Interviews de M. François Chérèque, secrétaire général de la CFDT, à l'AFP le 6 juin 2006, dans "Paris Match" le 7 et dans "Le Nouvel Observateur" le 8, sur les relations entre le gouvernement et la CFDT et la préparation du 46ème congrès de la CFDT.

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Média : Le Nouvel Observateur - Paris Match

Texte intégral

Entretien à l'AFP
le mardi 6 juin 2006
AFP. Quel bilan tirez-vous de votre premier mandat à la tête de la CFDT ?
François Chérèque. Pendant quatre ans, nous avons été capables de nous engager dans une société en mutation importante. Nous l'avons fait pour une réforme - celle des retraites - qui avait été retardée trop longtemps et qui a apporté des résultats concrets, mais aussi contre des propositions de réforme discriminantes contre la jeunesse, en particulier le CPE. Je crois que, sur le fond, l'action de la CFDT a été conforme au mandat que nous avaient donné nos militants.
AFP. Quelles leçons tirez-vous des départs massifs qui ont suivi la réforme des retraites ?
François Chérèque. Pour une grande partie, il s'agissait de départs organisés avant la réforme. C'est bien d'avoir eu cette clarification politique. Mais certains militants, à un moment donné, n'ont pas compris ce que faisait la CFDT, pourquoi elle s'engageait. Depuis trois ans, on a beaucoup discuté. Le congrès a été préparé collectivement, avec 40 réunions dans les fédérations et les régions. À Grenoble, on va proposer aux militants d'ouvrir le débat sur des questions pas évidentes, que les politiques vont nous poser dans les années qui viennent : l'avenir des services publics, l'utilisation de la grève dans les services publics, l'évolution du contrat de travail, la future réforme des retraites... Ce qu'on leur propose, ce n'est pas une décision d'en haut, mais au contraire de construire avec eux notre position. On a aussi prévu de faire entre les deux congrès une assemblée générale dans toutes les fédérations pour " redébattre " de nos orientations. C'est, je crois, une des leçons du passé.
AFP. Certaines structures historiquement opposées à la ligne confédérale, comme le Sgen (enseignants) ou la FGTE (équipement-transports) vont faire leur entrée à la direction. Est-ce le signe qu'une page se tourne ?
François Chérèque. Il s'agit tout simplement de dire qu'il n'y a pas deux CFDT, qu'en tout cas, ceux qui ont voulu faire en sorte qu'il y ait deux CFDT ont perdu. On a une chance extraordinaire, c'est de pouvoir débattre de tout, en dehors de tout combat idéologique, sans se demander si on est pour ou contre la CFDT, pour ou contre la direction. C'est une ère nouvelle qui est en train de s'ouvrir et il faut qu'on en profite.
Source http://www.cfdt.fr, le 18 juillet 2006Entretien à Paris Match
le mercredi 7 juin 2006
Paris Match. Vos rapports avec le gouvernement se sont-ils améliorés depuis le conflit autour du contrat première embauche (CPE) ?
François Chérèque. Le contexte dominé par l'affaire Clearstream et la concurrence des candidats dans la course à la présidentielle ne crée pas une situation favorable pour engager des actions constructives avec le gouvernement.
Paris Match. Il y a la crise gouvernementale et l'élection de 2007, avez-vous encore des interlocuteurs ?
François Chérèque. On en a, on les rencontre, mais la volonté politique semble engluée dans ce climat délétère. Cela dit, n'attendons pas tout du gouvernement. Essayons, nous, les partenaires sociaux, d'ouvrir les négociations sur les sujets qui intéressent les salariés. Rien, ne nous empêche de nous mettre autour d'une table et de poser les vrais problèmes. Nous avons proposé au Medef que, en parallèle à la réflexion sur l'assurance chômage, on fasse un état des lieux sur l'utilisation des contrats de travail, pour voir ce qui marche ce qui ne marche plus, ce qui développe de la précarité. Après nous pourrons négocier l'amélioration du système au bénéfice des salariés et des entreprises. Après tout, on a tellement dit que les politiques faisaient trop sans nous, montrons-leur que nous sommes capables de faire sans tout attendre d'eux !
Paris Match. Etes-vous optimiste pour l'avenir ?
François Chérèque. Nous entrons dans une période de retournement démographique comme on n'en a pas vu depuis deux siècles. Avec de nombreux départs à la retraite de personnes plutôt en bonne santé. C'est positif pour ceux qui vont les remplacer au travail. Après trente ans de difficultés économiques, on n'a jamais vécu une telle opportunité. Il faut en profiter pour faire baisser durablement le chômage. Si on ne le fait pas là, je crains qu'on n'ait du mal à le faire dans l'avenir. C'est pour notre pays une chance de rebond qui doit nous permettre d'engager les réformes dont il a besoin.
Paris Match. Votre 46e congrès débute le 12 juin à Grenoble. Quel est son enjeu ?
François Chérèque. Un congrès, c'est d'abord un moment de bilan. Nous tirerons les leçons de notre activité passée. Puis nous voulons débattre des questions qui, inévitablement, seront posées aux syndicats dans les années à venir. Par exemple, à propos de la protection sociale, ce qui doit être financé par la solidarité nationale, c'est-à-dire les impôts, et ce qui doit l'être par les cotisations des salariés et des entreprises.
Dans un pays qui connaît autour de 10 % de chômeurs depuis une vingtaine d'années, est-il toujours normal que ce soit les salariés du privé et les entreprises qui financent toute l'indemnisation du chômage alors que l'Etat, de son côté, se désengage petit à petit ? Autre exemple, sur les retraites en 2008, le deuxième niveau de la réforme sera discuté. Nous allons anticiper ce débat et fixer nos grandes orientations.
Paris Match. Le front unique syndical constitué contre le CPE peut-il avoir des prolongations ?
François Chérèque. Si l'unité syndicale a tenu avec un résultat positif, c'est que nous avons su porter une revendication commune, sans la mélanger à d'autres, globales et imprécises. À l'avenir, nous devrons être capables d'unité également dans la négociation et les propositions. Le plus difficile n'est pas de contester ensemble, mais de s'engager ensemble. Ne pas être unis seulement dans la rue pour s'opposer, mais de l'être aussi pour négocier afin d'obtenir des résultats pour les salariés.
Paris Match. Vos rapports avec la CGT se sont-ils détendus ? Et pouvez-vous avoir d'autres actions communes ?
François Chérèque. Quand on réussit à aller jusqu'au bout dans une action comme celle du CPE, ça réchauffe les relations entre les organisations. Nous souhaitons que cette expérience permette d'aller plus loin.
Paris Match. Sur quel sujet ?
François Chérèque. Tout le monde constate que le problème de la précarité au travail se développe et que les salariés restent de moins en moins toute leur vie dans la même entreprise. Il serait utile de faire des propositions communes pour inventer de nouvelles sécurités, pour un meilleur accompagnement des salariés lorsqu'il y a rupture dans leur carrière. Cela nécessite de regarder la réalité telle qu'elle est.
Paris Match. C'est le parcours sécurisé ?
François Chérèque. La CFDT parle, depuis plusieurs années de la sécurisation des parcours professionnels, la CGT, elle, de sécurité sociale professionnelle. Si, derrière les mots, nous avons des propositions communes, il faudra les avancer en commun.
Paris Match. On ne parle des syndicats qu'en cas de crise.
François Chérèque. On est dans une culture typiquement française : on met en avant les trains qui arrivent en retard et pas de tous ceux qui arrivent à l'heure. On voit les syndicats, et c'est positif, lorsqu'ils défendent l'emploi ou s'opposent à des mesures inefficaces.
On critique également ceux qui s'engagent comme sur la réforme des retraites. Mais personne ne dit que ces syndicats ont obtenu, pour 280 000 salariés ayant commencé à travailler dès 14 ans, la possibilité de partir à la retraite avant 60 ans et que, actuellement, ce sont 10 000 personnes par mois qui en profitent. On parle plus des remous qui ont eu lieu à la CFDT sur cette réforme que des 10 000 personnes qui en bénéficient tous les mois. C'est regrettable !
Propos recueillis par Willy Golbérine
source http://www.cfdt.fr, le 18 juillet 2006Entretien au Nouvel Observateur
le mercredi 8 juin 2006
Le Nouvel Observateur. Quels seront les points forts de ce congrès ?
François Chérèque. La capacité de faire des choix, dans une société complexe, en pleine mutation : s'engager dans des réformes ou en combattre d'autres. Nous avons prouvé, avec la bataille contre le contrat première embauche (CPE), que nous assumions toutes les fonctions d'une organisation syndicale, même si parfois cela n'a pas été simple ni exempt de maladresse.
Le Nouvel Observateur. Sur les retraites ?
François Chérèque. Entre autres.
Le Nouvel Observateur. Allez-vous revenir sur l'accord conclu en 2003 avec Jean-Pierre Raffarin sur ce sujet, qui, à l'époque, avait provoqué la colère et le départ de nombreux militants CFDT ?
François Chérèque. Nous avons décidé de ne pas fuir les débats qui taraudent notre société. La loi votée, il y a trois ans prévoit qu'en 2008 les partenaires sociaux doivent se revoir pour prendre des décisions sur le financement des retraites. Nous allons débattre des conditions d'une éventuelle augmentation du nombre d'années de cotisations, de 40 à 41 ans, puis à 42 ans, qui prenne en compte la pénibilité du travail et passe notamment par des départs anticipés. Aujourd'hui, un ouvrier vit en moyenne sept ans de moins qu'un salarié d'une autre catégorie socioprofessionnelle. Comment lutter contre cette inégalité ? La CFDT se pose des questions qui, de toute façon, seront soulevées dans les quatre ans qui viennent.
Le Nouvel Observateur. Le contrat de travail, tel qu'il est conçu, est aujourd'hui obsolète ?
François Chérèque. Le congrès dira s'il faut tout remettre à plat. Comme c'est très souvent le cas aujourd'hui, les victimes de licenciements économiques sont obligés d'accepter des mobilités professionnelles et géographiques. Mais en contrepartie, nous exigeons qu'ils gardent un certain nombre des droits acquis dans l'entreprise, comme le droit à la formation professionnelle. Une qualification acquise chez un employeur doit être validée par toutes les entreprises. Nous avons déjà avancé dans ce sens avec la convention de reclassement personnalisé. Toutes les victimes de licenciements économiques dans les entreprises de moins de 1 000 salariés bénéficient de programmes de formation, d'un accompagnement renforcé et d'un revenu de remplacement égal à 80 % de leur salaire antérieur.
Le Nouvel Observateur. Etes-vous favorable au contrat unique, tel que le demande le Medef ?
François Chérèque. Je ne vais pas clore le débat que nous allons ouvrir ! Je vous fais simplement remarquer que, dans notre projet, nous ne proposons pas de retenir cette formule. Nous ne voulons pas tomber dans le piège d'un contrat dont les droits progressent avec l'ancienneté.
Le Nouvel Observateur. Vous allez débattre du service public ?
François Chérèque. Quel que soit leur statut, privé ou public, ces entreprises doivent garantir la continuité, s'adapter aux problèmes des usagers et rechercher la meilleure efficacité économique. La grève doit être l'ultime recours. Mais pas question pour nous d'une loi sur le service minimum. Il faut négocier des systèmes d'alerte sociale, comme il en existe à la SNCF et à la RATP.
Le Nouvel Observateur. Finalement, après la crise du CPE, la CFDT est toujours aussi réformiste.
François Chérèque. Quand je me regarde dans la glace depuis la victoire de toutes les organisations syndicales contre le CPE, moi, je me reconnais. Si nous nous sommes battus contre le contrat première embauche, c'est parce que nous refusons la stigmatisation d'une classe d'âge. Toutes les générations doivent être solidaires entre elles. Voilà pourquoi, aussi, nous avons voulu reformer les retraites. Les jeunes ne peuvent pas supporter tous les fardeaux.
Le Nouvel Observateur. Mais aujourd'hui, c'est quoi le réformisme ?
François Chérèque. C'est avoir une vision réaliste de la société et des propositions pour la changer. C'est obtenir des résultats concrets pour les salariés. Un exemple ? Pour tenter de résoudre le problème du chômage des jeunes, nous revendiquons la création d'un parcours professionnel individualisé pour les demandeurs d'emploi de moins de 25 ans. Nous nous battrons pour l'obtenir. Autre exemple ? la mondialisation. Pour nous, c'est avoir une vision globale de l'entreprise, du donneur d'ordres au quatrième sous-traitant et de la responsabilité sociale du premier sur les seconds.
Le Nouvel Observateur. Et le rapport de force ?
François Chérèque. Nous n'avons pas seulement une vision combative du syndicalisme. Nous pouvons lutter contre le CPE, et négocier sur d'autres sujets. C'est notre cohérence. Et c'est cela qui nous donne des forces.
Le Nouvel Observateur. Depuis la crise du CPE, où pour la première fois dans l'histoire de la France l'unité d'action entre les organisations syndicales n'a jamais failli, où en sont vos relations avec la CGT ?
François Chérèque. Nous sommes restées unies, et nous avons gagné parce que nous avions une cible très précise et partagée : l'abandon du CPE. Le 4 octobre 2005, nous avions manifesté, très nombreux, mais avec des objectifs « fourre-tout » : abandon du contrat nouvelles embauches, augmentation des salaires et du pouvoir d'achat notamment. Résultat : le 5 octobre, la pression est remontée comme un soufflé. L'unité syndicale n'est pas un mode de vie, mais un outil pour satisfaire les salariés sur des revendications claires. Aujourd'hui, avec la CGT, je crois que nous pourrions faire cause commune pour la sécurisation du travail. Et si nous pouvions parvenir à clarifier entre nous, et aussi avec les autres centrales, le rôle du syndicalisme par rapport à la loi, nous aurions peut-être une obligation de résultat.
Le Nouvel Observateur. Des candidats à la candidature socialistes, Ségolène Royal est la seule, pour le moment, à vouloir rendre obligatoire l'adhésion, payante, à un syndicat.
François Chérèque. Nous y sommes hostiles. La meilleure façon de conforter les organisations syndicales, aujourd'hui, c'est de renforcer leur utilité sociale.
Le Nouvel Observateur. Comme les autres centrales, vous demandez le retrait du contrat nouvelles embauches. Laurence Parisot, la présidente du Medef, refuse d'ouvrir des discussions sur ce sujet, comme le demande le gouvernement.
François Chérèque. Il est temps que le Medef sorte de ses contradictions. On ne peut pas reprocher au gouvernement de décider seul dans le domaine du social et ne pas assumer nos responsabilités de partenaires sociaux. Nous avons demandé au Medef d'ouvrir deux chantiers : la mise à plat de l'assurance-chômage et le contrat de travail. Et si on aborde le contrat de travail, forcément on sera obligés de reparler du CNE !
Le Nouvel Observateur. À l'élection présidentielle, le gouvernement pourra dire qu'il a fait nettement baisser le taux de chômage en France.
François Chérèque. C'est une baisse qui est essentiellement due au traitement social du chômage, relancé par Jean-Pierre Raffarin. À cela, il faut ajouter le départ à la retraite de la génération du baby-boom et le développement de la formation en alternance. Il y a encore peu de créations nettes d'emplois dans le secteur marchand.
Le Nouvel Observateur. Clearstream, amnistie de Guy Drut. Que pensez-vous du climat à la tête de l' État ?
François Chérèque. Quatre ans après le 21 avril 2002, les leçons ne sont toujours pas tirées. L'image des politiques continue de se dégrader. C'est dangereux pour la démocratie. Les français ont besoin de reprendre confiance en ceux qui les représentent, confiance en l'avenir. Le syndicalisme aussi doit donner des perspectives, du sens, dans cette société en profonde mutation. C'est ça l'engagement !
Propos recueillis par Martine Gilson source http://www.cfdt.fr, le 18 juillet 2006