Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur l'avenir des relations entre l'Europe et le monde arabe et l'enjeu du dialogue euro-arabe, Paris le 26 avril 2006.

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Circonstance : Premier forum du dialogue euro-arabe à Paris le 26 avril 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général de la Ligue arabe,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs,
Chers Amis,

Permettez-moi, pour commencer, de remercier chaleureusement tous ceux qui ont organisé cette rencontre, en particulier la Chambre de Commerce franco-arabe, la Ligue arabe - dont je salue ici le Secrétaire général - ainsi que l'Institut du Monde arabe, dont la vocation est de favoriser la connaissance mutuelle entre les deux rives de la Méditerranée.
Je suis très heureux de participer ici, à vos côtés, à cette grande rencontre, et je me félicite de la présence de personnalités de très grande qualité : elles sauront, j'en suis convaincu, par leur expérience et leur sagesse, offrir à vos travaux un éclairage efficace et plein d'enseignements.
Nous attendons beaucoup, les uns et les autres, de ce Premier Forum euro-arabe, et nos attentes sont à la hauteur des défis qu'il nous appartient de relever.
Je voudrais aborder en premier lieu la question de l'avenir des relations entre l'Europe et le monde arabe.
La politique européenne vis-à-vis de cette région constitue, de longue date, l'une des priorités stratégiques de notre politique étrangère.
Cet impératif nous oblige pour l'avenir, dans de très nombreux domaines : le développement économique et financier, avec la poursuite du projet euro-méditerranéen de création d'une zone de libre-échange ; la réduction de la pauvreté, le renforcement de l'Etat de droit, l'amélioration des systèmes éducatif et de santé publique, mais aussi la préservation de l'environnement, la maîtrise des flux migratoires, la gestion du risque sécuritaire...
Ces défis sont multiples, et tous appellent des avancées concrètes en termes de coopération, d'entraide et de solidarité. C'est pourquoi nous devons, aujourd'hui plus que jamais, approfondir ce dialogue qui est le nôtre depuis longtemps.
Pour le monde arabe, l'enjeu n'est pas en réalité de sortir de l'immobilisme, mais bien de maîtriser le changement. Cette maîtrise permettra, en s'appuyant sur des réformes équilibrées, d'impulser une dynamique progressive d'ouverture politique, de croissance économique et d'intégration régionale. La France soutient le principe des réformes dans le monde arabe. Mais comme l'a rappelé le président de la République, elles "doivent être conduites par chacun à son rythme, souverainement et dans le respect de son identité".
Au Maghreb comme au Machrek, des réformes essentielles ont été engagées. La France et l'Europe ont intérêt à les voir se poursuivre. Sachez que notre pays joue un rôle non négligeable à cet égard : qu'il s'agisse de réforme du système éducatif afin de l'adapter au marché, avec des expériences pilotes, comme l'Ecole supérieure des Affaires en Algérie et au Liban, de réforme du secteur bancaire, d'ores et déjà entamée dans plusieurs pays, de privatisations diverses ou encore de modernisation de l'économie et des législations ou de gouvernance. Ces diverses réformes donnent tout leur sens aux évolutions sociales en cours et dont certaines parmi les plus importantes sont déjà intervenues, je pense par exemple au Maghreb avec les réformes du code de la famille.
Ce Premier forum euro-arabe est aussi l'occasion de revenir sur la crise suscitée par les "caricatures de Mahomet".
La France s'est très clairement exprimée sur ce sujet : dès le 8 février, le président de la République a condamné fermement "toutes les provocations manifestes, susceptibles d'attiser dangereusement les passions". Notre pays est pleinement conscient du risque d'un "choc des ignorances". Face à ce danger, il revient aux pays européens comme aux pays arabes de rester plus que jamais mobilisés.
La Méditerranée, cette "mer commune", ne doit pas devenir une ligne de fracture. Face aux peurs qui s'expriment ici ou là, nous avons un devoir : celui de renouveler notre dialogue, de l'approfondir, en nous interrogeant aussi, chacun de notre côté, sur nous-mêmes, sur notre identité, sur notre responsabilité. Ce n'est qu'à ce prix, en prônant inlassablement le respect mutuel et la connaissance de l'Autre, que nous pourrons oeuvrer au rapprochement de nos peuples, de nos cultures, de nos sociétés.
Naturellement, ce dialogue ne doit pas se limiter aux Etats et à leurs représentants. Son succès se mesurera à l'aune de l'engagement de tous ceux qui animent la société civile : les collectivités locales, le secteur privé, les organisations professionnelles, les membres des milieux associatif, éducatif et universitaire. Autant de représentants des forces vives de nos sociétés, qui peuvent sur ce terreau fertile de l'échange d'expériences, continuer à bâtir, ensemble, des fondations communes.

Mesdames et Messieurs les Ministres,
Monsieur le Secrétaire général,
L'Europe s'est engagée très concrètement à relever ce défi, dans le cadre du Processus de Barcelone ce partenariat euro-méditerranéen, qui représente un cadre inégalé et dont les différentes enceintes doivent être valorisées par l'ensemble des partenaires, sur les deux rives de la Méditerranée.
Je pense notamment à la Fondation "Anna Lindh", en Egypte. Je pense aussi, pour la France, au programme d'Etudes "Eurogolfe", à l'installation de la Sorbonne-Paris IV à Abou Dabi, ou encore à l'Université Francophone d'Egypte au Caire
Mieux se connaître, mieux se comprendre, c'est aussi, bien sûr, mieux se respecter. Permettez-moi, à cet égard, de vous dire quelques mots de l'Atelier culturel méditerranéen, qui a été annoncé par le président de la République, lors du Sommet de Barcelone.
Nous attendons beaucoup de cet Atelier, qui réunira à Paris, au mois de septembre prochain, 35 pays d'Europe du Sud, du Maghreb, du Machrek et du Golfe. Les thèmes de la mémoire, de l'éducation, de la modernisation sociale, du fait religieux, seront abordés. Tout cela va dans le sens du dialogue franc et ouvert que nous voulons construire.
Enfin, pour conclure mon intervention, je voudrais évoquer un point majeur, qui me paraît aussi justifier pleinement l'organisation de ce Forum : c'est l'engagement de la communauté internationale à l'égard des situations de crise dans le monde arabo-musulman.
En effet, quelque soit la qualité de notre dialogue aucun progrès ne sera durable si la communauté internationale ne s'engage pas de manière déterminée dans la résolution des crises et des tensions qui affectent le monde arabo-musulman.
Nous le constatons tous les jours : le conflit israélo-palestinien, la situation en Iraq, les attentats terroristes, ne cessent d'alimenter frustrations et ressentiment au sein des populations. L'impuissance de la communauté internationale à trouver des solutions durables à ces situations d'instabilité sème la colère, la révolte, le désespoir ou pire encore. A tort ou à raison, c'est ainsi que se forge la perception périlleuse pour tous d'une politique occidentale du "deux poids deux mesures" à l'égard du monde arabo-musulman.
Face à ces menaces, la France entend se mobiliser. Elle est consciente en effet que ces défis doivent être affrontés avec sérieux et détermination. S'agissant plus particulièrement de la question palestinienne, la France reste convaincue que l'assistance aux Palestiniens doit être maintenue afin de ne pas sanctionner la population qui s'est exprimée démocratiquement. Il s'agit pour nous d'une question de justice et de paix. A cet égard, le rôle du président démocratiquement élu de l'Autorité palestinienne doit être préservé, comme l'a récemment rappelé le président de la République. Pour autant, le fait que le gouvernement dirigé par le Hamas, n'ait pas encore, et nous le regrettons, adhéré aux principes définis par le Quartet, nous conduit, pour le moment, à nous abstenir de tout contact de niveau politique avec les membres de gouvernement et les personnalités membres du Hamas.

Mesdames, Messieurs,
Je souhaite à chacun de vous de fructueux travaux : je ne doute pas que vos réflexions contribueront à apporter des réponses utiles et concrètes, au service de ce dialogue euro-arabe que nous souhaitons tous approfondir et renouveler.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 28 avril 2006