Déclaration de Mme Brigitte Girardin, ministre déléguée à la coopération, au développement et à la francophonie, sur la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à l'Assemblée nationale le 8 juin 2006.

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Circonstance : Débat en séance publique du projet de loi n°2978 autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à l'Assemblée nationale le 8 juin 2006

Texte intégral

Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Le 20 octobre 2005, l'UNESCO a inscrit dans le droit international la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles en adoptant la convention que la France et ses partenaires francophones appelaient de leurs voeux dès 2002. Ce texte constitue une avancée majeure dans la mesure où il garantit le droit souverain des Etats à décider de leurs politiques culturelles. Il consacre la valeur spécifique des biens et services culturels et affirme l'importance de la solidarité culturelle internationale.
Il y avait urgence. Car je voudrais rappeler ces quelques chiffres : 85 % des places de cinéma vendues dans le monde concernent des films produits à Hollywood. 50 % des fictions diffusées à la télévision en Europe sont d'origine américaine, cette proportion atteignant même 67 % dans un pays comme l'Italie. 9 des 10 écrivains les plus traduits dans le monde sont des écrivains de langue anglaise. 90 % des langues parlées aujourd'hui risquent de disparaître à la fin de ce siècle.
Pour la première fois, le droit international reconnaît que les Etats ont le droit de conserver, d'adopter et de mettre en oeuvre les politiques et les mesures qu'ils jugent appropriées pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles sur leur territoire. En cela, la convention garantit un droit fondamental aux yeux de la France, celui de permettre à tout Etat de préserver et de promouvoir sa culture et son patrimoine.
La convention confirme par ailleurs le rôle central des artistes et des créateurs ; elle reconnaît que les biens et services culturels sont porteurs de valeurs et de sens, donc de l'identité même des hommes et des sociétés. Ils ne sauraient de ce fait être soumis aux seules lois du marché. Elle institue en droit international un régime particulier pour les biens et services culturels, complémentaire du droit de l'Organisation mondiale du commerce, sans subordination d'un corpus juridique à l'autre. En cela, la convention affirme un principe défendu depuis longtemps par la France et la Francophonie : la volonté, à l'époque de la mondialisation, où tout s'échange et où tout peut devenir objet de commerce, de donner à la culture une place particulière. La culture n'est pas un bien marchand comme les autres. Elle a sa singularité, elle véhicule une identité, elle est diversité.
Enfin, la convention consacre pour la première fois la dimension culturelle du développement et prévoit de renforcer la coopération internationale dans ce domaine. Elle servira notamment à soutenir la professionnalisation des métiers de la culture dans les pays en développement, à permettre l'émergence d'industries culturelles viables sur leur territoire et à favoriser la mobilité des artistes et des oeuvres. La France est très attachée à ce volet "solidarité" de la convention, qui lui permettra de conforter les actions déjà menées en matière de coopération culturelle et de continuer à mettre en oeuvre des partenariats avec les pays du Sud. Nos actions en faveur de la diversité culturelle sont ainsi confortées. Nous investissons en effet déjà dans des programmes tels que "Afrique en créations" (5,9 millions d'euros sur trois ans), le Fonds Sud Cinéma, doté de 2,2 millions d'euros par an et qui, depuis sa création en 1984 a aidé plus de 350 projets cinématographiques de réalisateurs d'Afrique, d'Amérique latine, d'Asie, du Proche et du Moyen-Orient ainsi que de certains pays d'Europe et d'Asie centrale, l'appui au désenclavement numérique en Afrique subsaharienne (programme ADEN), l'accueil et la formation d'artistes étrangers en France... L'Organisation internationale de la Francophonie a inscrit, quant à elle, dès 2004, dans ses programmes de coopération, la promotion de la diversité culturelle comme une de ses quatre missions fondamentales.
S'il fallait résumer l'esprit de la Convention, je citerais volontiers Léopold Sédar Senghor, dont nous fêtons cette année le centième anniversaire de la naissance, et qui nous proposait de : "s'enrichir de nos différences pour converger vers l'universel". L'universel dans la vision du poète ne se confond pas ici avec l'uniformisation, ne se substitue pas aux cultures ou aux héritages propres à chaque peuple, au contraire, il les prolonge et les dépasse car, écrivait Senghor : "ce qui nous unit, c'est l'esprit de la civilisation, des civilisations, par quoi se définit la culture. C'est l'esprit, qui est raison et imagination, liberté créatrice". La Convention internationale qui vous est soumise aujourd'hui est la traduction en acte, sur le plan culturel, de cette éthique de la différence. Elle représente un pari humaniste pour que cette différence soit maintenue et valorisée, pour l'enrichissement de tous.
Cette convention est ainsi porteuse de valeurs et de principes défendus de longue date par la France et par ses partenaires de la Francophonie. Elle reconnaît l'égalité des cultures, la diversité des identités culturelles et la liberté d'expression des artistes, des créateurs et des peuples.
Le président de la République a entendu conférer une solennité particulière au processus de ratification de cette convention en demandant au gouvernement de la soumettre au Parlement. La ratification par la France de ce texte par la voie parlementaire sera un signal fort vis-à-vis de nos partenaires qui l'ont adopté en octobre dernier. 30 ratifications sont nécessaires pour que la convention entre en vigueur. A ce jour, 6 Etats (Canada, Ile Maurice, Burkina Faso, Cambodge, Djibouti et Croatie), tous membres de l'Organisation internationale de la Francophonie, l'ont déjà ratifiée. Les Etats et les gouvernements francophones qui ont porté avec détermination cette convention en octobre dernier, se sont engagés lors de la conférence ministérielle de Madagascar à l'automne 2005 à devenir partie au texte avant le Sommet de Bucarest les 28 et 29 septembre prochains. Qu'il me soit permis de rappeler avec force, dans cette enceinte, la contribution majeure de la Francophonie et de son secrétaire général, le président Diouf, à notre combat pour la promotion de la diversité culturelle dans le monde.
Sur le plan communautaire, la Communauté européenne et ses Etats membres qui ont su présenter un front uni tout au long de la négociation, mènent la ratification de la Convention en parallèle. A Bruxelles, le Conseil Culture du 18 mai 2006 a autorisé la ratification par la Communauté, l'objectif étant aujourd'hui le dépôt par le plus grand nombre d'Etats de leur instrument de ratification conjointement avec l'adhésion de la Communauté européenne à la Convention.
En la ratifiant dans un délai bref, la France démontrera une fois de plus qu'elle est fidèle à ses engagements. Elle donnera toutes ses chances à la nouvelle Convention d'entrer en vigueur et de s'appliquer. Elle prolongera sur le plan normatif l'action qu'elle mène à travers sa coopération culturelle internationale, afin de préserver le droit de chacun d'être lui-même.
Telles sont, Monsieur le Président, Monsieur le Rapporteur, Mesdames et Messieurs les Députés, les principales dispositions de la Convention qui fait l'objet du projet de loi aujourd'hui proposé à votre approbationSource http://www.diplomatie.gouv.fr, le 12 juin 2006