Tribune de M. Jean-Marc Ayrault, président du groupe PS à l'Assemblée nationale, dans "Tribunes socialistes" le 14 mars 2006, sur le gouvernement face à la crise du CPE (contrat première embauche) et intitulée : "La mèche lente".

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Média : Tribunes socialistes

Texte intégral

Comment ne pas voir dans la nouvelle crise étudiante la trame quasi permanente des vingt ans de pouvoir chiraquien. Comment ne pas être saisi par la constance qu'il a mise à dresser les Français contre l'Etat et ses décisions. Pas une année ne s'est passée depuis quatre ans sans un bras de fer majeur entre le gouvernement et le corps social.
Inacceptable est d'entendre ces apprentis sorciers imputer leurs errements à " la peur des Français ", à leur ignorance du monde qui les entoure, à leur incapacité de se réformer. Venant d'un pouvoir sclérosé et incompétent, cette complainte de la malédiction française resservie à chaque échec n'aura fait qu'enfoncer notre Nation dans le déni de soi, de ses représentants et de son propre avenir.
Nos compatriotes n'avaient pas d'idée préconçue sur le CPE. Ils ont cherché patiemment à en comprendre les desseins. N'était-ce pas mieux que rien, mieux que la galère pour entrer sur le marché du travail ? Leur refus n'est pas venu d'un coup de tête, d'une foucade. Il a été le fruit d'une longue maturation, d'une " mèche lente " pour reprendre l'expression que j'ai utilisée durant le débat parlementaire.
J'ignore à quel fracas elle va nous mener. En s'arc-boutant à son projet comme il l'a fait sur TF1, le Premier ministre prend le risque d'une épreuve de force avec la jeunesse et le monde du travail qui peut très mal tourner. " Les garanties " qu'il propose de négocier arrivent trop tard et ne changent rien au fond du problème qu'est l'institutionnalisation de la précarité du travail.
Comme J. Chirac en 1986 avec les émeutes étudiantes, M. de Villepin est désormais le dos au mur. Tout ce qu'il croyait sa force - l'exercice solitaire de la décision, le piétinement des corps intermédiaires, la charge sabre au clair, l'indifférence de la conscience populaire- tout ce bonapartisme de pacotille s'est désagrégé en quelques jours. Les Français se tournent, les médias se retournent, les amis se détournent. Le vol de l'aigle tombe en vrille.
La raison en est simple. Ce régime du mensonge finit comme il a vécu. Dans le chaos et l'incohérence. Il n'a plus d'assise populaire, plus de capacité réformatrice. Tout ce qu'il touche, tout ce qu'il décide tourne au capharnaüm et à la confusion. On le voit pour le droit d'auteur sur internet, pour le chikunguya, pour la fusion Suez-GDF, pour le Clémenceau, autant de dossiers où l'amateurisme le dispute au ridicule. Ce pouvoir est nu. Lui seul ne le sait pas.
Source http://www.deputessocialistes.fr, le 23 mars 2006