Déclaration de M. Laurent Fabius, président de l'Assemblée nationale, sur l'adaptation des systèmes informatique à l'an 2000, à l'Assemblée nationale le 20 janvier 1999.

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Circonstance : Ouverture du colloque "Cap informatique pour l'an 2000 : quels risques pour la France ?", à l'Assemblée nationale

Texte intégral


Monsieur le Président Santini, mes chers collègues,
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Je veux dabord vous souhaiter la bienvenue dans cette maison qui est la vôtre et vous présenter mes meilleurs vux pour 1999.
Jajouterai - et jentre ainsi dans le vif de notre sujet - meilleurs vux aussi pour lan 2000. Certes, nous le savons, les siècles réels, ceux qui ponctuent notre vie et notre mémoire, ne commencent pas toujours par un chiffre rond. Le 16ème siècle a débuté en 1492, le 17ème à la naissance de Louis XIV, le 18ème à sa mort, le 19ème en 1789, le 20ème en 1917 ou 1918 et le 21ème, probablement en 1989, avec lécroulement du mur de Berlin. Il nempêche que lan 2000 cette fois ci, cest un chiffre rond - est une frontière symbolique et réelle. Le souligne, et pas dun point de vue seulement technologique, la question qui, sous la houlette dAndré Santini, nous réunit aujourdhui : « lan 2000 : quels risques pour la France ? ».
Car de très nombreux systèmes électroniques ne prennent en effet en compte que les deux derniers chiffres des années. Ce qui, en schématisant, revient à dire que le 1er janvier 2000 sera considéré comme le 1er janvier 1900. Tous les traitements basés sur des comparaisons ou des calculs de dates peuvent alors être erronés. Jutilise à dessein le terme « système électronique » car les systèmes informatiques ne sont pas les seuls concernés. Tout système intégrant des composants électroniques peut être affecté, quil sagisse dautomates industriels, déquipements de contrôle daccès et de sécurité, de terminaux de paiement ou délectroménager. Tous ne mourront pas, mais tous seront frappés. Cest le fameux bug, version électronique du Krach financier ou du Breakdown psychologique, ces autres chocs immatériels déjà connus et explorés.
Si tout le monde saccorde sur la cause du problème, les avis sur les conséquences sont partagés. Les plus apocalyptiques prévoient rien de moins quune crise mondiale. Certains Outre-Atlantique vont même jusquà stocker face à toute éventualité. Les plus sceptiques disent, ce que je ne crois pas, quil sagirait pour lessentiel dune formidable opération commerciale des sociétés de services et soulignent que le passage à la monnaie unique sest fait en douceur pour les systèmes informatiques. Daucuns, sur un ton plus rationnel, évoquent un coût total variant de 500 à 1500 milliards deuros. Dautres se contentent de recommander déviter dêtre dans un ascenseur pendant la nuit de la Saint-Sylvestre. Il est vrai quil existe des endroits plus agréables pour fêter la nouvelle année.
Je considère pour ma part que, sils ne sont pas facilement quantifiables, les risques de bug sont très réels et imposent la mobilisation de tous. Le chantier est dune ampleur sans précédent et sa date dachèvement est évidemment immuable. Or, malheureusement, souvent, les projets informatiques, y compris à lAssemblée, ne se terminent pas dans les délais prévus. Au Palais-Bourbon qui est une grande institution, une grande administration, ce sont plus de 1000 postes de travail individuels à mettre en condition de ne pas saffoler et que nous profiterons pour aligner en 2 ans sur la norme pentium II, des milliers dapplication (quil marrive de trouver -comme nos matériels- dorigines un peu hétéroclites) à passer au peigne fin afin que comptabilité, archives, compte-rendu, chauffage, éclairage des façades, site Internet, production de badges, système de titrage vidéo de la séance, que sais-je encore, ne soient pas frappés daphasie. Cest un défi. Comme dans toute entreprise cet horizon nest pas un programme isolé, mais un stimulant pour le changement, une préoccupation transversale pour notre gestion, une occasion nouvelle douverture et de rénovation. Laccent mis depuis un an sur le développement des moyens dinformation à lintention des citoyens ne peut être que renforcé par la nécessité de remplacer des applicatifs anciens. Du risque de lobsolescence peut naître une chance de modernité, une piste de créativité.
Mobiliser plus fortement la communauté nationale, évaluer les risques encourus par la France, apprécier létat davancement des programmes de mise à niveau des systèmes, proposer au Gouvernement les mesures nécessaires ; tels sont les objectifs de la mission
« passage informatique à lan 2000 » que le ministre de léconomie, des finances et de lindustrie a confié en février 1998 à Gérard Théry. Le bilan établi en fin dannée dernière faisait apparaître une situation contrastée. Les grandes entreprises industrielles françaises, sous limpulsion notamment de leur club informatique, ont entamé leurs travaux dès 1995 et mis en place un système déchange dinformations et de mutualisation de moyens. Le secteur bancaire et financier a tiré parti de lexpérience acquise lors du passage à leuro. Les travaux dans ladministration ont commencé tôt et comme le Premier Ministre la rappelé, la sécurité des personnes et la continuité des services essentiels à la collectivité doivent constituer une priorité absolue. Dans ces secteurs, jespère que la situation peut être jugée globalement satisfaisante mais il convient, jy insiste, de rester très vigilant.
Létat de préparation des PME/PMI est plus préoccupant. Pour des raisons qui tiennent au coût des opérations dadaptation, à la faiblesse des structures daides et de conseil, parfois au scepticisme des responsables, il nest pas encore écrit comment se passera la réalité. Un sondage réalisé par lIFOP, voici quelques mois, montrait que 2 chefs de PME sur 3 pensaient que leur entreprise ne subirait aucune conséquence du phénomène ; quant à ceux qui estimaient être touchés, 1 sur 5 indiquait ne pas disposer des moyens nécessaires pour sy préparer. Cest vers ce secteur qui regroupe plus de 2,2 millions dentreprises et qui pour lemploi et la croissance est un élément essentiel de notre tissu économique, que doivent porter particulièrement nos efforts.
Effort de communication en utilisant tous les médias y compris, bien sûr, Internet, en mobilisant les relais locaux, chambres de commerce et dindustrie, chambres de métiers, directions régionales de lindustrie, de la recherche et de lenvironnement, centres techniques industriels. Effort daccompagnement, en apportant un soutien technique aux PME/PMI. Jinsiste sur ce point. LEtat doit montrer le chemin de la précaution et de la prudence. Il est dans son rôle en prévenant, régulant et épaulant.
Jajoute que les travaux de passage à lan 2000 et à leuro sont source de tension sur le marché de lemploi informatique. Les sociétés de service nont pas toujours les effectifs pour faire face à la croissance brutale de la demande de leurs clients. La pénurie serait, dit-on, en France de lordre de 10.000 emplois et ceci nest bien entendu pas spécifique à notre pays. Face à cette situation, les professionnels et les pouvoirs publics ont mis en place une opération de formation accélérée à linformatique concernant dans un premier temps 2.500 jeunes. Il faut sen féliciter. Il faudra aussi ne pas éluder la question : quel sera, ensuite, lavenir de ces emplois, lorsque la totalité des adaptations « an 2000 » et euro auront été effectuées. Et y apporter réponse.
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Le XIXème siècle a fondé son expansion sur les biens, le XXème sur les services, le XXIème le fera sur linformation et la communication. Dans un roman, « Ravages », Barjavel montrait comment une société de science fiction, où tout fonctionnait à lélectricité, y compris les boutons des vêtements, voyait soudainement changer les propriétés physiques de celle-ci et les principes de sa production disparaître de la connaissance des savants. Sans volts, sans watts, tout seffondrait. Du jour au lendemain, Métropolis retournait chez Cro-Magnon. Telle nest pas notre situation, mais il est vrai que notre siècle sachève sur un formidable défi technique qui montre dune certaine façon la myopie de beaucoup de nos visions passées, qui nous concerne tous et dont personne ne peut encore évaluer avec précision les conséquences. Je suis convaincu que nous devons nous mobiliser pleinement pour maîtriser ce défi. Cest le sens de cette réunion à laquelle je souhaite plein succès. Bon travail.
(Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 25 février 2003)