Interview de M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative, à LCI le 10 juillet 2006, sur la défaite de l'équipe de France à la coupe du monde de football.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q- J.-F. Lamour, bonjour. Commentaire à la fois du témoin, de l'homme politique, du sportif, vous aviez dit avant cette finale : " Il faut que les Français trouvent la faille ". Ils ne l'ont pas trouvée.
R- Ils ont failli la trouver, surtout en deuxième mi-temps et lors des prolongations on voyait qu'il n'y avait qu'eux sur le terrain - les Italiens, comme souvent d'ailleurs, étaient repliés sur leur but - c'est eux, ce sont les Bleus qui ont fait le jeu. Les Français ont occupé le terrain, ont eu de très belles actions. Voilà. Et puis, c'est le sport, c'est le sport, il fallait trouver la faille, ils ont bien joué mais pas suffisamment pour, effectivement, aller chercher ce deuxième but qui nous aurait libérés.
Q- Alors, il y a eu cet incident, cet accident, qui a marqué le match, qui a été le carton rouge donné à Z. Zidane. Vous étiez dans les tribunes, vous avez vu les choses et puis ensuite vous êtes allé dans les vestiaires avec le Président de la République, vous avez vu dans quel état était Zidane. Est-ce que vous avez une explication ?
R- Déjà, il faut savoir que nous, dans le stade, on est aveugle, on n'a aucun écran de contrôle, on ne voit pas de ralenti, donc on ne comprend pas ce qui est en train de se passer puisque, comme vous le savez, les Italiens étaient en train de contre-attaquer. Et puis, on commence à avoir cette info, puis la fin du match, et le Président a souhaité ensuite descendre dans les vestiaires pour aller soutenir les joueurs qui avaient encore fourni une très belle prestation, comme je le disais tout à l'heure. Et puis on a trouvé un Z. Zidane totalement effondré pour avoir conclu sa très belle, très grande carrière de cette façon.
Q- Alors, il y a deux choses... la question qu'on se pose, d'abord qu'est-ce qui a provoqué cette réaction de Zidane, est-ce que vous avez des informations ?
R- Aucune information sur le sujet.
Q- Vous avez une idée ?
R- On peut penser qu'il y a une provoc, peut-être plusieurs fois, d'ailleurs une provocation de tel ou tel joueur Italien contre lui et puis ce geste, mais je ne le défends pas parce quand on voit l'image de la télévision, je l'ai vue ce matin en arrivant chez vous, c'est impardonnable ce geste-là, mais la tension, on l'avait vu d'ailleurs réagir à une passe, je crois, de W. Sagnol qui n'était pas au millimètre, et on sentait une tension très très forte, cette volonté d'aller marquer ce deuxième but qui nous aurait permis de gagner la Coupe du monde, voilà. Il était dans cet état de nerfs, on sait que pour lui c'est souvent d'ailleurs le cas, voilà. Mais, c'est triste. Moi, je suis vraiment malheureux pour lui qu'il n'ait pas terminé le match, évidemment, qu'il n'ait pas été avec ses coéquipiers sur le podium, même si c'était une médaille d'argent. Donc, c'est une fin un peu particulière pour un champion qui reste un champion d'exception.
Q- Et est-ce que vous pensez qu'il y a eu un manquement à la règle de la part du juge de touche qui aurait réagi à partir de ce qu'il avait vu sur l'écran et non pas à partir de ce qui était de visu ?
R- Effectivement, parce que j'ai souvenir d'avoir entendu le président Blatter, le président de la FIFA, dire " La vidéo est bannie des terrains de football ", on n'utilise pas la vidéo. Est-ce que l'arbitre dira qu'il a utilisé la vidéo ? Je ne le pense pas parce que vraiment ça créerait une polémique, mais on a vu qu'il y a eu pendant pratiquement 1 mn, 1 mn 30, beaucoup de discussions au bord de la touche. Que s'est-il passé exactement ? Je pense qu'il va falloir décrypter tout ça.
Q- Au départ de la compétition, on ne donnait pas cher des résultats de l'Equipe de France, si vous avez un jugement sur son parcours.
R- Que doit-on garder de cette Coupe du monde pour les Bleus ? C'est une formidable aventure. Il y a un mois, seul R. Domenech, il faut lui rendre hommage, vraiment, seul R. Domenech, et les joueurs bien sûr, nous avaient donné rendez-vous le 9 juillet, et nous les avons accompagnés, le Président de la République et moi-même, nous disions, mais oui, il faut y croire, on a une belle équipe, on a un fort potentiel, mais c'est vrai qu'on imaginait mal ce parcours, voilà. Il faut se souvenir de ce parcours, de ce match contre le Brésil, un match d'anthologie, et puis dire, encore une fois, un grand merci à ces Bleus parce qu'ils nous ont offert quelque chose d'exceptionnel, de beau, d'une grande richesse qui, je crois, est en quelque sorte la fierté de la France. Donc, il faut reconnaître ces mérites et les saluer bien bas.
Q- Alors, quand on regarde le classement, on trouve trois équipes européennes en tête de cette compétition. Est-ce que ça ne démontre pas que finalement la tactique, je dirais le raisonnement du match l'emporte toujours sur le panache ?
R- Oui, c'est aussi une tendance lourde du championnat européen.
Q- Au risque d'avoir quelques fois des matchs ennuyeux !
R- Vous avez entièrement raison, c'est vrai que c'est aussi la conception, les stratégies de mise en place sur le championnat européen, et on voit aujourd'hui que par rapport peut-être à un football plus exotique, plus inventif, tel que celui du Brésil - bien que les Français aient démontré aux Brésiliens qu'ils étaient peut-être dans ce domaine au-dessus du lot - mais c'est vrai que c'est un peu la rigueur, la défense à tout crin qui l'a emporté sur un peu plus d'inventivité. C'est aussi un championnat européen qui est très très fort, très puissant, avec les meilleurs joueurs au monde qui sont rassemblés sur ce championnat-là.
Q- Les retombées politiques maintenant. On se souvient qu'en 1998 - on était en période de cohabitation - J. Chirac avait d'une certaine manière profité du succès des Bleus. Est-ce que vous voyez...
R- ... je ne vais pas dire " profité ", je vais dire accompagné les Bleus depuis le début.
Q- Accompagné !
R- Souvenez-vous, le 28 janvier, on inaugurait le Stade de France, eh bien le Président était avec A. Jacquet et les Bleus, comme il l'a été, comme nous l'avons tous été, tous les Français à côté de leur équipe, avec leur équipe pendant ce Mondial.
Q- Est-ce que ça signifie que vous vous attendez à, je dirais un effet Bleus pour la popularité du Président ?
R- Je crois qu'il faut mettre le sport à sa place. C'est peut-être la seule activité qui permet de rassembler les Français, de leur faire vivre quelque chose d'exceptionnel, de dire, voilà, on est fier de notre équipe, on est fier de notre pays, comme d'ailleurs le sont les Allemands parce qu'ils ont remarquablement organisé la Coupe du monde. Ils ont eu d'ailleurs aussi un très bon parcours de leur équipe qui a terminé troisième. Cela ne règle pas tous les problèmes mais je trouve que ça donne une belle image d'un pays, ça donne une belle image de cette volonté d'avancer, de créer, de se rassembler, d'être collectif. Voilà ! Je crois que c'est important. Vous savez, à partir du moment où effectivement on essaie de faire du sport un outil artificiel pour faire passer tel ou tel message - je me souviens d'un certain France-Algérie en 2001 - eh bien on voit qu'on va à l'échec. Donc, non, ça été une très belle aventure, merci les Bleus. Je crois que ça été aussi un moment où les Français se sont rassemblés autour d'un même objectif, autour d'une même passion.
Q- Confidence de votre part, est-ce qu'il est exact que beaucoup de ministres auraient souhaité que vous les emmeniez à la finale ?
R- Déjà, c'était le Président de la République qui avait défini le format de la délégation officielle.... Heureusement d'ailleurs que mes collègues au Gouvernement aiment le sport. D'ailleurs on en parle souvent et pas simplement le football. Regardez ce qu'a fait A. Mauresmo à Wimbledon aussi ce week-end...
Q- Oui, ils aiment en profiter aussi pour leur bénéfice d'image.
R- ... Non, non, sincèrement, c'est plus la volonté d'aller voir un événement exceptionnel, de participer à cette grande fête qu'est celle d'une finale du Mondial.
Q- Les retombées sportives, maintenant. Est-ce que vous avez le sentiment que le parcours des Français va être favorable à l'avenir des clubs français ?
R- Oui, bien évidemment, et d'ailleurs il faut leur rendre hommage. D'où viennent finalement ces grands champions ? Ils viennent des petits clubs animés par des bénévoles, des éducateurs de terrain, qui toutes les semaines, tous les jours sont en train d'accompagner un jeune qui progresse. Ce sont à eux aussi qu'il faut rendre hommage et je suis convaincu que dès la rentrée du mois de septembre on va voir un afflux de jeunes qui vont venir, certainement dans les clubs de foot... non mais, vous allez voir très certainement aussi pratiquer, quel que soit le sport, une activité physique. Donc, il faut les accompagner, c'est d'ailleurs pour cela que le Président de la République et le Premier ministre m'avaient chargé, il y a un an maintenant, après Paris 2012, de mettre en place un plan national du développement du sport avec un objectif ambitieux, c'est d'avoir plus d'un million de licenciés supplémentaires en 2012.
Q- Tout le monde a reconnu que L. Thuram a fait un très beau parcours pendant ce Mondial. Hier soir, il était en larmes après ce succès inachevé. On a dit parfois, parce qu'il a des engagements politiques - il est aussi membre du Haut Conseil de l'Intégration - est-ce que vous pensez, vous, qui avez été sportif, qui êtes aujourd'hui ministre, qu'un jour Thuram pourrait être un ministre des Sports, peut-être plutôt d'un gouvernement de gauche parce que c'est plutôt son option...
R- ... oui, enfin, je ne sais pas, non, je sais pas quelle est sa sensibilité. En tout cas, ce que je ressens chez lui, j'ai une grande admiration et beaucoup de respect pour lui, c'est sa volonté de rendre au pays ce que le pays a pu lui apporter au travers du sport. Alors, il le fera certainement d'une façon. Est-ce que c'est entrer en politique ? Je lui souhaite parce que c'est une aventure exceptionnelle, il le fera peut-être différemment au travers d'autres actions, mais vous l'avez très bien dit : il a le sens de l'intérêt général. Il parle d'ailleurs avec beaucoup de force et beaucoup de passion de ces notions-là, donc je lui souhaite, je lui souhaite vraiment.Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 10 juillet 2006