Interview de M. Christine Lagarde, ministre déléguée au commerce extérieur, à "Radio Classique" le 12 mai 2006, sur les résultats du commerce extérieur français, notamment sur l'augmentation plus rapide des exportations que des importations.

Prononcé le

Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- G. Bonos : Que s'est-il dit lors de la réunion hier, autour du Premier ministre à Matignon avec vingt grands patrons, réunion qui a suivi les annonces de l'agence pour les investissements internationaux avec de très beaux chiffres.
R- On a recommencé un peu les chiffres qui sont, vous l'avez rappelé, excellents puisqu'on a eu un doublement du montant des investissements directs étrangers en France et une augmentation des projets de 14 %. Les grands patrons qui étaient réunis - c'était d'abord beaucoup de grands patrons, un certain nombre de patrons de PME aussi - ont fait part au Premier ministre de leurs commentaires, de leurs suggestions, de leurs frustrations. Toute cette réunion avait pour but de voir dans quelle direction nous devions continuer à travailler pour améliorer l'attractivité du territoire France.
Q- G. Bonos : Une ou deux remarques de leur part, si ce n'est pas un secret ?
R- On a conclu en se disant que les questions d'attractivité allaient du plus petit au plus gros. Plus petit, je vous donne un exemple : lorsqu'un chef d'entreprise étrangère qui est préparé à investir en France arrive à Charles-de-Gaulle, attend vingt minutes pour sortir de son avion, fait la queue ensuite pendant une demi heure et récupère son bagage péniblement, c'est une petite chose qui n'est pas très compliquée à organiser, qui nécessite un peu de concertation et d'interministériel, et dont on a convenu qu'il fallait absolument s'occuper. Des choses plus importantes, ce sont les questions de fiscalité, ce sont les questions de simplification de mesures administratives, souvent, ce sont des questions de simplification de la réglementation en général, qui est souvent perçue comme une espèce de chape un peu lourde sur les enthousiasmes entrepreneuriaux et sur les décisions d'investissement des investisseurs étrangers.
Q- E. Chavelet : Vous parlez de Matignon, vous parlez du Premier ministre, vous parlez des grands chefs d'entreprise, cela paraît un petit peu surréaliste dans cette ambiance de Clearstream. Peut-on vraiment bosser aujourd'hui ? Les ministres arrivent à travailler dans cette ambiance ?
R- Je vous garantis que je travaille beaucoup, je suis sûre que la plupart, et tous mes collègues - je ne suis pas derrière leurs dos pour vérifier ce qu'ils font - mais je suis sûre que tous mes collègues sont dans la même disposition d'esprit. J'étais, il y a moins de 24 heures, à Lille dans la région du Nord-Pas-de-Calais et je vous avouerais que c'était vraiment réconfortant de voir sur le terrain des entreprises, des cadres, des scientifiques, des managers qui sont au travail, qui créent, qui développent, qui se concertent dans la cadre des pôles de compétitivité et qui sont contents de la manière dont les choses se mettent en marche. C'était vraiment un moment extrêmement agréable, je crois que les phénomènes qui agitent beaucoup actuellement les milieux parisiens en particulier, ont un côté assez parisien. La France a envie de travailler et travaille. C'est ce que je fais au quotidien, en tous cas.
Q- E. Chavelet : Vous parlez du côté parisien mais vous-même vous dites que vous avez été très choquée en allant récemment aux Etats-Unis de l'image que donnait la France auprès des médias américains et que vous avez même entamé une campagne de lobbying. Voir le New York Times, le Wall Street Journal qui tapent contre la France très fort et contre son image...
Q- G. Bonos : On va rappeler aux auditeurs qu'avant d'être ministre, vous avez été la présidente du plus grand cabinet d'avocats au monde, à Chicago, on n'était pas peu fiers que cela soit une femme, une Française en plus, qui dirige quelques centaines d'avocats américains, sans doute parmi les plus brillants. Revenons à la question d'Elisabeth...
R- Sur l'attractivité, la réalité des faits parle : c'est une augmentation considérable des volumes investis en France, une augmentation du nombre de projets, des créations d'emplois par les investisseurs directs étrangers. Et puis, une suite de chiffre que je m'échine à rappeler à tous les investisseurs que je rencontre et que j'ai beaucoup mentionné aux Etats-Unis, c'est la suite 6-5-4-3-2. 6 : la France est la sixième puissance économique au monde ; 5 : elle est le cinquième exportateur de produits ; 4 : le quatrième exportateur de services : 3 : en moyenne sur les cinq dernières années, le troisième pays d'accueil des investissements directs étrangers, et 2 : on a aujourd'hui la deuxième productivité horaire après la Norvège. Il faut se souvenir de cela. Ceci étant, je dis que l'image de la France est malheureusement souvent assez brouillée à l'étranger parce que, effectivement, des médias, en particulier américains, ont beaucoup fait tourner en boucle les images des banlieues au mois de novembre 2005 et ensuite les images des jeunes au moment du CPE. A un moment où la presse économique américaine était en train de se dire : "Le CPE, voilà une mesure intéressante, voilà qu'on est en train d'avancer sur le terrain d'une meilleure compréhension des mécanismes, d'une décision d'intégration des jeunes qui souffrent du chômage dans l'économie française". Il y avait ce phénomène de soutien qui nous a pris un peu à contre-pied à ce moment-là
Q- G. Bonos : Vous avez dit que nous sommes la sixième puissance économique mondiale. Le Premier ministre a fustigé les déclinologues il y a quelques mois, néanmoins, sans faire de pessimisme, demain l'Inde puis le Brésil, la Russie vont arriver... A-t-on encore une chance selon vous et que faut-il faire pour rester dans les dix premiers mondiaux ? Parce que le problème est là : on se gargarisait il y a encore dix ans d'être la quatrième puissance économique et la quatrième puissance au monde, aujourd'hui on est sixième, demain, sept... Donc on va se battre pour rester dans les dix premiers entre l'Argentine, l'Espagne, l'Italie, peut-être un autre pays...
Q- E. Chavelet : La Chine...
Q- G. Bonos : Non, la Chine c'est déjà fait, ou la Corée du Sud. Comment fait-on pour rester dans le top 10 ?
R- Il faut se réjouir de voir que des pays comme la Chine, comme l'Inde, comme la Russie et quelques autres pays émergents, avancent et montent sur l'échelle du développement, parce que cela veut dire, dans chacun des ces pays, qu'il y a moins de pauvreté et que la croissance va leur permettre d'améliorer la situation économique de leurs populations. C'est bon pour eux, c'est aussi bon pour nous, parce qu'à défaut de ces développements dans les pays émergents, on pourra toujours construire des murs et ériger des fils de fer barbelés, on n'arrivera pas à éviter les flux migratoires qui seront absolument impossibles à gérer. Donc, qu'il y ait un développement économique dans ces pays, c'est en soi une excellent chose. Je me représente toujours le développement comme une échelle : on est aujourd'hui tout à fait en haut de l'échelle parce qu'on a la chance d'avoir bénéficié de conditions économiques tout à fait favorables, d'avoir une espèce de passé culturel, social, historique qui nous a permis de développer un savoir-faire, qui nous a permis de développer des excellences dans des domaines extrêmement compétitifs. Il faut continuer, on doit continuer à investir en innovation, en technologie pour être toujours en avance dans ce domaine. La clé est dans l'innovation, dans la technologie, dans l'éducation et dans la formation de nos jeunes ; c'est indispensable. Il faut, à cet égard, que les jeunes comprennent que la vie économique et que la vie dans les entreprises c'est une vie qui peut être extrêmement joyeuse, extrêmement satisfaisante.
Q- G. Bonos : Il y en a plein qui sont motivés, on a l'impression que ce sont plutôt les générations, les nôtres un peu, qui sont moins motivées et qui, du coup, plombent un peu l'ambiance, si vous me permettez la formule, non ?
R- Je n'ai pas le sentiment que vous soyez démotivé et je vous garantis que je ne suis pas du tout démotivée et je trouve cela exaltant de travailler dans ce contexte et de participer au développement d'autres pays, en même temps qu'on continue à faire monter la France, en investissant en innovation et en participant à la formation des jeunes.
Q- E. Chavelet : Pour revenir en France et à plus court terme, vous avez rappelé les bons chiffres de la compétitivité, de l'investissement et on va annoncer dans les heures qui viennent un bon chiffre de la croissance française au premier trimestre - je crois que c'est 0,6 %. Malgré tout, il y a la déprime. Quand va-t-il y avoir un effet croissance en France, que l'on va voir dans la consommation ? Il va y avoir un effet coupe du monde en Allemagne, va-t-il venir en France, comment cela va-t-il se passer ? On ne va pas avoir d'effet Zidane, où va être ce déclic en France ? Avec une croissance mondiale qui va atteindre quasiment 5 % cette année, donc il y a de quoi en profiter !
R- Absolument, je vous annonce une autre chiffre - je peux maintenant, à 8h45 -, c'est le chiffre des douanes, un scoop que je n'ai encore commenté nulle part, c'est le chiffre des exportations françaises du premier trimestre 2006 qui est excellent. A nouveau, les exportations croissent plus vite que nos importations.
Q- E. Chavelet : De combien est-il exactement ?
R- Par rapport au premier trimestre de l'année dernière, on est à plus 10
%.
Q- E. Chavelet : Grâce à quoi ?
R- Grâce à l'augmentation de nos exportations, en particulier au redéploiement sur des pays comme l'Allemagne, où l'on est en très forte croissance - l'Allemagne est notre premier client, premier fournisseur, je le rappelle - et à une réorientation vers les pays à forte croissance, Chine, Inde, Etats-Unis où l'on est en train de repartir...
Q- E. Chavelet : Votre dada...
R- Absolument. Et je suis très contente devoir qu'également, nous avons plus de PME qui sont exportatrices aujourd'hui.
Q- G. Bonos : Le chiffre exact, l'a-t-on ?
R- Je vais vous le donner, il faut que je vérifie parce que je ne le sais pas encore par coeur... Au mois de mars, 33,9 milliards d'euros, ce qui est vraiment une bonne progression.
Q- E. Chavelet : Et l'euro fort, pour cela c'est bon ou mauvais ?
R- L'euro fort, c'est à double tranchant parce que cela nous permet de payer plus facilement une facture pétrolière qui s'alourdit et qui viendra certainement peser sur nos importations à la fin de l'année, si le prix du baril continue à être aussi élevé. C'est vrai qu'un euro fort nous désavantage par rapport à des exportations qui sont libellées en dollar. Au sein de la zone euro, on est assez bien puisqu'on n'a pas de variations de change, on n'a pas ces problèmes-là et notre zone de chalandise naturelle, c'est plutôt l'Europe en ce moment. Je souhaite que ce soit bien au-delà de l'Europe et c'est vrai que l'euro fort ne facilite pas la tâche des exportateurs.
Q- E. Chavelet : Et les importations augmentent encore plus que les exportations ?
R- Non, c'est ce que je vous disais : pour la première fois, au premier trimestre 2006, nos exportations augmentent plus vite que nos importations.
Q- G. Bonos : Vous pensez que c'est une tendance que l'on va pouvoir tenir tout au long de l'année ? Votre sentiment par rapport à la croissance et à l'économie mondiale ?
R- Je pense que oui, pour trois raisons. D'abord, parce qu'il y a plus de PME qui sont exportatrices. Deuxièmement, parce que l'on a une réorientation vers les pays à forte croissance, troisièmement parce qu'un indicateur qui est celui des gros contrats que l'on enregistre en prévisionnel est du double de celui de l'année dernière. Je ne pense pas que nos exportations vont doubler mais elles vont certainement se porter bien. Je ne suis pas sûre que ce soit cela qui déclenche cette espèce de déclic de bonne humeur et d'enthousiasme. J'espère que l'on n'a pas forcément besoin de systématiquement gagner la Coupe du monde pour être enthousiaste, on a mille raisons d'être enthousiaste aujourd'hui et on a un pays extraordinairement prospère et magnifique avec beaucoup d'atouts.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mai 2006