Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France 2" le 31 mai 2006, sur le climat politique, au sein du parti socialiste comme de la majorité, à l'approche de l'élection présidentielle de 2007.

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Un an de D. de Villepin à Matignon, drôle d'ambiance pour un anniversaire... Hier, à l'Assemblée nationale, c'était Borloo super star ; est-ce que cela vous étonne ?
R- Ce qui ne m'étonne pas, c'est que D. de Villepin, un an après son accession à Matignon, n'ait plus la confiance des Français. Cela, on le savait, on le mesure tous les jours, notamment après la crise du contrat "première embauche" et encore aujourd'hui, l'affaire Clearstream, il y a un rejet, pas simplement du Premier ministre, parce que ce serait trop simple, mais de sa politique. Ce que l'on ne sait pas, peut-être, c'est combien il est, lui aussi en perte de confiance dans sa propre majorité. Cela a été l'expression de la colère, de la grogne de ce groupe UMP, qui, ne pouvant pas s'en prendre au président de la République, notamment après l'amnistie dont a bénéficié G. Drut, s'en est à son représentant...
Q- Amnistie que vous avez condamnée...
R- Bien sûr qu'on l'a condamnée, parce que c'était un acte immoral. Mais il y a eu de la part de la majorité UMP, là aussi, l'expression d'une défiance à l'égard du Premier ministre. Donc, finalement, D. de Villepin, un an après avoir été nommé par J. Chirac à Matignon, n'a plus la confiance que d'un seul homme, un seul : c'est le président de la République. C'est quand même bien peu pour continuer à travailler pour le pays.
Q- Cela veut dire que hier, l'Assemblée nationale a voté la motion que vous aviez déposée, qui n'était évidemment pas passée, faute de majorité ?
R- Vous voyez bien que cette situation n'est pas tenable ! On ne peut pas imaginer un pays, le nôtre, un grand pays, la France, qui doit peser à l'extérieur, qui doit prendre des décisions importantes, y compris jusqu'en 2007, être ainsi dirigé par un président de la République qui paraît plus seul que jamais et un Premier ministre qui n'a que la confiance du président de la République et un président de l'UMP, en l'occurrence, N. Sarkozy, qui n'a de cesse de déstabiliser le Premier ministre. Je dis au nom de l'opposition, il faut mettre de la cohérence là où il n'y en a plus. Mais il y aura un rendez-vous, celui de 2007. Et ce n'est parce que la droite, aujourd'hui, dégrade l'idée que l'on se fait de la politique, l'image que la France doit avoir vis-à-vis de l'extérieur et surtout la vie quotidienne des Français, que les Français doivent se décourager. Eh bien non, ils auront l'occasion de le dire en 2007, au moment d'une échéance essentielle.
Q- Vous dites que le président de la République est sourd non seulement à sa propre majorité mais aussi au pays tout entier ?
R- Je pense que le président de la République n'entend aucun des messages qui lui sont adressés depuis quatre ans, et il y en a eu de nombreux : les élections régionales, le non au référendum du 29 mai, la crise du contrat "première embauche", et encore, aujourd'hui, ce sentiment d'immoralité qui touche le pouvoir. Il faudrait que président de la République réagisse ; il ne réagit pas ! D. de Villepin est lui-même l'objet de la défiance qui s'exprime dans le pays et ce serait trop simple de s'en prendre à la seule personne de D. de Villepin. Je ne veux pas du tout donner cette impression de chasse à l'homme, car elle m'écoeure comme le reste. Mais il y a une responsabilité collective de J. Chirac, parce qu'il est le président de la République, de D. de Villepin parce qu'il est le chef du Gouvernement et lui aussi ne tient aucun compte des messages du suffrage universel, et de N. Sarkozy qui est simplement dans une situation où il essaie d'exploiter les faiblesses de son propre camp pour essayer de rompre avec celui-là et personne ne sera dupe de cette manoeuvre.
Q- "Exploiter les faiblesses" ou les situations : quand il se rend à Montfermeil, par exemple, après les émeutes qui ont eu lieu, pour encourager les forces de l'ordre, est-il dans son rôle ou il exploite les faiblesses, les tensions du pays ?
R- Quelques mois après la crise des banlieues, on a le sentiment pénible que rien n'est réglé. Et on a toujours la même gesticulation de la part du ministre de l'intérieur : il vient sur les lieux, il annonce des engagements de l'Etat qui ne viennent jamais. Il encourage, et c'est bien normal, les forces de police mais il stigmatise un certain nombre de jeunes - je ne parle pas de ceux qui commettent des violences, parce que ceux-là, méritent effectivement d'être condamnés - mais il ne fait rien pour apaiser. Et donc, le ministre de l'intérieur, finalement, porte la responsabilité des actes de violence qui sont aujourd'hui commis, car il y a trop longtemps qu'on laisse des ghettos entiers se constituer dans notre pays. La police de proximité a été supprimée dans ces quartiers, le rôle de l'éducation a été amoindri. Bref, rien n'a été fait depuis maintenant quatre ans, et pire : rien n'a été fait depuis la crise des banlieues. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur est en campagne électorale permanente et utilise son rôle, qui devrait être celui de l'apaisement, pour stigmatiser et pour entretenir un conflit politique qui n'a pas lieu d'être.
Q- Justement, proposer des solutions sur ces difficultés, c'est l'objet du projet socialiste. Le bureau national du PS travaille sur un document de synthèse qui va s'appeler "Réussir ensemble". Ce document est un peu long, allez-vous le raccourcir ? Est-ce le signe d'une difficulté à trouver un document commun ?
R- Non, je crois que tous les socialistes sont conscients de leurs responsabilités. Aujourd'hui, nous ne pouvons pas être simplement le produit d'un rejet, bénéficier, finalement, comme souvent, d'une alternance par défaut. Nous avons à porter des propositions fortes pour le pays. Aujourd'hui, les Françaises et les Français doutent de l'avenir, on le sent bien, pas simplement de leur Gouvernement. Ils ont compris que celui-là ne passerait pas au-delà de 2007. Ils doutent de l'avenir, ils doutent même de la politique. Donc, le rôle du PS est de donner confiance, confiance, notamment dans le retour du plein emploi, contre la précarité. Nous ferons des propositions, notamment, sur le retour de la croissance, la stratégie qu'il faut mettre en oeuvre, à la fois, le soutien du pouvoir d'achat mais aussi l'éducation, la recherche comme piliers de cette nouvelle croissance. Deuxièmement, les Français doutent de l'avenir par rapport à cette crise énergétique. Il faut donc que nous développions tout ce qui est énergies renouvelables, diversification d'énergies. Ils doutent également du l'accès de tous à la connaissance avec les technologies. Donc nous mettrons la priorité sur l'éducation et la formation, par exemple, l'école dès l'âge de trois ans, parce que c'est très important de lutter contre l'échec scolaire, mais aussi un plan de modernisation de nos universités car nous avons besoin de plus de diplômés de plus de qualifiés.
Q- Certains de vos proches, dans un courant qu'ils appellent "Nouvelle voie" disent qu'il faut arrêter les querelles entre les candidats ; d'autres disent au contraire qu'il faut organiser les débats. Certains vous reprochent - disons les choses clairement - au sein même du Parti socialiste, de ne pas organiser les choses en interne, pour que tous les candidats - D. Strauss-Kahn face à S. Royal, J. Lang face à L. Fabius, vous-même face à D. Strauss-Kahn - puissent débattre et que les militants puissent décider à l'issue de débats publics ?
R- Aujourd'hui, le seul débat qu'il faut organiser, il est autour de notre projet. J'y contribue pour ma part avec ce livre. Mais d'une manière générale, nous avons à faire des propositions, et c'est ce que nous avons fait encore hier, dans cette instance qui s'appelle le bureau national, et c'est ce que nous allons continuer à faire, par exemple, tout au long du mois de juin, les militants du Parti socialistes. Je rappelle qu'ils sont 65.000 de plus depuis le débat de l'année, parce qu'ils ont envie, précisément, beaucoup de nos concitoyens, de participer. Je leur lance un appel : venez vous emparer de ces propositions, discutez avec nous. C'est le seul débat qu'il faut organiser. Cela va nous prendre tout le temps nécessaire jusqu'à l'été. Après l'été, à partir du mois d'octobre, forcément, parce qu'il faudra désigner un candidat ou une candidate au Parti socialiste - il en faudra bien un ou une, pour l'élection présidentielle - alors nous aurons [à choisir] entre les candidats à la candidature, je ne sais combien il y en aura, peut-être beaucoup moins qu'aujourd'hui, il y aura nécessairement des rencontres devant les militants, et nous aurons à discuter non pas de nos propositions - elles seront déjà établies - mais des caractéristiques de chacun ou de chacune pour emporter la décision devant les militants socialistes mais surtout devant les Français. Ce qui compte pour moi, c'est la victoire en 2007, ce n'est de pas de savoir aujourd'hui qui, c'est de savoir qu'est-ce que nous pouvons proposer aux Français.
Q- Ce livre, c'est la preuve aussi que vous aussi, vous rentrez dans la campagne pour la candidature à la candidature ?
R- Mais non, moi j'ai fait ce livre précisément comme premier secrétaire, pour dire quel bilan tirons-nous de notre passage au Gouvernement. Nous ne pouvons pas dire que nous n'avons aucune responsabilité dans la situation du pays. Faire l'inventaire de ce qui a été fait positivement - il y a eu heureusement des avancées - ce qui n'a pas marché, sinon nous serions aux responsabilités. De savoir ce qu'est aujourd'hui le socialisme, quelle idée nous portons. Et enfin, de faire des propositions. Que chacun rentre dans cette mécanique de la délibération, du débat, c'est la seule qui nous permet d'être crédibles devant les Français.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2006