Interview de M. François Bayrou, président de l'UDF, à "La Nouvelle République" du 15 juin 2006, sur la stratégie et les propositions de l'UDF.

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Média : La Nouvelle République du Centre Ouest

Texte intégral

Q - Le CSA a décidé, hier, de décompter votre temps de parole avec l'opposition...
R - L'Etat UMP ne sait plus quoi inventer pour empêcher toute démarche de liberté politique en France. Ils ont déjà tous les pouvoirs, tous les temps de parole, et il leur en faut encore plus. Cette décision, dont on a envie de rire, montre toutes les dérives de la France. S'il fallait une preuve de plus de l'absurdité et du sectarisme dans lequel ce régime nous oblige à vivre, nous l'avons sous les yeux.
Q - Le futur candidat à l'Elysée que vous êtes est parti à la rencontre des Français. Quelles leçons tirez-vous ?
R - Les Français ont beaucoup de ressort, mais ils ont perdu toute confiance dans les politiques, majorité ou opposition, qui nous gouvernent. Le monde du pouvoir leur paraît indigne des responsabilités qu'il exerce. Il y eut un temps où les Français étaient en colère. Peut-être le redeviendront-ils ? Mais en ce moment, c'est plutôt un haussement d'épaule avant de tourner la tête. Là est le mal français aujourd'hui.
Q - On a rarement vu un président de la République et un Premier ministre inspirant aussi peu confiance. Que faire jusqu'à la présidentielle, dans dix mois ?
R - Je suis très interrogatif, depuis longtemps, sur la possibilité d'aller jusqu'au bout du quinquennat sans accident, tant le pouvoir est décomposé de l'intérieur. Il n'y a plus aucune manette qui répond, aucun volant qui permette de piloter le système. C'est fin de règne et fin de régime.
Qu'est-ce qu'on peut faire d'utile ? Décider de changer. Qu'au moins, ces dix derniers mois servent à tourner la page à identifier les causes du mal pour les soigner. Nous devons adopter une démarche exceptionnelle face à une crise exceptionnelle. La comparaison la plus proche qu'on puisse trouver, c'est 1958 : un pays à peu près en bonne santé, et un pouvoir absolument décomposé.
On ne pourra surmonter cette crise par la voie classique de l'UMP contre le PS et inversement, comme cela a été déjà fait huit fois depuis 1981. Les problèmes sont si graves et si lourds qu'il faut un changement de modèle et de proposition politique.
Q - Il y a cinq ans, l'UDF publiait sa déclaration d'indépendance. Il y a quelques semaines, c'était la déclaration de guerre à l'UMP avec le vote de la motion de censure...
R - Déclaration de guerre au déclin de la France. On me reproche parfois d'être trop dur avec le gouvernement. En vérité, je ne le suis pas assez, compte tenu de ce qu'est la pratique du pouvoir.
Prenons les quatre dernières affaires qui illustrent des dérives dues au non-respect des règles démocratiques. L'affaire Clearstream, qui va rebondir un de ces jours et dont chacun pressent qu'elle cache des secrets inavouables, ne se serait pas produite si les services secrets n'avaient pas été utilisés. De même, l'incroyable tentative de captation d'argent au profit d'un dirigeant de la société Vinci n'aurait pas été possible si j'avais été suivi dans mon refus de la privatisation des autoroutes. L'amnistie Guy Drut n'aurait pas été possible avec des règles de droit normales. Et il n'y aurait pas eu de crise du CPE si les partenaires sociaux avaient été consultés.
Q - L'UDF vole de ses propres ailes, mais les Français s'interrogent sur la direction...
R - Une grande force indépendante commence à exister en France. Il est normal que cela suscite des réticences, à l'UMP ou au PS. Leur fonds de commerce, ce sont les vieux réflexes qui font que l'on vote sans réfléchir pour un camp. L'UDF propose aujourd'hui au pays une voie politique qui n'a pas été explorée depuis plus d'un quart de siècle. Au lieu d'entretenir le pays dans la guerre gauche-droite, je propose d'en sortir pour permettre à des gens, qui sont très proches parfois, de se parler librement et de travailler ensemble. J'observe que les Français ont compris ce message et que cette idée les intéresse.
J'ai formulé dix propositions politiques simples qui peuvent être à la base d'un consensus pour redresser notre pays : des institutions nouvelles, tous les Français représentés au Parlement, le pouvoir contrôlé par ledit parlement, un engagement national pour mettre un terme au déficit public qui creuse la dette, un service civil pour tous les Français, l'activité universelle, c'est-à-dire que celui qui perçoit des minima sociaux ait l'obligation d'être utile à la collectivité. Je propose aussi deux emplois sans charges sociales pour chaque entreprise, la liberté des heures supplémentaires entre 35 et 39 heures.
Si les Français choisissent ce socle de propositions, je m'engage à le mettre en oeuvre avec des équipes nouvelles rassemblant largement. Parce que, comme l'avait compris le général de Gaulle en 1958, quand il s'agit de reconstruire le pays, il faut associer des personnes de sensibilités différentes afin que les citoyens aient la certitude qu'aucun intérêt particulier ne l'emportera.
Nous sommes dans un temps où il faut une révolution civique, et pas des accommodements.
Q - Vos propositions ont été mal accueillies, et même rejetées...
R - Comment voulez-vous qu'il en soit autrement ! L'UMP et le PS défendent leurs privilèges, et même ce qu'on pourrait appeler leur privilège suprême : être assurés d'avoir le pouvoir un coup sur deux dès lorsqu'il n'y a que deux partis.
Q - Sur la motion de censure, vous n'avez pas été suivi par les deux tiers des parlementaires UDF, inquiets pour leur réélection. Et pourtant, vous persistez...
R - Quel que soit le résultat de l'élection présidentielle, je plaiderai pour que l'UDF présente 577 candidats aux élections législatives. Car le pays a besoin de changer et de Président, et de majorité. Qui peut aujourd'hui imaginer que le pays serait bien gouverné en conservant 365 députés UMP, ou bien en les remplaçant par 365 députés PS ?
L'UDF présentera une génération de politiques nouveaux, dont l'objectif ne sera pas d'accaparer le pouvoir, mais d'empêcher qu'un parti le monopolise.
Propos recueillis par Daniel Llobregat
source http://www.udf.org, le 19 juin 2006