Extraits de l'interview de M. Denis Kessler, vice-président délégué du Medef, sur France 2 le 29 janvier 2001, sur le projet du Medef de réforme des retraites notamment la négociation engagée avec les syndicats, le versement des cotisations à l'ASF (Association pour la structure financière), les régimes de retaite du secteur privé et du secteur public et les préretraites.

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Média : Emission Mots croisés - France 2 - Télévision

Texte intégral

ARLETTE CHABOT : Bonsoir. Alors, la retraite à 60 ans est-elle menacée ? Peut-on débloquer les négociations patronat-syndicats sur les retraites complémentaires ? Plus généralement, faut-il réformer les systèmes des retraites, aligner le public sur le privé ? Faudra-t-il travailler plus longtemps ou cotiser plus ? () La France peut-elle attendre, par exemple après 2002, et les échéances électorales pour réformer son système de retraite ? () Alors, d'abord, Denis Kessler, vice-président du MEDEF, j'ai envie de vous demander après les grandes manifestations de jeudi dernier, est-ce que oui ou non, la négociation avec les syndicats peut reprendre, va reprendre, et quand ?
DENIS KESSLER : Nous sommes pour la négociation puisque c'est nous qui l'avons initiée le 4 avril 2000. Vous voyez, c'est quasiment il y a un an. On a eu 18 réunions pendant toute l'année 2000, donc ça, c'est une bonne négociation, ce n'est pas ici ou là une petite réunion. On est allé au fond, on a eu des projections, des études, bien entendu, nous sommes pour la négociation, il y a des propositions sur la table. Et nous attendons de la part de nos partenaires syndicaux qu'ils nous fassent des propositions, si les nôtres ne les agréent pas, qui nous permettent de résoudre le problème que nous avons identifié qui est l'avenir des retraites de la France. Si nous avons des propositions qui permettent de résoudre ce problème-là, bien entendu, nous allons essayer de les intégrer, de parvenir à un accord final. Si malheureusement, les propositions qui nous sont faites sont des propositions que l'on ne voit pas, qui ne nous permettent pas de résoudre le problème, il faudra que l'on avise.
ARLETTE CHABOT : C'est-à-dire qu'il faut rester sur vos propositions. En gros, c'est ou on cotise plus longtemps, ou les syndicats acceptent cette logique ou vous dites : on ne se revoie pas. C'est ce que vous dites à Nicole Notat qui est en, face de vous ?
DENIS KESSLER : Ah, non, nous allons nous revoir. Nous allons nous revoir
ARLETTE CHABOT : Quand, quand, quand, quand ?
DENIS KESSLER : Je vous le dis. Nous allons nous revoir, nous proposons avant le 10 février, c'est-à-dire d'ici à la fin de la semaine prochaine, de façon à faire le point sur la situation et de voir quelles sont les propositions de nos amis partenaires syndicaux. Et puis nous allons juger ces propositions à l'aune bien entendu de leur capacité à résoudre le problème de l'avenir des retraites en France du secteur privé dont on a la coresponsabilité. Si les propositions qui nous sont faites permettent de résoudre ce problème, eh bien, bien entendu, nous allons les étudier et nous allons essayer de voir comment on peut les intégrer à notre projet. Si tel n'est pas le cas, eh bien, il faudra constater que, malheureusement, les propositions des partenaires syndicaux ne sont pas à la hauteur du problème que nous devons affronter.
ALAIN DUHAMEL : Alors, Nicole Notat, est-ce que le front syndical qui s'est constitué à cette occasion, qui s'est reconstitué à cette occasion, est-ce qu'il a des contre-propositions collectives à présenter ?
NICOLE NOTAT : Jusqu'à ce jour, il en a eu. Donc je ne vois pas pourquoi il n'en aurait pas demain. En tout cas, il y a une chose qu'il faut clarifier tout de suite par rapport à ce que vient de dire monsieur Kessler : ce n'est pas la question de savoir qu'il faut, s'il faut ou pas réformer les retraites pour garantir un bon niveau de pension à tous les salariés et globalement à tous les Français sur 15 ou 20 ans. A ça, nous disons oui. La question est, en tout cas pour nous : nous ne pouvons faire et nous engager dans une réforme de cette envergure, qu'à condition qu'elle ne soit pas bancale, qu'elle ne soit pas partielle. Or tout le monde comprend bien, en tout cas les gens qui nous entendent, savent que quand on va liquider sa retraite, on fait l'addition entre ce que nous donne le régime général et ce que nous donne la retraite complémentaire. Et c'est l'ensemble de ce système qu'il faut repenser. Il faut revoir l'architecture dans des conditions sur lesquelles on pourra revenir. Donc, ce n'est pas le principe de la réforme que nous mettons en cause, c'est le fait de l'entamer uniquement par les retraites complémentaires et uniquement par le biais de la durée de cotisation, alors que nous n'avons pas à ce jour des garanties que nous attendons sur le régime de base. () A partir du moment où nous avons ces deux garanties, alors nous n'avons pas de tabou pour discuter, que ce soit dans le général ou le complémentaire, ni du niveau des cotisations, ni de la durée.
ARLETTE CHABOT : Mais la négociation lancée par Denis Kessler, c'est oui ou non ? Avant le 10 février.
NICOLE NOTAT : Demain matin s'il veut.
ALAIN DUHAMEL : Alors, sur la façon de présenter les choses de Nicole Notat, ça vous va ou ça vous pas ? Le fait qu'on ne peut pas discuter simplement sur les retraites complémentaires, qu'il faut discuter sur l'ensemble ?
DENIS KESSLER : Ecoutez, moi, je vais répondre à Nicole Notat en citant Nicole Notat. Le 12 décembre 2000, donc il y a 1 mois et demi, un document de la CFDT me dit : nos revendications n'attendront pas une réforme globale qui tarde à venir. Et en haut, il y a marqué : pas d'attentisme, et il y a marqué : les partenaires sociaux négocient l'évolution des régimes de retraite complémentaire, alors qu'aucune réforme des régimes de base n'est engagée. Ca n'est pas confortable ni très logique, mais ça n'est en aucune façon une raison pour ne pas avancer. Mais madame Notat, cette formidable littérature de la CFDT ne peut que m'aller droit au cur ! Vous disiez, le 12 décembre
NICOLE NOTAT : C'est ce que je vous propose, monsieur Kessler
DENIS KESSLER : Le 12 décembre, vous disiez : n'attendons pas, n'attendons pas que les pouvoirs publics, que le gouvernement, que l'Etat fasse une réforme, que l'on repousse à chaque fois d'une commission à un rapport, d'un rapport à une commission et d'une commission à une élection. Et vous nous disiez, non, nous sommes des gens responsables, nous avons des charges, nous avons des responsabilités qui est l'avenir des régimes complémentaires que nous gérons depuis 1947 en ce qui concerne l'Agirc, depuis 1971 en ce qui concerne l'Arrco. Nous avons des responsabilités vis-à-vis des salariés qui sont inquiets. Dans la rue, ce qui s'est passé la semaine dernière, c'est qu'il y a une formidable inquiétude de l'ensemble de la population sur l'avenir des retraites
NICOLE NOTAT : Ca, on vous l'avait dit avantAvec les décisions que vous avez prises en janvier, c'était garanti
DENIS KESSLER : Et de dire, et de dire : nous allons encore attendre deux ou trois ans parce que, bien entendu, c'est plus facile de repousser les échéances alors que nous savons tout de l'avenir des retraites, alors que nous savons toutes les solutions, nous les avons étudiées ensemble, nous les avons travaillées ensemble. Je crois sérieusement, madame Notat, que l'esprit de responsabilité qui est le nôtre dans la cogestion des régimes sociaux doit nous conduire à prendre des décisions. Et puis de le faire comment ? De le faire en toute clarté, avec du courage ! Evidement, ce sont des mesures difficiles à prendre ! Mais il faut le faire avec du courage ! Nous, nous avons eu le courage de les mettre sur la table, je vous demande d'avoir le courage de les adopter. .../...
NICOLE NOTAT : Oui, mais moi, je demande à monsieur Kessler d'adopter les propositions que nous, nous mettons sur la table. () Mais je ne suis pas en contradiction, cher monsieur, avec ce que vous venez de lire. Au jour d'aujourd'hui, nous sommes tout-à-fait en capacité de dire les conditions à partir desquelles nous pourrons, lorsque nous aurons les différents termes des évolutions sur le général et le complémentaire, d'avancer vers les éléments d'une réforme.
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JEAN-CHRISTOPHE LE DUIGOU : () Nous sommes d'accord (pour la reprise des négociations), le plus tôt possible, en souhaitant que le MEDEF ne joue pas la montre par rapport aux échéances de l'ASF.
DENIS KESSLER : Nous ne pouvons pas le faire demain matin, parce que la semaine dernière, ils manifestaient contre nous, et demain matin, ils manifestent contre le ministre monsieur Sapin. Donc, je les laisse manifester de nouveau demain, de façon à ce que Les cinq organisations syndicales ont manifesté contre nous la semaine dernière, elles manifestent demain contre monsieur Jospin et monsieur Sapin. Donc, je les laisse travailler et manifester mardi. Mais à partir de mercredi, bien entendu.
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BERNARD DEVY : () On n'a pas le choix (à propos de la reprise des négociations), on est condamné à négocier avec nos interlocuteurs. ()
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ARLETTE CHABOT : Alors, d'accord pour négocier. Simplement Denis Kessler, sur le versement des cotisations, est-ce que oui ou non, vous dites aux entreprises : il ne faut pas effectivement cotiser à l'ASF de façon à ce que parce que ceux qui nous regardent et qui touchent des retraites complémentaires se disent : pour nous, c'est fini, on ne va pas toucher notre argent dans deux mois.
ALAIN DUHAMEL : Et puis, est-ce que ce n'est pas une façon quand même de mettre une pression inhabituelle sur les syndicats ?
DENIS KESSLER : Pas du tout, pas du tout. Pas du tout, monsieur Duhamel, ce n'est pas du tout pour mettre la pression sur les syndicats parce que si les syndicats s'étaient engagés dans la négociation réellement à la fin du mois de décembre pour parvenir à un accord - ce que nous souhaitions -, je rappelle qu'il n'y aurait aucun problème en l'an 2001. Aucun problème en 2002, aucun problème en 2003 et, tenez-vous bien, en 2004, nous avons proposé un trimestre de plus pour avoir une pension au taux plein. Un trimestre. Si vous poursuiviez, comme on le proposait, en 2010, dans dix ans, en 61,5 ans, on avait l'équivalent de ce que l'on a aujourd'hui à 60 ans. Nous avons proposé quelque chose qui n'avait aucune rupture de droits, qui permettait le maintien de la retraite à 60 ans pendant 4 ans, qui permettait ensuite très progressivement de remonter l'âge de cessation d'activité - 61, 5 ans en dix ans -, est-ce que vous pouvez trouver un programme qui soit plus Et ça, ça permettait quoi ? De ne pas augmenter les cotisations, ce qui fait que les jeunes générations continuent à avoir du pouvoir d'achat et ça permettait aussi de maintenir le pouvoir d'achat des retraités qui ne sont pas concernés par nos mesures. Maintenant, deuxième chose sur l'ASF. Je rappelle simplement une chose : on paye ses impôts lorsque le Parlement vote la loi de Finances, eh bien on paye les cotisations lorsqu'il y a un accord social. Autrement, il n'y a pas de légitimité à ce que 15 millions de salariés, 1,2 million d'entreprises versent des cotisations. Il faut un accord. L'accord déclenche le versement des cotisations. Le précédent accord que vous avez signé venait à expiration le 31 décembre 2000. Nous avons proposé un accord qui a été repoussé par les syndicats. Qu'ils prennent la pleine responsabilité de la non-levée des cotisations au mois de janvier.
ARLETTE CHABOT : Donc, vous dites aux entreprises de ne pas verser ou pas ?
DENIS KESSLER : Ce n'est pas moi qui décide !
ARLETTE CHABOT : Les entreprises sont libres de faire ou pas ?
DENIS KESSLER : Elles n'ont pas à verser de cotisation tant qu'il n'y a pas d'accords sociaux. L'accord social, c'est la base du financement de la protection sociale paritaire. S'il n'y a pas d'accord Unedic, il n'y a pas de cotisation Unedic. S'il n'y a pas d'accord ASF, il n'y a pas de cotisation ASF.
ALAIN DUHAMEL : Les entreprises, vous ne leur recommandez rien ?
DENIS KESSLER : C'est l'Unedic qui n'appelle pas les cotisations.
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ELIE COHEN : () Pourquoi ce passage en force du MEDEF ? Pourquoi cette brutalité ?
ALAIN DUHAMEL : Alors, Denis Kessler, pourquoi cette brutalité ?
DENIS KESSLER : D'abord, ce n'est pas de la brutalité. En 1998, deux grands évènements. Monsieur Schröder arrive au pouvoir et monsieur Jospin commande à monsieur Charpin un rapport sur l'avenir des retraites. Je lis la lettre de mission : le vieillissement de la population constitue l'une des principales mutations auxquelles la société française sera confrontée au cours des prochaines décennies. Les échéances ne sont plus très lointaines - nous sommes en 1998 -, 2005 marquera le début du départ en retraite des générations nombreuses nées dans l'immédiat après-guerre. A partir de cette date, dit Lionel Jospin, l'équilibre de nos régimes de retraite deviendra très fragile. Nous avons un rapport en 1998. Nous sommes deux ans plus tard. Nous avons toujours un rapport, monsieur Schröder, élu en 1998, vient de faire voter le jour, le lendemain exactement du jour où l'on manifestait pour dire ne rien faire, monsieur Schröder réforme les régimes de retraite en Allemagne jusqu'en 2030, donne une garantie à tous les salariés, à toutes les entreprises, que tout ceci est désormais sous contrôle, porte la durée à 45 ans, porte l'âge de la retraite à 65 ans et permet à tous les Allemands un acte d'épargne supplémentaire encouragé par l'Etat. () En deux ans, monsieur Schröder a résolu le problème, en deux ans, nous avons fait un rapport. Comme le rapport n'a jamais été commenté, on a fait une commission. Un observatoire.
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DENIS KESSLER : () C'est vrai que si le gouvernement nous disait l'orientation qu'il souhaite donner aux régimes de retraite français pour le secteur public, pour les entreprises publiques et pour le régime de base de la Sécurité sociale, qu'il le fasse. Je promets, et je prends l'engagement que si nous connaissons l'orientation décidée par monsieur Jospin, pas de problème, nous allons régler le problème du complémentaire dont nous avons la responsabilité. Et donc, je me tourne solennellement vers le gouvernement en lui disant : dites-nous, aujourd'hui aux partenaires sociaux, les syndicats et nous, dites-nous ce que vous allez faire pour résoudre le problème de la retraite de base du secteur privé, et des régimes publics et des régimes de fonctionnaires. Demain, on aura cette perspective, nous aurons cette base, nous adapterons sans problème les régimes complémentaires. Mais vous ne pouvez pas nous demander d'attendre encore trois ans, parce que, tout simplement, plus on retardera l'adaptation et l'annonce, plus les Français sont inquiets et plus l'adaptation sera douloureuse. () Et ne me dites pas que vous n'arrivez pas à faire des lois rapidement : sur les 35 heures, vous en avez fait deux en trois ans !Vous pouvez faire une loi sur la retraite en trois ans ! ()
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ARLETTE CHABOT : Mêlez-vous de ce qui a priori ne vous regarde pas, c'est-à-dire le public.
DENIS KESSLER : Attendez, ça nous concerne en tant que citoyens
ALAIN DUHAMEL : Vous voulez dire en tant que contribuables.
DENIS KESSLER : Exactement. Nous avons un système dans lequel l'Etat régulateur, systématiquement, repousse les échéances. Mais l'Etat employeur () qui est responsable de 5 millions de personnes au titre des 3 Fonctions publiques, ne fait rien en tant qu'Etat employeur ! Et nous avons une situation qui est absolument inadmissible puisque les fonctionnaires cotisent moins, moins longtemps pour recevoir plus, plus longtemps. C'est attesté. Comme tout ceci n'est pas équilibré, ça coûte C'est dans le budget de l'Etat puisque pour la première année dans le Budget, nous avons isolé le coût net des retraites entre ce que les fonctionnaires cotisent et ce que le contribuable rajoute : 150 milliards de francs. Ce qui bien que le salarié du secteur privé non seulement cotise intégralement pour sa retraite, sans aucune subvention de l'Etat () puis va, en tant que contribuable, verser 150 milliards de francs supplémentaires pour venir payer des retraites qui sont plus avantageuses dans le secteur public que dans le secteur privé. () Je demande avec force que le principe soit inscrit dans la Constitution d'égalité des Français devant la retraite. () Et je trouve qu'on aura fait un grand pas en avant. Et si les syndicats demandaient qu'effectivement, ceci soit respecté, je trouve que nous aurions entre les salariés de l'Etat et les salariés du secteur privé, rétabli une justice que tout le monde souhaite. () Je crois que là, il vraiment, il y a urgence. ()
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A propos des préretraites
ARLETTE CHABOT : Vous, globalement, Denis Kessler, vous dites d'un côté 45 ans, mais quand il y a des préretraites, vous ne dites pas oh la la, scandale !
DENIS KESSLER : Alors, les préretraites, c'est pour les générations qui sont nées avant 1945 (), qui ont connu l'essor et les Trente Glorieuses et qui ensuite ont connu les difficultés du marché du travail depuis une quinzaine d'années et en plus l'accélération technologique qui a marqué les 5 ou 10 dernières années. Nous considérons que pour ces générations, le départ précoce en préretraite, sous la responsabilité des partenaires sociaux - il faut un accord - nous semble tout-à-fait légitime. Nous sommes plus réservés sur la contribution de l'Etat à ces plans de préretraite parce que je considère que c'est de la responsabilité des partenaires sociaux et de l'entreprise. () Nous sommes bien entendu d'accord pour que le système qui émergera de la réforme des retraites soit quelque chose qui soit flexible et qui permette à certains de partir plus tôt, lorsqu'ils ont eu des travaux pénibles, lorsqu'ils ont commencé à travailler fort tôt ou lorsqu'il y a des circonstances particulières. Je le dis avec force. ()
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(source http://www.medef.fr, le 14 février 2001)