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Leïla de Comarmond et Lucie Robequain : Qu'attendez-vous de votre rendez-vous avec Laurence Parisot ?
Bernard van Craeynest : Depuis qu'elle préside le Medef, Laurence Parisot n'a vu officiellement la CFE-CGC qu'une seule fois, en novembre dernier. Il était donc temps. D'autant qu'il y a des dossiers majeurs bloqués. Je pense en particulier à la pénibilité, sur lequel il ne nous reste que trois mois pour conclure.
LC et LR : Les négociations peuvent-elles réellement aboutir ?
BVC : Objectivement, elles sont mal parties. Le patronat fait preuve d'une vraie schizophrénie : il nous explique qu'il va falloir travailler plus longtemps, tout en refusant les dispositifs nécessaires pour prolonger les carrières.
LC et LR : Concernant le CPE, n'avez-vous pas le sentiment d'avoir fait fausse route au début ? En janvier, vous aviez expliqué que cela pouvait marquer un « progrès» et « contribuer à débloquer un peu l'esprit des chefs d'entreprise »...
BVC : Le recours contre le CNE au Conseil d'Etat avait échoué et la mobilisation du 4 octobre contre ce contrat n'avait rien donné. Je me suis également dit, à tort, qu'il y avait une chance d'améliorer le CPE, via le débat parlementaire. Je n'avais pas suffisamment mesuré le caractère intransigeant du Premier ministre.
LC et LR : Vous aviez aussi vanté le modèle espagnol. La France doit-elle s'en inspirer ?
BVC : L'Espagne est plutôt dans une dynamique positive alors qu'en France, c'est la peur qui domine. Longtemps à la traîne, l'Espagne affiche maintenant un taux de chômage de 8 %. Il y a certes une grande flexibilité, mais elle n'a pas déclenché de catastrophe ou de contestations sociales majeures.
LC et LR : Vous estimez donc qu'il faut assouplir le marché du travail ?
BVC : C'est clair. En France, les employeurs sont frileux, ils ont peur de ne pas pouvoir se séparer de leurs salariés si nécessaire. Le CNE n'est pas fait pour les rassurer. Avec tous les procès qu'il provoque, il va encore plus paralyser l'embauche. Il vaut mieux clarifier rapidement les règles de rupture du contrat de travail.
LC et LR : C'est ce que Laurence Parisot appelle la « séparabilité »...
BVC : Oui. Il faut qu'on arrive à discuter des conditions de la rupture pour éviter les contentieux. Je veux que l'on facilite les ruptures négociées. Je pense qu'il faut trouver un système qui s'inspire des transactions actuelles, où les deux parties ne se font pas de mauvais procès une fois la transaction signée. Mais le salarié doit, pour cela, avoir la garantie d'avoir accès à l'assurance-chômage.
LC et LR : En tant que gestionnaire de l'Unedic, vous trouvez normal que des salariés qui touchent un gros « chèque valise» bénéficient d'une allocation-chômage ?
BVC : Vous raisonnez là sur des cadres ayant déjà une certaine ancienneté. Je vous parle de ruptures au bout de 2 à 5 ans. Il faut une prise en charge du salarié qui lui permette de se repositionner le plus vite possible dans l'emploi.
LC et LR : La remise à plat du système d'assurance-chômage est-elle toujours à l'ordre du jour ?
BVC : Oui ! Nous ne désespérons pas que le Medef nous propose un calendrier de négociations. En attendant, la CFE-CGC a déjà finalisé ses propositions: nous prônons une nouvelle filière d'indemnisation, dont la période de référence serait plus longue (5 ans) mais le nombre d'heures travaillées plus important (8 mois). Elle bénéficierait notamment aux jeunes étudiants qui ont travaillé pendant les vacances. La CFE-CGC souhaite aussi redéfinir l'offre valable d'emploi de manière individualisée, en tenant compte de l'ancienneté au chômage. Au bout de 3 ou 6 mois, le suivi des demandeurs d'emploi deviendrait plus contraignant.
LC et LR : Quel bilan tirez-vous de vos cinq premiers mois à la tête de la CGC ?
BVC : Je savais que l'année 2006 allait être très chargée. Je n'ai pas été déçu.
LC et LR : N'êtes-vous pas inquiet de voir que les fonctionnaires sont devenus la deuxième ou troisième force de la CGC, alors que son audience est marginale dans le public, sauf dans la police ?
BVC : Nous avons des forces incontestables dans un certain nombre de secteurs et des faiblesses ailleurs. Ce qui me pose vraiment problème, c'est lorsque je vois que nous abandonnons des positions dans des grandes entreprises pour des conflits de personnes et de structures. Je n'ai pas vocation à jouer éternellement les « Casques bleus ». J'ai décidé de siffler la fin de la partie.
LC et LR : Des exemples ...
BVC : A la SNCF, le conflit interne s'est réglé trop tard devant les tribunaux et nous a valu une claque aux élections professionnelles, malgré la pugnacité de la nouvelle équipe. Nous avons eu un problème similaire dans les collectivités locales. Nous en avons un autre à France Télécom.
Propos recueillis par Leïla de Comarmond et Lucie Robequainsource http://www.cfecgc.org, le 30 mai 2006