Texte intégral
Q- Je crois que vous vous êtes consultés avec les dirigeants de l'UDF, hier soir. Il y a quelques jours encore, à propos de la motion de censure déposée par la gauche la semaine prochaine, vous disiez, quant à votre attitude, "la porte est ouverte". Aujourd'hui, après avoir constaté les derniers développements de l'affaire Clearstream, est-ce que vous êtes décidés à vous rallier à cette motion de censure contre le Gouvernement ?
R- La décision sera prise mardi en réunion de groupe...
Q- Mais votre sentiment ?
R- Le sentiment de beaucoup de députés du groupe, aujourd'hui, c'est de dire qu'il y a une crise de régime absolument totale. Une démocratie, c'est certes des élections, mais c'est aussi des pouvoirs et des contre-pouvoirs, c'est-à-dire un système où l'on introduit de la transparence et de l'éthique. Troisièmement, c'est aussi le respect d'un état de droit, et l'état de droit doit être respecté du haut de la pyramide jusqu'en bas. On voit bien que la démocratie française est profondément malade, et donc beaucoup de députés, en quelque sorte, disent, en conscience : "Nous sommes, en quelque sorte en 1789, où les dirigeants pratiquent les systèmes les plus opaques qui soient". On a eu, il y a un mois, un président de la République qui, selon la Constitution, veille au respect de la Constitution et qui promulgue une loi en disant : "Mais surtout, vous ne l'appliquez pas, on la suspend". On a eu tout l'épisode du CPE, l'épisode des banlieues. Est-ce que cela peut encore durer réellement un an ?
Q- Vous posez la question, quelle est la réponse ?
R- Une partie des députés du groupe se posent cette question, et donc mardi matin, ou peut-être même avant, nous allons nous décider en fonction de cela. Et j'allais dire que si certains députés UMP pouvaient le faire, je crois qu'ils seraient assez contents de le faire aussi.
Q- Mais là, vous faites un peu durer le suspens ! Le président, à titre personnel, le président du groupe UDF, lui, est-ce qu'il incline à censurer le Gouvernement, pour être clair ?
R- Je dis que tout cela, depuis plusieurs mois, entre les banlieues, le CPE et aujourd'hui toutes ces affaires, c'est une atteinte grave à la France. L'image de la France dans le monde est absolument ternie ; le référendum européen a été le premier acte de tout cela. Et puis, je me dis aussi que, si je suis profondément démocrate, eh bien je vote plutôt la censure. Mais j'ai un principe, c'est que je suis président d'un groupe et que je respecte les décisions de mon groupe.
Q- Mais je retiens la phrase : "Si je suis démocrate...", et je pense que vous l'êtes...
R- Je le suis profondément.
Q- Eh bien, vous votez la censure !
R- Je verrais.
Q- Non, mais ça c'est personnellement.
R- Clairement, je ferais ce que la majorité du groupe décidera de faire.
Q- Mais en tout cas, votre position, c'est plutôt de voter la censure ?
R- Je pense que cela mérite d'être regardé de très près. La question derrière tout cela, c'est que c'est vrai que dans cette histoire...
Q- Non mais, attendez, je vous arrête deux secondes, je ne comprends pas : si la situation est telle que vous venez de la décrire...
R- ... Mais elle est telle que nous la décrivons.
Q- Alors, on ne comprend pas pourquoi vous ne censurez pas le Gouvernement !
R- Oui, mais parce que dans n'importe quelle autre démocratie occidentale les choses auraient été réglées et auraient trouvé une solution politique depuis plusieurs semaines. Nous ne l'avons pas parce que la Vème République est cul par-dessus tête avec un président de la République qui est irresponsable politiquement, civilement et pénalement et que tout cela, ce n'est pas la lecture de la Vème République. Ca, ce sont les choses. La seule chose que vous savez et dont vous avez parfaitement conscience, c'est que voter la censure est un acte grave, et donc, bien entendu, cela mérite un temps de réflexion et un temps que nous devons consacrer ensemble.
Q- Je vous demandais simplement si, à un moment donné, comme vous avez l'air de dire "trop c'est trop", il ne fallait pas en tirer les conséquences.
R- Je pense qu'on va perdre un an, que la France va encore perdre un an, que la France est déjà en difficulté et que la solution raisonnable, c'est ce que je dis depuis des semaines, c'est que si on avait une lecture gaullienne de la Vème République que J. Chirac aurait démissionné au lendemain du référendum européen. C'est comme cela que le général de Gaulle envisageait la Vème République. Deuxièmement, on aurait des élections présidentielles anticipées, ce qui permettrait à la France de purger tout cela et d'essayer de repartir. Mais vous avez conscience que la crise de confiance à l'égard des dirigeants et du système politique est absolument énorme.
Q- Mais alors comment est-ce que vous expliquez, par exemple, que J. Chirac conserve, maintienne, soutienne D. de Villepin ?
R- Je n'en sais rien.
Q- Vous avez bien une explication !
R- Non, je n'ai pas d'explication. Ce que je sais, c'est qu'on est dans un système où, bien entendu, pour un président de la République qui vient de nommer un Premier ministre il y a neuf mois, l'idée d'en changer à nouveau, c'est la preuve supplémentaire de l'échec de ce quinquennat.
Q- Quand vous entendez J. Chirac venir à la télévision dénier toutes les accusations qui courent à l'encontre, et de son Premier ministre, et maintenant de lui-même, à travers les carnets du général Rondot, parler de "rumeurs" et parler de "calomnie", est-ce que vous le croyez ?
R- Je ne veux pas accuser les gens avant que les choses soient réglées, mais il y a au moins des contradictions absolument énormes entre un général militaire, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il a plutôt été un général qui fait plutôt partie des militaires qui ont une vraie éthique et qui n'ont pas déraillé ou dérapé durant leur vie, et ce que dit le président de la République. Mais je n'arrive pas à imaginer un seul instant qu'un patron des services de Renseignement puisse écrire dans un carnet un certain nombre de choses qu'il aurait inventé dans le cadre des nuits qu'il passerait chez lui. Il y a quelque chose dans cette affaire qui me semble assez curieux... Ce que je sais, c'est que les militaires, pour les avoir fréquenter de très près, qui ont un vrai sens de leur mission, de leur fonction, qui croient en l'Etat, qui ont des vraies vocations, je n'arrive pas à imaginer qu'on puisse faire tout ça par la seule imagination d'un homme, ce n'est pas possible.
Q- Donc, ils obéissent des ordres, pour être clair ?
R- Bien sûr.
Q- Est-ce que N. Sarkozy est la victime dans cette affaire, à vos
yeux. Vous n'avez pas l'air d'être très sûr.
R- Ce que je constate c'est que dans cette affaire...
Q- On va parler clair : est-ce que vous pensez qu'il était au courant beaucoup plus tôt qu'il ne le dit ?
R- Mais bien sûr qu'il le savait puisque si vous regardez un peu et si vous regardez un peu les archives, vous retrouverez des dépêches de l'AFP qui datent d'il y a deux ans, où N. Sarkozy indique que cette affaire, pour l'instant, ne le concerne pas et qu'il la réglerait le moment venu. Et donc, on voit très bien que derrière tout cela, il y avait des moyens qui étaient dans les mains du ministre de l'intérieur pour régler son compte avec le Premier ministre, s'il le fallait, le moment venu, pour la détermination du candidat de l'UMP à l'élection présidentielle.
Q- Autrement dit, dans cette affaire, selon vous, D. de Villepin/N. Sarkozy, c'est bonnet blanc et blanc bonnet dans la manipulation ?
R- Non, parce qu'il y en a quand même un qui est à l'origine.
Q- Oui, et l'autre qui l'utilise...
R- Et l'autre qui l'utilise. Mais si le premier n'avait pas été à l'origine de l'acte, on n'aurait pas eu toutes les conséquences.
Q- A qui profite tout cela ? A la gauche, à J.-M. Le Pen, à vous-mêmes ?
R- A personne, sauf à J.-M. Le Pen. Je crois que ce que je vous disais tout à l'heure sur la crise de confiance absolument totale, qui voulez-vous croire aujourd'hui ? Nos compatriotes se disent qu'on ne peut croire personne dans cette affaire. Et les seuls en qui, éventuellement, non pas en qui on croit mais en qui on aurait éventuellement envie de donner son bulletin de vote pour manifester sa réprobation absolue, c'est bien entendu J.-M. Le Pen ou l'extrême gauche.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mai 2006
R- La décision sera prise mardi en réunion de groupe...
Q- Mais votre sentiment ?
R- Le sentiment de beaucoup de députés du groupe, aujourd'hui, c'est de dire qu'il y a une crise de régime absolument totale. Une démocratie, c'est certes des élections, mais c'est aussi des pouvoirs et des contre-pouvoirs, c'est-à-dire un système où l'on introduit de la transparence et de l'éthique. Troisièmement, c'est aussi le respect d'un état de droit, et l'état de droit doit être respecté du haut de la pyramide jusqu'en bas. On voit bien que la démocratie française est profondément malade, et donc beaucoup de députés, en quelque sorte, disent, en conscience : "Nous sommes, en quelque sorte en 1789, où les dirigeants pratiquent les systèmes les plus opaques qui soient". On a eu, il y a un mois, un président de la République qui, selon la Constitution, veille au respect de la Constitution et qui promulgue une loi en disant : "Mais surtout, vous ne l'appliquez pas, on la suspend". On a eu tout l'épisode du CPE, l'épisode des banlieues. Est-ce que cela peut encore durer réellement un an ?
Q- Vous posez la question, quelle est la réponse ?
R- Une partie des députés du groupe se posent cette question, et donc mardi matin, ou peut-être même avant, nous allons nous décider en fonction de cela. Et j'allais dire que si certains députés UMP pouvaient le faire, je crois qu'ils seraient assez contents de le faire aussi.
Q- Mais là, vous faites un peu durer le suspens ! Le président, à titre personnel, le président du groupe UDF, lui, est-ce qu'il incline à censurer le Gouvernement, pour être clair ?
R- Je dis que tout cela, depuis plusieurs mois, entre les banlieues, le CPE et aujourd'hui toutes ces affaires, c'est une atteinte grave à la France. L'image de la France dans le monde est absolument ternie ; le référendum européen a été le premier acte de tout cela. Et puis, je me dis aussi que, si je suis profondément démocrate, eh bien je vote plutôt la censure. Mais j'ai un principe, c'est que je suis président d'un groupe et que je respecte les décisions de mon groupe.
Q- Mais je retiens la phrase : "Si je suis démocrate...", et je pense que vous l'êtes...
R- Je le suis profondément.
Q- Eh bien, vous votez la censure !
R- Je verrais.
Q- Non, mais ça c'est personnellement.
R- Clairement, je ferais ce que la majorité du groupe décidera de faire.
Q- Mais en tout cas, votre position, c'est plutôt de voter la censure ?
R- Je pense que cela mérite d'être regardé de très près. La question derrière tout cela, c'est que c'est vrai que dans cette histoire...
Q- Non mais, attendez, je vous arrête deux secondes, je ne comprends pas : si la situation est telle que vous venez de la décrire...
R- ... Mais elle est telle que nous la décrivons.
Q- Alors, on ne comprend pas pourquoi vous ne censurez pas le Gouvernement !
R- Oui, mais parce que dans n'importe quelle autre démocratie occidentale les choses auraient été réglées et auraient trouvé une solution politique depuis plusieurs semaines. Nous ne l'avons pas parce que la Vème République est cul par-dessus tête avec un président de la République qui est irresponsable politiquement, civilement et pénalement et que tout cela, ce n'est pas la lecture de la Vème République. Ca, ce sont les choses. La seule chose que vous savez et dont vous avez parfaitement conscience, c'est que voter la censure est un acte grave, et donc, bien entendu, cela mérite un temps de réflexion et un temps que nous devons consacrer ensemble.
Q- Je vous demandais simplement si, à un moment donné, comme vous avez l'air de dire "trop c'est trop", il ne fallait pas en tirer les conséquences.
R- Je pense qu'on va perdre un an, que la France va encore perdre un an, que la France est déjà en difficulté et que la solution raisonnable, c'est ce que je dis depuis des semaines, c'est que si on avait une lecture gaullienne de la Vème République que J. Chirac aurait démissionné au lendemain du référendum européen. C'est comme cela que le général de Gaulle envisageait la Vème République. Deuxièmement, on aurait des élections présidentielles anticipées, ce qui permettrait à la France de purger tout cela et d'essayer de repartir. Mais vous avez conscience que la crise de confiance à l'égard des dirigeants et du système politique est absolument énorme.
Q- Mais alors comment est-ce que vous expliquez, par exemple, que J. Chirac conserve, maintienne, soutienne D. de Villepin ?
R- Je n'en sais rien.
Q- Vous avez bien une explication !
R- Non, je n'ai pas d'explication. Ce que je sais, c'est qu'on est dans un système où, bien entendu, pour un président de la République qui vient de nommer un Premier ministre il y a neuf mois, l'idée d'en changer à nouveau, c'est la preuve supplémentaire de l'échec de ce quinquennat.
Q- Quand vous entendez J. Chirac venir à la télévision dénier toutes les accusations qui courent à l'encontre, et de son Premier ministre, et maintenant de lui-même, à travers les carnets du général Rondot, parler de "rumeurs" et parler de "calomnie", est-ce que vous le croyez ?
R- Je ne veux pas accuser les gens avant que les choses soient réglées, mais il y a au moins des contradictions absolument énormes entre un général militaire, dont tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il a plutôt été un général qui fait plutôt partie des militaires qui ont une vraie éthique et qui n'ont pas déraillé ou dérapé durant leur vie, et ce que dit le président de la République. Mais je n'arrive pas à imaginer un seul instant qu'un patron des services de Renseignement puisse écrire dans un carnet un certain nombre de choses qu'il aurait inventé dans le cadre des nuits qu'il passerait chez lui. Il y a quelque chose dans cette affaire qui me semble assez curieux... Ce que je sais, c'est que les militaires, pour les avoir fréquenter de très près, qui ont un vrai sens de leur mission, de leur fonction, qui croient en l'Etat, qui ont des vraies vocations, je n'arrive pas à imaginer qu'on puisse faire tout ça par la seule imagination d'un homme, ce n'est pas possible.
Q- Donc, ils obéissent des ordres, pour être clair ?
R- Bien sûr.
Q- Est-ce que N. Sarkozy est la victime dans cette affaire, à vos
yeux. Vous n'avez pas l'air d'être très sûr.
R- Ce que je constate c'est que dans cette affaire...
Q- On va parler clair : est-ce que vous pensez qu'il était au courant beaucoup plus tôt qu'il ne le dit ?
R- Mais bien sûr qu'il le savait puisque si vous regardez un peu et si vous regardez un peu les archives, vous retrouverez des dépêches de l'AFP qui datent d'il y a deux ans, où N. Sarkozy indique que cette affaire, pour l'instant, ne le concerne pas et qu'il la réglerait le moment venu. Et donc, on voit très bien que derrière tout cela, il y avait des moyens qui étaient dans les mains du ministre de l'intérieur pour régler son compte avec le Premier ministre, s'il le fallait, le moment venu, pour la détermination du candidat de l'UMP à l'élection présidentielle.
Q- Autrement dit, dans cette affaire, selon vous, D. de Villepin/N. Sarkozy, c'est bonnet blanc et blanc bonnet dans la manipulation ?
R- Non, parce qu'il y en a quand même un qui est à l'origine.
Q- Oui, et l'autre qui l'utilise...
R- Et l'autre qui l'utilise. Mais si le premier n'avait pas été à l'origine de l'acte, on n'aurait pas eu toutes les conséquences.
Q- A qui profite tout cela ? A la gauche, à J.-M. Le Pen, à vous-mêmes ?
R- A personne, sauf à J.-M. Le Pen. Je crois que ce que je vous disais tout à l'heure sur la crise de confiance absolument totale, qui voulez-vous croire aujourd'hui ? Nos compatriotes se disent qu'on ne peut croire personne dans cette affaire. Et les seuls en qui, éventuellement, non pas en qui on croit mais en qui on aurait éventuellement envie de donner son bulletin de vote pour manifester sa réprobation absolue, c'est bien entendu J.-M. Le Pen ou l'extrême gauche.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 18 mai 2006