Texte intégral
Il faut tenir compte en particulier de deux novations qui me paraissent essentielles. La première, cest que lEurope politique existe aujourdhui, elle nexistait pas lorsque la première Convention de Lomé a été négociée. La seconde novation, cest que lOMC existe aussi, qui sest créée bien après que ce lien très privilégié entre lEurope et les pays ACP aient été forgés.
Vous savez que cette conférence a été précédée dun long travail auquel se sont consacrés les ambassadeurs. Mais je voudrais déjà vous livrer quelques observations au sujet de cette conférence telles que lon peut provisoirement en estimer les résultats.
Dabord, lattachement des pays ACP et de lUnion européenne à cet instrument singulier quest la Convention de Lomé. Nos partenaires ont parfaitement compris lenjeu du renouvellement de ce partenariat : les propos du président Diouf, auquel je faisais allusion tout à lheure, lillustrent tout à fait.
Quels progrès peuvent être considérés comme ayant été dores et déjà enregistrés ? Je vous disais limportance de la dimension politique des accords qui vont être conclus dans le courant de cette année, en tout cas nécessairement avant le printemps prochain. Vous savez que larticle 5 des accords fait référence à ce quon appelle les éléments essentiels du dialogue politique, cest-à-dire le respect des Droits de lHomme, la démocratie, lEtat de droit.
Il est question, cest un des sujets de débat dy introduire une nouvelle donnée qui est la bonne gestion des affaires publiques. La définition de ce concept a occupé le groupe numéro un hier et continue encore ce matin. Il est vrai quau-delà de laffirmation de principe, du besoin de transparence ou de la lutte contre la corruption, jai personnellement insisté sur cet aspect qui est très important aux yeux de nos opinions publiques. Au-delà de ces principe, je le répète - encore faut-il trouver des éléments de définition qui permettent une bonne interprétation - il est important puisque le respect de ces éléments essentiels conditionne en quelque sorte la poursuite des accords de partenariat. A contrario, le manquement à ces éléments essentiels peut entraîner la suspension de ceux-ci, selon des procédures qui font place bien entendu au dialogue et à lexplication mais qui sont tout de même assez contraignantes. Cétait la première observation que je voulais faire sur cette dimension politique importante, plus importante sans doute cette fois quhier.
Le second point qui semble se dégager, évidemment, cest le consensus autour des stratégies de développement. ACP/Communauté européenne sont en effet daccord pour avoir désormais à lavenir une vision, une approche, plus intégrée de la coopération, qui fasse place à la société civile, qui mette davantage laccent aussi sur la coopération régionale - jaurai loccasion dy revenir - et qui mette aussi davantage laccent sur lappui à linvestissement privé.
Cette convention devrait, dune manière générale je crois, articuler - et nous espérons de la manière la mieux équilibrée possible -, laide publique au développement et linvestissement privé. Nos relations commerciales sont sans doute les plus délicates à définir. Je vous disais à linstant que lOMC existe et que le principe de libéralisation des échanges est posé. Il ne sagit pas dailleurs de sy soustraire, bien au contraire. Je pense que lon réaffirmera lors du renouvellement de ces accords dits de Lomé, que lobjectif est bien lintégration de lensemble des pays, y compris des pays ACP dans léconomie mondiale, avec lambition de respecter les règles qui prévalent, cest-à-dire la liberté des échanges. Il reste que, avant que les pays ACP puissent sans dommages pour eux-mêmes, respecter les règles du libre échange, il faut du temps et aussi des mesures transitoires, selon des modalités quil faut définir. Les deux parties ont dailleurs dores et déjà estimé que nous navions pas été en mesure de tirer un plein parti des préférences non réciproques (vous connaissez le fameux système des préférences généralisées) et que le statu quo ne pouvait être prolongé indéfiniment.
Bref, le besoin dune évolution des relations commerciales a été là aussi clairement affirmé. Tout le monde construit des relations commerciales privilégiées, exorbitantes en quelque sorte du droit commun qui soient acceptable par lOMC. Cest tout lenjeu de la discussion.
La proposition qui est faite, qui était dans le mandat arrêté par le Conseil des ministres du moins de juin 1998 est dorganiser les relations commerciales sur une base régionale ou sous-régionale. En clair, il sagit de conclure des accords de partenariat économique régionaux, cest lexpression exacte, qui peuvent varier dune région à lautre, qui font lobjet précisément dune négociation et avec lambition de servir en quelque sorte la cause de lintégration régionale. Celle-ci apparaissant, cest en tout cas très fortement le point de vue de la France, comme de nature à la fois à servir le développement mais aussi à servir la paix. Malheureusement, lactualité vient nous rappeler que la prévention des conflits nest pas seulement un sujet décole.
Un mot, enfin, parce que je voudrais laisser place à léchange concernant la coopération financière. Cest aussi un sujet délicat. Les ACP partagent notre volonté de simplifier et de rendre plus efficace la coopération. Ils sont attachés à certains instruments notamment le Stabex et le Sysmin et même si ceux-ci ont fait la preuve quil fallait les améliorer ou les adapter, le principe de leur prolongement a été souvent exprimé par les pays ACP. Cest aussi dailleurs le point de vue de la France qui pense que ces outils doivent être améliorés mais préservés, sans préjuger du cadre financier plus précis dans lequel ils vont sorganiser. Mais, il doivent être préservés, et je dis lun et lautre, cest-à-dire à la fois la spécificité du Stabex pour la production agricole et Sysmin nous pensons que le secteur minier mérite aussi dêtre encouragé car étant le point dappui du développement dun certain nombre de pays. En tout cas, nous pensons quil faut préserver le principe dune aide destinée à compenser les pertes de recettes à lexportation des produits de base, puisquil sagit dabord de cela. Nous en sommes tous convaincus globalement.
Cest sur la base de ces travaux de Dakar que les experts vont, dans quelques mois, poursuivre leurs travaux à Bruxelles, dans la perspective dune prochaine cession ministérielle prévue en juillet.
Voilà ce que je voulais dire de cette conférence ministérielle à laquelle je suis personnellement heureux davoir pu participer.
Q - On voit que le noeud du problème est la question commerciale et chaque fois, vous opposez les règles de lOMC comme si cétait une parole sacrée. Ne pensez-vous pas quil y a là une marge de manoeuvre de nombre de pays, peut-être pas en puissance économique comme dans le cas de la banane, pour obliger lOMC à respecter les engagements pris à Marrakech qui nont jamais été réalisés pour tenir compte des pays à bas revenus et des problèmes du tiers-monde en général ? Ne pensez-vous pas que vous êtes trop figé sur la question des règles de lOMC ?
R - Si nous létions à ce point, nous serions pessimistes quant à lavenir de ces accords. Il faut que lOMC soit un levier et quil ne faut pas en faire un épouvantail. Je crois quil rejoint là le sentiment que vous exprimez vous-même. Je me souviens de lexpression quavait dû employer la présidente des ACP lors de la rencontre à la Barbade lété dernier où elle disait que lOMC devait être le serviteur des pays et non pas linverse. Il nempêche que lOMC a été mise en place sur un objectif de libéralisation des échanges, on ne saurait loublier complètement. Mais, je suis daccord avec vous, je pense que les ACP et peut-être avec eux, dautres pays en développement dailleurs peuvent, au sein des instances de lOMC nous aider à faire en sorte que celui-ci soit (pour reprendre lexpression de la présidente de la Barbade) au service du développement et quil ne soit pas un obstacle.
Q - Quelques pays des ACP ont demandé une amélioration des préférences commerciales pendant une période de dix ans avant que la convention soit compatible avec lOMC Je voulais savoir si la France était daccord avec cette idée de renforcement des préférences dans une période transitoire ?
R - Vous avez surtout posé la question des délais dont je nai pas parlé. Cest en effet un des points de discussion entre les pays européens et les pays ACP. Ceux-ci aimeraient disposer en réalité dune période de dix ans avant que le nouveau dispositif ne se mettent en marche. Ceci fera lobjet de discussion. Nous pensons que cinq ans serait une période convenable pour se préparer à mettre en oeuvre le nouveau dispositif, sachant que celui-ci disposerait de dix ans pour se mettre en place définitivement. Autrement dit, puisque les nouveaux accords commenceront en lan 2000, cest sur la période 2005-2015 que le nouveau dispositif se mettrait en place.
Sagissant de le renforcer, nous pensons que cela fait sans doute partie des éléments de négociations et que, sur une période plus courte, on peut imaginer de mobiliser davantage de moyens de façon à ce que le calendrier auquel nous sommes attachés puisse être respecté.
Q - Je voudrais savoir si vous avez parlé de lintégration de nouveaux membres comme Cuba ?
R - Nous navons pas parlé particulièrement de lintégration de Cuba. Vous vous souvenez que cest précisément à loccasion de la conférence de la Barbade que Cuba a été accepté comme observateur. La France était lun des pays qui avait soutenu cette demande de Cuba. Jai eu plaisir dailleurs à retrouver justement quelques responsables cubains avec qui nous avons pu poursuivre nos conversations et nous espérons que Cuba mette aussi à profit cette période dobservation en quelque sorte pour se préparer lui aussi au dialogue, dans toutes ces dimensions avec lUnion européenne.
Q - Hier, le Président Fischer a longuement traité de ce qui nallait pas, des crises, des guerres civiles, des désordres de toutes sortes, de ce concept nouveau de bonne gouvernance. De quelle manière lUnion souhaite-t-elle voir se concrétiser cette conditionnalité nouvelle et jusquà quel point les ACP ne se rebellent-ils pas contre ces exigences ?
R - Je vous ai dit à linstant que cétait un des éléments nouveaux du dialogue politique, que ce point de la bonne gestion des affaires publiques ou de la bonne gouvernance avait fait lobjet de discussions assez soutenues hier. Je pense que le débat a dû se poursuivre ce matin, mais je crois quil y a un accord de principe de la part des pays ACP à condition, disent-ils que ce soit totalement réciproque. Cela ma amené à rappeler hier que ces principes de bonne gestion ne sont pas forcément toujours avérés dans les pays européens et quil fallait que cet engagement soit en quelque sorte une obligation pour nous-mêmes de les respecter. Que nous nétions pas forcément toujours à labri de la corruption, à la différence quand même, cest que normalement, nous avons une organisation judiciaire qui a les moyens dune plus grande vigilance et quil faut (et nous y sommes prêts) que nous puissions aider les pays en développement à disposer des mêmes institutions.
Il y a un débat autour de la corruption vous le savez. Les pays ACP disent que pour quil y ait corruption, il faut des corrompus et des corrupteurs. Ils ont totalement raison et ceci renvoie à une disposition prise pour empêcher les commissions commerciales extraordinaires. Il nempêche que la mise sous surveillance dun tel élément essentiel nest pas si évidente. Comment le quantifier ? La réponse nest pas simple et cest pour cela que, pour éviter des interprétations donnant elles-mêmes lieu à contentieux, il faut que nous arrivions à mieux définir ce que recouvre ce concept en terme de transparence, de publication, dimplication des tribunaux, des institutions judiciaires capables de surveiller lusage qui est fait des fonds publics par exemple, toute question que les experts vont devoir préciser. Je pense que les ACP attendront probablement avant de sengager complètement sur ce terrain-là de savoir ce que les experts compteront pouvoir définir en terme dapplication du concept. Je crois que cest un élément important.
Q - Concernant le conflit dans la région des Grands lacs dans lequel se trouvent impliqués beaucoup de pays signataires de la Convention de Lomé, cette conférence ne pourrait-elle pas lancer un appel à ces pays en leur disant par exemple que lUnion européenne se verrait dans lobligation de revoir sa coopération ou sa politique détat à légard des pays impliqués ?
R - Je ne crois pas quil soit prévu de motion politique, en quelque sorte, dans ce domaine. Ceci ne nous a pas empêché, en marge de cette conférence davoir des contacts avec quelques uns des acteurs de ces conflits. Vous avez évoqué le Congo démocratique, on peut évoquer aussi la situation difficile que connaissent aussi dautres pays ACP. En réponse à votre question, je ne crois pas que ceci soit prévu. Est-ce parce que cela ne rentre pas dans les habitudes de ce type de conférence ? Est-ce parce que lon craint que ce soit un peu difficile de réunion un consensus sur un tel sujet, sachant là aussi quil peut y avoir quelques arrières pensées. Quoiquil en soit, cela peut encore se décider au cours de la séance plénière, mais pour linstant, je ne crois pas quil soit question dun tel appel même si le besoin dappeler tous les acteurs à rechercher les voies du dialogue pour mettre fin à cette guerre serait sans doute le bienvenu.
Q - Lorsque lon constate que les exportations des ACP vers lUnion nont pas cessé de diminuer au cours de ces dernières années, est-ce que parler de libre échange, même à terme, nest pas complètement illusoire ?
R - Cest en tout cas une bonne raison pour considérer que ce nest pas la réponse dans limmédiat et quil faut mettre à profit cette nouvelle période qui souvre pour consolider dabord les économies, développer les productions avant dentrouvrir trop largement les portes et les fenêtres.
Q - Pensez-vous que les pays africains, dans 15 ou 20 ans, selon les délais que vous leur accorderez seront prêts à affronter la concurrence mondiale. Même sils font des intégrations régionales, peuvent-ils protéger leur marché ? Accepterez-vous quils partagent les marchés régionaux ? Accepteriez-vous déjà des mesures de protection des industries naissantes et autre ? Je crois que vous ne prévoyez rien dans ce sens. Vous les envoyez au libre échange dans 10 ou 20 ans et puis cest tout, sans aucun détail ?
R - Faire des prévisions à 20 ans nest pas facile. Cela lest sans doute de moins en moins. Cest vous qui rentrez par la fenêtre, il me semblait avoir commencé à répondre quand même à la question que vous avez posée. Je ne crois pas utile de répéter ce que jai dit à linstant, même si je ne redoute pas de me contredire, jessaie quand même de ne pas le faire trop souvent.
Je crois vous avoir dit que lobjectif à terme, contre lequel personne ne peut aller, cest bien dimaginer un monde ouvert, parce que, globalement, on en attend un mieux-être partagé. Il se trouve quaujourdhui, les inégalités sont telles quune telle perspective apparaît irréaliste, voire dangereuse. Mais lidée, dès lors quon laccepte comme perspective, cest bien de sy préparer. Le renouvellement des Accords de Lomé, cest précisément dorganiser notre relation avec ces pays pour leur permettre dy accéder, au terme dun développement qui intègre à la fois le politique et léconomique. Ce matin on a même évoqué le culturel. Je crois quon a eu raison dy insister, les Camerounais ont insisté sur cet élément comme composante aussi du développement. Je crois que lidentité culturelle est importante à cet égard. Cest tout cela que les futurs accords devraient permettre de dynamiser pour atteindre lobjectif que nous rappelions.
Je ne crois pas quil faille être pessimistes à lavance comme vous semblez lêtre ; si vous avez raison, nous navons rien à faire ici, ni vous ni moi. Je crois quil y a là - je le répète - une relation extraordinaire entre lEurope et les pays ACP qui fait la preuve aussi que lEurope est capable dexprimer sa vérité un peu particulière. La France a été pour beaucoup dans la naissance de cette relation-là. Elle est heureuse de voir que, non seulement elle perdure mais quelle va se renouveler et, je lespère, senrichir sur une base plus partenariale. Cela me paraît aussi être le signe de la modernité de ces accords, sur des projets de développement, définis par les pays ACP, eux-mêmes, que la solidarité se mobilise.
Q - Dans quelle mesure pensez-vous que les déclarations du président Diouf aient changé le cours des négociations ?
R - En prononçant son discours, on attendait quil change le cours des négociations. Je vois que ce nétait pas le propos quil poursuivait ; il voulait, en qualité de pays hôte dire limportance quil attachait à cette événement, la conférence ministérielle qui permette à Dakar daccueillir un nombre important de pays européens et du monde africain mais aussi Caraïbe. Il a dit lespoir que ce nouvel accord lui paraissait devoir représenter dans notre relation.
Q - Pensez-vous que les Européens, voulant sauvegarder leurs intérêts lâchent les pays africains producteurs de la banane au Cameroun et en Côte-dIvoire ?
R - Ce sont, pour une part importante, les pays des départements européens dAmérique mais les pays africains sont également concernés. Mais je ne pense pas que ce soit le cas.
La France, mais aussi les pays européens, ont fait la preuve quils étaient très attentifs à préserver ce qui est, pour une certain nombre de pays, un produit de base. Il y a actuellement un débat devant lOMC, nous avons réagi avec vivacité à la menace exprimée par les Etats-Unis de mettre en oeuvre de manière unilatérale les sanctions, avant même que lOMC ne se soit prononcée - lOMC étant là pour arbitrer les conflits. Attendons les résultats des discussions qui sont en cours mais je crois que nous avons déjà, sans trahir les intérêts des pays producteurs qui nous sont attachés, fait un effort pour nous rapprocher de la position déchange à laquelle nous étions appelés. Je suis assez optimiste quant à lissue du contentieux en cours.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr/cooperation/index.html, le 12 février 1999)
Vous savez que cette conférence a été précédée dun long travail auquel se sont consacrés les ambassadeurs. Mais je voudrais déjà vous livrer quelques observations au sujet de cette conférence telles que lon peut provisoirement en estimer les résultats.
Dabord, lattachement des pays ACP et de lUnion européenne à cet instrument singulier quest la Convention de Lomé. Nos partenaires ont parfaitement compris lenjeu du renouvellement de ce partenariat : les propos du président Diouf, auquel je faisais allusion tout à lheure, lillustrent tout à fait.
Quels progrès peuvent être considérés comme ayant été dores et déjà enregistrés ? Je vous disais limportance de la dimension politique des accords qui vont être conclus dans le courant de cette année, en tout cas nécessairement avant le printemps prochain. Vous savez que larticle 5 des accords fait référence à ce quon appelle les éléments essentiels du dialogue politique, cest-à-dire le respect des Droits de lHomme, la démocratie, lEtat de droit.
Il est question, cest un des sujets de débat dy introduire une nouvelle donnée qui est la bonne gestion des affaires publiques. La définition de ce concept a occupé le groupe numéro un hier et continue encore ce matin. Il est vrai quau-delà de laffirmation de principe, du besoin de transparence ou de la lutte contre la corruption, jai personnellement insisté sur cet aspect qui est très important aux yeux de nos opinions publiques. Au-delà de ces principe, je le répète - encore faut-il trouver des éléments de définition qui permettent une bonne interprétation - il est important puisque le respect de ces éléments essentiels conditionne en quelque sorte la poursuite des accords de partenariat. A contrario, le manquement à ces éléments essentiels peut entraîner la suspension de ceux-ci, selon des procédures qui font place bien entendu au dialogue et à lexplication mais qui sont tout de même assez contraignantes. Cétait la première observation que je voulais faire sur cette dimension politique importante, plus importante sans doute cette fois quhier.
Le second point qui semble se dégager, évidemment, cest le consensus autour des stratégies de développement. ACP/Communauté européenne sont en effet daccord pour avoir désormais à lavenir une vision, une approche, plus intégrée de la coopération, qui fasse place à la société civile, qui mette davantage laccent aussi sur la coopération régionale - jaurai loccasion dy revenir - et qui mette aussi davantage laccent sur lappui à linvestissement privé.
Cette convention devrait, dune manière générale je crois, articuler - et nous espérons de la manière la mieux équilibrée possible -, laide publique au développement et linvestissement privé. Nos relations commerciales sont sans doute les plus délicates à définir. Je vous disais à linstant que lOMC existe et que le principe de libéralisation des échanges est posé. Il ne sagit pas dailleurs de sy soustraire, bien au contraire. Je pense que lon réaffirmera lors du renouvellement de ces accords dits de Lomé, que lobjectif est bien lintégration de lensemble des pays, y compris des pays ACP dans léconomie mondiale, avec lambition de respecter les règles qui prévalent, cest-à-dire la liberté des échanges. Il reste que, avant que les pays ACP puissent sans dommages pour eux-mêmes, respecter les règles du libre échange, il faut du temps et aussi des mesures transitoires, selon des modalités quil faut définir. Les deux parties ont dailleurs dores et déjà estimé que nous navions pas été en mesure de tirer un plein parti des préférences non réciproques (vous connaissez le fameux système des préférences généralisées) et que le statu quo ne pouvait être prolongé indéfiniment.
Bref, le besoin dune évolution des relations commerciales a été là aussi clairement affirmé. Tout le monde construit des relations commerciales privilégiées, exorbitantes en quelque sorte du droit commun qui soient acceptable par lOMC. Cest tout lenjeu de la discussion.
La proposition qui est faite, qui était dans le mandat arrêté par le Conseil des ministres du moins de juin 1998 est dorganiser les relations commerciales sur une base régionale ou sous-régionale. En clair, il sagit de conclure des accords de partenariat économique régionaux, cest lexpression exacte, qui peuvent varier dune région à lautre, qui font lobjet précisément dune négociation et avec lambition de servir en quelque sorte la cause de lintégration régionale. Celle-ci apparaissant, cest en tout cas très fortement le point de vue de la France, comme de nature à la fois à servir le développement mais aussi à servir la paix. Malheureusement, lactualité vient nous rappeler que la prévention des conflits nest pas seulement un sujet décole.
Un mot, enfin, parce que je voudrais laisser place à léchange concernant la coopération financière. Cest aussi un sujet délicat. Les ACP partagent notre volonté de simplifier et de rendre plus efficace la coopération. Ils sont attachés à certains instruments notamment le Stabex et le Sysmin et même si ceux-ci ont fait la preuve quil fallait les améliorer ou les adapter, le principe de leur prolongement a été souvent exprimé par les pays ACP. Cest aussi dailleurs le point de vue de la France qui pense que ces outils doivent être améliorés mais préservés, sans préjuger du cadre financier plus précis dans lequel ils vont sorganiser. Mais, il doivent être préservés, et je dis lun et lautre, cest-à-dire à la fois la spécificité du Stabex pour la production agricole et Sysmin nous pensons que le secteur minier mérite aussi dêtre encouragé car étant le point dappui du développement dun certain nombre de pays. En tout cas, nous pensons quil faut préserver le principe dune aide destinée à compenser les pertes de recettes à lexportation des produits de base, puisquil sagit dabord de cela. Nous en sommes tous convaincus globalement.
Cest sur la base de ces travaux de Dakar que les experts vont, dans quelques mois, poursuivre leurs travaux à Bruxelles, dans la perspective dune prochaine cession ministérielle prévue en juillet.
Voilà ce que je voulais dire de cette conférence ministérielle à laquelle je suis personnellement heureux davoir pu participer.
Q - On voit que le noeud du problème est la question commerciale et chaque fois, vous opposez les règles de lOMC comme si cétait une parole sacrée. Ne pensez-vous pas quil y a là une marge de manoeuvre de nombre de pays, peut-être pas en puissance économique comme dans le cas de la banane, pour obliger lOMC à respecter les engagements pris à Marrakech qui nont jamais été réalisés pour tenir compte des pays à bas revenus et des problèmes du tiers-monde en général ? Ne pensez-vous pas que vous êtes trop figé sur la question des règles de lOMC ?
R - Si nous létions à ce point, nous serions pessimistes quant à lavenir de ces accords. Il faut que lOMC soit un levier et quil ne faut pas en faire un épouvantail. Je crois quil rejoint là le sentiment que vous exprimez vous-même. Je me souviens de lexpression quavait dû employer la présidente des ACP lors de la rencontre à la Barbade lété dernier où elle disait que lOMC devait être le serviteur des pays et non pas linverse. Il nempêche que lOMC a été mise en place sur un objectif de libéralisation des échanges, on ne saurait loublier complètement. Mais, je suis daccord avec vous, je pense que les ACP et peut-être avec eux, dautres pays en développement dailleurs peuvent, au sein des instances de lOMC nous aider à faire en sorte que celui-ci soit (pour reprendre lexpression de la présidente de la Barbade) au service du développement et quil ne soit pas un obstacle.
Q - Quelques pays des ACP ont demandé une amélioration des préférences commerciales pendant une période de dix ans avant que la convention soit compatible avec lOMC Je voulais savoir si la France était daccord avec cette idée de renforcement des préférences dans une période transitoire ?
R - Vous avez surtout posé la question des délais dont je nai pas parlé. Cest en effet un des points de discussion entre les pays européens et les pays ACP. Ceux-ci aimeraient disposer en réalité dune période de dix ans avant que le nouveau dispositif ne se mettent en marche. Ceci fera lobjet de discussion. Nous pensons que cinq ans serait une période convenable pour se préparer à mettre en oeuvre le nouveau dispositif, sachant que celui-ci disposerait de dix ans pour se mettre en place définitivement. Autrement dit, puisque les nouveaux accords commenceront en lan 2000, cest sur la période 2005-2015 que le nouveau dispositif se mettrait en place.
Sagissant de le renforcer, nous pensons que cela fait sans doute partie des éléments de négociations et que, sur une période plus courte, on peut imaginer de mobiliser davantage de moyens de façon à ce que le calendrier auquel nous sommes attachés puisse être respecté.
Q - Je voudrais savoir si vous avez parlé de lintégration de nouveaux membres comme Cuba ?
R - Nous navons pas parlé particulièrement de lintégration de Cuba. Vous vous souvenez que cest précisément à loccasion de la conférence de la Barbade que Cuba a été accepté comme observateur. La France était lun des pays qui avait soutenu cette demande de Cuba. Jai eu plaisir dailleurs à retrouver justement quelques responsables cubains avec qui nous avons pu poursuivre nos conversations et nous espérons que Cuba mette aussi à profit cette période dobservation en quelque sorte pour se préparer lui aussi au dialogue, dans toutes ces dimensions avec lUnion européenne.
Q - Hier, le Président Fischer a longuement traité de ce qui nallait pas, des crises, des guerres civiles, des désordres de toutes sortes, de ce concept nouveau de bonne gouvernance. De quelle manière lUnion souhaite-t-elle voir se concrétiser cette conditionnalité nouvelle et jusquà quel point les ACP ne se rebellent-ils pas contre ces exigences ?
R - Je vous ai dit à linstant que cétait un des éléments nouveaux du dialogue politique, que ce point de la bonne gestion des affaires publiques ou de la bonne gouvernance avait fait lobjet de discussions assez soutenues hier. Je pense que le débat a dû se poursuivre ce matin, mais je crois quil y a un accord de principe de la part des pays ACP à condition, disent-ils que ce soit totalement réciproque. Cela ma amené à rappeler hier que ces principes de bonne gestion ne sont pas forcément toujours avérés dans les pays européens et quil fallait que cet engagement soit en quelque sorte une obligation pour nous-mêmes de les respecter. Que nous nétions pas forcément toujours à labri de la corruption, à la différence quand même, cest que normalement, nous avons une organisation judiciaire qui a les moyens dune plus grande vigilance et quil faut (et nous y sommes prêts) que nous puissions aider les pays en développement à disposer des mêmes institutions.
Il y a un débat autour de la corruption vous le savez. Les pays ACP disent que pour quil y ait corruption, il faut des corrompus et des corrupteurs. Ils ont totalement raison et ceci renvoie à une disposition prise pour empêcher les commissions commerciales extraordinaires. Il nempêche que la mise sous surveillance dun tel élément essentiel nest pas si évidente. Comment le quantifier ? La réponse nest pas simple et cest pour cela que, pour éviter des interprétations donnant elles-mêmes lieu à contentieux, il faut que nous arrivions à mieux définir ce que recouvre ce concept en terme de transparence, de publication, dimplication des tribunaux, des institutions judiciaires capables de surveiller lusage qui est fait des fonds publics par exemple, toute question que les experts vont devoir préciser. Je pense que les ACP attendront probablement avant de sengager complètement sur ce terrain-là de savoir ce que les experts compteront pouvoir définir en terme dapplication du concept. Je crois que cest un élément important.
Q - Concernant le conflit dans la région des Grands lacs dans lequel se trouvent impliqués beaucoup de pays signataires de la Convention de Lomé, cette conférence ne pourrait-elle pas lancer un appel à ces pays en leur disant par exemple que lUnion européenne se verrait dans lobligation de revoir sa coopération ou sa politique détat à légard des pays impliqués ?
R - Je ne crois pas quil soit prévu de motion politique, en quelque sorte, dans ce domaine. Ceci ne nous a pas empêché, en marge de cette conférence davoir des contacts avec quelques uns des acteurs de ces conflits. Vous avez évoqué le Congo démocratique, on peut évoquer aussi la situation difficile que connaissent aussi dautres pays ACP. En réponse à votre question, je ne crois pas que ceci soit prévu. Est-ce parce que cela ne rentre pas dans les habitudes de ce type de conférence ? Est-ce parce que lon craint que ce soit un peu difficile de réunion un consensus sur un tel sujet, sachant là aussi quil peut y avoir quelques arrières pensées. Quoiquil en soit, cela peut encore se décider au cours de la séance plénière, mais pour linstant, je ne crois pas quil soit question dun tel appel même si le besoin dappeler tous les acteurs à rechercher les voies du dialogue pour mettre fin à cette guerre serait sans doute le bienvenu.
Q - Lorsque lon constate que les exportations des ACP vers lUnion nont pas cessé de diminuer au cours de ces dernières années, est-ce que parler de libre échange, même à terme, nest pas complètement illusoire ?
R - Cest en tout cas une bonne raison pour considérer que ce nest pas la réponse dans limmédiat et quil faut mettre à profit cette nouvelle période qui souvre pour consolider dabord les économies, développer les productions avant dentrouvrir trop largement les portes et les fenêtres.
Q - Pensez-vous que les pays africains, dans 15 ou 20 ans, selon les délais que vous leur accorderez seront prêts à affronter la concurrence mondiale. Même sils font des intégrations régionales, peuvent-ils protéger leur marché ? Accepterez-vous quils partagent les marchés régionaux ? Accepteriez-vous déjà des mesures de protection des industries naissantes et autre ? Je crois que vous ne prévoyez rien dans ce sens. Vous les envoyez au libre échange dans 10 ou 20 ans et puis cest tout, sans aucun détail ?
R - Faire des prévisions à 20 ans nest pas facile. Cela lest sans doute de moins en moins. Cest vous qui rentrez par la fenêtre, il me semblait avoir commencé à répondre quand même à la question que vous avez posée. Je ne crois pas utile de répéter ce que jai dit à linstant, même si je ne redoute pas de me contredire, jessaie quand même de ne pas le faire trop souvent.
Je crois vous avoir dit que lobjectif à terme, contre lequel personne ne peut aller, cest bien dimaginer un monde ouvert, parce que, globalement, on en attend un mieux-être partagé. Il se trouve quaujourdhui, les inégalités sont telles quune telle perspective apparaît irréaliste, voire dangereuse. Mais lidée, dès lors quon laccepte comme perspective, cest bien de sy préparer. Le renouvellement des Accords de Lomé, cest précisément dorganiser notre relation avec ces pays pour leur permettre dy accéder, au terme dun développement qui intègre à la fois le politique et léconomique. Ce matin on a même évoqué le culturel. Je crois quon a eu raison dy insister, les Camerounais ont insisté sur cet élément comme composante aussi du développement. Je crois que lidentité culturelle est importante à cet égard. Cest tout cela que les futurs accords devraient permettre de dynamiser pour atteindre lobjectif que nous rappelions.
Je ne crois pas quil faille être pessimistes à lavance comme vous semblez lêtre ; si vous avez raison, nous navons rien à faire ici, ni vous ni moi. Je crois quil y a là - je le répète - une relation extraordinaire entre lEurope et les pays ACP qui fait la preuve aussi que lEurope est capable dexprimer sa vérité un peu particulière. La France a été pour beaucoup dans la naissance de cette relation-là. Elle est heureuse de voir que, non seulement elle perdure mais quelle va se renouveler et, je lespère, senrichir sur une base plus partenariale. Cela me paraît aussi être le signe de la modernité de ces accords, sur des projets de développement, définis par les pays ACP, eux-mêmes, que la solidarité se mobilise.
Q - Dans quelle mesure pensez-vous que les déclarations du président Diouf aient changé le cours des négociations ?
R - En prononçant son discours, on attendait quil change le cours des négociations. Je vois que ce nétait pas le propos quil poursuivait ; il voulait, en qualité de pays hôte dire limportance quil attachait à cette événement, la conférence ministérielle qui permette à Dakar daccueillir un nombre important de pays européens et du monde africain mais aussi Caraïbe. Il a dit lespoir que ce nouvel accord lui paraissait devoir représenter dans notre relation.
Q - Pensez-vous que les Européens, voulant sauvegarder leurs intérêts lâchent les pays africains producteurs de la banane au Cameroun et en Côte-dIvoire ?
R - Ce sont, pour une part importante, les pays des départements européens dAmérique mais les pays africains sont également concernés. Mais je ne pense pas que ce soit le cas.
La France, mais aussi les pays européens, ont fait la preuve quils étaient très attentifs à préserver ce qui est, pour une certain nombre de pays, un produit de base. Il y a actuellement un débat devant lOMC, nous avons réagi avec vivacité à la menace exprimée par les Etats-Unis de mettre en oeuvre de manière unilatérale les sanctions, avant même que lOMC ne se soit prononcée - lOMC étant là pour arbitrer les conflits. Attendons les résultats des discussions qui sont en cours mais je crois que nous avons déjà, sans trahir les intérêts des pays producteurs qui nous sont attachés, fait un effort pour nous rapprocher de la position déchange à laquelle nous étions appelés. Je suis assez optimiste quant à lissue du contentieux en cours.
(Source http://www.diplomatie.gouv.fr/cooperation/index.html, le 12 février 1999)