Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à la Chaîne Info LCI le 9 juin 2006, sur la politique gouvernementale et l'éleciton présidentielle de 2007.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- Pour être un enfant du rugby, vous ne risquez pas moins d'être victime du football ; est-ce que les hommes politiques ne sont pas condamnés à faire relâche pour un mois ?
R- Oui, il paraît que c'est l'espoir de certains qu'on pense à autre chose qu'à la politique. Il faut vivre avec le pays, il y aura naturellement la Coupe du monde, il y aura aussi le fait que les gens vont continuer pendant la Coupe du monde, à penser, à réfléchir, même si leurs idées sont davantage du côté du ballon rond que d'habitude.
Q- Néanmoins - vous l'avez presque évoqué à l'instant - estimez-vous que cette Coupe du monde va donner un répit au Gouvernement, à l'exécutif, ou au contraire, est-ce que vous pensez qu'elle peut permettre, donner l'occasion à J. Chirac de changer de Gouvernement à froid, pendant que la fièvre du football occupera les esprits ? Est-ce que c'est nécessaire ?
R- Tout Paris bruit de ce genre de rumeurs. Pour moi, ce n'est pas la question du Gouvernement, la question, c'est celle du régime, de la manière dont la politique française est vécue depuis des années et qui fait qu'aujourd'hui, la perte de confiance est profonde, j'allais presque dire totale. Ce n'est pas seulement parce que les sondages sont très bas - les sondages, au fond, ne sont qu'une photographie imprécise. Ce qui est frappant, c'est de voir à quel point il y a absence d'action, de projet, de présence du Gouvernement.
Q- On voit que les différents candidats à la candidature, ou à la présidentielle, commencent à mettre en place leur dispositif. On a entendu, hier, N. Sarkozy faire le bilan - sans doute le dernier - de son action contre l'insécurité ; lui donnez-vous quitus ?
R- Je pense qu'au début c'était bien, et puis, peu à peu, les résultats sont, hélas devenus plus ordinaires. Je pense que beaucoup de Français ont le sentiment que la sécurité ne s'est pas améliorée, même s'ils ont aimé que dans les premiers mois, l'action de l'Etat devienne une présence forte. Mais le problème de sécurité en France, comme vous le savez bien, dépend de beaucoup d'autres causes, que de l'affichage d'un certain nombre de mesures ou d'un certain nombre de postures.
Q- Précisément, lorsque N. Sarkozy propose, comme il l'avait fait déjà, il y a quelques années - je crois que c'était en 2003 - d'instaurer des peines plancher au risque de faire une entaille dans la philosophie de notre justice de l'individualisation de la peine, est-ce que vous estimez que c'est opportun ?
R- Mais que ne le fait-il pas plutôt que d'en parler ? On a vu hier des polémiques avec la justice, on a vu des annonces d'initiatives. Mais ils sont au Gouvernement ! Pourquoi est-ce qu'ils ne prennent pas les initiatives qui leur paraissent importantes ? Je ne parle pas seulement de N. Sarkozy, je parle de l'ensemble du Gouvernement. Quand on est au Gouvernement, au lieu de présenter des paroles, on présente des actes. Je ne crois pas que la France acceptera, jamais, que le juge soit dessaisi de son pouvoir d'examiner si le dossier est vide ou s'il y a quelque chose à l'intérieur. Mais qu'il le présente, au lieu de faire de la communication autour d'un certain nombre de formules ou de phrases, il n'y a rien de plus simple que de dire "je vais à l'Assemblée nationale, et au nom du Gouvernement, je présente un projet de loi pour changer les choses si elles ne vont pas".
Q- Quand N. Sarkozy propose un projet de loi à l'Assemblée nationale et au Sénat sur l'immigration, vous applaudissez ?
R- Sur l'immigration, il a été examiné. Vous avez l'impression que cela change beaucoup de choses ? J'ai dit que "l'immigration choisie" était une formule, qui était une formule publicitaire de communication, parce que l'immigration qui pose problème en France, c'est l'immigration qui n'est pas choisie, c'est l'immigration clandestine, en particulier. Et pour cette immigration clandestine, que fait-on ? Naturellement, rien n'a changé. Ce qui est agaçant pour beaucoup de Français, dont je me fais l'interprète devant vous, c'est que l'action politique est remplacée par la phrase politique, l'action politique est remplacée par des mots et les actes sont plus forts que les mots.
Q- De l'autre côté, puisque vous être au centre, vous regardez à droite, vous regardez à gauche...
R- C'est vous qui regardez. Moi, je m'efforce de tracer un champ...
Q- Vous vous efforcez de rassembler. Quand vous voyez la manière dont S. Royal progresse dans les sondages, estimez-vous que, du point de vue de votre propre stratégie, c'est plutôt une chance ou un handicap. Autrement dit, cette candidate socialiste qui parle beaucoup de T. Blair, et qui semble sur certains points plus proche du centre que de la gauche...
R- C'est une preuve, et cette preuve, c'est que les Français attendent que les lignes bougent. La faveur dans les sondages, actuelle, de S. Royal, ne vient pas du PS, de son projet, de son programme, à supposer qu'il existe et à supposer qu'il soit réaliste. Elle vient de ce que les Français voient là quelque chose, une candidature capable de faire bouger les lignes. Tant mieux ! C'est de cela dont on a besoin. On a besoin, en France de voir des courants politiques et des personnalités qui tournent la page sur le monde d'hier, coupé en deux, avec une gauche et une droite qui ne se parlent jamais, et qui vont vers, au contraire, davantage d'ouverture d'esprit et de réalisme. En tout cas, c'est le chemin que, pour ma part, j'ai choisi depuis longtemps, vous le savez.
Q- Vous dites que c'est le chemin que vous avez choisi, mais quand on essaie d'imaginer ce que pourra être le premier tour de la présidentielle - puisque vous reprocher aux uns et aux autres de penser surtout au second tour - quand on regarde le premier tour, est-ce que votre souhait, c'est d'être une position d'arbitre ? Autrement dit, de pouvoir soit appeler à voter à gauche, soit appeler à voter à droite au deuxième tour ?
R- Mon souhait, c'est d'être en position de rassembleur. Ce dont on aura besoin,c'est d'une voie politique, d'un chemin politique pour la France, qui permette d'associer des forces politiques et des personnalités politiques, qui, jusqu'à maintenant, étaient opposées et qui étaient,de ce fait, impuissantes.
Q- D'accord, mais qui voulez-vous réunir ? On essaie d'imaginer...
R- S'il y a un deuxième tour en France, à l'élection présidentielle, c'est pour qu'il n'y ait plus que deux candidats. Cela a des inconvénients très lourds, on l'a vu en 2002. Mais c'est cela que les fondateurs de l'élection présidentielle ont voulu. A partir de ces deux candidats, il y a deux rassemblements. C'est d'ailleurs pour cela que J. Chirac, à mon avis, s'est trompé en 2002 lorsqu'au lieu de rassembler les courants principaux qui avaient voté pour lui et qui avaient, ainsi, voulu afficher leur soutien à un certain nombre de valeurs républicaines, il s'est au contraire refermer sur les seuls qui avaient voté pour lui pour le premier tour. Les rassemblements de deuxième tour, dans mon esprit et pour la candidature ou la voie politique que je propose, on va les appeler simplement "les réformistes" : ceux qui veulent qu'on ait en France, le réalisme - appelons cela comme ça - de faire ce que le peuple français demande, c'est-à-dire à la fois l'économie de liberté sans laquelle on ne peut pas vivre et la solidarité sans laquelle le pays se déchire.
Q- Pour reprendre des préoccupations de votre ami G. de Robien, est-ce que ce rassemblement, vous l'imaginez plutôt vers la gauche ou plutôt vers le pôle de droite ? Autrement dit, est-ce que vous pourriez faire ce rassemblement avec N. Sarkozy ou avec S. Royal ?
R- Je l'imagine au centre ! C'est bête, hein. C'est-à-dire, jusqu'à maintenant, dans la vision d'un certain nombre de gens, l'UDF était un supplétif : elle était toujours alignée, quoi qu'elle dise, quels que soient les propos qu'elle tenait ou les analyses critiques qu'elle tenait, elle était toujours alignés sur son puissant allié. Eh bien ce n'est pas ma vision. Ma vision, c'est que l'on a besoin, aujourd'hui, d'un projet politique capable de s'émanciper, droit et libre, et de rassembler les gens autour de lui et pas autour des autres, d'être non pas un supplétif mais un rassembleur.
Et le suspense reste sur le deuxième tour...
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juin 2006