Interview de M. Gilles de Robien, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, sur Radio Classique le 27 juin 2006, sur l'interview du président de la République, Jacques Chirac, sur la signature du décret relatif au "socle commun de connaissances", et sur la création de son club politique "Société en mouvement".

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Circonstance : Interview télévisée de Jacques Chirac, président de la République, sur France 2 le 26 juin 2006.

Média : Radio Classique

Texte intégral

Q- Vous êtes content, vous repiquez apparemment jusqu'à la fin, jusqu'à mi-2007, si j'en crois le Président de la République ?
R- Il ne s'agit pas d'être content ou pas content de son sort individuel, mais il s'agit d'abord de remarquer et de se réjouir que, voilà ; quelqu'un part fort sur les résultats déjà obtenus par le Gouvernement. Et je trouve que vraiment, avec, disons les bruits, les rumeurs, enfin tout ce qu'on connaît de très superficiel, on oublie les résultats d'un Gouvernement qui travaille depuis quatre ans même si c'est deux Gouvernements successifs avec J.-P. Raffarin et D. de Villepin. Vraiment si on nous avait dit il y a deux ans ou il y a trois ans que l'emploi repartirait à cette vitesse-là, que la croissance repartirait, que la France serait toujours aussi attractive, et bien d'autres, comment dire, acquis ou relances obtenus par la France aujourd'hui, une France qui gagne, eh bien on aurait été un petit peu sceptiques. Aujourd'hui, il est bon d'avoir fait le point et de rappeler l'essentiel parce que l'essentiel dans les préoccupations des Français c'était la sécurité, ça n'est plus la sécurité, c'était l'emploi et aujourd'hui l'emploi redémarre. Il est tant que les Français le sachent.
Q- Oui, mais quand même, au risque de vous paraître un peu rabat-joie, un peu soft, la croissance elle fait quoi, 1,5, à peine 2 % maximum ?
R- C'est ça, c'est une mode d'être rabat-joie !
Q- 5 % croissance mondiale, on est quand même encore en dessous de la ligne de flottaison, non ?
R- Oui, mais enfin, quand on prend la croissance mondiale à 5 %, c'est-à-dire qu'on prend des pays émergents qui ont 2.000 ou 3.000 dollars de PIB par habitant...
Q- Oui, je vous l'accorde.
R- Et évidemment, 5 % là-dessus ça fait 500 francs de PIE en plus. Nous, on a 23 ou 24.000 dollars par habitant ou 25.000 dollars par habitant de PIB et quand on fait 2 % là-dessus, ça fait beaucoup plus que les autres.
Q- Bien sûr. Est-ce que cela méritait, à trois semaines d'une intervention traditionnelle, que le président de la République qui avait, tellement, passez-moi l'expression, le feu au lac, fasse cette intervention maintenant ?
R- Eh bien, ce n'est pas la peine de perdre trois semaines de plus pour faire cette clarification. Je crois qu'elle était utile parce que là encore, partira, partira pas, etc., cela peut affaiblir un Gouvernement et un Premier ministre et donc l'empêcher de continuer à agir pour avoir ces résultats-là, eh bien on gagne trois semaines. Trois semaines de gagnées pour le pays, c'est trois semaines de gagnées.
Q- Mais, grogne à l'UMP, grogne à l'UDF, chez vous, vous pensez que maintenant ça va se calmer un peu parce que c'est vrai que ça a tangué quand même pas mal des deux côtés entre les partis dits, entre guillemets, de la majorité ?
R- Ils s'interrogeaient ! Ils s'interrogeaient sur la longévité du Gouvernement, maintenant ils ne s'interrogent plus, par conséquent ils vont pouvoir consacrer toute leur énergie au travail parlementaire, au travail gouvernemental, nous allons pouvoir vraiment l'esprit libre...
Q- ... en clair, c'est arrêtez de râler, laissez-nous bosser, c'est ça un peu ?
R- C'est : « bossons tous ensemble ». C'est surtout bossons tous ensemble.
Q- Alors, justement, on va parler de votre ministère et de votre tutelle. Hier, vous avez signé le socle commun de connaissances. Alors, en gros, c'est de permettre à des gamins de sortir de l'école en sachant quand même un minimum, en ayant un minimum d'acquis intellectuel.
R- Je n'aime pas beaucoup le terme de minimum parce que le terme de minimum on a l'impression vraiment d'un... voilà, d'une connaissance...
Q- ...bas de gamme, oui
R- Le socle, c'est la partie commune de l'enseignement que la République doit aux jeunes.
Q- C'est le langage commun que nous devons tous avoir, c'est ça ?
R- C'est dans un langage compréhensible par tous, et compréhensible par les enseignants évidemment, mais aussi par les parents, c'est ce que doivent savoir les enfants, par exemple à l'entrée en CE1, par exemple à la sortie du primaire, et par exemple au brevet. Et à 16 ans, s'ils quittent l'école, tous les enfants de la République sauront au moins lire, écrire, compter et ils auront des connaissances scientifiques, ils sauront se servir des technologies de l'information et de la communication.
Q- L'ordinateur, etc. oui.
R- Ils sauront une langue étrangère orale, parlée, pratique. Ils sauront, par exemple, aussi les tenants et les aboutissants de l'appartenance à la nation française, c'est-à-dire la citoyenneté.
Q- L'histoire, la géographie un peu ?
R- Bien sûr, l'histoire et la géographie, l'humanisme - la culture humaniste qui est une spécificité bien française. Et ils sauront aussi prendre des initiatives, je dirais, par ailleurs d'esprit d'entreprise. L'esprit d'entreprise c'est un peu, j'allais dire, c'est le côté un peu économique, et l'esprit d'entreprise ça déborde largement le champ économique. Eh bien, ces sept piliers-là que je viens de citer rapidement seront acquis par tous les élèves. Et c'est un engagement de la République vis-à-vis des jeunes et vis-à-vis des parents et ce sera validé trois fois au moins en cours de la scolarité.
Q- Pour paraphraser Lawrence d'Arabie, ce sont vos sept piliers de la sagesse à vous, c'est ça ?
R- Les sept piliers de la sagesse, ce n'est pas à moi, c'est le contenu de la loi d'orientation qu'avait fait voter F. Fillon. Moi, j'avais le devoir de mettre le contenu, je l'ai fait avec le Haut Conseil de l'Education. Maintenant, le texte est clair, et il est vraiment compréhensible, il va être diffusé. Je l'ai
signé un peu solennellement, c'est vrai, hier, c'est un décret, donc c'est vous dire l'importance...
Q- ...cela va démarrer très vite ?
R- Cela va démarrer, évidemment, dès la rentrée prochaine et progressivement il va être communiqué aux IUFM, c'est-à-dire aux écoles d'enseignants, et complètement, on va dire vulgarisé et appliqué à la rentrée 2007.
Q- Cela veut dire qu'à la sortie en septembre 2008, en juin 2008, pardon, il y aura la première, je dirais, vague de gamins qui auront leur socle commun de connaissances ?
R- Progressivement parce que le socle, cela commence d'abord par la lecture, par la langue. Et la lecture ça commence, comme vous le savez, en CP.
Q- Combien y a t il de gens qui ne savent pas lire et écrire dans ce pays ?
R- Il y en a beaucoup trop. On dit qu'il y a 150.000 jeunes qui arrivent en 6e sans savoir lire et c'est pour cela que j'ai voulu changer la méthode de lecture et que, après toutes les études scientifiques dont je disposais, d'ailleurs dont le monde entier maintenant dispose parce qu'ils font tous, tous les pays ont fait la même analyse, il faut revenir à des méthodes simples, c'est-à-dire des méthodes phonèmes-graphèmes, certains disent syllabiques, et ces méthodes-là sont les seules qui permettent au plus grand nombre de savoir lire. Ensuite on peut généraliser et globaliser ou méthode globale assimilée dans un deuxième ou un troisième temps, mais si on veut que tout le monde sache lire il faut commencer par les syllabes, c'est-à-dire les lettres, les syllabes, les mots, les phrases et le sens. Voilà la circulaire que j'ai prise, voilà la plaquette que j'ai diffusée dans toutes les écoles de France et je vais m'assurer...
Q- C'est un programme spécifique à suivre tout au long des années, justement, pour accompagner ce socle commun ? C'est-à-dire est-ce
qu'il y aura des bouquins « socle commun » labellisés ?
R- Non, parce que l'on enseigne pas le socle commun, mais quand on enseigne par exemple les mathématiques ou l'histoire-géo, eh bien on se sert aussi des TIC, des technologies de l'information et de la communication.
Q- Bien sûr.
R- Lorsque l'on parle de l'histoire, il est interdit de parler de la citoyenneté, l'histoire de la France par exemple, eh bien il est interdit d'ajouter ou d'y mêler une notion d'appartenance à une même nation.
Q- Et les maîtres auront quand même une marge de manoeuvre en faisant ces socles ?
R- C'est tout à fait transversal. Les maîtres auront une marge de manoeuvre dans le cadre de ce qu'on appelle la liberté pédagogique. Mais, je rappelle que la liberté pédagogique s'exerce dans le cadre des circulaires et des textes ministériels. Voilà un texte ministériel qui a été non seulement signé par le ministre et qui va être signé par le Premier ministre et qui a été validé par le Haut Conseil de l'Education. Donc on a toutes les garanties que ce socle est vraiment fondamental. C'est un vrai texte refondateur, on va dire, de l'école de la République depuis Jules Ferry.
Q- Est-ce vrai que beaucoup de vos prédécesseurs ont tourné autour de cette idée d'avoir un truc un peu commun qui rassemble tout le monde et qui offre un, encore une fois, pardon du terme, je n'en trouve pas d'autre, un minimum quand même de connaissances avant d'entrer dans la vie active... ?
R- Moi, j'appelle ça un « tremplin pour les jeunes ».
Q- Ok. Pourquoi a-t-on mis autant de temps à le réaliser ?
R- Je ne peux pas répondre à votre question. Moi, je suis là depuis un an exactement dans ce ministère, j'ai ouvert 22 chantiers, et parmi les chantiers les plus importants, il y a le socle commun et celui que j'ouvre maintenant, c'est la réforme des IUFM, c'est-à-dire les écoles d'enseignants. Et là, je vous assure qu'il y a du travail. Tout le monde réclame cette réforme et cette réforme sera faite avant la fin de l'année.
Q- Pourquoi, les maîtres n'étaient-ils pas assez bien formés ou pas assez ?
R- Non, les maîtres reconnaissaient tous que si on leur enseignait bien la discipline, qu'ils allaient devoir enseigner, ils n'étaient pas formés à la pratique d'enseigner, c'est-à-dire à la pédagogie, le savoir-faire, l'autorité dans la classe, l'aptitude à des publics scolaires très différents, parfois aussi très difficiles, et variés. Donc, oui, je suis allé d'abord rencontrer des Allemands pour savoir comment ils formaient les enseignants, les Anglais tout à fait récemment, les Autrichiens, je compte aller aussi regarder en Belgique comment cela se passe. J'ai déjà quelques idées et je pense que demain les enseignants pourront avoir une formation pratique en même temps que la formation théorique. Ils pourront tous avoir au moins une langue étrangère parlée parce que cela me semble très important. Ils devront avoir des connaissances économiques quelle que soit la discipline qu'ils enseignent. Ils devront avoir fait des stages pratiques en classe mais aussi en entreprise. Ils pourront être bivalents et il y a des pays même où ils sont trivalents, c'est-à-dire qu'ils peuvent enseigner deux ou trois disciplines, au moins au collège. Et ceci, pour vous montrer combien on peut moderniser et rendre plus professionnels encore les enseignants.
Q- D'un mot puisqu'on n'a plus beaucoup de temps, comment se sont passés les examens, notamment dans les facs après l'affaire du CPE ? Avez-vous réussi à rattraper le retard ?
R- Dans les facs, pour les examens universitaires, tout s'est bien passé, il n'y a pas eu d'incident signalé. Comme je leur avais demandé, les recteurs chanceliers des universités ont veillé à ce que les mouvements du printemps n'aient pas d'impact sur la préparation et sur le déroulement des examens. De même que pour le bac, on peut que se féliciter de la façon dont vraiment l'Education nationale a fait une sorte d'exploit, je veux dire discret, parce que ça n'est pas connu, mais corriger quatre millions de copies, faire passer le bac à 640.000 candidats, les épreuves anticipées en même temps de Première, 493.000 élèves, vous voyez que ça nécessite une organisation fantastique et je ne pense pas avoir entendu parler, de dysfonctionnement majeur. Donc, on peut vraiment rendre hommage à cette grande maison qu'est l'Education nationale.
Q- Et est-ce que ça veut dire qu'aujourd'hui l'affaire du CPE est derrière nous, selon vous ?
R- L'affaire du CPE, on en reparlera, j'espère, en tout cas qu'on parlera de la
flex-sécurité dans les jours ou dans les semaines ou dans les mois à venir
parce qu'à la fois la France a besoin de davantage de souplesse dans les
contrats de travail, mais les salariés réclament justement eux aussi d'avoir
des filets de sécurité. Je pense que ces deux notions sont conciliables.
Q- On en revient à la politique, d'un mot, restez-vous à l'UDF ?
R- Ah, bien sûr, je reste à l'UDF d'autant plus que j'ai de plus en plus de militants et non des moindres qui rejoignent ma ligne, même s'ils ne le disent pas comme ça.
Q- On dit que vous avez monté un club ?
R- J'ai monté un club qui s'appelle " Société en mouvement ", www.societeenmouvement.org.
Q- Le site est-il gratuit ?
R- Le site est gratuit, et merci de me donner l'occasion.
Q- Je vous en prie.
R- Je vais réunir les cent derniers militants, on est six cents actuellement en trois semaines, vous voyez donc que ça prend très très vite.
Q- Et l'objet de ce...
R- L'objet c'est vraiment un peu dans l'esprit de "Perspectives et Réalités" qui est celui d'un club de réflexion, c'est d'ajouter à la vie politique qui est parfois un peu hachée, parfois un peu sujette à des modes passagères et à des accès de fièvre, au contraire de représenter une réflexion sereine avec des gens de terrain et venant de toute la France, ou réfléchissant dans toutes les franges justement à l'avenir de notre société.
Q- Donc, vous allez être présent dans la bataille présidentielle, entre guillemets, en tout cas on vous entendra ?
R- Ce club est destiné à aller bien au-delà de la campagne présidentielle. Je pense qu'il peut apporter une vraie valeur ajoutée au niveau de la réflexion parce que quand on voit, effectivement, le niveau du débat politique de temps en temps, on se dit qu'à court terme on pourrait peut-être se situer davantage dans le temps, de la réflexion sur l'avenir de notre société. Notre société est bloquée, disons le très clairement, la société est bloquée, comment la remettre en mouvement ? C'est tout l'objectif de ce club.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 28 juin 2006