Interview de M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à "France 2" le 20 juin 2006, sur la fusion GDF (Gaz de France)-Suez et sur le groupe EADS (le projet industriel et l'affaire de la vente d'actions).

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Média : France 2

Texte intégral

Q- Avec T. Breton ce matin, des dossiers importants, lourds, à commencer par celui de la fusion GDF-Suez, qui est en cours, mais avec un calendrier modifié. Ça se passera pour l'essentiel à l'Assemblée nationale en septembre. Est-ce que c'est une reculade, monsieur le ministre ?
R- Non, un calendrier précisé, et je dirais « enfin » parce que c'était important pour tenir le calendrier général de cette fusion. Je rappelle qu'elle est importante, qu'elle est souhaitée par les deux entreprises, GDF et Suez : très importante pour les consommateurs français parce qu'elle va leur garantir les prix, très importante aussi parce qu'elle va garantir l'approvisionnement en gaz. Alors, non. Nous nous sommes réunis hier autour du Premier ministre avec N. Sarkozy, H. Cuq, qui est le ministre des Relations chargées avec le Parlement, et puis les deux présidents des groupes parlementaires UMP, J. de Rohan au Sénat et B. Accoyer à l'Assemblée nationale. On a finalisé l'ensemble de nos points de vue. Vous savez que j'instruis ce dossier depuis maintenant plus de quatre mois.
Q- On a cru comprendre que c'est vous qui étiez à la manoeuvre dans cette fusion.
R- Non, c'est le Gouvernement évidemment, mais enfin ça fait quatre mois, évidemment, que je mène les concertations, concertations extrêmement larges : 37 réunions avec les organisations syndicales, des centaines d'heures de débats parlementaires, des dizaines et des dizaines de réunions avec les parlementaires, dont j'ai rendu compte de l'instruction de ce dossier, puis il fallait arrêter un calendrier. Alors, ce calendrier a été arrêté, on va donc déposer le texte au Conseil des ministres du 28 juin. Ce texte permettra, d'une part, de réaliser la fusion entre GDF et Suez, et d'autre part, de transposer la directive de l'énergie qui doit donner des garanties et des sécurités aux consommateurs français le 28 juin. Voyez-vous, à partir de ce moment-là, il y avait deux fenêtres pour ensuite rentrer dans le débat parlementaire : soit une session extraordinaire au mois de juillet, soit une session extraordinaire au mois de septembre. On est tous tombé d'accord sur le fait que la bonne solution, c'était une session extraordinaire au mois de septembre.
Q- Pourquoi c'est mieux septembre ? Parce que vous allez pouvoir continuer à discuter avec les uns et les autres, les partenaires sociaux ? On sait qu'il y a une grève notamment des salariés aujourd'hui. Essayer de convaincre encore ?
R- Pour deux raisons. D'abord, parce que, je le rappelle et je ne cesse de le dire, ce sont les parlementaires qui votent la loi, et donc il fallait demander ce que eux souhaitaient. Est-ce qu'ils souhaitaient partir un peu plus tard en vacances et rester au mois de juillet pour débattre de ce sujet ou est-ce qu'ils souhaitaient rentrer un peu plus tôt ? Finalement, ils ont préféré la deuxième option. Alors, moi, ça me va bien parce que, comme je mène cette concertation, et que je la mène à mon rythme et avec mes méthodes, ça me permet de poursuivre pendant les mois de juillet et d'août mes efforts de pédagogie pour les Français, pour que tout le monde comprenne bien l'intérêt qu'il y a à avoir désormais un très grand groupe énergétique aux côtés d'EDF pour faire de la France un pays qui sait se donner les moyens de sécuriser, je le redis, ses approvisionnements en gaz.
Q- Vous parlez beaucoup de pédagogie, beaucoup de concertation...
R- C'est mon rôle.
Q- Vous voulez dire que la méthode Breton, c'est l'anti-méthode CPE, si je puis dire ? C'est l'anti-brutalité du CPE ?
R- Vous savez, c'est le Premier ministre qui m'a demandé de mener cette concertation. Alors, j'en ai mené des dizaines dans ma vie, des concertations, avant d'être ministre, lorsque j'étais président de grandes entreprises. Oui, c'est vrai, j'ai l'habitude de mener des concertations. Je dois dire aussi que j'aime bien ça parce qu'on confronte les idées, on en discute. Regardez, par exemple, sur GDF et sur Suez. Après des dizaines et des dizaines et des dizaines d'heures, désormais, tous les syndicats de Suez - je dis bien tous les syndicats - se sont exprimés en faveur de la fusion.
Q- La CFDT surtout.
R- Non, de Suez, j'ai dit, tous les syndicats : la CGT, la CGC, la CFDT. Ce n'était pas le cas au début. Regardez, également la CFDT maintenant, y compris celle de GDF, vient de s'exprimer très favorablement à la fusion. Voilà, c'est des efforts, il faut continuer, il faut convaincre. Je respecte évidemment l'opinion des uns et des autres, mais, vous savez, ce projet est tellement important pour la France et pour les Français, il n'y a tellement - et je le redis ce matin devant vous - il n'y a aucune relation entre la détention du capital et le prix des tarifs. En 2000...
Q- Alors, justement, c'est une des questions fondamentales : est-ce que le prix du gaz va augmenter ? Parce qu'on a vu que le prix de l'essence augmentait ?
R- Et je comprends qu'on se la pose parce que le prix du gaz, il est indexé sur le prix du baril de pétrole, et GDF ne fait qu'acheter le gaz et le revendre. Et en fait, comment on fait pour faire baisser le prix ? Vous savez, les Français le comprennent bien : il faut être un acteur très important, comme ça, on peut négocier des prix d'achat à la baisse et en faire bénéficier le consommateur. Plus on est gros, plus on peut négocier les prix d'achat à la baisse. Vous voyez, en 2000, c'était sous L. Jospin, GDF a augmenté ses tarifs de 30 %, et pourtant, GDF était propriété à 100 % de l'Etat. Ça n'a strictement rien à voir. C'est une commission indépendante, la Commission de régulation de l'énergie, qui fixe les prix du gaz en fonction du prix d'achat et du prix de distribution. Plus on est gros, moins on peut acheter cher, plus le consommateur en profite.
Q- Mais le ministre de l'économie que vous êtes continue de surveiller le prix du gaz, non pas comme le lait sur le feu, mais presque.
R- Oui parce que je dois signer ensuite la proposition de la Commission de régulation de l'énergie.
Q- Alors, question subsidiaire en ce qui concerne ce rapprochement Suez-GDF, on sait que l'Italien Enel avait des objectifs d'OPA, est-ce que ce risque subsiste d'ici la signature définitive du mois de septembre ?
R- Le calendrier qui a été arrêté est un calendrier qui devrait conduire à la fusion complète des deux entreprises, Suez et GDF, à la fin de l'année, au mois de décembre. On est maintenant, je le dis, dans le temps parlementaire, et puis ensuite il y aura le temps des assemblées générales des entreprises. Ce sont les actionnaires qui voteront in fine. Et donc, pour pouvoir tenir ce calendrier, il était impératif de passer le texte qui autorise cette fusion en Conseil des ministres avant les vacances. C'est chose faite, nous sommes donc clairement dans le cadre du calendrier établi, on n'a pas de retard, c'est ce qui était important.
Q- Je voudrais qu'on aborde le deuxième...
R- Et par parenthèse - pardon - donc dans le cadre de ce calendrier, effectivement, d'autres entreprises peuvent toujours faire des propositions. Ce qui est important, c'est de voir la détermination du gouvernement français, de donner les moyens à GDF et à SUEZ d'aller de l'avant et, je le redis, sans retard sur le calendrier annoncé.
Q- Donc, voilà, c'est un signe pour les Italiens. Je voudrais qu'on aborde maintenant l'immense pataquès, passez-moi l'expression, du groupe EADS. En tant qu'actionnaire, en tant qu'Etat actionnaire, qu'est-ce que vous pensez de ce qui se passe là-bas ? Les ventes des actions, N. Forgeard entendu, l'AMF des opérations de bourse qui enquête sur place pour voir s'il n'y a pas eu un peu de vente, de délit d'initié... Franchement, tout ça la fout très mal.
R- Alors, F. Laborde, il faut distinguer deux choses. D'abord, il faut distinguer le projet industriel, et puis il faut distinguer la vente d'actions par un certain nombre d'actionnaires : le groupe Lagardère...
Q- Et par le PDG notamment.
R- ...le groupe Daimler et un certain nombre de membres de la direction. En ce qui concerne le projet industriel, c'est vrai qu'il a été annoncé il y a quelques jours qu'il y aurait du retard dans la livraison des Airbus A380. Alors, évidemment, moi, ça ne fait pas plaisir. D'un autre côté, pendant 25 ans, j'ai travaillé dans l'industrie. Je ne suis pas non plus complètement étonné que des projets d'une telle ampleur... Quand même, excusez du peu, on est en train de réaliser le plus gros porteur au monde commercial. Alors, qu'il y ait un peu de retard, ça arrive dans des projets aussi complexes, et donc c'est ce qui a été annoncé. Ce qui est important surtout, c'est qu'il y a eu une réunion hier qui s'est tenue entre les principaux directeurs d'EADS et d'Airbus pour régler ces problèmes. Et ça, je vais veiller à ce que ces problèmes soient réglés et qu'on rattrape les retards. Par ailleurs, comme vous le savez, il y a des actionnaires qui sont Daimler, qui sont Lagardère, qui ont décidé de céder des actions. C'était leur droit, il y a des temps pour cela, il y a des fenêtres pour cela. Il y a des membres de la direction qui en ont profité pour en faire autant, très bien. L'AMF, l'Autorité des marchés financiers, s'est saisie d'une enquête pour vérifier si ceci avait été fait dans les règles, si l'information qui a été donnée au marché est bonne, rigoureuse, exacte et sincère. Je fais confiance à l'AMF pour mener cette enquête comme elle le fait assez souvent.
Q- Les dirigeants seront condamnés si en effet on se rend compte qu'ils
avaient des informations dont ils ont abusivement profité.
R- J'ai un principe : je ne réagis jamais à chaud. Par contre, j'initie systématiquement ce que je dois initier en tant que ministre de l'économie et des Finances, et puis j'attends les conclusions, je pense qu'elles viendront assez vite, de l'Autorité des marchés financiers.
Q- La presse étrangère dit au fond que, s'il y avait moins de chikaya, pour employer un mot familier, entre les Français, les Allemands, N. Forgeard, etc., qui se disputent qui va diriger quoi, au fond, ils seraient davantage en train de surveiller les chaînes de montage, et il y aurait peut-être moins de retard.
R- Dans une entreprise, il faut toujours avoir un management uni, et je ne cesse de le dire, une entreprise, c'est fait pour servir ses clients, dans l'intérêt des clients, des salariés et des actionnaires. Il ne faut jamais l'oublier.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 20 juin 2006