Interview de M. Jean-Louis Borloo, ministre de la cohésion sociale, de l'emploi et du logement, à La Chaîne Info le 31 mai 2006, sur la baisse du chômage, le plan de cohésion sociale et la hausse du Smic.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- J.-L. Borloo, je ne sais pas si l'anniversaire d'un an à Matignon pour le Premier ministre, est un peu morose, en tout cas, vous, vous êtes à la fête, puisque vous avez d'excellents chiffres du chômage. Le chômage qui n'a cessé de diminuer depuis un an. D'abord, si l'on se met dans une perspective d'avenir, vous êtes certain d'être en dessous de la barre des 9% à la fin de l'année. Et si l'on poursuivait cette politique [de lutte contre le chômage], dans un an, à combien serait-on, à votre avis ?
R- D'abord, j'ai été nommé ministre de l'emploi il y a deux ans, dans une situation où il y avait 20.000 chômeurs de plus par mois, et en fait, cela remontait à toute la dernière année du gouvernement de L. Jospin. Donc, on avait une espèce de chômage de masse, avec un sentiment que notre pays avait décroché des autres. En réalité, on avait un vrai problème d'organisation. On n'avait pas dans notre pays, considéré que le demandeur d'emploi est une richesse, que c'est de la ressource humaine, qu'il fallait que tous les services de l'emploi se mettent ensemble pour l'aider, pour faire des bilans de compétence, pour le recevoir souvent, tous les mois si possible, de faire des plates-formes de vocations. Et puis, il y avait des secteurs entiers - l'alternance, l'apprentissage, l'alternance publique, que l'on appelle avec un peu de condescendance "les contrats aidés", l'énorme champ des services à la personne, que tous les pays européens ont développés. En d'autres termes, le plan de cohésion sociale disait : quelle que soit la croissance, en cinq ans, on doit pouvoir baisser le chômage de 3 points. Et en fait, c'est cette mécanique-là qui est en train de se mettre en place. Alors, il m'a fallu six mois pour mettre en place ce plan, parce que l'action publique est longue. A l'époque, tout le monde se gaussait un peu en disant : c'est lent, cela met du temps...
Q- Et elle doit être négociée, discutée.
R- Alors, tout cela est concerté avec les partenaires sociaux, bien entendu. Lorsque l'on regroupe ou l'on rapproche l'ANPE, l'Assedic, et les centres de formation, cela se fait avec les partenaires sociaux. Donc, on est dans une démarche lente. Et puis, il y a eu pour les petites entreprises, les toutes petites entreprises, le phénomène déclencheur qui a été le contrat "nouvelles embauches". On voit bien que sur les très petites, cela a été très efficace.
Q- Alors, un certain nombre de précisions. Vous attribuez cette baisse du chômage au plan de cohésion sociale...
R- A l'ensemble de l'action du Gouvernement, oui....
Q- Emplois aidés, apprentissage, accompagnement des chômeurs. Combien, en fait, de nouveaux emplois créés au plan d'emplois salariés ? C'est cela qui est aussi intéressant ?
R- Je vais vous dire, la bonne question est : combien y a-t-il de personnes qui cotisent en plus aux caisses de Sécurité sociale ? C'est-à-dire, aussi, aux caisses Unedic...
Q- Pour le dynamisme de l'économie, il est important de savoir s'il y a des emplois marchands.
R- C'est plus de 200.000. Les chiffres de l'Acoss, Agence centrale des Organismes de Sécurité Sociale - donc de la Sécurité sociale - vous indiquent qu'on a plus de 200.000 cotisants en plus. Et quand vous regardez les chiffres de l'Unedic, c'est-à-dire, les salariés qui cotisent, nous étions en déficit très fort l'année dernière, nous sommes mensuellement aujourd'hui en positif.
Q- Quand le Parti socialiste promet, s'il vient au pouvoir, d'augmenter le Smic pour le mettre à 1.500 euros, afin de redonner du pouvoir d'achat, donc de la consommation, donc de la croissance, est-ce que vous estimez, vous, que c'est aussi une bonne formule ?
R- D'abord, c'est un mea culpa du Parti socialiste, et j'en suis heureux. Ils ont fait croire aux Français que l'on pouvait travailler moins, que cela ne posait pas de problème pour la compétitivité de notre économie...
Q- Au passage, dans les mea culpa, vous reconnaissez qu'au début du gouvernement Raffarin, on a dit : les emplois aidés ce n'est pas la bonne solution !
R- Non, non, je parle des 35 heures, je parle du Smic. Le mea culpa, c'est le Smic. Et pendant quatre ans, ils ont pressuré les salaires français, dans cette belle idée qui était le partage du travail. L'idée c'était 35 heures : l'écart était payé moitié par l'Etat - en fait, moitié par les salariés français et notamment, ceux qui sont au Smic. Et je rappelle que le gouvernement de J.-P. Raffarin a fait, au titre de la convergence des Smic, 17% d'augmentation du Smic, notamment sur les bas salaires, dans les trois premières années. Donc, enfin la reconnaissance que les salariés français qui sont les moins bien rémunérés méritaient d'avoir un coup de pouce. Je suis heureux qu'ils s'en rendent compte.
Q- Et si vous étiez demain Premier ministre, augmenteriez-vous le Smic ?
R- Attendez...
Q- Non, mais attendez, c'est important...
R- Oui, je vais vous répondre. Il n'y a pas que le Smic, il y a toute l'échelle des salaires. Je mets de côté les PDG, si j'ose dire. Les salaires, c'est déterminé par l'offre et la demande. En réalité, nous rentrons dans une crise du recrutement. Je le disais chez vous il y a six mois, je le maintiens. En réalité, le plein emploi, c'est 5 ou 6% de taux de chômage, c'est la [fiction ?] et à partir de, allez, 7,9/7,5, la pression sur les salaires sera plus forte. Et on va retrouver une économie française avec un pouvoir d'achat qui va être normalement à son niveau. Il est globalement aujourd'hui en dessous de son niveau.
Q- Donc, vous vous dites : c'est finalement la baisse du chômage qui obligera à l'augmentation des salaires, et notamment du Smic ?
R- La baisse du chômage, c'est-à-dire, en fait, plus de Français qui contribuent à la richesse. J'ai une théorie - on m'a pris pour un fou quand je l'ai expliquée au moment du plan de cohésion sociale - c'est que, dans l'esprit de tout le monde, c'est la croissance qui crée l'emploi, c'est un peu vrai. Mais dans mon esprit, l'emploi, c'est-à-dire, la meilleure adaptation, la formation en permanence, l'emploi crée de la croissance. Et je maintiens que le plan de cohésion sociale, prenez son aspect logement, on est en train d'exploser tous les records, et heureusement - 420.000 mises en chantiers cette année...
Q- Vous avez obtenu hier que l'amendement Ollier, qui écornait un peu la loi SRU, soit retiré ?
R- P. Ollier et une grande partie de l'UMP voulaient absolument un programme très lourd, très lisible sur l'accession sociale à la propriété. Alors, plutôt que le combiner avec ce fameux article 55, je leur ai proposé, puisque l'on le fait déjà, d'amplifier l'accession sociale à la propriété, avec un programme très lourd. Ils sont donc ravis.
Q- Hier, vous avez acclamé sur les bancs de l'Assemblée nationale. C'était une manière de tirer un pied de nez au Premier ministre de la part des députés de l'UMP ?
R- En tous les cas...
Q- On parle franchement !
R- Non, mais on est là pour se parler franchement, sinon je ne viendrais pas si tôt le matin, vous imaginez bien.
Q- C'est dur, hein ?
R- Vous imaginez bien, surtout après une quasi nuit à l'Assemblée sur la loi logement. Non, je l'ai pris comme, d'abord, une marque d'affection, et puis probablement aussi, de, comment vous dire, pas d'estime, mais... Vous savez, quand vous êtes parlementaire, vous rentrez dans votre circonscription, et puis que, vous avez la Maison de l'emploi du plan de cohésion sociale, puis vous avez les services à la personne, que vous installez, et puis vous voyez que le chômage va mieux, et puis que le logement, notamment le logement social, cela va un peu mieux, vous contribuez à tout cela. Bon. C'est le plan de cohésion sociale, c'est un peu la boîte à outils.
Q- Cela vous a fait chaud au coeur. Mais, pour être toujours dans le registre de la franchise, un certain nombre de députés disent : Borloo à Matignon, ce serait quand même mieux aujourd'hui. Seriez-vous prêt à y aller, si d'aventure le président de la République vous appelait ?
R- Sincèrement, la question ne se pose pas. D'abord, parce que vous voyez à la fois que j'ai une tâche...
Q- Au fond, vous préférez être Premier ministre de Sarkozy élu, que de Chirac finissant ?
R- C'est un terme désobligeant et que j'estime par ailleurs déplacé. Non. Ecoutez, cela ne se pose vraiment pas en ces termes. Je suis en train d'accomplir un rêve : c'est que, notre pays se mette, comme tous les pays modernes, à considérer que tout demandeur d'emploi ait une richesse, qu'en fait, il faut que l'on traite la crise du recrutement, qu'il faut que l'on traite aussi la crise de l'intégration et qu'il faut que l'on traite la crise du logement. J'ai la chance extraordinaire d'être aux manettes de cela ! Et je peux vous dire que je vais lancer encore un ou deux programmes complémentaires, notamment pour ces jeunes de 12, 14, à 20, 22 ans, qui sont vraiment en dehors du train de la République. Il nous faut une mesure un peu exceptionnelle que je proposerai au Premier ministre. Donc, je suis extrêmement heureux dans ce que je fais. C'est dur, cela a été très difficile de monter tout cela. Mais quand on commence à voir des petits résultats, même s'il y aura forcément des moments moins gais, on ne pense pas, on n'est pas agité pour d'autres fonctions, d'autres activités.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2006