sur vos conditions de vie, pour vous-même et vos familles. Et je sais notamment que la question des écoles est l'une de celles qui vous préoccupent le plus.
Je souhaite donc vous assurer en quelques mots des efforts que nous entreprenons pour y répondre. Actuellement, les trois établissements ivoiriens homologués par les autorités françaises sont saturés, et ils ne répondent pas à tous vos besoins. C'est donc un établissement conventionné, avec une direction et des enseignants détachés de France, que vous appelez de vos voeux. Nous y travaillons, mais il faut avoir conscience des difficultés d'ordre statutaire, sécuritaire, et financier qu'il nous faut régler au préalable. Le dossier progresse, et le Premier ministre Konan Banny, lors de sa récente visite à Paris, m'a d'ailleurs annoncé son intention de lancer un appel d'offres pour la réhabilitation des écoles françaises détruites en 2004. Nos partenaires ivoiriens m'ont dit souhaiter la réouverture d'une école dès la prochaine rentrée. Bien entendu, la France est disposée à apporter sa contribution à cette reconstruction.
Au-delà, et s'agissant de votre sécurité et de celle de vos investissements, je relève que le Premier ministre ivoirien s'est également entretenu à Paris avec les associations de rapatriés, afin d'encourager leur retour. Et vous pouvez être assurés que nous continuerons pour notre part à plaider la cause de vos entreprises auprès de l'administration de ce pays, afin que leur activité économique puisse s'exercer dans un environnement favorable.
Mêmes fragiles, tous ces signes d'évolution positive méritent bien entendu d'être soutenus. Tel est précisément le rôle que je souhaite donner à la reprise de notre politique de coopération en Côte d'ivoire.
Comme vous le savez, tous nos projets de coopération ont été stoppés à la suite des événements de novembre 2004. Pour autant, une reprise de ces actions me paraît aujourd'hui souhaitable, forcément limitée dans un premier temps, mais progressive, et en accompagnement du processus de retour à la paix : un million d'euros sont ainsi déjà prévus pour contribuer à l'organisation des élections, et 1,5 millions d'euros ont également été dégagés par la France pour venir en appui à la société civile au travers de micro-projets.
Demain, je me rendrai sur le terrain pour évaluer d'autres perspectives de reprise de nos actions de coopération, notamment dans le domaine culturel, qu'il s'agisse de l'Alliance française de Yamoussoukro ou de la possible réouverture de la bibliothèque du Centre culturel français d'Abidjan.
Au cours de ce déplacement, j'irai aussi plus au Nord, à Man, pour y inaugurer une pompe à eau et une école reconstruites par Licorne. Ce sera l'occasion pour moi de saluer la contribution de nos militaires à l'effort de reconstruction du pays, mais aussi de souligner l'unité de la Côte d'ivoire dans ses différentes composantes géographiques.
Au total, c'est donc bien sur une note d'espoir et de confiance que je souhaite conclure mon propos : espoir de lendemains meilleurs pour la Côte d'Ivoire, et confiance dans notre détermination collective à réussir le processus de retour à la paix. Avec vous, je veux croire au rôle utile que la France peut avoir dans cet effort de reconstruction.
A vous tous qui me faites l'amitié d'avoir répondu ce soir à mon invitation, je souhaite exprimer ma reconnaissance, et mes encouragements : vous donnez corps à l'amitié franco-ivoirienne et, au-delà, à la relation profonde et historique de la France et de l'Afrique.
Vive la République, vive la France !Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 avril 2006