Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à TF1 le 14 juin 2006, sur les raisons de son vote en faveur de la motion de censure déposée par le PS.

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Texte intégral

Claire Chazal : François Bayrou, il y a eu beaucoup de bruits, beaucoup de rumeurs. Allez-vous voter cette censure avec les socialistes ?
François Bayrou : J'ai décidé de voter la motion de censure parce qu'il y a une question qui se pose à tous ceux qui vous écoutent : est-ce que cela peut durer encore un an comme cela ?
Claire Chazal :L'affaire Clearstream et toute la nébuleuse autour de cette affaire ?
François Bayrou : Pas du tout, Claire Chazal. Ce qui ne peut pas durer c'est, au sein du gouvernement, cette haine, ce noeud de haine que l'on voit entre les principaux responsables de l'Etat et la mise au service de cette haine de ce que l'Etat a de plus sensible - on vient de le voir à perte d'images - ce sont les services secrets.
Les Français qui entendent cela disent que, bien entendu, cela ne peut pas durer un an et la question est : qui peut l'arrêter ? Qui peut faire que cette déliquescence, cet effondrement de l'Etat, cesse ? Dans la République française, il y a deux autorités qui peuvent faire que cette déliquescence cesse. La première, c'est le président de la République et la deuxième c'est l'Assemblée nationale. Ce sont les députés qui peuvent, en leur âme et conscience, personnellement, sans à avoir à obéir à aucun ordre, interrompre cette déliquescence et mettre fin à ce déclin. C'est leur responsabilité et c'est celle-là que j'exerce.
Claire Chazal :Est-ce que tout le groupe UDF va voter derrière vous cette censure, mardi ?
François Bayrou : C'est difficile, vous le savez bien parce que, naturellement, il y a le poids de l'histoire et le mouvement qui vient de cet héritage. Je souhaite que le groupe UDF le fasse. En tout cas, ils ont marqué beaucoup de solidarité dans toutes les conversations que nous avons eues ces derniers jours, même si un grand nombre hésite, naturellement, à sauter ce pas...
Claire Chazal :Il y a des risques de division de l'UDF dans cette affaire ?
François Bayrou : Non, il n'y a aucun risque de division. Il y a un risque de glissement de la France dans un gouffre dont elle ne sortira pas. Vous voyez sans doute, Claire Chazal, comme moi, beaucoup de gens qui vivent à l'étranger. Que disent-ils ? Ils disent « nous avons honte de l'image de la France ». Cette honte, nous ne voulons pas qu'elle devienne une habitude. Nous voulons mettre fin à cette déchéance-là. Tous les Français de gauche, du centre et de droite, veulent que cela s'arrête. Il y a un moyen simple pour que cela s'arrête, c'est que chacun prenne ses responsabilités et que mardi on décide, comme le dit la Constitution, de mettre en cause la responsabilité du gouvernement par une motion de censure.
Claire Chazal :Au cas où l'UMP ne la voterait pas, ce qui est évidemment probable, on sait bien que cette motion de censure ne pourra pas être adoptée, de toute façon.
François Bayrou : En tout cas, nous aurons dit, ceux qui l'auront fait, prenant le risque de franchir ce genre de pas, que cela ne pourra pas durer et nous aurons dit une deuxième chose, c'est que lorsque le moment va venir de reconstruire la France, de reconstruire moralement la France, cela ne sera plus une question de gauche et de droite, nous aurons besoin de tout le monde.
Claire Chazal :Justement sur ce point : c'est très important parce que c'est la première fois, vous vous êtes souvent abstenus, mais là vous voterez cette censure, est-ce que cela veut dire, ce soir, que vous êtes clairement dans l'opposition et à cette échéance que vous évoquez, vous signifierez que vous êtes dans l'opposition ? Autrement dit, est-ce qu'au deuxième tour de l'élection présidentielle...
François Bayrou : Au deuxième tour de l'élection présidentielle, j'espère bien que nous y serons. Vous avez raison de le dire, c'est un acte d'opposant. C'est un acte d'opposant au déclin de la France.
Claire Chazal :Mais est-ce que c'est un acte d'appartenance à l'opposition politique au gouvernement ?
François Bayrou : Il n'y a pas, pour moi, devant une affaire de cet ordre, de camps. L'indignation des Français, la peine des Français, le désespoir civique des Français, ce n'est pas un désespoir d'un camp contre l'autre. Et même, si vous me le permettez, je suis sûr que ce désespoir est plus grand encore dans les rangs de ceux qui, à droite, avaient fait confiance à Jacques Chirac, au gouvernement, à ce qui s'est passé en 2002. Tous ceux qui croyaient qu'on allait pouvoir tourner la page sur un certain nombre de choses s'aperçoivent aujourd'hui que, au contraire, de tous les engagements pris la main sur le coeur, ont leur avait donnés...
Claire Chazal :Sur le chômage, reconnaissez que l'engagement a été à peu près tenu, le chômage baisse...
François Bayrou : Disons que ce qui entraîne la baisse du chômage, c'est la démographie d'un côté, les gens qui partent à la retraite, et la montée du RMI. Mais je ne veux pas faire de polémique parce que ça, c'est de la politique. Là où nous sommes aujourd'hui, ce n'est plus de politique qu'il s'agit, c'est de la République et d'une certaine morale civique. Comment voulez-vous que des enseignants ou des parents fassent aujourd'hui à leurs enfants, des cours d'éducation civique ou des messages d'éducation civique alors que les principaux responsables de la France, au gouvernement, dans l'exécutif, sont en train de se livrer à cette guerre haineuse dont la France sort accablée.
Cet effondrement, cette glissade, cette dérive de la France, il faut l'interrompre et c'est le message que nous aurons mardi.
Claire Chazal : Merci François Bayrou source http://www.udf.org, le 1 juin 2006