Participation de M. Charles Josselin, ministre délégué à la coopération et à la francophonie, à l'émission "Ripostes" sur "La Cinquième" le 11 février 2001, sur les relations franco-africaines, l'aide au développement fournie par la France à l'Afrique, le rôle des EtatsUnis en Afrique, la corruption, l'émergence de la société civile en Afrique et la lutte contre les pratiques privées illégales des réseaux.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : La Cinquième

Texte intégral

(?)
Q - Que pensez-vous du rapport entre la France à l'Afrique ?
R - Je choisis le partenariat, même si cela ne prend pas en compte la part d'affect considérable qu'il y a dans la relation entre la France et l'Afrique, et pas seulement pour l'Afrique francophone.
Q - Comment qualifiez-vous le rôle de la France en Afrique ? Est-ce que vous condamnez ces dérives aussi, est ce que cela a changé depuis que la gauche est arrivée au pouvoir ? Quelle est votre première réaction ?
R - Une première observation d'abord. Généralement, c'est toujours avec passion que l'on parle de l'Afrique, ce qui témoigne bien de l'affect dont je parlais tout à l'heure et qui veut dire que, quelque part, chaque Français se fait une certaine idée de l'Afrique. Je pense aussi que tous les Africains se font chacun une certaine idée de la France. Il est vrai que c'est une idée qui a été façonnée par nos livres d'histoire, marquée, connotée par un certain nombre d'"affaires" comme on dit : ces pratiques, ces dérives, font un peu oublier la réalité d'aujourd'hui. La France est de très loin le premier partenaire de l'Afrique.
Q - De combien ?
R - On va dire 13 milliards de francs. Mais la France alloue 0,40 % de son PNB à l'aide publique au développement. Les Etats-Unis : 0,10 % ; l'Allemagne : 0,26 % pour ne donner que quelques ordres de grandeur qu'il est important de rappeler. S'il y a, certes, moins de missionnaires et moins de militaires, je crois qu'il ne faudrait pas en conclure qu'il y a plus ou moins de France.
Je pense que quand il est dit "Bye Bye la France" (référence à l'intervention d'Antoine Glaser), il y a une connotation anglophone dans le propos. Certains disent aussi que la Francophonie disparaît. Je peux vous dire qu'en Afrique il y a une demande de français, notamment dans les pays anglophones et lusophones où les Africains ont aussi besoin du français pour communiquer. Tout cela est à prendre en considération. Il y a un mois, à Yaoundé, un des chefs d'Etat présent a fait la différence entre l'indépendance et la souveraineté, en disant : "on nous a donné l'indépendance, on ne nous a pas donné la souveraineté. Ce que nous revendiquons, c'est la souveraineté et c'est cela qu'il s'agit de mettre en place". Cela signifie qu'il faut venir en appui aux Africains qui, pour l'instant n'ont trouvé ni les chemins de la paix ni ceux du développement et encore insuffisamment ceux de la démocratie. Cet appui-là est tout à fait essentiel. Convenons que la France, je le répète, est trop seule en Afrique.
Je ne regrette pas qu'il y ait une "concurrence" entre les intervenants. Mais nous souhaitons ne plus être seuls comme cela se produit trop souvent. Nous pensons que les Américains doivent intervenir.
Vous savez, lorsque Clinton dit : "1 milliard pour l'Afrique" quand il va là-bas, il faut comprendre : "je vais demander au Congrès de m'autoriser à dépenser 1 milliard pour l'Afrique". Le Congrès dit "non" et on ne retient finalement que la déclaration de Clinton. On conclut alors que l'Amérique arrive et que la France s'en va. Il y a des réalités comme celle-ci que je tenais à rétablir, mais on aura l'occasion de revenir sur ces questions plus loin
Q - Monsieur le Ministre, vous avez l'air de dire qu'il n'y a plus de réseaux, que la politique est maintenant officielle, claire, transparente. Confirmez-vous sur ce plateau qu'il n'y a plus de réseaux français en Afrique ?
R - Les réseaux ne sont plus alimentés par le pouvoir politique.
Q - Ah ! Racontez-nous cela alors ? Ces réseaux se sont-ils privatisés ?
R - Non, non. Je veux dire que nous ne pouvons ni contrôler, ni empêcher toutes les pratiques privées. Il reste qu'il y a un certain nombre d'actions fortement engagées et qui vont changer, j'en suis sûr, le cours des choses :
1 - La lutte contre le blanchiment d'argent n'a jamais été aussi développée. Sans jeu de mot, une "black list" de pays qui favorisent le blanchiment est en train d'être dressée. Cela va avoir des conséquences pour les coopérations que ces pays réclament des pays industrialisés.
2 - La lutte contre le commerce des diamants et des petites armes converge sur une volonté d'éradiquer la corruption. La lutte contre la corruption, quant à elle, est la meilleure manière de lutter contre les réseaux. Quand je dis corruption, j'entends par là corrupteurs et corrompus. C'est clair.
Q - Pour qu'il y ait des corrompus, il faut bien qu'il y ait des corrupteurs, etc. On est d'accord ?
R - Bien sûr. Ce qui risque de biaiser tout le débat sur l'Afrique, c'est l'abus des images d'archives en oubliant de dire que ce sont des images d'archives.
J'invite à regarder l'Afrique telle quelle est aujourd'hui, alors qu'aujourd'hui on la regarde dans le rétroviseur. Je voudrais dire qu'il faut se débarrasser à la fois d'un sentiment de nostalgie, évidemment, mais aussi de culpabilité. Cela me paraît très important. Ni nostalgie, ni culpabilité.
Tout à l'heure le président Kaba disait, et pour lui c'est une bonne nouvelle, que la société civile s'en mêle aujourd'hui et c'est vrai que c'est une grande bonne nouvelle.
C'est vrai en Afrique, c'est vrai d'ailleurs au plan international, je peux élargir le propos. La grande novation c'est l'éruption du civil, de la société civile dans le champ international. Et tous les événements qui se manifestent dans tous ces grands moments de l'histoire que sont Seattle, Washington, que peut-être Prague, qu'était Porto Alegre, sont des moments qui montrent bien que le domaine des Affaires étrangères qui était considéré comme réservé à la limite au chef de l'Etat, est en train aujourd'hui d'être approprié par la société civile, parce qu'il y a une exigence de transparence, qui en résulte nécessairement. Je voudrais quand même dire qu'il y a un débat parlementaire sur notre politique de coopération où toutes les questions, y compris celles qui fâchent, peuvent être désormais posées. Y compris tout ce dont nous venons de parler maintenant, il y a un débat chaque année reconnu.

(Suite à la réaction du journaliste et de la députée vert Marie-Hélène Aubert, qui notent que le débat au Parlement reste limité, M. Josselin répond :)
R - Que le Parlement demande davantage...
Très franchement, si Raymond Forni veut qu'il y ait un long débat, qu'il l'organise, nous y sommes prêts.

(M. Sidiki Kaba prend la parole pour insister sur l'émergence de la société civile africaine. Le débat évolue sur le fait que l'Etat français ne doit pas se désengager en ne restant que dans les pays où il y a des Français.)
R - Je suis heureux que Marie-Hélène Aubert insiste sur le besoin d'Etat et de régulation publique, que ce soit à l'échelle internationale ou à l'extérieur des pays et surtout dans ces pays là. Aucun Etat ne peut résister aux bandes mafieuses qui contrôlent les diamants et s'en servent pour se fournir en armes, s'il n'a pas une armée capable d'assurer la sécurité. Je rappelle encore aujourd'hui que les trois-quarts de l'aide publique au développement sont de l'aide bilatérale. Seulement 25 % de cette aide transite par l'Europe, les Nations unies, le FMI ou la Banque mondiale. C'est dire si les relations françaises restent fortes, mais il est vrai que nous voulons attirer avec nous l'Europe qui a aussi d'autres moyens....
Q - Avec le risque de la dilution de l'image de la France dans un ensemble plus vaste qu'est l'Europe ?
R - Non, il nous faut savoir planter en même temps le drapeau français et le drapeau européen. C'est toute la bataille que nous conduisons actuellement. Ce n'est pas simple, mais elle est tout à fait essentielle.
()
Q - Vous êtes un ministre malheureux ?
R - Non, non, non . Si j'avais plus de moyens, je saurais quoi en faire.
Je souhaite en effet que le ministère délégué à la Coopération puisse avoir quelques moyens de plus, ne serait-ce que pour éviter de soigner l'opposition souvent trop brutale entre nos DOM et nos TOM et les régions proches. Il est clair que le maire de Saint-Laurent du Maroni a quelques difficultés à ne pas accueillir les Surinamiens qui veulent le voir. Il faut aider le Surinam à se développer si on veut éviter l'invasion de la Guyane./.
(source http://www.dilpomatie.gouv.fr, le 16 février 2001