Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, sur France 2 le 9 juin 2006, sur la tenue de la prochaine Coupe du Monde de football, notamment la question de la cohésion de l'équipe de France, la campagne de sensibilisation contre la traite des femmes et sa position concernant le montant des salaires des joueurs de football professionnels.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Coupe du monde de football en Allemagne du 9 juin au 9 juillet 2006.

Média : France 2

Texte intégral

Q- Avec J.-F. Lamour, on va évidemment parler de la Coupe du monde de football. Vous avez suivi de très près l'Equipe de France, on l'a vue un petit peu hésitante durant les trois derniers matchs. C'est une équipe dans laquelle il y a des grands joueurs, mais quand ils sont ensemble on a l'impression que cela ne marche pas si bien que ça.
R- Si, c'est en train, la cohésion du groupe, on l'a vu, a progressé match après match. Regardez l'arrivée de Franck Ribery dans le groupe.
Q- Le petit nouveau.
R- Le petit nouveau qui a apporté aussi beaucoup de fraîcheur, aussi un peu plus de cohésion dans le groupe. Il est d'ailleurs pratiquement à l'origine des deux buts contre la Chine à Geoffroy Guichard. La cohésion est en train de se faire. Et puis, vous savez, quand on est comme ça à l'approche d'un grand rendez-vous, on se cherche un peu, on crée cette synergie qui est nécessaire. Voilà. Les Français sont maintenant en Allemagne, on les attend contre la Suisse le 13 juin.
Q- On va se faire un petit plaisir, parce qu'on ne sait pas ce que nous réserve l'avenir. On va regarder les trois buts de l'équipe de France lors de la Coupe du monde de 1998 [des images défilent]. On va regarder les images, avec ce premier but de Zidane. Un deuxième but de Zidane, ça c'était vraiment les bons moments. Et puis en fin de match, un but d'Emmanuel Petit que l'on va voir maintenant. C'était vraiment la grande équipe. Est-ce que vous avez l'impression que l'Equipe de France de 2006 elle est à la hauteur de celle de 98 ?
R- Elle est différente, mais elle est à la hauteur, j'en suis persuadé, oui, oui. Moi je crois beaucoup en cette équipe. J'y crois, parce que l'expérience compte beaucoup, on sait que nous avons parmi les meilleurs joueurs, même si leur expérience maintenant est peut-être plus importante que leur fraîcheur physique, mais c'est évident. Comme n'importe quel grand champion, quand on approche effectivement de l'échéance, qui est la retraite sportive, on arrive à moduler cette perte un peu de fraîcheur physique avec beaucoup plus d'expérience, le savoir-faire.
Q- Vous avez un passé de champion, vous êtes double champion olympique et vous, vous dites : l'expérience à un certain moment cela peut remplacer la jeunesse ?
R- Evidemment, savoir préparer un grand rendez-vous, mieux jouer, être plus stratège, plus fort physiquement, évidemment cela joue et c'est un bon compromis ce groupe de vingt-trois. Entre justement des jeunes qui ont envie d'en découdre - je rappelais tout à l'heure le rôle de Franck Ribery - et puis des anciens, bien sûr Zinedine Zidane qui vont tout donner pour cette Coupe du monde j'en suis persuadé. Il a annoncé sa retraite, mais je crois qu'il l'a fait exprès. Il a dit : voilà, ce sont mes derniers matches et pendant ces derniers matches je vais tout donner.
Q- Autrement dit, vous ne faites pas partie des pessimistes qui disent que la France va être éliminée rapidement ?
R- Surtout pas. Je crois en ce groupe, je suis allé les voir à Clairefontaine, je les ai vus sur leur match de préparation, j'irai les voir sur le front suisse, qui va être très important. Il va donner un peu le rythme de cette Coupe du monde pour les Bleus. Mais je crois en cette équipe !
Q- En 1998, la Coupe du monde cela avait créé une vraie vague d'enthousiasme en France. Est-ce que vous pensez qu'une Coupe du monde réussie cela peut redonner le moral aux Français ?
R- Bien sûr, bien évidemment. C'est une sorte de supplément d'âme, on est fier de son équipe. Et puis en 98, il y avait autre chose : on était fier de voir la France organiser un événement de cette nature, de cette ampleur, comme les Allemands le sont d'ailleurs. C'est un formidable coup de booster, économique, en matière d'infrastructures. Et puis, je vous dis, la fierté, l'image du pays au travers de l'organisation d'un événement comme celui-là.
Q- On dit même que le Gouvernement compte beaucoup sur la Coupe du monde pour faire oublier les petits soucis - Clearstream, etc. Vous avez entendu ça au Conseil des Ministres ?
R- Non, surtout pas. Encore une fois, on veut que cette équipe aille le plus loin possible parce qu'on est derrière elle, comme tous les Français l'étaient, souvenez-vous le 12 juillet 1998, où les Français aimant le sport ou pas, le foot ou pas, peu importe étaient dans la rue pour célébrer la victoire de nos Bleus.
Q- Mais vous ne comptez pas là-dessus pour faire oublier les problèmes politiques ?
R- On aime quand la France va bien et on aime quand la France est fière, alors de son secteur économique et puis là, de l'Equipe de France. C'est un point important, bien sûr, cela joue sur le moral des Français. Et pourquoi pas effectivement profiter de l'embellie d'une Equipe de France pour dire : voilà, notre pays avance, il est bien placé, il est dans le concert mondial des grandes équipes sportives, cela compte aussi.
Q- Il y a une question qui fait problème en Allemagne pour cette Coupe du monde, c'est la question de la prostitution. La prostitution est légale en Allemagne, mais à l'occasion de la Coupe du monde, il y a des milliers de femmes qui arrivent pour travailler autour des stades et vous avez d'ailleurs lancé un clip que l'on va regarder sur ce sujet.
R- [Début du Clip. Images et Voix de...] R. Domenech : " On dit que l'esclavage n'existe plus, mais chaque jour des femmes sont vendues comme du bétail ". M.-J. Perec : " On les arrache à leur famille, on leur enlève leurs papiers". L. Flessel : " On les tue à petit feu, on livre leur corps en pâture ". M. Marcovich (Coalition contre la traite des femmes) : " L'esclavage existe encore ". D. Rocheteau : " Autour de nous, autour de certains stades, des milliers de femmes sont prostituées ". R. Domenech : " Derrière chaque femme vendue, il y a des salopards. Ne soyons pas complices. " [Fin du clip]
Q- Cela dit, en Allemagne, la prostitution, les maisons closes sont légales.
R- Bien sûr. Ce clip ne donne de leçons à personne, en particulier pas à nos amis allemands. D'ailleurs j'ai engagé cette action avec la Fédération française de football, avec le soutien de quelques grands champions et de R. Domenech, en parfaite intelligence en parfaite intelligence avec ma collègue, la ministre allemande de la Famille, des Femmes et de la Jeunesse. Ce que nous voulons vraiment dénoncer, ce qui est inacceptable, c'est la traite des femmes. C'est-à-dire faire venir des femmes, en particulier au travers de réseaux mafieux, simplement pour cette prostitution et ça c'est totalement inacceptable. Nous ne remettons pas en cause la loi allemande en matière de légalisation de la prostitution. Ce n'est pas une leçon donnée, encore une fois à nos amis allemands, mais c'est cette volonté de dire : " attention ", parce que derrière des femmes, qui seront peut-être autour des stades pendant la Coupe du monde, il y a ces réseaux mafieux, il y a ces femmes qui auront subi des violences, très certainement et que l'on fera venir d'anciens pays de l'Est ou des pays du Nord de l'Europe.
Q- Des femmes à qui on a fait miroiter des choses très différentes de ce qui va se passer.
R- Très certainement, et qui se retrouveront d'ailleurs à mon avis sur le pavé une fois la Coupe du monde terminée, parce que c'est en général ce qui se passe. C'est simplement ce geste de sensibilisation, d'information pour tous ceux qui iront en Allemagne pendant la Coupe du monde.
Q- Quand on parle de football, on parle aussi souvent beaucoup d'argent. Est-ce que certains footballeurs, dans certains cas en tout cas, ne pensent pas plus à leur sponsor qu'à leur entraîneur ?
R- On peut comprendre cette attirance naturelle pour essayer de valoriser au mieux la sélection dans une équipe nationale et puis le fait d'être effectivement, là, au plus haut sommet.
Q- Mais est-ce que cela n'empêche pas de penser vraiment au jeu... ?
R- Ce sont des professionnels. La Fédération a bien encadré justement la préparation de l'Equipe de France en leur disant : tous vos contrats, vous les traitez avant et pendant la préparation de la Coupe du monde, vous ne pensez qu'à ça. Je pense que cela a été en tout cas beaucoup mieux géré que cela ne l'avait été en 2002.
Q- On entend souvent parler de salaires astronomiques pour les joueurs de football, il y a des gens que cela choque, est-ce qu'on n'est pas allé quand même trop loin de ce point de vue là ?
R- C'est une vraie réflexion. D'ailleurs la Fédération internationale de football commence à se pencher sur ce problème. C'est vrai qu'il y a beaucoup, beaucoup d'argent, certains disent beaucoup trop. Le principe, ce n'est pas le fait qu'il y ait trop d'argent, c'est le fait qu'il y ait une redistribution vers le sport amateur. C'est tout l'enjeu de ces prochaines années.
Q- Et ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
R- C'est un peu le cas, mais c'est vraiment à la marge.
Q- Il y a un foot de riches et un foot de pauvres ?
R- En tout cas c'est en train, vraiment de... Il y a une fracture entre le sport amateur, le foot amateur et le foot professionnel. Nous devons veiller - les organismes qui s'occupent du football professionnel et amateur et les gouvernements - à faire en sorte de réguler ces flux financiers. C'est un sujet d'ailleurs de réflexion entre les gouvernements - j'en fais partie et la FIFA.
Q- Quand on parle de foot, on parle aussi toujours d'arbitrage, notamment les supporters, ils sont toujours très critiques vis à vis des arbitres. Pourquoi est-ce que le football n'utilise pas la vidéo que le rugby utilise ?
R- Parce que le président Blatter a une position, que je trouve assez sage, en disant, mais attention, si la vidéo supplante l'arbitre, alors il y aura un football à deux vitesses, là aussi : ceux qui peuvent avoir la vidéo et ceux qui ne peuvent pas l'avoir. Je crois par exemple, quand la balle passe la ligne, peut-être faut-il réfléchir à installer la vidéo.
Q- Il y aurait sans doute moins de contestations, s'il y avait la vidéo ?
R- Peut-être, et encore, on a vu que la vidéo ne réglait pas tous les problèmes, mais je crois que c'est une réflexion d'ailleurs qui dépend en particulier de la FIFA. Mais certainement cela sera bien de regarder au moins pour que, quand la balle franchit la ligne. Sachez simplement que moi j'emmène des jeunes arbitres au France-Togo en Allemagne, pour dire : voilà, sans arbitre il n'y a pas de sport !
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 12 juin 2006