Déclaration de M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sur le rôle et les priorités d'action des agents du ministère des affaires étrangères au service de la diplomatie française dans un contexte de crises et de mondialisation, Paris le 6 juillet 2006.

Prononcé le

Circonstance : Réception offerte aux agents du département et à leurs conjoints à l'occasion de la Fête nationale à Paris le 6 juillet 2006

Texte intégral

Chers Amis,
Bienvenue à chacun d'entre vous et merci d'être venus si nombreux cet après-midi ! Je suis très heureux de vous accueillir ici, aux côtés de Catherine Colonna que je salue chaleureusement, sachant que Brigitte Girardin est pour sa part en déplacement au Mali.
Ce moment, vous le savez, est d'abord pour nous tous l'occasion de nous retrouver, d'une manière détendue et amicale, à quelques jours du 14 juillet.
En disant cela, je pense à tous les agents du Département qui sont en poste et qui ne peuvent donc pas être parmi nous aujourd'hui. Ils animent au quotidien notre réseau diplomatique, accomplissant leurs missions dans des conditions souvent éprouvantes et difficiles : je tiens à saluer leur action et à les associer pleinement à ce moment.
Mes Chers Amis,
Pour faire partie de la grande famille diplomatique, vous connaissez mieux que quiconque les devoirs qui sont les nôtres et les défis auxquels se trouve confronté notre pays.
Tel est, en quelques mots, le premier message que je veux vous délivrer cet après-midi : dans un monde qui n'attend pas, un monde instable et dangereux où nous devons faire face à l'urgence, un monde aussi où nous devons porter haut et loin la voix de la France, il ne saurait y avoir d'année blanche pour notre diplomatie.
Il importe, au contraire, de rester vigilants et fortement mobilisés.
Je compte donc sur votre disponibilité et sur votre esprit d'initiative. Je compte donc, et je vous le dis ici, vous dire que c'est tous ensemble que nous ferons de cette année une année utile, pour répondre aux défis d'une actualité internationale particulièrement dense.
La voix de la France dans le monde reste attendue, quoi qu'en disent les tenants d'un certain déclinisme ; à nous tous de faire en sorte qu'elle soit toujours mieux écoutée et mieux respectée dans un monde en évolution rapide, dans lequel les lignes bougent, que ce soit en Asie, en Afrique ou en Amérique latine.
Nous le ferons, conscients qu'il revient à la France et à sa diplomatie conduite sous l'autorité du chef de l'Etat, de porter sa vision d'un monde que nous voulons plus juste, et d'une mondialisation qui peut et qui doit être mieux maîtrisée.
La première de nos priorités reste de faire face aux crises.
Deux dossiers, en particulier, continueront de nous mobiliser dans les mois qui viennent, deux enjeux stratégiques dont les conséquences dépassent très largement leur dimension régionale : je veux bien sûr parler de la situation au Proche-Orient et de la crise de prolifération nucléaire en Iran.
Nous l'observons chaque jour un peu plus avec inquiétude, la situation ne cesse de s'aggraver au Proche-Orient.
Naturellement, il n'existe pas de solution facile ni rapide à la crise actuelle. Mais nous avons un impératif : celui de ramener à la table de négociation les deux parties. La tâche n'est pas simple, mais dans ce contexte, nous pensons que l'Union européenne possède une marge de manoeuvre qu'il lui faut aujourd'hui mieux valoriser. Nous ne voyons pas suffisamment l'Union européenne. L'Europe doit faire entendre sa voix et s'impliquer plus activement dans ce conflit pour éviter une spirale de la violence et rappeler surtout la nécessité du processus de dialogue politique.
Nous le croyons aussi : il importe de sauvegarder les institutions de l'Autorité palestinienne, car elles seules sont à même de préfigurer ce futur Etat que nous appelons de nos voeux, pour que les habitants de la région puissent vivre un jour côte à côte, dans la paix et dans la sécurité.
Nous continuerons donc de faire prévaloir notre approche, faite d'ouverture au dialogue mais aussi de fermeté ; auprès du Hamas, qui doit accepter les principes posés par le Quartet ; auprès des Israéliens, parce qu'aucun règlement durable ne peut s'envisager sans négociations.
L'unilatéralisme n'est pas l'ami de ceux qui veulent entamer un processus politique. Telles sont les grandes lignes que nous continuerons d'adopter, dans une démarche qui se veut avant tout dynamique et surtout équilibrée.
Deuxième sujet majeur, c'est la crise nucléaire iranienne.
Notre action repose sur des principes clairs : l'Iran a un droit légitime au développement de l'énergie nucléaire bien sûr, mais à condition que cela soit à des fins pacifiques, et dans le respect des obligations du Traité de non-prolifération. Or, il existe toujours des doutes persistants sur les objectifs du programme nucléaire iranien. En conséquence, nous attendons de l'Iran qu'il se conforme à ses obligations et qu'il suspende ses activités sensibles : cela est nécessaire pour restaurer une confiance internationale sans laquelle rien ne sera possible.
Bien sûr, la reprise des négociations reste notre objectif premier. Voilà pourquoi, il y a un mois, nous avons présenté aux Iraniens une proposition ambitieuse qui permettrait d'engager une relation de coopération nouvelle avec ce pays. Nous attendons la réponse de Téhéran qui ne peut se prolonger indéfiniment au risque de décourager même les meilleures volontés. Il est clair en tout cas que notre effort pour maintenir l'unité de la communauté internationale a déjà porté ses fruits, puisqu'il vaut aujourd'hui aux Européens d'être assurés du soutien de la Russie, des Etats-Unis et de la Chine et je n'oublie pas que c'est Javier Solana qui aujourd'hui parle aux Iraniens au nom des six : la Russie, la Chine, les Américains et les trois Européens.
Et puis, Catherine, il y a l'Europe et la construction européenne qui sont aussi, et peut-être plus que jamais, au coeur des ambitions de notre pays.
Je vous l'ai dit ici même, il y a un an, et ma conviction n'a pas changé : par leur vote du 29 mai, les Français n'ont pas rejeté l'Europe. Ils ont bien sûr exprimé des inquiétudes, mais ils nous ont dit aussi leur attente d'un projet européen concret, lisible, tangible, d'une Europe qui soit davantage au service des citoyens.
C'est dans ce sens qu'avec Catherine Colonna, nous avons agi depuis un an, dans le respect bien sûr du vote du peuple, du vote référendaire, pour répondre aux attentes des citoyens et permettre à la France de tenir toute sa place. Bien loin des commentaires lus ici ou là sur un prétendu repli de la France, nous avons défendu et fait prévaloir nos intérêts. En témoigne notamment le succès de la négociation sur les perspectives financières, ou encore la remise à plat de la fameuse directive sur les services.
Nous avons aussi largement contribué à nourrir l'agenda européen, par nos propositions sur l'énergie, par nos propositions sur les questions institutionnelles, sur l'élargissement, sur la nécessité de prendre en compte ce que l'on appelle la capacité d'absorption de l'Union européenne, sur les migrations, j'y reviendrai, avec la prochaine conférence de Rabat, sans oublier nos propositions à l'étude sur l'Europe numérique.
C'est sur ces bases nouvelles que nous allons poursuivre nos efforts, tant il est vrai que c'est l'Europe concrète, l'Europe des projets, comme l'a proposé Dominique de Villepin, le Premier ministre, qui nous permettra de restaurer pleinement la confiance, pour un nouveau consensus autour du projet européen.
Notre attention, nos efforts, doivent également se porter dans les mois à venir sur des sujets transversaux.
Ce sont souvent les plus importants, parce que leurs conséquences sont multiples et parce que, permettez-moi de le dire, ils "font sens" vis-à-vis des opinions publiques qui y voient un intérêt à la fois quotidien et immédiat, voire urgent.
Ces questions transversales, c'est d'abord et avant tout notre politique d'immigration, ou plutôt, pour être plus précis, la question des dynamiques migratoires et la réponse que nous devons apporter aux enjeux de santé, aussi, qui sont à la base du développement économique et social et à la base de notre sécurité.
Aujourd'hui, la mobilité des personnes s'inscrit au coeur de la mondialisation. Immigration pour les uns, émigration pour les autres : ce phénomène n'exclut aucun pays, aucun territoire, et il sera appelé nécessairement à se renforcer. Ce qui se passe aux Canaries aujourd'hui, ce n'est pas uniquement le problème de l'Espagne. Ce qui s'est passé à Ceuta et Melilla, ce n'est pas uniquement le problème du Maroc ou de l'Espagne. C'est le problème de l'ensemble de l'Afrique et de l'ensemble de l'Union européenne.
Pour la France, cela signifie d'abord faire prévaloir l'exigence de responsabilité collective. Dans ce domaine comme dans bien d'autres, jouer collectif c'est le gage d'une véritable efficacité. Maîtriser les dynamiques migratoires, c'est donc une question éminemment politique et, au-delà de la lutte contre l'immigration illégale, cette politique concerne également l'aide au développement pour laquelle Brigitte Girardin se mobilise en permanence.
A cet égard, je veux simplement vous dire que la France, la diplomatie française est au rendez-vous des Droits de l'Homme. Ce sont les présidents Lula et Chirac qui, en septembre 2004, il n'y a pas encore deux ans à Genève, aux côtés de Kofi Annan, ont eu cette idée de vouloir réguler la mondialisation. Une mondialisation qui aboutit à une richesse de plus en plus grande dans les pays riches et une stabilisation de la pauvreté dans les pays pauvres. Cette pauvreté dont le premier stigmate est l'absence de système de santé publique. Cette pauvreté qui entraîne des pandémies, qui aboutit au fait qu'un homme, une femme ou un bébé, toutes les trois secondes, décède en Afrique parce qu'il n'y a pas de médicaments.
Grâce à cette première contribution de solidarité sur les billets d'avion - au début deux pays adhéraient, puis quatre, puis cinq, puis quatorze, maintenant 42 ou 43 pays -, une centrale d'achat de médicaments va être montée pour "casser" le prix des médicaments des grandes industries pharmaceutiques, des grandes "big pharma".
Et ce n'est pas seulement un problème humanitaire ou un problème sanitaire, ce n'est pas un problème d'ancien ministre de la Santé devenu ministre des Affaires étrangères ; c'est un problème de diplomatie, c'est un problème de politique internationale. Le président Bush ne s'y est pas trompé. Il a mis en place le programme PEPFAR (President's Emergency Plan for AIDS Relief) de près 15 milliards de dollars sur 4 ans, pour faire baisser le prix des médicaments destinés aux pays africains. Mais cette initiative s'inscrit dans un cadre bilatéral.
Nous, nous le faisons dans un cadre multilatéral parce que la France, depuis Aristide Briand et même avant, pense que c'est le multilatéralisme qui compte. Et c'est cette idée des valeurs universelles des Droits de l'Homme que la France porte. Il y a eu 1789, mais aujourd'hui, en 2006, au XXIème siècle, les Droits de l'Homme, c'est de savoir si ces enfants des pays du Sud qui meurent, parce qu'ils n'ont pas de médicaments, ont la même valeur que nos enfants. Aujourd'hui, sur la planète, notre réponse collective est négative. Et c'est à la France de dire qu'ils ont exactement la même valeur.
On peut être évidemment caricaturé ; je ne pense pas qu'on puisse l'être longtemps parce que la diplomatie française, la diplomatie en général, se doit d'aider les pauvres présents dans le monde entier ; car autrement, nous assisterons à des phénomènes migratoires sans précédent. S'il n'y a pas de micro-crédit, s'il n'y a pas de co-développement, s'il n'y a pas de lutte pour la santé publique sur la planète, si 4/5ème de la population se partage uniquement 1/5ème des richesses, ce sera une catastrophe pour tous. Alors, il ne faudra pas s'étonner de voir émerger des "écoles" du terrorisme çà et là dans la bande sahélienne. Alors, il ne faudra pas s'étonner de la montée du désespoir et de voir la démocratie, ici ou là, attaquée par certains désespérés.
Pour terminer, je voudrais vous dire que je me suis entretenu tout à l'heure, il y a quelques heures, avec plusieurs de vos jeunes collègues. Ils aiment leur métier mais ils veulent l'exercer dans un cadre rénové, doté de règles du jeu lisibles et respectés. Ces jeunes collègues souhaitent que les moyens de fonctionnement du ministère retrouvent un niveau plus décent, et ils ont raison. Ils attendent des priorités claires, lisibles pour guider leur travail et des méthodes plus robustes pour être plus efficaces. Ils m'ont dit leur souci de voir mieux pris en compte leurs conjoints et leurs familles. Ils m'ont parlé enfin de leur attachement à l'évaluation, à la formation, à la prise en compte des qualités professionnelles individuelles dans les nominations.
Je ne suis pas certain de pouvoir tout résoudre immédiatement. Mais, sachez-le, je suis déterminé à combler leurs attentes légitimes par quelques actions simples qui seront menées sous l'égide du Secrétaire général, cher Philippe Faure.
Nous devons, et c'est un impératif majeur pour l'avenir, attirer et conserver les meilleurs talents au service de notre diplomatie. Pour cela, je veux que les agents du Département bénéficient de toute la considération qu'ils méritent. Je sais que bien des progrès restent à accomplir. Les uns sont matériels, évidemment, je l'ai dit ; d'autres réclament une plus grande pédagogie afin de mieux expliquer les objectifs et surtout le sens de notre action diplomatique, au service de nos compatriotes, de nos entreprises et tout simplement de notre vie démocratique.
Ces quelques convictions rappelées, je tiens à affirmer clairement devant vous ce soir que j'entends conduire le Département en améliorant sa gouvernance, en distinguant mieux le mérite individuel et en développant l'écoute due à toutes celles et ceux qui incarnent notre diplomatie.
J'ai demandé au Secrétaire général d'animer une direction plus collégiale et plus opérationnelle du Département. Je veux que la plus grande transparence soit introduite dans les procédures de nomination - y compris celles des chefs de postes diplomatiques ou consulaires.
J'ai aussi décidé de mettre en oeuvre une "rémunération au mérite" des directeurs d'administration centrale en fonction de leurs performances ; tout comme j'ai souhaité que la parole soit donnée à chacun en assurant, dès cette année, une évaluation à 360° de nos directeurs et de nos ambassadeurs.
Enfin, j'ai chargé le Secrétaire général de réfléchir, dans un avenir proche, à la création d'un Conseil des Affaires étrangères. Ce "Conseil des Sages", composé de diplomates expérimentés, aura un rôle de garant des intérêts matériels et moraux du corps diplomatique.
Et puis nous avons parlé de tout avec ces jeunes collègues, y compris d'une cafétéria plus décente, de fontaines d'eau installées à tous les étages, de climatisation et d'une crèche. J'ai même décidé que, tous les mercredis, les enfants de tous les personnels pourront venir jouer dans ce jardin.
Mesdames, Messieurs,
Notre pays est engagé dans un effort résolu de réduction de l'endettement, vous le savez, non par inaction mais tout simplement par amélioration de notre efficacité.
La rigueur budgétaire n'a pas entravé notre volonté de nouer avec le ministère des Finances un dialogue plus mûr et plus serein. Nos difficultés passées nous ont clairement montré que nous devions trouver une nouvelle approche : c'est pourquoi j'ai signé en avril dernier avec Jean-François Copé, mon collègue du Budget, le 1er contrat triennal de modernisation signé en France à l'échelon d'un ministère. Cette méthode a permis que les discussions budgétaires se concentrent cette année sur les sujets les plus politiques. J'ai surtout voulu défendre notre budget, votre budget, avec détermination. En 2007, pour la première fois depuis bien longtemps, les deux missions dont le Département est responsable verront donc leurs crédits progresser au-delà du taux de l'inflation, alors que l'hypothèse donnée par le Premier ministre était l'inflation moins 1 %.
Mieux assuré de ses moyens, le Département doit également affermir sa place au sein de l'Etat. Nous devons clarifier les rôles, ce qui veut dire que partout à travers le monde, l'ambassade doit être le lieu naturel du service public à l'étranger. Telles sont les convictions que je compte bien faire partager au Comité interministériel sur les moyens de l'Etat à l'étranger, qu'après dix ans de mise en veille, le Premier ministre a convoqué pour le 12 juillet prochain .
Mesdames, Messieurs,
Restituer à cette Maison toute sa place dans notre action extérieure, cela signifie aussi faire de nouvelles conquêtes dans la bataille pour l'influence. Voilà pourquoi j'ai décidé de créer et de lancer, en mai dernier, l'Agence culturelle "CulturesFrance", l'Agence de la mobilité universitaire "Campus France" et l'Alliance pour le développement.
J'ai également souhaité prolonger le très grand succès rencontré, en avril dernier, par la journée "portes ouvertes" aux entreprises, en donnant mandat au Secrétaire général de veiller à l'ouverture du ministère sur la société civile, sur les entreprises, sur les forces vives du pays. Un club associant parlementaires, chefs d'entreprises, journalistes, fonctionnaires, débutera ses activités le 10 juillet, en présence de notre ambassadeur en Turquie. Un autre rendez-vous est déjà prévu fin juillet avec notre ambassadeur en Allemagne et le 1er septembre avec notre ambassadeur aux Etats-Unis. De même, des rencontres autour de chefs d'entreprises nous permettront, j'en suis sûr, de conforter l'ancrage de notre diplomatie dans notre économie.
Mesdames, Messieurs,
Notre feuille de route s'adosse à un bilan qui n'est pas mince, mais bien des défis restent à relever. Ma conviction est que nous y parviendrons si nous parvenons à renforcer toujours davantage notre cohésion et notre unité d'action. Avec Catherine Colonna, avec Brigitte Girardin, vous nous trouverez toujours disponibles, vigilants, à l'écoute, conscients que c'est ensemble, collectivement, que nous pourrons réussir dans la tâche qui est la nôtre.
Une fois de plus, je veux du fond du coeur vous remercier pour votre engagement et vous encourager à avoir confiance dans notre maison commune. Mais au-delà de ce message trop "professionnel", je veux surtout vous souhaiter un très bon 14 juillet et de bonnes vacances pour vous-mêmes et pour vos familles.
Merci.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 10 juillet 2006