Texte intégral
Q - Vous êtes le ministre français des Affaires étrangères, merci d'avoir accepté l'invitation de TV5.
La France veut relancer et repenser sa présence dans le monde, nous allons en parler, il y a une volonté de rendre plus efficace l'action de la France à l'étranger dans le domaine de la culture, de l'éducation et de la langue française, sans oublier le développement.
D'abord, si vous le permettez, quelques questions d'actualité. L'image de la France à l'étranger ne sort sans doute pas grandie de l'affaire Clearstream. Dominique de Villepin peut-il tenir le coup encore un an et rester Premier ministre jusqu'à l'échéance présidentielle en 2007 ?
R - Ce que je peux vous dire, c'est qu'aujourd'hui, les chiffres du chômage n'ont jamais été aussi bas, que les exportations ont augmenté encore durant le dernier trimestre et que la croissance en France sera probablement l'une des meilleures dans l'Union européenne.
A côté de ces rumeurs, de tout ce que nous entendons, j'ai envie de vous dire que ce serait pas mal que l'on parle aussi de l'activité quotidienne de la France sur la scène internationale car la France joue un rôle capital dans le monde. Il faut aussi que l'on en parle sous cet angle.
Q - Donc, pas de remaniement, pas d'élection anticipée, on continue de travailler.
R - Je crois que ce n'est pas du tout d'actualité.
Q - Un mot concernant le Proche-Orient. Vous irez probablement à Bruxelles cet après-midi où la ministre des Affaires européennes représentait la France et où se tenait une importante réunion sur le Proche-Orient. Comment l'Europe peut-elle aider la population palestinienne sans passer par le gouvernement dominé par le Hamas en Palestine ?
R - D'abord, ceux qui pensent qu'en diminuant l'aide à la population palestinienne on affaiblira le gouvernement du Hamas et donc qu'en définitive, il y aura par définition de nouvelles élections, à mon avis, se trompent. En effet, si vous diminuez l'aide aux Palestiniens, alors vous aurez une radicalisation, une "extrémisation" immédiate de la population palestinienne. C'est exactement ce que nous voulons éviter.
Il faut donc continuer l'aide, à condition que cette aide aille aux infirmières, aux professeurs, aux instituteurs, aux médecins, aux magistrats anticorruption. C'est vrai que nous souhaitons faire passer cela par l'Autorité palestinienne, par M. Mahmoud Abbas. Nous devons conforter la légitimité de l'Autorité palestinienne.
Q - En contournant le gouvernement ?
R - Il ne s'agit pas de contourner, pour nous de dire au Hamas : vous devez reconnaître, vous devez reconnaître l'existence des Accords d'Oslo et vous devez renoncer publiquement et explicitement à la violence.
A partir de là, bien évidemment, il sera possible de pouvoir parler au Hamas. Pour l'instant, ce n'est pas possible. Je vous signale quand même que le Hamas est un mouvement inscrit sur la liste des mouvements terroristes pour l'Union européenne.
Q - Un autre dossier où l'Union européenne joue un rôle déjà important, c'est le dossier nucléaire iranien. L'Europe peut-elle, à votre avis, encore éviter une confrontation directe entre l'Iran et les Etats-Unis ?
R - Il ne peut y avoir qu'une issue diplomatique à cette crise de prolifération nucléaire iranienne. M. El Baradeï nous dit qu'au niveau de l'AIEA il y a une accélération du programme iranien. Il nous dit qu'aucun programme nucléaire civil ne peut expliquer ce programme nucléaire iranien.
Nous demandons donc aux Iraniens de revenir à la raison ; nous leur tendons la main. Négocions et faisons des propositions sur l'énergie nucléaire civile, pacifique. Faisons également des propositions sur le commerce, et aussi d'ailleurs, nous en parlerons avec les Américains, sur des accords de sécurité. Mais avant cela, suspendez les activités nucléaires sensibles.
Je crois que la responsabilité est maintenant du côté des Iraniens.
Q - La balle est dans leur camp.
R - Totalement, ou bien ils se ferment et il y aura, au niveau du Conseil de sécurité des prises de positions qui seront évidemment fermes, ou ils s'ouvrent, et nous sommes prêts, nous les Européens, mais je suis sûr que les Américains aussi, à faire des propositions positives.
Q - Vous n'êtes donc pas pessimiste concernant ce dossier. Inquiet ?
R - Je suis évidemment inquiet et très préoccupé mais je dis qu'il n'y a qu'une seule solution pour éviter une escalade qui serait dramatique pour la région et au-delà de la région.
Comme l'a souligné le président de la République l'autre jour, c'est au-delà de la région qu'il faut penser lorsque l'on parle de la crise de prolifération nucléaire iranienne.
Q - Vous vous êtes interrogé ce matin sur la place de la France dans le monde, vous faites un constat : les rapports de force dans le monde se modifient très rapidement, les instruments d'accès au savoir pour l'éducation évoluent et les fractures, - c'est vous qui le dites - entre riches et pauvres se creusent. Alors, la France doit s'adapter, elle doit moderniser son action culturelle, éducative et de développement. Pour faire tout cela, vous prévoyez la création d'un nouvel outil que vous avez baptisez "Cultures France" avec un S à culture.
R - Pourquoi "Cultures France" ? C'est parce qu'il faut être beaucoup plus lisible et beaucoup plus visible à l'étranger. Nous faisons beaucoup de choses mais qui le sait ? Qui sait ce que fait le gouvernement français à l'étranger ? Qui sait qu'il s'agit du Quai d'Orsay ? Qui peut dire que l'AFAA, l'ADPF, toutes ces différentes associations s'occupent de Culture ? Qui connaît leur mission ? Personne.
Q - Alors, l'AFAA, c'est l'Action française d'Action artistique.
R - Oui, mais peu importe. Enormément de gens s'intéressent à la Culture française dans le monde, mais personne n'a une signature. Aucune entité n'a une signature claire qui permette d'identifier immédiatement un programme, un projet. Moi je voudrais qu'il y ait une signature comme il y a le British Council.
Q - En effet, nous sommes un peu en retard par rapport aux Britanniques ?
R - Il y aura donc "Cultures France" qui sera une très belle signature. Ensuite, il y a aussi l'enjeu du français. C'est une nécessité parce que la mondialisation, si elle aboutit uniquement à l'anglais, ne sera pas diverse ; or, il faut que le français puisse exister.
Je vais créer beaucoup de lycées français. Nous avons trouvé une solution, le partenariat public-privé avec des banques, avec la Caisse des dépôts, avec des gens du privé. Un maire d'une grande ville, d'une capitale, pourrait réserver trois hectares dans une des futures grandes zones résidentielles et deux hectares pour la promotion immobilière pour le privé, qui avec l'hectare restant, paiera un lycée français, un collège français. Car tous les Français qui nous regardent et qui sont à l'étranger veulent que leurs enfants soient scolarisés, et moi, j'ai envie que les élites des autres pays apprennent le français pour qu'ils viennent ensuite chez nous suivre un enseignement supérieur en France, à HEC, Polytechnique ou dans les universités.
Q - Mieux défendre le français passe entre outre par l'éducation, par l'université, par Internet ou TV5 !
R - Oui, bien sûr, nous allons faire ce que l'on appelle les portails régionaux qui permettront par Internet de pouvoir beaucoup mieux avoir accès à ce que l'on fait pour la francophonie. Nous allons assurer la formation de 5.000 professeurs de français rien qu'en Afrique et également 5.000 dans ce que l'on appelle les pays émergents, en particulier, bien sûr, en Asie.
Si nous ne comprenons pas que les jeunes Chinois, que les jeunes Indiens, les jeunes Vietnamiens sont une chance pour notre propre jeunesse, si nous ne comprenons pas cela, alors, nous aurons perdu la partie.
Il faut non seulement leur apprendre le Français mais ensuite, les inviter à venir étudier en France parce qu'ensuite, lorsque l'on étudie à l'université, à 20 ou 25 ans, on se créé de grandes amitiés et ensuite, on les garde toute une vie.
Q - J'allais vous demander, n'est-il pas déjà trop tard pour le français, lorsque l'on voit l'hégémonie de l'anglais dans les Institutions internationales ?
R - Détrompez-vous, il faut se battre plus que jamais. Regardez la Slovaquie, j'étais l'autre jour dans ce pays où il y a une usine Peugeot comme il y en a peu dans le monde. Le français a gagné 10 % depuis les 5 dernières années en Slovaquie. Il faut donc continuer à se battre partout. Il y a une demande de français, une envie de français, une soif de français, car, au-delà de la langue, ce que nous défendons, c'est la liberté. Et, au-delà de la langue et de la liberté, c'est la tolérance.
Ce sont des valeurs que porte la France. Cela s'apprend dans les lycées français qui ne sont pas uniquement des lieux où l'on parle le français. Nous avons des valeurs françaises auxquelles je crois beaucoup.
Q - Les lycées français, je ne sais pas si ceux qui nous regardent le savent, mais il y a 235.000 élèves qui fréquentent les lycées français, c'est 10.000 bacheliers chaque année. Peut-on faire encore mieux ? Là aussi dans les domaines des lycées français, allez-vous en créer des nouveaux ?
R - Oui, il faut faire beaucoup mieux. Lorsque je vais au Caire par exemple, que je suis reçu par M. Moubarak et qu'il me présente son gouvernement, les quatre-cinquièmes parlent français. Est-ce que dans 20 ans, les quatre-cinquièmes des ministres égyptiens parleront français ?
Lorsque je vais au Brésil, les trois quarts des ministres brésiliens parlent français. Dans 20 ans, le parleront-ils encore ?
Moi je le veux.
Comme il y a une demande forte de leur part pour apprendre le français, je ne vois pas pourquoi nous ne les y aiderions pas.
Simplement, l'Etat ne peut pas tout payer. Ce n'est pas à Bercy de tout payer, il a fallu inventer une nouvelle manière, c'est le "public-privé", c'est que nous faisons.
Q - D'où ce partenariat avec le privé, et par exemple aussi dans le domaine universitaire puisque vous allez créer ce que l'on appelle "Campus France". Là, ce sont des étudiants qui vont, soit venir en France, soit vous paierez leurs études à l'étranger avec des bourses qui seront par exemple, financées par le groupe Thalès.
R - "Campus France", de quoi s'agit-il ? Cela commence dans tous les pays du monde, en tout cas, tous ceux qui, aujourd'hui sont en train d'émerger et ceux qui sont déjà riches, par les "Centres d'études en France" qui dépendent des ambassades.
Un jeune se présente à un guichet unique. Il est Egyptien, Américain ou Britannique et il demande à étudier en France. Il a devant lui quelque chose de très simple : un guichet. D'abord, nous nous assurons qu'il est bien étudiant, qu'il veut bien travailler, qu'il a un projet et, ensuite, on l'envoie vers l'université ou la grande école qui convient. Nous avons tout intérêt à avoir cette richesse de la jeunesse. La jeunesse, c'est de la richesse et celle de l'extérieur, c'est de la richesse aussi.
Q - Les universités françaises, les grandes écoles françaises sont-elles au niveau de leurs concurrentes britanniques ou américaines ?
R - Elles le seront d'autant plus qu'elles se fertiliseront de l'apport extérieur. Savez-vous qu'en Allemagne aujourd'hui, il y a deux fois plus d'étudiants chinois qu'en France ?
Il faut donc ouvrir les yeux, nous de devons pas rester seuls, barricadés, il faut au contraire que nous puissions ouvrir les bras à condition que ce soient à des gens qui aient envie de travailler.
Q - La France dans le monde, c'est aussi le développement, il y a des partenariats avec le privé dans des domaines qui vous intéressent comme la santé, l'accès à l'eau, aux médicaments.
R - L'idée est simple, je rencontrais l'autre jour le président de Sanofi. Il me disait qu'ils sont en train d'éradiquer la tuberculose en Afrique du Sud et que nous avons des accords avec M. Mbeki, son président.
Le jour où cette grande entreprise fait cela, c'est la France qui le fait. C'est certainement d'abord Sanofi Aventis, mais c'est la France. Chaque fois qu'il y a une crise humanitaire, un tremblement de terre, je vois toujours le drapeau américain flotter sur les tarmacs des aéroports. Il n'y a pas de raison que la France, qui est déjà présente à travers Suez pour l'eau potable, Sanofi pour les médicaments, ou d'autres, ne soit pas plus visible. Nous sommes là, la France est là, mais elle ne le dit pas. Donc, avec l'Institut Pasteur, Sanofi Aventis, Veolia et le Quai d'Orsay, c'est-à-dire avec l'Etat, nous allons faire une Alliance pour le développement et chaque fois que l'on ira quelque part, nous dirons que c'est la France, c'est bleu blanc rouge, nous sommes là.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 mai 2006