Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à France Inter le 5 juillet 2006, sur la coupe du monde de football et les performances de l'équipe de France.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- Le Mondial de football. Bien sûr il y a eu l'euphorie d'éliminer le Brésil, tenant du titre. On se sentait forts. Mais il ne faut pas se masquer la réalité : les Portugais auront l'esprit revanchard face à la France, ce soir, en demi finale. Ce soir, à Munich, la France disputera sa 5ème demi finale de Coupe du Monde. A nouveau, on va vivre un grand moment de communion nationale dans le football... Vous serez dans le Stade de Munich, avec D. de Villepin. Quelques prévisions : ça va être rude, nerveux, cette demi finale ? Parce que les Portugais vont être archi motivés. Je rappelle que cela fait quarante ans qu'ils ne sont pas allés aussi loin dans une coupe du Monde. Puis, la France les a éliminés en 1984, et lors de l'euro 2000.
R- A l'euro, oui. C'est un très beau parcours des deux équipes, on va dire. On a une équipe portugaise dont on connaît les qualités, avec de grands noms : Figo et notre Pauletta, parisien.
Q- Ils seront fair play, vous pensez ?
R- Ah oui, ils jouent le jeu. On est là pour gagner. Sur un terrain, quel que soit
le terrain de sport, on est là pour gagner.
Q- On dit qu'ils sont provocateurs, un peu truqueurs ?
R- On les a vu effectivement provocateurs, mais on les a vus aussi prendre beaucoup de cartons, c'est le jeu. Il faut donc s'attendre à un match rude, un match entier, total, un engagement total. Mais je crois que les Français sont prêts. J'étais au match contre le Brésil et je suis allé les voir, après, dans les vestiaires. Une joie intérieure forte : quand on bat les champions du monde en titre, on est content de ce qu'on a fait. Mais très vite dans leur tête, dans la tête du sélectionneur, R. Domenech, ils étaient déjà sur cette demi finale. Ils pensaient déjà à se remotiver, à se reconcentrer. Finalement, à effacer un peu cette belle victoire, et tout de suite se concentrer sur le match de la demi. Je pense que c'est un bon état d'esprit pour aborder un match difficile.
Q- Juste une parenthèse : vous dites que vous étiez dans les vestiaires après France/Brésil avec J. Chirac. Comment s'est passé ce contact entre J. Chirac et l'équipe de France ? On dit que Zidane n'était pas là, qu'il a fallu aller le chercher, parce qu'il était avec les Brésiliens ?
R- Zidane a eu, je crois, un geste très élégant - on l'a vu d'ailleurs sur le terrain : il avait relevé un des joueurs brésiliens. Je crois qu'il est allé aussi les voir dans les vestiaires pour les consoler. Il y a quelque part une vraie similitude, d'enjeu, dans la compréhension du football. Alors, il est allé passé quelques instants, puis il a pu longuement parler avec le Président de la République, qui les connaît bien. 98 déjà, il les avait soutenus,accompagnés pendant toute la phase de préparation, et puis ensuite pendant cette magnifique Coupe du monde que nous avions organisée.
Q- Mais est-ce que vous ne risquez pas de voir, ce soir, quand même un match un peu fermé, parce que ces deux équipes, la France et le Portugal, sont deux équipes qui se ressemblent - elles sont très défensives - et ce soir, peut-être qu'elles ne voudront pas prendre de risques.
R- Sur les deux derniers matchs de l'équipe de France, l'offensive a été à la fête quand même. On captait très très bien le ballon en milieu de terrain et on avançait. On a vu d'ailleurs T. Henry marquer ce but qu'on attendait, parce que souvent il était esseulé en attaque. Et puis, là, il a pu, sur ce fameux coup de pied arrêté Z. Zidane, marquer ce magnifique but. Non, on a quand même une équipe offensive. Maintenant, écoutez ... Vous savez, la force d'une équipe, c'est de savoir s'adapter au jeu de l'adversaire : jamais partir avec trop de préjugés, jamais avoir un système de jeu trop fermé, puis savoir trouver la faille assez vite dans une équipe. Mais cela, c'est valable dans n'importe quel sport. Je l'ai vécu également. Donc, savoir trouver la faille et puis après imposer son jeu.
Q- Evidemment, on est euphorique, après notre victoire sur l'Espagne et le Brésil. Cette équipe de France de football, vous la suivez depuis le début de la Coupe. Très franchement - avis du ministre de la Jeunesse et des Sports - quelles sont ses faiblesses, et puis ensuite ses forces ? A votre avis, les faiblesses de l'équipe de France.
R- Je vais vous parler plutôt des forces. Déjà, un groupe. Ça y est, on a ce groupe, c'est ce qui manquait un peu sur les deux premiers matchs où on ne sentait pas cette alchimie qui est nécessaire quand on veut aller très loin dans une coupe du monde. Donc, un vrai collectif, un vrai groupe. Et puis un patron. On voit bien que Z. Zidane est devenu le patron de cette équipe, et c'est très bien. Il a des lieutenants mais c'est lui le patron. Une capacité technique et physique. On les a vus tenir ces matchs. Les faiblesses : voulez-vous que je vous dise ? Je n'en vois sincèrement pas beaucoup, voire aucune. Il n'y a pas une grande fébrilité. Peut-être un peu plus de réussite en attaque. On les a vus rater sur les premières phases de la Coupe du monde quelques buts. Mais ça va en s'améliorant. Et puis, regardez un peu cette symbiose entre un jeune Ribéry et l'ancien Zidane. Ça c'est la force d'une équipe : savoir transmettre un témoin, un relais entre l'ancienne et la nouvelle génération. C'est ce qui fait la force de l'équipe de France.
Q- Mis à part Zidane, quel est le joueur de l'équipe de France qui vous a le plus impressionné depuis le début de la Coupe ?
R- Ils sont plusieurs...
Q- Mais j'en veux un.
R- Je vais vous en donner deux, laissez-moi deux au moins : Vieira,évidemment, qui a sorti deux matchs énormes, alors qu'on le disait un peu fatigué, souvenez-vous, un peu faiblard dans ses reprises, etc. Et puis Ribéry, qui a apporté vraiment cette bouffée d'oxygène, ce côté très frais, finalement, qui tente tout et qui essaye vraiment de perforer la défense. Ça c'est le symbole et c'est l'expression de ce renouveau de l'Equipe de France.
Q- Vous avez remarqué, on a l'impression de vivre une totale ivresse un peu débridée lors de cette coupe du monde. Bien sûr, il y a eu une joie gigantesque lors de la finale en 1998. Mais là, pour un match de quarts de finale, ça a été la folie. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
R- Je crois que les Français aiment cette équipe, point barre. Ils l'aiment à fond, ils ont envie de l'accompagner, de la soutenir, de vivre avec elle ces moments forts. Ce sont des moments qui sont à la fois très brefs et très intenses. Naturellement, ils l'expriment, ils l'expriment dans la rue, je trouve que c'est fort, que c'est bien. Rares d'ailleurs sont les évènements qui rassemblent.
Q- Mais faisons un peu de politique, parce qu'un ministre, c'est une autorité politique, vous n'avez pas l'impression que la France est quand même morose, préoccupée et que cette explosion de joie, cette envie de partager le plaisir d'une victoire, c'est peut-être pour oublier des soucis, une France qui est un peu grise ?
R- Il y a des choses qui ne vont pas très bien et puis d'autres qui vont bien dans notre pays. Effectivement, on est là pour parler sport, un peu moins politique mais on a la baisse du chômage, on a un pays qui avance, et là, on a des Français, qui, naturellement, sans qu'on leur demande quoi que ce soit, sans qu'on les oblige à faire quoi que ce soit, se retrouvent dans la rue et font la fête, voilà. Je trouve que c'est un bel exemple d'union, un bel exemple de volonté d'avancer ensemble, et puis aussi, un bel exemple de grande fierté pour notre pays, pour notre équipe. Je crois que c'est important. Regardez ce que vivent les Allemands : j'ai entendu tout à l'heure le petit témoignage d'une jeune Allemande qui disait "on a perdu mais on est fiers d'avoir organisé la Coupe du monde sur notre sol". On l'a vécu en 1998, et puis là, on a envie de reproduire, finalement ce qui s'est passé en 1998, en accompagnant notre équipe. Moi j'aime ça, j'aime quand notre pays se rassemble, quand il est beau, quand il a envie d'exprimer à la fois cet amour pour son équipe et cette grande fierté.
Q- Est-ce que ce n'est pas un peu inquiétant, quand même, qu'une simple équipe de France, une équipe de football, redonne le moral à tout un pays ? C'est une sorte d'opium...
R- Oh là ! Non, je vois "sport, opium du peuple", non. On est dans une démocratie, vous en conviendrez. Non, c'est un élan naturel des Français. Est-ce que quelqu'un les oblige à faire cela ? Personne ! Personne n'organise un tel évènement naturel, donc c'est bien que les Français se rassemblent. Est-ce que vous avez d'autres évènements comme ça, où, naturellement on veut communier, on veut participer à cette fête ? Je trouve cela non seulement très sain et très naturel.
Q- D. de Villepin sera ce soir à Munich, vous serez avec lui mais votre collègue N. Sarkozy n'a pas encore assisté, on l'a remarqué, à un seul matche de l'équipe de France de football. Il faut dire que certains joueurs de l'équipe de France n'aiment pas beaucoup N. Sarkozy, notamment L. Thuram. Est-ce que vous jouez en ce moment les médiateurs entre les joueurs de l'équipe de France et N. Sarkozy pour qu'il y ait une rencontre, une poignée de mains dans les vestiaires ?
R- L. Thuram avait rencontré N. Sarkozy, souvenez-vous, après, effectivement un échange un peu sec entre eux ; ils s'étaient vus Place Beauvau. Donc, je crois que c'est plus un problème de calendrier et d'agenda. N. Sarkozy était parti, je crois en déplacement en Guyane, à l'occasion d'un des matchs, ou en tout cas, il partait ou il revenait. Voilà.
Q- Il aime bien les événements très médiatiques N. Sarkozy ?
R- Le Gouvernement, malgré la Coupe du monde, continue à travailler. Ma place naturelle c'est d'être avec eux. D'ailleurs, je n'y suis pas simplement depuis le début de la Coup du monde. J'étais à un match très important qui était France/Irlande il y a quelques mois, où T. Henry a marqué un but qui était hyper important pour la qualification de l'équipe de France. C'est ma place. Et puis après, le Gouvernement travaille. Le Premier ministre a rencontré, vous le savez, les syndicats pendant deux jours. Il a pu effectivement boucler ses rencontres pour être présent au match. On a tous un calendrier qui est chargé, qui est très compliqué ; il y avait la conférence de la famille lundi. Ce sont des sujets aussi qui intéressent les Français.
Q- Un point avant de terminer. Votre opinion sur le scandale qui secoue le
football italien : des matchs truqués, des arbitres que l'on essaye...
R- Terrible !
Q- ...d'acheter. La triche dans le sport en France, est-ce impossible ?
R- Rien n'est impossible évidemment, mais je pense que nous sommes préservés. Et vous voyez qu'il y a des enjeux financiers énormes, puisque un certain nombre de clubs en Italie sont rentrés en Bourse. D'ailleurs, je crois, un des procureurs a exprimé cette crainte de cette pression des actionnaires sur le résultat des clubs, une pression directe. Et puis, alors, on a vu un directeur général de club qui incite des agents de joueurs à aller tricher. C'est terrible. Je crois que là, il faut des sanctions exemplaires. Pas simplement pour l'Italie, mais pour tout championnat de football européen.
Q- L'argent rend fou dans le football, dans tous les sports ?
R- Cela peut rendre fou dans tous les sports. Il faut que ce soit régulé, qu'il y ait une solidarité entre le sport « pro » et le sport amateur. C'est ce que nous organisons en France.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juillet 2006