Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, lors du point de presse conjoint avec M. Macky Sall, Premier ministre sénégalais, sur le soutien de la France à la stratégie de croissance accélérée mise en place au Sénégal et sur le partenariat économique entre les deux pays, ainsi que sur la question de l'immigration choisie et de la lutte contre l'immigration clandestine, Paris le 4 juillet 2006.

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Circonstance : Visite en France du Premier ministre sénégalais Macky Sall les 4 et 5 juillet 2006

Texte intégral

Mesdames et Messieurs, je voudrais d'abord vous dire combien je suis heureux de recevoir ici, aujourd'hui, le Premier ministre du Sénégal, M. Macky Sall à la tête d'une importante délégation de son gouvernement que je salue très amicalement.
Le Premier ministre est en France pour une visite de travail de deux jours, centrée autour de la mise en oeuvre de la stratégie de croissance accélérée qui permettra au Sénégal de rejoindre le club des pays émergents dès 2015.
Ce déplacement est donc centré sur une réunion de travail approfondie, demain, avec l'Agence française de Développement et des contacts avec des représentants de notre secteur privé. M. Macky Sall s'est également entretenu avec Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy ; il verra demain Thierry Breton. Je dirais que
ce déplacement, si vous me le permettez, Monsieur le Premier ministre, revêt une importance significative. Car c'est bien la croissance économique qui sera, à n'en pas douter, au coeur des enjeux du continent africain du XXIème siècle ; c'est la condition première du développement parce que c'est la condition première de la paix, et que l'aide seule n'assurera pas le développement. Sans développement, sans perspectives concrètes de croissance, il n'y aura pas d'issue durable aux conflits qui secouent encore le continent africain. Pour ma part, je suis persuadé qu'au XXIème siècle, l'Afrique constitue une opportunité extrêmement intéressante au sens économique du terme. Il faut définitivement sortir de la logique de compassion pour passer résolument à la logique de l'intérêt mutuel, du partenariat.
Monsieur le Premier Ministre, je n'ai pas de doute sur le potentiel formidable du continent africain et sur celui du Sénégal en particulier. L'accélération remarquable du taux de croissance annuel moyen de l'Afrique subsaharienne depuis maintenant plus de cinq ans, l'arrivée massive de nouveaux partenaires, je pense bien sûr à la Chine, à l'Inde, au Brésil, mais aussi à L'Iran et aux pays du Golfe, l'émergence rapide de nouveaux acteurs, qui combinent forte croissance économique et remarquable stabilité politique, en témoignent.
Le thème retenu par le Sommet des chefs d'Etat de l'Union africaine qui vient de se terminer à Banjul celui de l'intégration économique régionale est à mes yeux très significatif de l'évolution profonde de ce continent et surtout des priorités qui sont aujourd'hui les priorités de ses dirigeants.
C'est donc, et j'en terminerai Monsieur le Premier Ministre, la croissance économique qui sera aujourd'hui, et de façon significative au coeur de nos entretiens.
Nous évoquerons également d'autres sujets : d'abord la préparation de la Conférence de Rabat qui se tiendra les 10 et 11 juillet prochain avec nos partenaires européens et africains - qui portera essentiellement sur les migrations. Cette conférence sera suivie immédiatement d'une réunion de travail bilatérale, à Paris, sous l'égide du ministère de l'Intérieur entre experts sénégalais et français pour décliner concrètement ce que peut être une politique d'immigration concertée.
Nous parlerons, d'autre part, de la Facilité Internationale d'Achat de Médicaments que nous mettons en place actuellement à partir d'une contribution de solidarité sur les billets d'avions. Ce sera un plaisir pour moi de vous dire où en est UNITAID et quelles en sont les avancées.
Monsieur le Premier Ministre, Mesdames et Messieurs les Ministres, c'est un honneur pour nous de vous recevoir aujourd'hui, ici à Paris.
Q - Vous parliez de l'arrivée de nouveaux partenaires pour le continent africain, vous avez évoqué la Chine, notamment l'Inde ou l'Iran. Tous ces nouveaux partenaires vont investir le pré carré français, cela ne gêne-t-il pas ? Vous risquez de perdre tous vos intérêts acquis depuis longtemps. De plus, ces parts de marchés vous donnent une zone d'influence importante en Afrique, cela ne vous inquiète-t-il pas ?
R - Les relations économiques et commerciales, avec le Sénégal par exemple, sont très importantes. Il y a une forte présence, c'est vrai, de commerçants chinois mais peu d'investissements ou d'implantations, selon les sources sénégalaises elles-mêmes. Nos amis sénégalais savent d'ailleurs qu'ils peuvent compter sur la qualité des produits et des prestations françaises comme l'a montré d'ailleurs le succès de la semaine française.
Les entreprises françaises sont donc, me semble-il, bien armées face à la concurrence. Avec la mondialisation, il est logique que de grands pays tels que la Chine soient de plus en plus présents en Afrique, comme le sont d'autres grands pays tels que l'Inde ou le Brésil. Il en est de même de l'Afrique du Sud ou des pays plus proches comme le Maroc, la Turquie ou certains pays du Golfe.
La France a repris toute une activité culturelle, une activité linguistique, une activité d'amis historique propre aux échanges entre un certain nombre de pays africains, en particulier le Sénégal qui, à mon avis sera demain l'un des pays qui continuera de marquer l'Afrique d'une forte empreinte.
Q - Quel soutien peut apporter la France à la stratégie de croissance accélérée mise en place par le président sénégalais ?
R - Depuis le mois de janvier 2005, le gouvernement sénégalais, sous l'impulsion de son Premier ministre, a lancé une stratégie de croissance accélérée qui vise un objectif de 7 à 8 %. C'était 5, 5,5, c'est 6 maintenant. Cela doit conduire à la réduction de tous les problèmes de façon significative, en particulier la pauvreté à l'horizon 2015. Cette stratégie de croissance, il ne faut pas s'y tromper, est destinée à créer un environnement favorable aux affaires internationales avec de grands projets d'infrastructures comme la future autoroute, ou comme une plate-forme industrielle, ou de nouvelles réformes administratives, judiciaires, fiscales.
Pour répondre à votre question, la France est prête à investir sur tous ces sujets et d'autant plus que les réformes sont engagées.
Quel est l'avantage de ces réformes ? Elles assoient la crédibilité d'un pays. Le Premier ministre sénégalais effectue aujourd'hui une visite de travail pour expliquer en détail aux autorités politiques et au secteur privé, cette stratégie de croissance accélérée que la France souhaite soutenir cette stratégie.
C'est ainsi que nous avons organisé une manifestation commerciale de grande ampleur en avril, durant la semaine française à Dakar. A titre bilatéral, la France a apporté ainsi, une nouvelle fois, la preuve de sa mobilisation : une cinquantaine d'entreprises étaient présentes durant cette semaine avec le pavillon français du SIAGRO qui illustre sa très forte présence au Sénégal.
La France a été, en 2005 comme en 2004, le premier fournisseur avec 599 millions d'euros, le troisième client du Sénégal, 106 millions d'euros, et le premier investisseur avec 250 entreprises souvent prépondérantes dans leurs secteurs. Plusieurs entreprises sont présentes dans les services publics aussi importants que la distribution de l'eau ou le téléphone. Ces PME participent à hauteur de 2 milliards de dollars à la production de biens et de services et emploient 22.000 salariés au Sénégal. Je serai exhaustif en vous disant que la France apporte son appui via sa participation aux groupes de bailleurs de fonds et au travers de l'Aide française publique au développement.
Q - Dans le cadre de la coopération bilatérale, il a été beaucoup question de l'immigration choisie, un concept si cher au ministre de l'Intérieur. Quelle appréciation avez-vous de la position du Sénégal, notamment de la position du président sénégalais par rapport à cette question ?
R - Le vrai sujet, pour moi, est celui de l'égoïsme des pays riches et occidentaux. S'il n'y a pas, à un moment donné, une prise de conscience que, dans la mondialisation actuelle, les pays de plus en plus riches le sont de plus en plus, que le fossé se creuse de plus en plus, si on ne comprend pas cela, on n'a rien compris. Cela veut dire qu'il faut trouver des démarches citoyennes mondiales pour réguler cette mondialisation de plus en plus égoïste qui laisse sur le côté un certain nombre de personnes.
Par ailleurs, il y a deux grands sujets. Le premier est celui de l'économie ; il est important qu'il y ait des hommes politiques de cette envergure qui parlent d'égal à égal avec des grandes puissances, en partenaires. Il ne s'agit pas d'assister, il s'agit de favoriser les partenariats en montrant ainsi aux entreprises qu'elles peuvent faire confiance aux autorités sénégalaises en investissant leur argent.
Le deuxième est celui de la santé publique et c'est un sujet majeur. L'instinct de conservation existe et si nous n'avons pas de médicaments contre la tuberculose alors que l'on sait qu'à quelques kilomètres, il y en a, on va forcément venir les chercher. C'est un comportement humain et on ne pourra jamais réguler l'immigration uniquement par des lois, de mitraillettes ou des forces armées.
Tout cela n'a qu'un temps et, la réalité, c'est la répartition de la richesse sur la planète ; il est vrai cependant que nous avons, en France, un certain nombre de problèmes à gérer. Nous avons évoqué l'idée de l'immigration choisie, cela veut dire que notre pays veut participer aux flux mondiaux de l'intelligence et des compétences. Le dynamisme, la modernisation de notre économie en dépendent. Parallèlement, la France est déterminée à lutter contre la fuite des cerveaux des pays d'origine. A titre d'exemple, la nouvelle carte de séjour qui s'appelle "compétences et talents" peut être accordée au ressortissant étranger qui participe au développement ou au rayonnement du pays dont il a la nationalité.
Lorsque je suis allé au Sénégal, la dernière fois - j'ai eu la chance d'accompagner le président Wade en pleine brousse pour inaugurer un centre de santé -, je me souviendrai toute ma vie de l'accueil qui nous a été réservé, c'est un souvenir merveilleux pour moi. Lorsque nous revenions à la voiture du président, une dame arrive et s'agenouille quasiment devant lui : "relevez-vous" lui dit-il, elle lui répond : "je vous remercie énormément Monsieur le Président, c'est formidable. Grâce à vous, mon fils a pu faire des études de médecine à Dakar. C'est grâce à vous, c'est vous qui l'avez permis, je vous l'avais demandé et vous l'avez fait." Le président Wade lui a demandé alors où se trouve son fils maintenant : il est praticien hospitalier à Rennes. Il m'a regardé et m'a dit : "avez-vous compris ?"
Cependant, on s'aperçoit bien sûr qu'il manque cruellement de médecins de brousse. C'est un sujet important, ce n'est pas que nous ne voulons pas former les étudiants - nous sommes très heureux de former les élites d'où qu'elles viennent et c'est à la fois la dignité et l'honneur de notre pays qui s'est toujours construit ainsi -, mais nous avons aussi besoin que vous ayez vous-mêmes les cadres dirigeants pour diriger un pays que vous vous apprêtez justement à faire figurer parmi les pays émergents.
Par ailleurs, je voulais vous parler de la lutte contre l'immigration clandestine qui est un volet nécessaire d'une politique d'immigration ; c'est un combat contre le trafic, contre la traite des êtres humains et la France entend, sachez-le, mener ce combat de manière très déterminée, dans le respect de la dignité bien sûr des personnes concernées. Et pour conduire cette politique, la France souhaite coopérer avec les pays d'origine et de transit en cherchant à comprendre et à résoudre, avec eux, les causes profondes de l'immigration dont je viens de parler.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juillet 2006