Interview de M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, à LCI le 20 juin 2006, sur l'inauguration du musée des arts premiers du Quai Branly, le devenir du musée de l'Homme et l'actualité culturelle, notamment les droits d'auteur et les intermittents du spectacle.

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Média : La Chaîne Info

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Q- Dans pratiquement deux heures, vous serez aux côtés du président de la République pour inaugurer le musée du Quai Branly destiné à manifester et à présenter les arts premiers. Est-ce que vous avez suivi les travaux ? L'avez-vous déjà visité ? Estimez-vous que c'est une réussite à mettre, au fond, sur le même pied que ce qu'a été, il y a quelques années, la création du Grand Louvre ?
R- Je crois que c'est un magnifique projet porté par le président de la République qui rassemble l'ensemble des Français parce que c'est un moment de fierté pour notre pays que de donner la parole à toutes les expressions artistiques du monde entier. Un certain nombre de lieux patrimoniaux le font déjà, mais là, cela va avoir une force exceptionnelle, c'est le temple de la diversité culturelle, c'est le respect de toutes les cultures du monde avec une très belle expression issue de celui qui a inspiré le président de la République, J. Kerchache, qui est mort, et qui, aujourd'hui, sera très présent par sa création. Il disait : "Les chefs d'oeuvre naissent libres et égaux". Et donc, pour notre pays, c'est l'affirmation concrète de ce respect des cultures. Et puis, pour la France c'est l'affirmation aussi que la culture est essentielle pour notre attractivité, pour nos emplois, pour notre rayonnement, pour le message que nous diffusons au monde entier. C'est un nouveau phare qui s'allume ce matin.
Q- En vous écoutant, j'ai le sentiment qu'au fond vous préféreriez au terme "musée des Arts premiers", musée des Cultures du monde.
R- Non, parce que je crois que ça correspond à une époque...
Q- ...Ou est-ce qu'il faut l'appeler musée Chirac, au fond ?
R- Aujourd'hui, il s'appelle le musée du Quai Branly. C'est évident - il faut être juste dans la vie -, que l'inspirateur du projet, c'est le président de la République. C'est J. Chirac, qui a veillé, j'allais dire, presque semaine après semaine, à bon port, à la réalisation de ce projet. C'est vrai qu'il y a la Bibliothèque François Mitterrand, c'est vrai qu'il y a le Centre Georges Pompidou, nous sommes dans un pays - et c'est une chance -, où un président de la République, un Premier ministre porte un projet culturel et fait en sorte de le voir aboutir avec, ensuite, les exécutants que nous sommes pour veiller à ce tout se passe bien.
Q- Je vais me faire un instant l'avocat du diable. D'abord, l'intendance : 233 millions d'euros, c'est le coût de la construction de ce musée. Le budget a été, initial, largement dépassé.
R- C'est un magnifique projet d'architecture, avec une double architecture, en fait. L'architecte principal, J. Nouvel, et puis l'architecture végétale, c'est-à-dire une partie de ce qui recouvre les parois, de P. Blanc. Et donc, c'est un...
Q- ...Ça méritait qu'on dépasse le budget initial !
R- ... C'est un objet architectural magnifique ! Il intervient à une période où présenter les oeuvres a fait beaucoup de progrès, c'est-à-dire que la technique de la lumière, de l'accrochage, les matériaux sont absolument magnifiques. Bref, c'est un gros investissement mais si l'on veut que notre pays reste la première destination touristique mondiale, quelle que soit la ville, dans chacune de nos régions, nous avons intérêt à ce que j'appelle, "être en tenue d'attractivité". C'est-à-dire qu'il faut faire des investissements, cela veut dire qu'il faut tout simplement être à la hauteur de notre réputation.
Q- Des critiques ont été formulées - en tout cas des rappels ont été avancés -, notamment par madame Taubira, qui est de rappeler que, au fond, ce musée se nourrit de biens qui ont été spoliés. Ce sont des biens qui ont été jadis rapportés par les fonctionnaires de l'administration coloniale, les militaires, voire les missionnaires...
R- On fait très attention et il y a une déontologie qui est appliquée par tous les conservateurs du musée du Quai Branly, de vérification de l'origine des objets, des conditions dans lesquelles ils ont été acquis. Bref, nous ne sommes pas des pirates, nous sommes un pays qui accueille et respecte toutes les formes d'expression culturelle et artistique. Donc, de ce point de vue, nous avons été très vigilants, très attentifs, notamment lorsque nous procédons à des acquisitions, et je souhaite que le musée continue à procéder à des acquisitions. A chaque fois, il y a eu une extrême vigilance.
Q- Vous n'êtes pas des pirates, mais vous êtes accusé d'avoir pillé tout le patrimoine du musée de l'Homme. Vous connaissez la critique, c'est celle de B. Dupaigne, l'ancien directeur, qui dit, qu'au fond, ce musée de l'Homme n'est plus qu'un squelette, qu'il a été pillé.
R- J'ai envie de dire, vivre la liberté d'expression, mais ne boudons pas notre plaisir. C'est un événement extraordinaire. Je souhaite...
Q- Que va venir le musée de l'Homme, exactement ?
R- Mais il y a des tas de projets qui vont avoir cours, notamment à Marseille, un très beau musée qui s'appellera le MUCEM, le musée des cultures méditerranéennes ou des cultures du monde également. Bref, il y a des lieux exceptionnels où continueront à être présenté un certain nombre de chefs d'oeuvre. Mais ne boudons pas notre plaisir, c'est un moment de fierté, de rayonnement extraordinaire pour notre pays. J'ai d'ailleurs demandé à S. Martin, le directeur du musée du Quai Branly, qui a veillé avec beaucoup de passion à la réalisation de ce projet, très rapidement de faire la revue de presse mondiale de l'ouverture du Quai Branly parce que dans cette période où certains de nos concitoyens doutent de notre capacité de rayonnement, je pense que cela leur donnera confiance. L'image de notre pays, son rayonnement mondial grâce à ce qui va se passer tout à l'heure va être exceptionnel.
Q- Permettez-moi quelques questions sur d'autres aspects de votre secteur, la
culture et la communication. D'abord, les droits d'auteur : le gouvernement a décrété l'urgence, il y a eu une première lecture à l'Assemblée nationale, une première lecture au Sénat, il va y avoir une commission mixte paritaire, autrement dit quelques sénateurs et quelques députés qui vont établir le texte final. Est-on sorti de la polémique ou est-ce que vous risquez encore d'avoir la contestation de vos propres députés de l'UMP ?
R- On était en retard pour traiter cette question essentielle, c'est le droit d'auteur, la propriété intellectuelle à l'ère numérique, à l'ère d'Internet en voulant garantir aux internautes un accès le plus large possible à toutes les oeuvres et aux artistes et aux auteurs de pouvoir vivre de leur travail. La commission mixte paritaire, c'est-à-dire une réunion de députés et de sénateurs, va mettre définitivement au point le bon point d'équilibre et je crois qu'il est atteint. Il garantira la copie privée, il garantira le droit d'auteur et il garantira - nous sommes le premier pays au monde à le faire, c'est très important -, un terme barbare, l' "interopérabilité". Cela veut dire quoi, concrètement ? Quand vous avez légalement les droits sur une oeuvre, vous pouvez la lire sur n'importe quel support. Bref, nous avons, je crois, atteint le bon point d'équilibre. La période d'affrontement, la période de leurre est derrière nous.
Q- En revanche, vous n'arrivez toujours pas à atteindre le point d'équilibre sur la fameuse affaire des intermittents. Il y a eu le protocole du 18 avril, mais les organisations syndicales ne veulent toujours pas le signer. Question : est-ce que vous êtes devant cette situation [inaud.] qu'on repasse à une phase législative ?
R- Je suis le garant de la situation des artistes, des techniciens. A l'heure où je vous parle, j'ai prolongé les mesures provisoires. Elles continueront à intervenir tant qu'un accord nouveau ne sera pas signé. Cela veut dire, pour faire bref, pour les artistes et les techniciens qui nous écoutent que les 507 heures en douze mois restent garantis par l'Etat, articulé avec les partenaires sociaux. Je souhaite que les partenaires sociaux signent, je ne comprendrais pas qu'ils ne le fassent pas. En tout cas, ne comptez pas sur le Gouvernement...
Q- Ils n'ont pas l'air d'être pressés, vous avez donné un mois de délai, le mois est passé.
R- Ils m'avaient demandé un certain nombre de garanties, et je les ai apportées. Je respecte leur liberté mais ne comptez pas sur le Gouvernement pour rester inerte, ne comptez pas sur le Gouvernement pour ne pas défendre avec passion et vigilance la situation des artistes et des techniciens. Il n'y a pas de vide juridique. Je ne laisserai aucun vide juridique, et donc il n'y a pas lieu à inquiétudes majeures. Je souhaite, ceci étant dit, qu'on ait un système articulé entre les partenaires sociaux et l'Etat.
Q- Dernière question au ministre de la Communication : le Premier ministre porte plainte contre trois journalistes, deux journalistes qui ont commis un ouvrage et puis, également, un autre journaliste qui a commis un ouvrage sur l'affaire Clearstream. Cela vous choque comme ministre de la Communication ?
R- Non, je crois que comme tout citoyen, le Premier ministre a droit à la vérité, a droit au respect de son honneur. La justice indépendante devra trancher. Je crois qu'on est dans une période, où chacun doit, tout simplement, faire respecter ses droits. Ce n'est d'aucune manière porter atteinte à la liberté d'expression, à la liberté d'écrire, de commenter, de discuter des journalistes, mais il y un problème qui se pose, il faut que la justice le tranche. Encore une fois, la vérité et l'honneur, c'est sacré.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 juin 2006