Déclaration de Mme Arlette Laguiller, porte-parole de Lutte ouvrière, sur le remplacement du CPE par des contrats déjà existants, sur la précarité de l'emploi, sur le projet de loi sur l'immigration, sur les motifs de sa candidature à l'élection présidentielle de 2007, Rennes le 12 avril 2006.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Meeting à Rennes le 12 avril 2006

Texte intégral


Travailleuses, travailleurs, camarades et amis,
Malgré sa ridicule gymnastique verbale, Villepin, qui n'a pas voulu prononcer les mots « retrait » ou « abrogation » du CPE et qui n'a concédé que le mot « remplacement », a bel et bien été obligé de reculer. L'article 8 de la loi sur l'égalité des chances, qui instaurait le CPE, est remplacé par un autre contenant « des mesures en faveur de l'insertion professionnelle des jeunes en difficulté ». Avec le vote de la nouvelle version cet après-midi à l'Assemblée, le CPE est enterré.
Pour justifier son recul, Villepin s'est lancé dans une explication emberlificotée en insistant encore et toujours sur le fait qu'il a voulu « une proposition forte », « plus de souplesse pour l'employeur, plus de sécurité pour le salarié », pour conclure -et je le cite- par « Je n'ai pas été compris, je regrette ». En somme, ce qu'il regrette, ce n'est pas d'avoir voulu imposer de force le CPE, c'est que les victimes ciblées de sa mesure ne se soient pas laissées faire !
Eh bien, au contraire, les étudiants et les lycéens à l'origine du mouvement aussi bien que les salariés qui ont participé aux manifestations ont très bien compris que le CPE était un pas de plus dans la légalisation de la précarité sans créer un seul emploi de plus. Ils l'ont très bien compris, ils ont réagi, ils ont lutté, et c'est cela qui a obligé Villepin et Chirac à reculer et la majorité parlementaire, avec Sarkozy à sa tête, a manger leur chapeau !
Eh bien oui, il y a de quoi se réjouir ! Il y a de quoi se réjouir que, pour une fois, cette poignée d'individus qui prétendent représenter la majorité de la population mais qui mènent une politique au service des intérêts de la seule minorité de possédants soient obligés de revenir au moins sur une des nombreuses attaques perpétrées contre le monde du travail.
Mais, s'il y a lieu de se réjouir de la disparition du CPE, il n'y a certes pas de quoi pavoiser devant ce qu'ils mettent à la place. Oh, ils ont pris grand soin de choisir parmi les contrats déjà existants, les plus incolores et inodores, pour éviter que leur nouvelle proposition puisse être prise pour une provocation !
Je ne commenterai pas les conditions pour obtenir l'un ou l'autre des quatre contrats proposés pour remplacer le CPE. Dans leur version déjà existante, ils ne concernent que quelques dizaines de milliers de jeunes. Autant dire qu'ils ne régleront pas le problème de ces centaines de milliers de jeunes qui galèrent entre chômage et petits boulots et contrats précaires.
En revanche, tous ces contrats rapportent déjà aux patrons ou de l'argent frais ou des exonérations. Et lorsque la nouvelle loi sera votée, ils rapporteront encore plus.
Le « contrat jeune en entreprise », par exemple, rapporte au patron qui embauche à ce titre une prime de 300 euros par mois pendant deux ans, payée par l'Etat. Eh bien, grâce à la nouvelle loi, cette prime s'élèvera à 400 euros par mois.
Le deuxième contrat dit « contrat de professionnalisation » permettait déjà aux patrons de bénéficier d'une exonération de charges sociales. Désormais, l'Etat leur versera en plus un soutien de 200 euros par mois la première année et de 100 euros par mois la deuxième année.
Le « contrat d'insertion dans la vie sociale » qui s'adresse aux jeunes « qui rencontrent des difficultés particulières d'insertion sociale et professionnelle » prévoit une certaine somme, cette fois-ci pour le jeune lui-même au cas où il ne trouverait qu'un stage ou un emploi sans aucune rémunération. Mais il n'y a évidemment aucune raison que l'Etat soit aussi généreux avec un jeune dans la difficulté qu'avec un patron. En conséquence, la somme allouée au jeune peut atteindre un maximum de 900 euros? par an ! A lui de se débrouiller donc avec moins de 80 euros par mois !
Enfin, le quatrième contrat est tout simplement un « stage de qualification » de trois à six mois sur des métiers en manque de main-d'oeuvre. Les patrons du bâtiment, de l'hôtellerie ou de la restauration pourront être contents. Mais les stages mal payés ou non payés, les jeunes les connaissent déjà.
Le financement de tous ces contrats, c'est-à-dire les cadeaux supplémentaires consentis par ce biais aux patrons, coûteront à l'Etat 150 millions d'euros pour 2006 et 300 millions d'euros pour 2007. Autant d'argent en moins pour l'Education nationale, pour les hôpitaux, ou plus généralement pour les services publics !
Et tout cela ne fait qu'allonger la longue liste de ces emplois aidés qui n'aident que les patrons, dont le coût total pour le budget de l'Etat ou de la Sécurité sociale est estimé aujourd'hui entre 30 et 60 milliards d'euros ! Personne ne sait au juste combien. Une somme qui représente en tout cas entre deux et quatre fois le prétendu déficit de la Sécurité sociale. Tous ces emplois aidés n'ont absolument pas mis fin au chômage des jeunes, mais en revanche les subventions ont bel et bien été empochées par les patrons ainsi aidés.
Le CPE disparaît donc, mais pas le CNE qui légalise tout autant la précarité, du moins dans les entreprises de moins de 20 salariés où il est appliqué. Par ailleurs, le CPE n'était qu'un des articles de la loi sur l'égalité des chances. Maintenant qu'il est retiré, il reste les autres articles, en particulier deux qui légalisent des mesures clairement contre les intérêts du monde du travail, et plus particulièrement de sa jeunesse. Il y a l'article qui instaure l'apprentissage dès 14 ans et qui livre aux patrons une main-d'oeuvre à peine sortie de l'adolescence, corvéable à merci pour balayer l'atelier, pour nettoyer les couteaux du charcutier, pour ranger les étals du fleuriste, c'est-à-dire pour exécuter, sur leur temps de formation, les tâches les moins qualifiées et les moins qualifiantes. Et puis, il y a aussi l'article qui instaure le travail de nuit dès 15 ans, ce qui constitue une régression sociale qui nous ramène plusieurs décennies en arrière.
Les jeunes qui continuent à réclamer le retrait du CNE et de la loi sur l'égalité des chances ont raison, même s'ils ne sont pas certains d'avoir la force de l'imposer. Ils méritent le soutien des travailleurs.
Les confédérations syndicales sont contentes de s'engouffrer dans la proposition d'un "dialogue" avec le gouvernement, prétendument pour trouver des remèdes au chômage des jeunes. Mais c'est un faux dialogue qui ne pourra déboucher sur rien.
Il y a chômage des jeunes parce qu'il y a chômage. Et il y a chômage parce que les patrons sont libres de licencier, et pas seulement ceux qui sont en intérim, en stage ou sous un contrat précaire. Ils sont libres de procéder à des licenciements collectifs, même des CDI, pour "restructurer", délocaliser ou simplement augmenter la valeur de leurs actions en Bourse.
La seule façon de diminuer le chômage des jeunes, comme des moins jeunes, serait d'imposer aux patrons l'interdiction des licenciements collectifs, l'obligation de consacrer une partie de leurs profits exceptionnels à maintenir et à créer des emplois, quitte à répartir le travail entre tous.
Mais de tout cela, personne n'en parle, pas plus l'opposition de gauche que la majorité de droite. Parce que ni l'une ni l'autre ne veut toucher aux profits patronaux. L'une comme l'autre font au contraire marcher leur imagination pour trouver la meilleure mesure qui pourrait « inciter » les patrons à créer des emplois, en réduisant tout ou partie des charges sociales, en diminuant la fiscalité, en prenant en charge une partie du salaire. Mais, comme les patrons n'embauchent que le nombre qu'ils estiment nécessaire pour leur production, c'est-à-dire pour leurs profits, tous ces emplois aidés ne font que se substituer aux emplois normaux. Et les patrons empochent les sommes destinées à les « inciter » à créer des emplois, en les ajoutant simplement à leurs recettes. Résultat : ce sont les profits patronaux qui augmentent, pas le nombre d'emplois pour les travailleurs.
Plus les gouvernements multiplient les mesures dont ils assurent qu'elles sont faites pour combattre le chômage, plus augmente la précarité.
Les travailleurs sont de plus en plus nombreux à vivre en situation de précarité ! Il y a la précarité pour tous ceux qui sont embauchés sous l'une ou l'autre forme de contrats précaires que tous les gouvernements successifs se sont évertués à inventer, depuis trente ans, avec à la clé, à chaque fois, des baisses de charges sociales ou des dégrèvements d'impôts pour les patrons. Les étiquettes se suivent, TUC, CES, Emplois Jeunes, et bien d'autres. Les marchandises qu'elles recouvrent ont toutes en commun de priver une partie croissante du monde du travail même du peu de protection qu'offre le CDI.
La précarité se généralise également dans le secteur public dépendant directement de l'Etat. Les petits bourgeois réactionnaires se gaussent volontiers des prétendus privilèges de ceux qui ont la sécurité de l'emploi. Mais plus de 800.000 travailleurs du public, un sur cinq ! , dans les transports, dans les hôpitaux, dans l'enseignement, sont des auxiliaires, des contractuels, des vacataires mal payés et sans la moindre sécurité de l'emploi !
Et puis, il y a les intérims et les CDD. Dans toutes les grandes entreprises, sur les chaînes de production certes mais pas seulement, dans la grande distribution et même dans les services, les patrons contournent le peu qui, dans les lois, limite l'emploi des intérimaires et des CDD. Plutôt que d'embaucher en CDI, les patrons obligent à enchaîner mission d'intérim sur mission d'intérim.
Et combien sont-ils, ceux, et pas seulement des jeunes, qui doivent survivre avec des missions occasionnelles de quelques jours, voire de quelques heures ? Des super, des hypermarchés, des mammouths de la distribution qui convoquent un intérimaire pour une mission de trois ou quatre heures, le jour pour le lendemain, quand ce n'est pas le matin pour le soir !
Avec la précarité, se généralisent les salaires dérisoires qui permettent tout juste de survivre, mais pas de se loger, pas de s'assurer une existence digne du XXIème siècle.
C'est le monde du travail dans son ensemble qui est, en réalité, en voie de précarisation. Pratiquement personne ne peut être sûr de conserver son emploi.
Ce qui a révolté, à juste titre, dans le CPE et cela vaut tout autant pour le CNE, c'est que ces deux contrats légalisaient la précarité et donnaient une consécration juridique à une situation de fait. Les deux officialisaient le droit des patrons d'embaucher pour la période qu'ils veulent, de licencier comme ils veulent sans avoir à s'embarrasser d'aucun article de loi, d'aucun obstacle juridique si faible soit-il, d'aucune possibilité d'appel aux tribunaux. Le CPE n'est plus. Reste cependant le CNE.
L'aile marchante du mouvement anti-CPE a été les étudiants et les lycéens. Ce sont eux qui ont entraîné les confédérations syndicales dans l'action. Les appels syndicaux à des journées nationales puis, le 28 mars et le 4 avril, à des journées de grèves et de manifestations ont, à leur tour, renforcé le mouvement en le structurant par des moments forts, permettant aux salariés d'y participer.
Il faut constater qu'en proposant des journées d'action à dates rapprochées et annoncées à l'avance, les centrales syndicales ont contribué à l'amplification du mouvement. Une manifestation réussie préparait le succès plus grand de la suivante, en renforçant la détermination de ceux qui y avaient participé et en encourageant la participation des hésitants à l'action à venir.
Mais il faut constater aussi que, dès que Chirac, tout en promulguant la loi instaurant le CPE, a donné les premiers signes de recul en appelant à ne pas l'appliquer ; dès que les syndicats ont été contactés pour négocier avec les parlementaires de la majorité de droite, les confédérations ont cessé de proposer de nouvelles journées nationales d'action.
Oh, bien sûr, elles affirment toutes que la question du CNE reste à l'ordre du jour. Mais, à l'ordre du jour non plus des manifestations et des grèves mais des négociations futures !
Le mouvement a permis aux directions syndicales de montrer au gouvernement, si méprisant à leur égard, si imbu de lui-même, qu'il a besoin d'elles. C'est cette démonstration-là que les directions syndicales voulaient asséner au gouvernement. C'est cet objectif commun qui a été à la base de leur unité sans faille tout au long de la lutte contre le CPE. A entendre les responsables de la majorité répéter, depuis la capitulation de Villepin, qu'il faut « des discussions sans a priori avec les partenaires sociaux » sur le chômage des jeunes, la démonstration voulue par les directions syndicales a été réussie. Il y aura des discussions baptisées négociations. Ce ne sont cependant pas les discussions autour du tapis vert qui ont fait reculer le gouvernement, mais la rue, mais l'action !
Dans la lutte contre le CPE, seule une petite fraction du monde du travail s'est réellement engagée dans l'action, même si l'écrasante majorité des salariés a approuvé le mouvement.
Mais cette lutte montre la voie. L'offensive que mènent le patronat et le gouvernement contre le monde du travail ne pourra être arrêtée que par l'entrée massive des travailleurs dans la lutte, par des manifestations, par la grève, avec le poids social qui est celui de la classe ouvrière. Pas seulement par son nombre -bien que ce soit important-, mais aussi par son rôle irremplaçable dans la production. La classe ouvrière est la seule à pouvoir porter des coups décisifs au patronat là où il est vraiment sensible, dans ses profits.
Depuis bien des années, pour ainsi dire une génération, le patronat profite du poids du chômage pour mener une guerre sans pitié contre les conditions d'existence du monde du travail. Les conséquences de cette guerre, où le patronat a toujours pu compter sur le soutien indéfectible des gouvernements en place, qu'ils soient de droite ou de gauche, apparaissent dans tous les domaines de la vie sociale. Dans le niveau des salaires, dans l'incertitude d'en toucher un, dans la dégradation des services publics, dans l'aggravation du rythme de travail, dans l'allongement de la durée de travail, dans la détérioration des conditions de soins. Et, à l'autre bout de la hiérarchie sociale, les profits extravagants des entreprises, l'accroissement incessant de la fortune des détenteurs de capitaux.
Les chiffres d'augmentation des profits portant sur ce qu'ils appellent dans leur jargon le « CAC 40 », c'est-à-dire les 40 principales entreprises cotées en Bourse, sont proprement effarants. En 2004 déjà, les bénéfices avaient bondi de façon spectaculaire. Mais, en 2005, la progression est de 50 %, plus importante encore que l'année précédente ! Et les commentateurs de déclarer que ce serait une bonne nouvelle pour l'économie. Mais, en quoi ces profits colossaux, obtenus par la surexploitation des travailleurs, sont-ils utiles à la société ? En rien, absolument en rien ! Car ces bénéfices ne sont même pas investis dans la production, mais gaspillés par les grosses entreprises pour se racheter les unes les autres.
Ils sont surtout distribués aux gros actionnaires. Il y a quelque temps, a été rendu publique la liste des plus grandes fortunes du monde. Le nombre de milliardaires est passé de 691 à 793, 102 de plus. Si on additionne les montants des fortunes privées de ces 793 milliardaires, on aboutit au chiffre astronomique de 2.600 milliards de dollars, qui correspond au produit intérieur total d'un pays comme l'Inde avec son milliard cent millions d'habitants !
Des fortunes privées de ce montant, cela n'a même plus de sens. Même en accumulant jets privés, yachts, voitures et châteaux, leurs bénéficiaires ne peuvent plus dilapider ces sommes gigantesques. Et c'est pour aboutir à cela que l'on use à mort les travailleurs sur les chaînes de production, qu'on grappille des minutes de pause, qu'on chipote pour augmenter de 1 % même les salaires les plus bas ! C'est pour permettre à une centaine d'individus de plus de se hisser au rang des milliardaires par la spéculation boursière ou immobilière, qu'on procède à des licenciements collectifs dont la seule annonce fait grimper le prix des actions !
Et on ose nous présenter cette société, aussi injuste que folle, comme la meilleure possible !
Quant à l'Etat, il n'intervient pas pour atténuer un tant soit peu l'inégalité sans cesse plus profonde, creusée par un système aussi imbécile qu'inhumain. Non, l'Etat de son côté vient au secours des plus riches avec, comme argument, d'aider les entreprises.
Voilà de quelle façon on creuse le déficit de l'Etat ! Voilà pourquoi l'Etat n'a plus d'argent ensuite pour les services publics ! Voilà pourquoi il n'y a pas d'argent ni pour l'Education nationale où le nombre d'enseignants est insuffisant par rapport aux besoins, ni pour les hôpitaux où le manque de personnel est criant, ni pour les handicapés !
L'exploitation aggravée des travailleurs, que traduit la hausse spectaculaire des profits, arrose toute une classe de privilégiés qui vivent bien ! Ceux-là ont de solides raisons de considérer ce gouvernement comme le leur, à applaudir comme « courageuse » la politique qui diminue la part des travailleurs, car elle augment leur part, à eux.
C'est à cet électorat-là qu'est destiné à plaire la nouvelle loi de Sarkozy contre les travailleurs immigrés.
Ce projet de loi sur l'immigration vise à affaiblir un peu plus encore la situation des travailleurs immigrés.
Il aggrave les conditions d'obtention de la carte de séjour, rend quasiment impossible pour un sans-papiers la régularisation de sa situation, interdit pratiquement le regroupement familial, fragilise la situation de tous les travailleurs immigrés.
Sarkozy et ses semblables savent que les chaînes de production des grandes entreprises ne peuvent pas se passer des travailleurs immigrés. Alors, ils parlent « d'immigration choisie » et de « sélectionner des immigrés en fonction des besoins de l'économie », c'est-à-dire en fonction des demandes du patronat. Les immigrés doivent être célibataires, en bonne santé, en bonne condition physique, exploitables à merci, sans les frais d'une famille ou de la maladie. Et il faudrait, en plus, qu'ils considèrent le droit de se faire exploiter ici comme un privilège, qu'ils se fassent tout petits et qu'ils acceptent tout.
Cette loi est un coup contre tous les travailleurs. Car, si le gouvernement parvenait à rendre une fraction de la classe ouvrière plus malléable, c'est l'ensemble des travailleurs qui serait affaibli, qu'ils aient la carte d'identité française ou pas. Alors, il ne faut pas laisser passer cette loi !
Je suis convaincue, cependant, que, lorsque le monde du travail se mettra en branle pour se défendre, il n'y aura plus de différences en fonction des origines des uns et des autres. Il n'y aura que le combat d'une seule et même classe ouvrière.
Plus on s'approche des élections de 2007, plus on nous dira : il faut bien voter pour que cela change. Depuis trente ans, on nous le répète à chaque élection. Depuis trente ans, on a vu les majorités changer, le gouvernement passer de la droite à la gauche, puis de la gauche à la droite, avec toutes les variantes de cohabitation. Mais quel qu'ait été le gouvernement ou le président de la République, la situation des travailleurs n'a cessé de se dégrader.
Il en a toujours été ainsi. Ce ne sont jamais les changements de majorité parlementaire et d'équipe gouvernementale qui ont apporté une amélioration réelle pour les travailleurs, mais toujours leurs propres luttes.
Il n'y a pas à s'étonner que, pour les grands partis, les préoccupations électorales aient été présentes tout au long de l'affaire du CPE.
Le CPE a été au départ un élément de la compétition électorale dans la rivalité à l'intérieur même de la majorité gouvernementale, entre Villepin et Sarkozy. En inventant le CPE puis en l'imposant, par-dessus la tête de sa propre majorité, Villepin a voulu se donner l'image tout à la fois d'un homme d'initiative et d'un homme fort.
Il a cru avoir damé le pion à Sarkozy et marqué des points dans la bagarre pour l'investiture par la majorité gouvernementale de droite. Mais le mouvement de protestation venant d'en bas a fait irruption dans leur petite rivalité, déchirant les défroques d'homme fort, capable d'imposer ses mesures anti-populaires contre vents et marées, avant même que Villepin ait eu le temps de les revêtir. Il suffisait de voir à la télévision le visage renfrogné du Premier ministre pour comprendre qu'il avait perdu ses chances face à Sarkozy.
Si Sarkozy a éliminé son principal concurrent, il n'est pas dit pour autant qu'il ne tire que du bénéfice de la situation créée par le recul gouvernemental. Toute une partie de l'électorat réactionnaire auprès duquel les deux hommes sont en compétition n'apprécie pas ce recul, mais pas du tout ! Cet électorat réactionnaire anti-ouvrier bouillonne de colère que la rue puisse avoir la parole et, qui plus est, fasse reculer président, Premier ministre et tous ces députés et sénateurs qui disposent pourtant de la majorité écrasante dans les deux assemblées. De plus, Sarkozy apparaît comme un de ceux qui ont poussé justement au compromis. Pour un homme politique dont la stratégie vise depuis plusieurs années la composante la plus réactionnaire et la plus bornée de l'électorat de droite, celle qui louche en permanence du côté de Le Pen ou de Villiers, ce n'est pas une bonne référence. Et les frères ennemis de l'extrême droite ne se privent pas de pester contre « l'anarchie dans la rue » et de dénoncer « la faiblesse » du pouvoir en général et du ministre de l'intérieur en particulier.
A gauche, les dirigeants socialistes jubilent, se considérant comme les principaux gagnants du mouvement anti-CPE. Ceux en tout cas qui sur le plan parlementaire récolteront les fruits de son succès.
Le Parti socialiste était silencieux sur le terrain social depuis le cuisant échec de son candidat Jospin à la présidentielle de 2002, suivi de son appel honteux à voter pour Chirac. Pendant longtemps, il n'a rien dit sur ce terrain, se gardant bien de s'engager à retirer les pires mesures du gouvernement de droite au cas où il reviendrait au pouvoir en 2007. Eh bien, le CPE lui a fourni un terrain d'agitation bien délimité, susceptible de l'aider à se refaire une santé politique dans l'électorat de gauche.
L'intervention du Parti socialiste, directement par l'intermédiaire de ses dirigeants qui ont accès aux grands médias ou par ses réseaux dans la société, et notamment dans le milieu étudiant, a joué son rôle dans le développement du mouvement, ne serait-ce que pour faire contrepoids aux mensonges éhontés de la propagande gouvernementale sur le CPE. Le Parti socialiste a pris même l'engagement, au cas où il reviendrait au gouvernement, de retirer, le CPE seul dans un premier temps, puis aussi le CNE. Il a pu le faire car retirer le CPE et même le CNE ne le mettait pas à mal avec le grand patronat qui dispose de bien d'autres formes de contrats précaires, à commencer par l'intérim et le CDD. Sa promesse était d'autant moins à même de choquer le grand patronat qu'en même temps, les dirigeants du PS se sont relayés pour faire d'autres propositions qui, tout en avantageant un peu plus les jeunes, promettent de rapporter plus d'argent au patronat -ou à lui en faire économiser plus. Strauss Kahn promet même aux patrons qui veulent bien embaucher une réduction de leur impôt sur les bénéfices.
Contrairement à ce qu'on nous reproche bien souvent, nous ne disons pas que les partis de droite et les partis de gauche sont identiques. Ce que nous disons, c'est que les partis de droite comme les partis de gauche sont des partis bourgeois, car ni les uns ni les autres ne veulent toucher à l'ordre social existant mais, au contraire, le gérer tel qu'il est, avec son économie de marché aveugle, sa classe capitaliste rapace, ses injustices sociales criantes.
Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les partis de gauche ont pris quelques mesures progressistes. Mitterrand a aboli la peine de mort, ce qui est certainement un pas en avant du point de vue tout simplement humain. C'est encore un gouvernement socialiste qui a décidé le PACS ou la CMU. Mais l'une comme l'autre de ces mesures avaient l'avantage pour le PS de ne pas toucher aux intérêts du patronat, et ne pouvaient en rien changer la situation des salariés.
Quant au PCF, il continue sa campagne autour du thème « Battre la droite et réussir à gauche ». Il dit bien des choses fort justes lorsqu'il critique les mesures anti-ouvrières du gouvernement. Il arrive souvent aux dirigeants du PCF de parler de la nécessité de luttes mais, en même temps, de la nécessité que ces luttes aient un « débouché politique ». Lors de la première « convention nationale », organisée par l'association du sénateur socialiste Jean-Luc Mélenchon, le week-end dernier, Marie-George Buffet qui en était la principale invitée a insisté pour des candidatures unitaires aux élections de 2007. « Non pas pour témoigner », affirma-t-elle, « mais pour que la gauche que nous voulons soit majoritaire dans notre pays ».
Mais Marie-George Buffet sait que la gauche ne peut avoir la majorité qu'avec le Parti socialiste. Et la « véritable alternative » dont elle parle sera encore et toujours une variante de ce qu'ont été en leur temps l'Union de la gauche ou la Gauche plurielle, dont les travailleurs ont pu constater, sous les quatorze ans de présidence de Mitterrand ou sous les cinq de gouvernement de Jospin, qu'elle ne défendait en rien les intérêts des travailleurs face au patronat.
Le PCF a usé son crédit auprès des travailleurs pour les détourner de la lutte de classe et pour les convaincre depuis trente ans que la seule perspective pour les travailleurs, le seul débouché politique possible, était un gouvernement socialiste avec la participation de ministres communistes. Mais, malgré la présence de ses ministres au gouvernement pendant trois ans sous Mitterrand, pendant cinq ans avec Jospin, le PCF, jamais en situation de peser sur la politique menée, n'a fait que la cautionner devant les travailleurs, y compris dans ses aspects les plus anti-ouvriers.
C'est à cause de cette politique que le PCF a perdu une grande partie de ses militants et une grande partie de son influence dans la classe ouvrière.
Alors oui, vous le savez tous, je suis candidate, au nom de mon organisation, Lutte ouvrière, à la prochaine élection présidentielle.
Et, puisque les campagnes électorales, et plus particulièrement l'élection présidentielle, sont les seules occasions qui nous sont données de nous faire entendre de l'ensemble des classes populaires de ce pays, nous saisirons bien sûr cette occasion pour le faire.
Nous y défendrons les intérêts vitaux de tous ceux qui n'ont que leur salaire pour vivre, ouvriers, employés, cheminots, enseignants, postiers, personnel des hôpitaux et des services publics. Nous y défendrons aussi les chômeurs et ceux qui, aujourd'hui à la retraite après une vie de travail, n'ont qu'une pension dérisoire.
Cela fait bien des années que nous avons commencé à développer, sous le nom de « plan d'urgence », un ensemble de revendications qui n'ont malheureusement rien perdu de leur actualité. Bien au contraire.
- Il faut interdire les licenciements dans les entreprises qui font des profits, et imposer le maintien de tous les emplois en prenant sur ces profits.
- Il faut que les salariés, les consommateurs et la population aient accès à toute la comptabilité des grandes entreprises. Il faut éclairer les circuits de l'argent, voir d'où il vient, par où il passe, où il va et à qui il va. Il faut connaître et rendre publics, à l'avance, les projets des grandes sociétés. La gestion capitaliste des entreprises, menée dans le secret des conseils d'administration, en fonction de la seule rentabilité financière, montre jour après jour à quel point elle est nuisible pour la collectivité.
- Il faut une augmentation générale du Smic et de tous les bas salaires d'au moins 300 euros. Les salaires ne doivent être en aucun cas inférieurs au Smic ainsi augmenté, quel qu'en soit le prétexte invoqué : âge, stage?
- Il faut mettre fin aux contrats précaires, à commencer par le CNE . Il faut supprimer le temps partiel imposé
- Il faut imposer la construction par l'Etat, et non par les municipalités, d'habitats sociaux dans toutes les villes, en réquisitionnant d'office les terrains nécessaires sans les payer au prix du marché.
- Il faut embaucher des enseignants en nombre suffisant dans les quartiers populaires ! Il faut que, dans les quartiers les plus défavorisés, tous les enfants, et en particulier ceux issus de l'immigration et qui maîtrisent mal le français, trouvent des classes maternelles en nombre suffisant pour permettre aux enseignants de transmettre à ces enfants les connaissances élémentaires que leurs familles sont dans l'incapacité de leur transmettre.
- Il faut en conséquence contraindre l'Etat à prendre sur la classe riche, sur ses revenus et, au besoin, sur sa fortune, de quoi faire face à ces obligations. En commençant d'abord par arrêter toute subvention ouverte ou déguisée aux entreprises, et tout cadeau aux riches particuliers et par augmenter l'impôt sur les bénéfices !
Pour imposer tout cela, il faut une lutte déterminée et radicale du monde du travail. Si dur que cela paraisse aujourd'hui, c'est moins utopique qu'espérer que les élections de 2007, quels qu'en soient les résultats, changent en quoi que ce soit le sort des travailleurs.
Voilà, amis et camarades, les revendications que nous aurons à populariser pendant la période qui vient. Nous le ferons autour de nous, dans nos entreprises comme en dehors, avec nos moyens qui sont certes limités, mais nous le ferons avec détermination. Nous le ferons pendant la campagne électorale, avec les moyens plus larges dont nous disposerons peut-être.
Et j'espère, je souhaite, que tous ceux qui sympathisent avec nos idées ou qui, simplement, se retrouvent dans les objectifs que je viens d'énumérer, nous rejoignent pour mener ce combat, avant comme pendant la campagne électorale !
Alors, camarades, bon courage !
Source http://www.lutte-ouvrière.org, le 14 avril 2006