Déclaration de M. Laurent Fabius, ministre de l'économie des finances et de l'industrie, sur l'allégement de la dette des pays les plus pauvres, Paris, le 5 décembre 2000.

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Circonstance : Réunion de suivi sur les allègements de dette pour les pays les plus endettés, à Paris, le 5 décembre 2000

Texte intégral

Charles Josselin et moi-même sommes très heureux de vous rencontrer aujourd'hui. Nous savons qu'à plusieurs reprises vous vous êtes réunis avec nos cabinets et le secrétariat du club de Paris. Mais il nous a semblé essentiel de pouvoir vous donner de vive voix les grands axes des mesures d'annulation de la dette. Car nous respectons les ONG et nous croyons à l'écoute et à l'apport de la société civile.
En premier point, je veux situer ces mesures d'annulation dans notre action internationale.
Cette initiative s'inscrit, en effet, de manière cohérente dans notre politique d'aide publique au développement et de régulation financière.
D'abord l'annulation de dette ne se fait pas aux dépens de l'aide publique au développement comme on a pu parfois le dire, elle en est au contraire un volet important. C'est pour cela que nous avons choisi d'inscrire ces mesures dans le cadre multilatéral et en partenariat étroit avec les institutions financières internationales, c'est pour cela que nous avons choisi de confier à l'AFD, l'opérateur pivot de notre aide au développement, la gestion du refinancement par dons, c'est pour cela que ces mesures s'inscriront dans un cadre concerté avec les pays et les autres bailleurs sous forme d'un contrat de désendettement et de développement, c'est pour cela enfin que nous avons décidé que cette mesure d'annulation devait s'ajouter à notre aide et non s'y substituer.
Ensuite les mesures sur la dette sont une opportunité pour faire progresser notre volonté de régulation financière internationale. Dans un monde où capitaux et biens circulent très vite, ce sont les pays les plus pauvres qui sont laissés au bord du chemin s'il n'y a pas de règles. Nous avons ainsi obtenu à Prague trois avancées importantes : d'abord la confirmation du rôle central du FMI et de son mandat dans la lutte contre la pauvreté - sans cadre macro-économique sain, il ne peut y avoir de croissance et de développement durable -, ensuite le renforcement de la lutte contre la délinquance financière pour mettre fin aux espaces d'ombres de la régulation internationale, enfin de meilleurs outils pour lutter contre les crises financières avec une association du secteur privé - il faut en effet traiter les problèmes d'endettement le plus en amont possible.
En deuxième point, je souhaite amplifier la logique de transparence.
Vous avez lu le rapport du Gouvernement sur les institutions financières internationales, qui a été transmis au Parlement et rendu public sur Internet le 24 août. J'ai vu les réactions de vos associations qui ont noté "le réel effort de transparence" ou "le tournant positif". En effet, pour la première fois, tout le monde peut disposer d'un document certes perfectible mais qui détaille avec précision les mesures d'annulations et surtout les encours de créances par pays.
Deux témoignages concrets : le rapport effectué chaque année par le FMI sur la France - le rapport article 4 - est maintenant rendu public, et avec lui le résumé des débats qui suivent sa présentation au Conseil d'administration. Ensuite, le Club de Paris va faire des efforts importants pour mieux communiquer : je peux aujourd'hui confirmer que vous aurez à partir du printemps 2001 sur le site Internet du Club de Paris le résultat détaillé des négociations.
Mais venons-en maintenant à un court bilan d'étape de l'initiative.
Tout d'abord, où en sommes-nous ? Et où nous situons-nous par rapport à nos objectifs ? Regardons les choses sans complaisance mais aussi sans complexes.
12 pays ont d'ores et déjà franchi leur point de décision. Ce nombre devrait s'élever à une vingtaine d'ici la fin de l'année, objectif que s'était fixé le G7.
Ensuite, nous avons une bonne visibilité sur quatre pays supplémentaires. Mais au-delà, cela sera sans doute plus compliqué, car ce sont des pays qui ont rompu depuis longtemps leurs relations avec les institutions financières internationales ou des pays engagés dans des conflits.
Revenons à nos 12 pays qui ont franchi leur point de décision. Que se passe-t-il concrètement pour eux ? Ils voient déjà le bienfait de l'initiative puisque qu'ils ont bénéficié ou vont bénéficier d'allégement intérimaire de la Banque mondiale, du FMI ou Banque africaine de développement et des créanciers du Club de Paris. Cela a permis de diviser par deux la part des exportations qui doit servir pour payer la dette et mieux encore les dépenses sociales de ces pays représentent maintenant plus de trois fois de service de la dette alors que ce rapport n'était que de 1,4 il y a deux ans. Nous sommes donc sur la bonne voie : moins de dettes et plus de possibilités de dépenses sociales.
Que se passe-t-il pour les autres, ces pays avec une situation moins facile ? Nous devons cheminer sur un sentier étroit : il faut à la fois être généreux et aller aussi vite que possible et être responsable pour que les ressources dégagées soient bien affectées à la lutte contre la pauvreté. Aussi allons-nous privilégier une approche "au cas par cas" pour chaque programme et regarder le projet du pays pour l'avenir, plutôt qu'une approche "comptable" purement adossée à un nombre de mois de programme FMI accumulés. Je pense en particulier au cas du Niger : la France a fermement soutenu son éligibilité en novembre dernier car même s'il ne dispose pas des 3 ans normalement requis, c'est, malgré son niveau de pauvreté extrême, un pays qui a à son actif des réalisations passées réelles et qui connaît une évolution politique encourageante. Cette approche plus souple et plus pragmatique me paraît la meilleure pour que ces pays puissent bénéficier rapidement de l'initiative.
Maintenant abordons la question de l'ampleur de l'initiative : Jusqu'où doit-on aller ?
C'est un thème souvent abordé avec parfois des critiques sur le niveau trop faible des allégements de dette consentis. Vous connaissez la logique de cette initiative. Elle ne vise pas à annuler la totalité de la dette mais à la rendre soutenable : ainsi la dette sera ramenée après les annulations des bailleurs multilatéraux et du club de Paris à 150 % des exportations.
Et en sus de cet effort, vous le savez, la France s'est engagée à aller plus loin, comme les pays du G7 et d'autres créanciers. Elle va annuler la totalité de la dette bilatérale d'aide publique au développement ainsi que la dette commerciale éligible. Cet allégement complémentaire, 5 milliards d'euros pour la France, fournira ainsi des marges de manuvre supplémentaires aux pays concernés. Sur cette mesure additionnelle, le gouvernement a choisi le refinancement par dons qui est un contrat de partenariat et de confiance avec les pays bénéficiaires.
Faut-il pour autant aller plus loin et annuler également toute la dette multilatérale et étendre les annulations à d'autres pays qui n'y sont pas éligibles. Je ne le pense pas car nous croyons dans la logique de soutenabilité. Diaboliser la dette, en faire un exutoire en soi, ne serait pas responsable.
D'abord les pays éligibles à l'initiative sont déjà nombreux : 41 soit près d'un quart des pays de notre planète. Ensuite, les pays non éligibles qui ont difficultés d'endettement peuvent déjà bénéficier de mesures de rééchelonnement dans le cadre du Club de Paris. Se lancer dans une démarche générale d'annulation de la dette pourrait fragiliser par ricochet la signature de ces états qui aspirent à émerger du développement. C'est la raison pour laquelle je ne crois pas qu'il soit très positif de confier la résolution de la question de la dette à une "commission arbitrale". Enfin, il ne faut pas oublier une fonction de la dette : elle permet de financer des investissements. Priver totalement ces pays d'accès aux bailleurs de fonds ou aux marchés de capitaux ne serait pas raisonnable et finirait sans doute par décourager durablement tous les investissements privés.
Par contre, il faut être très vigilant pour que ces pays ne retombent pas dans une situation de surendettement. Trois mesures prises par la communauté internationale vont en ce sens : une surveillance permanente par les institutions financières des ratios d'endettement, l'engagement pris par les pays du G7 à mettre en uvre leur aide publique au développement de préférence sous forme de dons et enfin le contrôle des "dépenses improductives" qui ne doivent pas donner lieu à un endettement supplémentaire.
Un autre élément de responsabilité est de tenir ses promesses. A cet égard, j'aimerais pouvoir dire que cette participation à l'initiative est générale. Cela n'est malheureusement pas le cas. Si le Club de Paris peut examiner avec souplesse la situation des créanciers très pauvres, la majeure partie des créances hors Club de Paris est détenue par des Etats du Golfe qui n'ont pas encore rejoint l'initiative. La participation de tous est essentielle ; il ne faut pas que les flux financiers dégagés par l'initiative servent à rembourser d'autres créanciers, publics ou privés.
Enfin je vous propose de faire un point rapide sur le financement de cette initiative.
La part de la France dans l'initiative est primordiale. Sa contribution au fonds fiduciaire s'élève à 200 Mds, en tant que créancière, elle supporte un coût de l'ordre de 10 Mds dont un peu plus de la moitié au titre des annulations "multilatérales" et un peu moins de la moitié au titre du complément "bilatéral" et enfin elle contribue au quart des 300 Mds d'allégements de créances de l'Union européenne. L'effort total de la France s'élèvera donc à 10 milliards et demi d'euros, soit près de 70 Mds de francs.
Nous avons reçu une bonne nouvelle récemment : le vote du Congrès américain de 435 M$ en faveur de l'initiative, dont 360 M$ sont destinés au fonds fiduciaire. Nous reconnaissons bien volontiers le rôle de la campagne des ONG dans ce dénouement heureux. Toutefois, nous devrons rester attentifs, car il reste 240 M$ pour lesquels un vote du Congrès sera nécessaire l'an prochain.
En termes de financement, la situation est relativement satisfaisante à horizon de trois ans, soit jusqu'en 2003. Ainsi par rapport au coût estimé de 14 Mds USD pour les dettes multilatérales, 8,5 Mds USD ont déjà été financés, il reste donc un besoin de financement de 5,5 Mds USD essentiellement pour la Banque mondiale. Nous suivons cela de près dans le cadre de réunions périodiques entre les donateurs pour faire le point sur l'évolution de ces besoins de financement en fonction des pays qui atteignent leur point de décision et des contributions reçues.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 décembre 2000)