Texte intégral
Mesdames, messieurs,
Je vous remercie de votre présence nombreuse. Elle témoigne de l'intérêt que vous portez, à juste titre, à la formation et à la recherche dans la police nationale.
La formation est une préoccupation relativement récente dans l'histoire de la police nationale. Chacun garde en mémoire les impulsions données en cette matière par mes prédécesseurs, Gaston Defferre en 1982 et Pierre Joxe en 1989. Ces précédents nous servent aujourd'hui de référence. C'est une relance de cette ampleur que nous devons organiser. La création d'une direction de la formation de la police nationale, au sein de la direction générale de la police nationale, revêt une signification symbolique et pratique: la formation aura ainsi la place éminente qui lui revient dans l'organisation de la police.
J'ai voulu lier la recherche et la formation et, plus précisément associer l'institut des hautes études de sécurité intérieure à ces assises. C'est que, dans mon esprit, il y a un lien étroit entre la recherche et la formation. La formation doit transmettre et diffuser dans l'institution policière les connaissances nouvelles que produit la recherche, soit par la synthèse de l'expérience de terrain, soit par l'examen comparatif des travaux effectués dans des pays étrangers.
1) Le bilan de la préparation de ces assises fait d'ores et déjà apparaître un très riche matériel pour notre réflexion collective.
a) Cinq thèmes de travail ont été choisis, sur lesquels des commissions se réuniront ce matin : la police de proximité, les technologies nouvelles, la valorisation des ressources humaines, la dimension internationale, la déontologie. Je remercie les auteurs des excellents rapports sur ces sujets : mesdames Marie-France Moneger-Guyomarc'h et Geneviève Bourdin,
messieurs Pierre Batalla, Yves Guilllot et Michel Richardot.
Dans les neuf zones de défense, 49 groupes de travail se sont réunis ; 740 personnes y ont participé. 105 assemblées d'agents se sont tenues, dans lesquelles se sont retrouvés plus de 6000 fonctionnaires. Les organisations syndicales ont été largement consultées. Il est essentiel que, dans une affaire de ce genre, les personnels soient amplement associés à l'élaboration des décisions.
b) De leur côté, les directions et services centraux de la police nationale ont transmis au rapporteur général des assises des rapports précis sur l'évolution de leurs activités dans les cinq à dix prochaines années et sur les conséquences à en tirer en matière de formation.
c) Enfin, dans huit villes, Avignon, Saint-Etienne, Valenciennes, Mulhouse, Saint-Nazaire, Cergy-Pontoise, l'Ha-les-Roses et Paris-18ème, toutes situées dans des départements où la délinquance sévit plus qu'ailleurs, un sondage d'opinion a été effectué par l'IFOP auprès de 1216 personnes, sur l'action de la police, les attentes de la population à son égard, et la place de cette institution dans la société. Dans les mêmes villes, la direction générale de la police nationale a interrogé 1200 policiers, à partir d'un questionnaire portant sur les cinq thèmes que j'ai précédemment rappelés. Avec un taux de réponse de 75 %, les retours de ces questionnaires ont apporté une contribution de choix au débat. Enfin, sous l'égide de l'IHESI, des chercheurs se sont entretenus avec des élus, des magistrats, des bailleurs sociaux, des chefs d'établissement scolaire, des responsables de réseaux de transport en commun, tous partenaires de l'action collective pour la sécurité; ils en ont tiré un utile rapport, lui aussi versé à notre réflexion.
L'ensemble de ces éléments témoigne de l'engagement résolu des fonctionnaires de la police nationale dans la préparation des assises et de l'intérêt qu'ils portent à leur objet.
2) Les assises de la formation et de la recherche dans la police nationale sont un moment important dans la conduite de notre politique de sécurité.
Indépendamment des tâches de formation traditionnelles, indispensables à l'acquisition des compétences professionnelles requises dans les différents métiers de la police, à l'adaptation des personnels aux évolutions, notamment aux évolutions techniques de ces métiers, je voudrais insister sur l'un des thèmes de vos travaux, la police de proximité.
Au colloque de Villepinte déjà, l'objectif d'une véritable police de proximité en sécurité publique avait été fixé. Il convient maintenant d'en préciser le contenu et de passer à la pratique. La posture de la police, face à la délinquance qui se développe dans les villes et les banlieues, doit changer.
a) Ce qui doit changer d'abord, c'est, fondamentalement, le rapport entre l'institution policière et la population, en particulier la jeunesse. Il n'y a aucune raison et, en tout cas, aucune fatalité pour que la police apparaisse en permanence, dans certains quartiers, comme une force étrangère à la cité, comme une force hostile. C'est là l'effet d'une situation sociale dégradée où l'apartheid territorial redouble l'apartheid social. Sur cette base se développe la fameuse culture de la "haine" où le policier sert de bouc émissaire à une jeunesse qui se sent piégée. De la même façon que les postiers, que les pompiers, ou que les enseignants, les policiers doivent être perçus pour ce qu'ils sont: des fonctionnaires au service de nos concitoyens, chargés de la sûreté de leurs biens et de leur personne. La force publique est au service de tous.
Bien sûr, pour changer les rapports de la police et de la société, on peut penser qu'il faut d'abord changer la société, remédier à la ségrégation urbaine, favoriser la mixité sociale dans l'habitat, assurer l'accès à la citoyenneté des jeunes nés de l'immigration. Mais on doit aussi réfléchir à l'évolution de la doctrine d'emploi de la police.
Tout d'abord il est nécessaire de recruter notre police à l'image de la polulation française et, s'agissant des quartiers difficiles, à l'image de ces quartiers. La population, y compris la jeunesse, doit pouvoir se reconnaître dans la police comme en l'une de ses émanations.
Pour cela aussi, la police doit nouer des rapports différents, nouveaux avec la population. Elle doit être plus présente parmi elle, sur la voie publique, en liaison, en contact direct avec tous ceux qui jouent, en son sein, un rôle social : principaux de collège ou proviseurs de lycée, gardiens d'immeuble, commerçants, élus, militants associatifs, éducateurs sociaux. Elle doit apprendre à connaître non seulement les délinquants, les bandes, ceux dont elle réprime les activités illicites, mais le milieu d'où ils viennent, le quartier où ils évoluent, leurs façons de vivre et de penser, et aussi les victimes, actuelles ou potentielles, qui pâtissent de leurs agissements.
b) Ce qui doit aussi évoluer, ce sont aussi les modes d'intervention de la police. La sûreté de l'Etat n'est plus menacée par des grèves insurrectionnelles soutenues par une puissance étrangère. Si on excepte la menace terroriste toujours présente, les pouvoirs publics ne sont plus confrontés aux violences à caractère politique, ni au danger de dégénérescence de puissants mouvements de masse qu' a remplacée l'agitation médiatique de petits groupes ultraminoritaires mais puissamment relayés. Nous savons ce qui trouble d'abord aujourd'hui la tranquillité publique: l'insulte, la menace verbale, l'agression individuelle, l'incendie d'une poubelle, d'une cave ou d'une automobile, le vol à la tire, le pillage collectif des boutiques et, dans quelques cas, l'émeute de quartier. On ne combat pas ces méfaits avec les moyens dont on usait pour maintenir l'ordre public dans les années 50 ou 60.
Le recours privilégié à des unités d'intervention qui sortent d'un commissariat pour partir à la recherche et à la poursuite des délinquants, l'appel aux CRS ou aux escadrons de gendarmes mobiles pour rétablir l'ordre compromis dans une cité restent nécessaires pour éteindre les incendies. Ils ne permettent pas de les prévenir. La sécurité publique requiert une action de plus longue portée, d'où puisse procéder une dissuasion durable. C'est ce qu'on appelle la police de proximité, au contact direct et permanent de la population.
c) Dans sa dernière réunion, le 27 janvier dernier, le Conseil de sécurité intérieure a pris d'importantes dispositions en ce sens.
Les moyens de la police nationale seront davantage concentrés dans les 26 départements les plus touchés par la délinquance. C'est une mesure de bon sens, conforme à l'intérêt général. Personne ne peut contester qu'il faille mettre les moyens de l'Etat là où ils sont le plus nécessaires. Toutes les mesures utiles, notamment en matière de redéploiements, seront prises pour affecter dans ces départements 7000 policiers et gendarmes supplémentaires d'ici à trois ans; les policiers sortant des écoles y seront affectés en priorité ; on y choisira également les lieux de stage pour les gardiens de la paix en formation ; le recrutement des adjoints de sécurité, qui s'y trouvent déjà dans une proportion de 80 %, sera accéléré et augmenté par rapport aux prévisions du budget pour 1999 ; des incitations seront proposées aux policiers pour retarder les départs en retraite, mais aussi pour fidéliser ceux qui sont affectés dans les zones les plus difficiles.
D'autre part, des expériences-pilotes de police de proximité, axées sur la responsabilisation des personnels et la territorialisation de leur intervention sont lancées dans cinq circonscriptions. Il s'agit de confier à chaque fonctionnaire, à chaque équipe, des responsabilité de sécurité publique dans un quartier, une rue, un îlot. Ces expériences seront étendues à trente autres sites, dans les départements les plus sensibles. Les effectifs consacrés à l'îlotage, qui ont été doublés au cours de l'année 1998, seront renforcés. C'est à travers ces expériences que s'élaborera une nouvelle doctrine d'emploi de la police de proximité.
Tous ces changements ne se feront pas sans un puissant effort de formation initiale et continue. Bien plus, la formation est le principal moyen, le plus efficace pour permettre à la police de se moderniser, de se rénover, de se préparer aux missions nouvelles qui l'attendent. C'est aussi l'occasion pour chacun d'accomplir un progrès dans sa carrière, d'acquérir une plus grande compétence professionnelle pour s'acquitter au mieux de sa tâche, et de trouver ainsi, auprès de nos concitoyens, une meilleure reconnaissance de la valeur de son engagement et de la qualité de son travail. C'est au perfectionnement personnel de chaque fonctionnaire et à celui de l'institution éminemment républicaine de la police que doivent concourir ces assises et les suites qu'elles ne manqueront pas d'avoir.
Voilà les quelques mots d'accueil que je voulais vous adresser. Je souhaite plein succès à vos travaux, que je vais suivre attentivement.
(Source http://www.interieur.gouv.fr)