Conférence de presse de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le projet de réforme de l'OTAN, concernant la modernisation de ses capacités militaires, son élargissement et sa relation avec les pays partenaires, sur les relations franco-bulgares et la crise nucléaire iranienne, Sofia le 27 avril 2006.

Prononcé le

Circonstance : Réunion ministérielle informelle de l'OTAN à Sofia les 27 et 28 avril 2006

Texte intégral

Je voudrais dire que je suis très heureux d'être ici à Sofia. Je remercie chaleureusement nos amis bulgares pour leur accueil et je voudrais aussi dire ma solidarité, ma sympathie vis-à-vis du peuple bulgare, du gouvernement bulgare, ainsi que des victimes des inondations et des catastrophes naturelles. Notre réunion d'aujourd'hui est une étape importante dans la préparation du Sommet de l'OTAN de Riga. Nous avons évoqué cet après-midi trois grands sujets qui seront abordés à Riga : la modernisation militaire de l'Alliance, l'élargissement et les partenariats.
Concernant le premier grand sujet, la modernisation militaire, c'est dans les opérations militaires que se joue la crédibilité de l'Alliance. C'est pourquoi je crois que notre priorité doit être de continuer à renforcer nos capacités militaires. Beaucoup a été fait depuis Prague. Le principal acquis est la mise en place de la Force de réaction rapide de l'OTAN, la NRF, mais il faut bien sûr poursuivre les efforts engagés. La France prend toute sa part dans cet effort. Elle est l'un des tout premiers contributeurs dans les opérations de l'OTAN, en particulier au Kosovo et en Afghanistan, et, bien sûr, à travers sa participation à la NRF.
Le deuxième grand message qui sera abordé à Riga concerne l'élargissement. L'Alliance demeure collectivement engagée par la promesse d'accueillir tous les Etats démocratiques européens qui le souhaitent dès lors qu'ils en remplissent les conditions. C'est le principe de la porte ouverte. Les alliés ont salué les progrès accomplis par les pays qui aspirent à rejoindre l'Alliance, mais aucune date n'a été avancée pour le lancement d'invitations formelles. La discussion se poursuivra donc à Riga.
Troisième sujet qui sera discuté à Riga, les partenariats. La relation de l'OTAN avec les partenaires est un des éléments de l'effort d'adaptation de l'Alliance. Je pense que notre objectif ne doit pas être de créer de nouvelles catégories de pays partenaires ou de chercher, par principe, à en étendre le réseau. Notre objectif est d'améliorer concrètement notre capacité à agir avec des pays quand ceux-ci participent aux opérations de l'OTAN. Nous devrons également dans cette relation veiller à préserver la spécificité de la relation établie entre l'OTAN et l'Union européenne.
Je souhaiterais également vous dire que j'ai eu l'occasion de m'entretenir cet après-midi avec le Premier ministre bulgare, M. Stanichev. Cet entretien a confirmé la grande qualité de nos relations. Je tiens également à souligner mes très bonnes relations avec le ministre des Affaires étrangères, mon ami M. Kalfin, que j'ai vu il y a un mois à Paris. Cet entretien nous a permis de faire le point sur notre coopération tant sur le plan bilatéral que dans la perspective de l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. J'ai pu rappeler ainsi notre plein soutien à la Bulgarie dans cette démarche. Nous avons sur ce plan une très bonne coopération bilatérale, en particulier dans les domaines de la justice et des affaires intérieures qui constituent comme vous le savez les points critiques identifiés par la Commission européenne qui va remettre son rapport le 16 mai. A un peu moins de trois semaines de la publication de ce rapport sur l'état de préparation de la Bulgarie, nous souhaitons que les efforts, qui doivent être poursuivis, permettent de conclure une adhésion effective en janvier 2007. Mais en terminant cette introduction, je voudrais vous dire combien je condamne l'arrestation de M. Milinkevitch au Belarus. Cette arrestation est une nouvelle atteinte aux libertés au Belarus. Je demande sa libération immédiate.
Q - La France est très engagée sur l'affaire des infirmières bulgares en Libye. Que s'est-il passé dernièrement et quelles sont vos attentes ?
R - La France partage les préoccupations des Bulgares pour le sort des infirmières emprisonnées. Lors de mon déplacement du 5 janvier en Libye, j'ai pu leur rendre visite ; j'ai pu leur apporter réconfort et espoir. Je suis médecin moi-même et elles font partie de cette famille des soignants. J'ai été heureux de les voir ainsi que le médecin palestinien qui est aussi emprisonné là-bas et qu'il ne faut pas oublier. Cette visite était destinée à attirer une fois de plus l'attention de la communauté internationale sur leur sort. Mais aussi, vis-à-vis des autorités libyennes à marquer notre attachement à leur prompte libération. Parallèlement, je me suis rendu à l'hôpital de Benghazi pour visiter les enfants contaminés qui y sont soignés et rendre public le plan français de lutte contre le sida dont je m'étais auparavant entretenu avec mon homologue libyen, plan qui est en cours d'exécution. Quelques-uns des enfants sont arrivés à Paris et nous avons pour ceux qui sont restés à Benghazi un plan de formation des médecins, des infirmières, des techniciens de laboratoire, que nous réalisons là-bas. La France a donc déjà accueilli une trentaine d'enfants qui ont été traités dans des hôpitaux parisiens. Ce dispositif français doit dans notre esprit contribuer à créer un climat de confiance favorable à la libération des infirmières. Je voudrais ici profiter de ma visite à Sofia pour vous dire combien j'espère que dans les prochaines semaines les infirmières, vos infirmières, nos infirmières puissent être libérées ainsi que le médecin palestinien. Je l'espère, mais je n'ai absolument aucune indication.
Q - J'ai deux questions, la première concernant les partenariats. Quand vous dites qu'il faut privilégier les contacts avec des pays qui participent à des missions, voulez-vous dire par là que vous êtes opposé à la mise en place de structures plus formelles avec des pays comme l'Australie ou la Nouvelle-Zélande ? La seconde concerne le Darfour, je voudrais savoir, quel rôle vous envisagez pour l'OTAN au Darfour. Voulez-vous qu'il reste ce qu'il est actuellement ou qu'il soit plus important comme le souhaite les Etats-Unis ?
R - Concernant les partenariats, il est très important de bien comprendre ce que souhaite la France. Elle souhaite d'abord que l'OTAN reste fidèle à son esprit. Nous pouvons parler de tout ce qui touche à autre chose que le coeur même de l'OTAN au niveau des chefs d'Etats et de gouvernement à Riga. Nous avons une discussion informelle ici. Il me paraît important aussi - je l'ai dit tout à l'heure lors de la réunion des ministres des Affaires étrangères - de bien garder cet esprit, de ne pas élargir trop. L'OTAN doit rester une alliance militaire. Elle doit être aujourd'hui tout à fait ciblée sur les sujets militaires.
Sur le Darfour, compte tenu de la situation humanitaire et du risque de déstabilisation régionale, je suis inquiet, comme l'ensemble de la communauté internationale. La reprise par les Nations unies de l'opération de l'Union africaine au Darfour doit être bien préparée et est essentielle pour la stabilité de la région. L'OTAN doit contribuer à cela en soutien des Africains et - je tiens bien à le souligner - si ces derniers le souhaitent. Nous devrons cependant bien vérifier que nous disposons des moyens requis si des actions nouvelles sont envisagées. L'Union européenne continuera d'apporter elle aussi sa contribution.
Q - Vous avez mentionné l'aide de la France pour l'adhésion de la Bulgarie à l'Union européenne. On attend aussi la ratification par la France du traité d'adhésion. Pouvez-vous préciser les délais de cette ratification par l'Assemblée nationale et le Sénat ?
R - Sur le sujet majeur de nos relations bilatérales avec la Bulgarie, nous avons la question de cette ratification. Les procédures administratives concernant la ratification du traité d'adhésion par la France sont en bonne voie. Le Conseil d'Etat devrait être saisi du projet de loi à la fin du mois avant de le transmettre au Conseil des ministres. Or, comme vous le savez, à partir du moment où il est admis au Conseil des ministres, il est transmis au Parlement, donc je pense dans le courant du mois de mai. Nous soutenons toujours la Bulgarie pour une adhésion en janvier 2007 mais vous comprendrez que nous suivrons la recommandation de la Commission dont le rapport, comme je l'ai dit, sera publié le 16 ou le 17 mai. Il sera évidemment déterminant. Je voudrais ici saluer l'effort de réforme fait en Bulgarie et encourager les Bulgares à poursuivre leur activité de réforme en particulier dans le domaine de la lutte contre le crime organisé et contre la corruption et dans le domaine du contrôle aux frontières. Il est très important de suivre ce que la Commission dira mais je suis très confiant. Sachez que la France, à la fois au niveau de ses dirigeants et de son opinion publique, se réjouit de l'entrée de la Bulgarie dans l'Union européenne.
Q - Nous sommes ici dans un pays ancien membre du pacte de Varsovie et l'OTAN déclare maintenant qu'elle maintient ses portes ouvertes à d'autres pays, notamment l'Ukraine, la Géorgie et, d'autre part, qu'elle ambitionne d'avoir des relations plus étroites avec d'autres pays, le Japon, la Corée, l'Australie. N'est-ce pas un scénario un peu menaçant pour la Russie ?
R - Concernant l'Ukraine, c'est un partenaire stratégique essentiel pour l'OTAN. Nous apportons notre soutien à la poursuite du dialogue intensifié avec ce pays, conclu il y a tout juste un an. Toutes les potentialités de dialogue intensifié sont très loin d'être épuisées. Une décision d'élargissement est cependant une décision lourde, importante pour la sécurité de tout le continent européen. Il appartient au pays candidat de faire la preuve de sa capacité à rejoindre l'OTAN. Nous ne fermons aucune perspective et nos décisions devront être le moment venu soigneusement pesées. Nous ne connaissons pas les choix du futur gouvernement ukrainien. Les élections de mars dernier constituent une étape importante. Nous encourageons le prochain gouvernement à poursuivre la réforme de sa défense, à consolider l'Etat de droit dans la démocratie et à contribuer à la stabilité régionale.
Concernant la Géorgie, nous connaissons les aspirations euro-atlantiques de ce pays et nous sommes bien conscients des efforts que la Géorgie accomplit à cette fin. La réunion informelle que nous avons ici à Sofia nous a donné l'occasion d'un premier échange sur la possibilité d'ouvrir un dialogue intensifié avec la Géorgie. Je ne crois pas qu'il faille anticiper les décisions qui seront prises lors du Sommet de Riga. Encore une fois, nous reviendrons dans quelques mois sur ce sujet. Je saisis cette occasion, en revenant sur une précédente question concernant les partenariats, pour redire que notre objectif n'est pas de créer de manière abstraite de nouvelles catégories de pays partenaires ou de chercher par principe à en étendre le réseau. Notre objectif est d'améliorer concrètement notre capacité à agir avec les pays qui participent aux opérations de l'OTAN. Pour les pays qui contribuent avec des troupes à nos opérations, il serait utile d'améliorer nos procédures de consultation avec eux.
Q - Mme Rice disait tout à l'heure que l'Iran n'allait pas remplir les conditions fixées et qu'il était nécessaire que le Conseil de sécurité des Nations Unies, pour être crédible, prenne des décisions. Quelle est votre position sur le sujet ?
R - Concernant l'Iran, la situation actuelle est grave et préoccupante. Le rapport que M. El Baradei rendra demain sera déterminant. Malheureusement, aucun élément dont nous disposons à ce jour ne laisse penser que l'Iran s'est conformé aux demandes de la communauté internationale qui, comme vous le savez, demande à l'Iran de suspendre toute activité nucléaire sensible, notamment toute activité d'enrichissement, y compris à des fins de recherche. Face à l'attitude de Téhéran et à l'accélération de ses programmes, nous devons envoyer un signal rapide et ferme du Conseil de sécurité. Nous entendons maintenir trois principes. D'abord la fermeté dans l'action : l'Iran doit suspendre toute activité nucléaire sensible. Ces activités ne répondent aujourd'hui à aucun besoin civil comme le souligne M. El Baradei. Le deuxième principe est que la porte doit rester ouverte à la possibilité de relations de coopération dès lors que l'Iran aura répondu aux demandes de l'AIEA. Troisième principe : la détermination à agir de manière responsable dans le cadre de notre système multilatéral de sécurité collective. C'est dans cet esprit de fermeté et d'unité que les Européens abordent les prochaines étapes au Conseil de Sécurité.
Q - Quand vous dites que l'on doit maintenir la porte ouverte à la négociation, doit-on évoquer la possibilité d'un dialogue direct entre les Etats-Unis et l'Iran, dans le contexte des garanties de sécurité pour l'Iran ?
R - Il s'agit pour nous de donner toute l'autorité politique à l'AIEA. L'esprit européen a été suivi par la communauté internationale pratiquement à l'unanimité, en particulier au mois de septembre, puis au mois de mars. Il y a dons bien cette envie, cette nécessité de donner, via le Conseil de sécurité de l'ONU, toute l'autorité politique à l'AIEA. A partir de là, il y a deux éléments majeurs. D'un côté, maintenir l'unité et la fermeté de la communauté internationale qui doit demander à l'Iran d'arrêter toute activité nucléaire sensible ; et en même temps, faire ce que les Européens ont fait depuis plusieurs mois, voire depuis trois ans, à savoir dire à l'Iran : vous avez le droit d'avoir des activités nucléaires civiles, à des fins pacifiques - vous avez signé le traité - et il est très important que dans ce cadre nous puissions aborder de manière diplomatique des accords, à condition d'arrêter toute activité nucléaire sensible.
Ensuite, vous me demandez si les rapports diplomatiques sont par définition des rapports bilatéraux. C'est le sens de votre question. Nous, dans la diplomatie, nous pensons avant tout au multilatéral. Nous y croyons. Nous croyons à la Charte des Nations unies, au Conseil de sécurité et à l'AIEA. C'est dans ce cadre qu'il faut régler le problème de l'Iran et de la crise nucléaire iranienne. Il est évident que tous les contacts sont par définition les bienvenus s'ils permettent d'éviter les crises. Evidemment, je ne vois que des avantages à ce que les uns et les autres puissent se parler surtout dans les périodes de crise. Ce n'est que par le dialogue que l'on sortira de cette crise.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 3 mai 2006