Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, à LCI le 13 juin 2006, sur le début des épreuves du baccalauréat, la réduction des effectifs à l'éducation nationale et ses relations avec M. François Bayrou, président de l'UDF.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- Epreuve de philosophie hier, épreuve de français aujourd'hui, estimez-vous que les épreuves du bac se déroulent bien et sans anicroches ?
R- Jusqu'à présent, absolument remarquablement. Il faut dire qu'il y a eu un travail en amont formidable de la part de l'Education nationale. Je suis allé visiter plusieurs rectorats, inspections d'académie, etc. pour voir cette préparation, depuis déjà plusieurs mois et c'est vraiment une épreuve qui est parfaitement huilée de la part de cette belle administration.
Q- L'affaire du contrat "première embauche" n'a pas été un handicap ? Est-ce que les professeurs, vont, comme le dit par exemple, le président de l'Unel, se montrer solidaires et donc, conciliants, dans la correction des copies ?
R- Ils n'ont pas à se montrer conciliants, ils ont à se montrer justes, équitables. C'est-à-dire que le bac 2006 sera un bac normal. Il y a eu suffisamment de rattrapages depuis l'affaire du CPE ; il y a eu un travail formidable fait par les uns et par les autres. Il n'y a aucune consigne de baisser, de monter, de moduler les notes. Ce bac 2006 aura toute sa valeur exactement comme le bac 2005 et les bacs précédents. C'est donc un vrai cru, un vrai bon cru 2006. Par conséquent, on ne pourra pas dire qu'il est dévalorisé.
Q- Au regard de se qui s'est passé, n'estimez-vous pas, comme le prévoyait initialement la réforme Fillon, qu'il faudrait introduire davantage de contrôle continue dans cette année du bac ?
R- On peut toujours imaginer cela. Ils ne l'ont pas voulu, ce n'est pas à l'ordre du jour. J'ai 22 chantiers en cours, avec, notamment, l'application de la loi Fillon. Ces chantiers sont en cours et aujourd'hui, je n'ai pas de chantier sur le bac. On peut toujours simplifier un peu, parce que c'est une énorme épreuve. Il faut se rendre compte que cela concerne plus d'un million d'élèves, 160.000 personnels de l'Education nationale. Nous avons 4 millions de copies à corriger, il y a un million d'épreuves orales à faire passer. Donc c'est une énorme machine, mais comme elle est décentralisée, cela fonctionne très, très bien. Je ne dis pas que l'on ne peut pas simplifier. Si l'on pouvait, le cas échéant, simplifier encore on le ferait, mais aujourd'hui, il n'y a pas de réforme du baccalauréat envisagée au ministère.
Q- Est-ce que l'épreuve reine pour les littéraires, qui est la philosophie, n'est pas aujourd'hui un peu archaïque au regard de ce qui se passe par exemple chez nos voisins, où la philosophie n'est pas le critère déterminant ?
R- Comment pouvez-vous dire cela, vous, un journaliste ? La culture française, la spécificité française, cet humanisme français, cela s'apprend. Cela s'apprend notamment dans les classes de philosophie. Je crois qu'il est absolument indispensable, ce "supplément d'âme" que citait Bergson ; c'est par la philosophie que les jeunes l'apprennent. Lorsqu'on les interroge, ils disent que c'est difficile, qu'ils ne comprennent pas tout parce que c'est un peu compliqué d'être plongé dans la philosophie mais ils ressentent le besoin de réfléchir un peu sur "d'où venons-nous, où allons-nous, que sommes-nous, comment organisons-nous la société ? Quels sont les grands penseurs de ce siècle et des années passées et des siècles passés ?". Je crois que c'est absolument indispensable de garder une épreuve de philosophie. Je crois que cela aide les uns et les autres à réfléchir et à préparer leur avenir. Ce n'est pas inutile même dans une perspective de professionnalisation.
Q- Vous terminez plutôt bien l'année scolaire ; est-ce que vous ne vous arrachez pas les cheveux en pensant à la prochaine rentrée après que D. de Villepin a annoncé la suppression de 15.000 postes de fonctionnaires, dont, si je ne me trompe, 8.700 à l'Education nationale ? Il est vrai que seront créés 1.570 postes, donc vous en aurez 7.130 en moins.
R- La prochaine rentrée 2006 est évidemment complètement préparée, et la rentrée 2007 se passera très bien. Pourquoi ? Parce que l'Education nationale, c'est 1.243.855 personnes. Et je peux vous dire, parce que c'est cela ma préoccupation, que le taux d'encadrement des élèves ne changera pas en 2007 par rapport à 2006.
Q- Où se font ces coupes ?
R- Ce ne sont pas des coupes, ce sont des non renouvellements. Il y a aussi des professeurs qui prolongent leur activité pour suivre la réforme des retraites, donc ils enseignent un an ou deux ans de plus le cas échéant, et puis ensuite, nous avons des gisements très importants. Vous savez qu'un audit a été fait et il a montré qu'il y avait 28.000 équivalents temps pleins aujourd'hui, qui n'étaient pas devant les élèves. Enfin, il y a aussi à rencontrer les partenaires sociaux parce qu'il y a, très honnêtement, des décharges de professeurs qui ne sont pas toujours justifiées ou que l'on pourrait aménager en temps d'enseignement. Je peux certifier, et je tiens à le dire, qu'il n'y aura aucune diminution du rapport enseignants/élèves, de façon à ce que ce taux d'encadrement reste identique. Aujourd'hui, dans la France entière, la moyenne, c'est24 ; l'année prochaine, la moyenne sera exactement 24. C'est quand même l'essentiel.
Q- Quand vous dites "24", qu'est-ce à dire ?
R- C'est-à-dire 24 élèves par classe, en moyenne. Il y en a où il y a trente élèves et puis il y en a aussi où ils sont 17.
Q- Pour m'éclairer, comment expliquer que vous ayez annoncé le recrutement de 50.000 emplois nouveaux pour seconder les directeurs d'école primaire alors que l'on va en supprimer 7.000 ?
R- Ce n'est pas tout à fait la même chose. Je vais vous expliquer...
Q- ...Mais est-ce que votre budget va être stable ou va-t-il diminuer ?
R- J'ai l'aide aussi du budget du ministère de la Cohésion sociale, c'est-à-dire du ministère Borloo. On met les moyens là où il y a des besoins. C'est clair que les directeurs d'école qui faisaient une grève administrative depuis sept ou huit ans, étaient à la fois directeurs d'école et ils enseignaient. Et quand ils enseignaient, ils avaient du mal à faire toute la gestion administrative de l'école. Ils étaient en grève depuis sept ans et on laissait les choses ainsi. Je leur ai dit "qu'est-ce qu'il vous manque ?", "ils nous manquent une petite aide pour faire le travail administratif". Eh bien non seulement vous serez déchargés une journée par semaine et ce sera un enseignant stagiaire qui viendra assumer la classe une journée par semaine, dans la classe du directeur, et deuxièmement, vous allez avoir un contrat aidé, c'est-à-dire un emploi "vie scolaire", qui sera formé à cet effet, bien sûr, et qui pourra venir vous décharger d'un certain travail administratif.
Q- Donc, ces 50.000 postes sont confirmés ?
R- Ces 50.000 postes, à la demande des directeurs d'école, sont confirmés.
Q- Parlons un instant de vos déboires avec F. Bayrou...
R- Pourquoi "mes déboires" ?
Q- Vos différends, disons. Qu'est-ce qui vous sépare de F. Bayrou, hormis votre participation au Gouvernement ? Au fond, est-ce que sur tous les autres sujets, vous n'êtes pas d'accord sur son approche ?
R- C'est simplement parce que je n'arrête de poser une question qui est très, très simple, toujours la même, et je n'ai toujours pas de réponse. Je pense qu'à votre tour, vous allez la poser à F. Bayrou quand il sera candidat officiel et jusqu'au premier tour, vous allez la poser, et vous la poserez, le cas échéant, entre les deux tours : F. Bayrou a demandé que l'on vote la censure contre la majorité. C'est une censure déposée par le PS, une censure soutenue par le PC. Il a demandé à voter cette censure, il a été suivi par dix députés sur trente ; est-ce qu'un jour ou pas - il n'a qu'à le démentir et puis c'est fini -, il appellera à voter la confiance à un Gouvernement socialiste soutenu par les communistes ? Ce n'est quand même pas une question qui est insolente, surtout dans une famille politique qui a l'habitude à la fois de pratiquer la tolérance et à la fois aussi d'organiser le débat.
Q- Mais dès lors qu'il se situe au centre, est-ce qu'il n'a pas intérêt, aujourd'hui, à ne pas dévoiler ce que sera son attitude pour garder toute possibilité de se déterminer en fonction du programme des uns et des autres ?
R- On reproche suffisamment aux hommes politiques, comme vous dites, de ne pas se dévoiler. Je crois que la clarification, la clarté dans une démarche politique, quand on cherche la confiance des électeurs, c'est de dire ce que l'on propose, le projet et, en même temps, avec qui ont veut le faire, ou avec qui on estime que les valeurs qui sont celles de l'UDF ne sont pas compatibles. Je crois qu'il faut toujours rester sur les valeurs pour avoir un repère dans la vie politique. Est-ce que les valeurs de l'UDF sont compatibles avec les valeurs d'un programme commun de la gauche ?
Q- Quand vous dites que F. Bayrou est légitime pour porter les couleurs de l'UDF en 2007, cela veut-il dire que vous voterez pour lui ?
R- Cela veut dire tout simplement qu'il porte naturellement les couleurs de l'UDF, il est président. Toute formation politique de la taille de l'UDF doit avoir un candidat mais je veux une clarification et cette clarification, je la souhaite. Je suis tellement partisan de l'union que je ne veux pas qu'il y ait une ambiguïté dans cette démarche. Et s'il n'y a pas d'ambiguïté, il augmente ses chances. Lui estime qu'il augmente ses chances en ne disant pas justement ce qu'il ferait, le cas échéant.
Q- F. Bayrou dit que votre exclusion n'est pas à l'ordre du jour ; est-ce que vous envisagez de quitter l'UDF si cette clarification n'aboutissait pas ?
R- On me pose la question tous les jours et tous les jours, je dis "non". Cela fait 28 ans que je suis à l'UDF, j'y serai peut-être encore 28 ans. Du moins, je l'espère.
Source : premier ministre, Service d'information du gouvernement, le 13 juin 2006