Interview de Mme Laurence Parisot, présidente du Medef, à RTL le 2 juin 2006, sur la rémunération des chefs d'entreprises, les pôles de compétitivité et la journée de solidarité.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q- Bonjour, L. Parisot.
R- Bonjour.
Q- Nous commentons, nous évoquons, longuement, ce matin sur RTL, ce qui s'est produit, hier, dans l'entreprise Vinci, numéro 1 mondial du BTP. Son PDG a été licencié, en quelque sorte, par le conseil d'administration, hier soir : rémunération excessive. C'est assez rare, dans le monde patronal français. Quel est votre commentaire, La. Parisot ?
R- Vous savez, hier matin, j'étais dans les Alpes-de-Haute-Provence et les
Hautes-Alpes, avec des chefs d'entreprise - d'ailleurs, tout à fait
formidables - et c'est avec eux que j'ai découvert cette affaire. Et nous
avions tous le coeur qui se soulevait, quand nous avons découvert les
montants de rémunérations envisagées.
Q- A ce point ! Le coeur qui se soulevait !
R- Bien sûr, parce que ce n'est pas nous. Les chefs d'entreprise français ont un projet pour leur entreprise, pour leurs équipes. Et nous avons un système de valeur qui, je crois, est assez différent de ce que l'on pouvait comprendre, à la lecture de cette affaire. Mais quand, hier soir, j'ai appris la décision du conseil d'administration de Vinci, je me suis dit alors : "Formidable !". Le système de gouvernance, tel que le Medef l'avait préconisé dans le cadre du rapport Bouton, a pleinement fonctionné. Car je voudrais vous rappeler que nous avions émis une recommandation très claire, qui est que la rémunération des dirigeants doit se faire en bonne gestion. Cela veut dire qu'il ne doit pas y avoir d'excès, que les considérations de long terme, pour l'entreprise, doivent toujours être premières. Et cela veut dire aussi qu'en aucun cas, on ne doit dissocier l'intérêt personnel des dirigeants, de l'intérêt supérieur de l'entreprise.
Q- Donc, c'est un avertissement pour l'ensemble des dirigeants des grandes entreprises, en France : "Soyez plus civiques et plus attentifs aux intérêts de votre entreprise !" ?
R- Je ne sais pas si c'est un avertissement parce que, ces cas tel que celui que nous avons découvert hier, sont rarissimes. Et c'est pour cela aussi que la réaction du monde des entrepreneurs français a été aussi vive. Mais que les choses soient claires : le monde entrepreneurial français est conscient de ses responsabilités, et est très attaché à la bonne gouvernance des entreprises.
Q- Il faut quand même noter que le conseil d'administration a tranché cette question par 9 voix contre 7. Donc, la décision n'a quand même pas été facile, visiblement.
R- C'est tout à fait normal. Il faut aussi se rendre compte, dans un moment comme cela, des répercussions sur l'image de l'entreprise. Or, il est très important de rappeler à tout le monde que Vinci est une extraordinaire entreprise qui est, aujourd'hui, un leader mondial des travaux publics, et qu'il y ait des échanges et des points de vue divergents dans des moments délicats comme ceux-là, est tout à fait compréhensible.
Q- D. de Villepin a tenu, hier, sa onzième conférence de presse. Il a été balloté, depuis le début de l'année, d'abord, par le CPE, ensuite par l'affaire Clearstream. Et hier, il a dit : "Maintenant, on continue ! Je peux travailler normalement. Je vais recevoir les partenaires sociaux, à la fin du mois". Pensez-vous que D. de Villepin a les moyens, aujourd'hui, de continuer à gouverner, L. Parisot ?
R- Il y a beaucoup de choses à faire, quand on gouverne. Et moi je n'ai pas à apprécier si le Premier ministre doit changer, ou pas. Je note qu'il y a simplement de la bonne gestion à mener dans beaucoup de domaines. Si je reviens sur ma visite, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, d'hier, la région se remarque, notamment, par le nombre de ses pôles de compétitivité. C'est un enjeu majeur de développement économique, de motivation de l'ensemble des populations de la région. Rien que sur ce domaine, on attend du Gouvernement une bonne gestion. Ces pôles sont, aujourd'hui, en situation de risques de bureaucratisation, et tout l'espoir qui a été engendré par la constitution de ces pôles est, aujourd'hui, en danger. C'est un exemple de ce qu'on attend d'un gouvernement. On n'a pas forcément besoin de grandes réformes sur tout : on a besoin d'une gestion méthodique sérieuse, rigoureuse.
Q- Mais il vous semble, aujourd'hui, que le Gouvernement manque de gestion méthodique et sérieuse ?
R- Je remarque que, trop souvent, les prises de position sont incohérentes, je dirais même illisibles. Regardez, par exemple, l'affaire du lundi de Pentecôte. C'est très bien qu'il y ait une journée de solidarité. Je pense que, de toute façon, il faudra, de plus en plus, à l'avenir, travailler plus. Mais comment peut-on dire à la fois aux entreprises françaises : "travaillez le lundi de Pentecôte" et, simultanément, décider par décret ministériel, d'interdire les transports, ce jour-là ? Cela veut dire que les entreprises doivent travailler, mais ne pourront pas livrer. Elles doivent travailler, mais elles ne pourront pas expédier. Il y a là une incohérence économique.
Q- L'Etat donne le mauvais exemple puisque les postes seront fermées, aussi, ce jour-là. Et puis, l'Education nationale n'accueillera pas les élèves, ce qui n'incitera pas les salariés à se rendre au travail.
R- Bien sûr. Encore une fois, je crois qu'il faut essayer de penser les choses d'une manière globale, et faire en sorte que, si l'on décide quelque chose, qu'on le décide ensemble pour aller tous dans le même sens.
Q- Donc, je reviens à ma question : D. de Villepin gère-t-il correctement la situation ? A vous entendre, on a l'impression, ce matin, d'une grande insatisfaction, L. Parisot.
R- Je ne sais pas si c'est seulement une affaire de personne. Je crois que c'est aussi une affaire qui concerne notre appareil d'Etat d'une manière générale, et en dehors de toute considération partisane.
Q- L'IFOP, dont vous êtes le PDG, travaillera le lundi de Pentecôte ?
R- Oui, bien sûr.
Q- Deux commentaires sur l'actualité, si vous le voulez bien. Les propos de S. Royal suscitent beaucoup, beaucoup de réactions. Le rapport à la sécurité qu'elle a évoqué, c'est-à-dire, une ligne assez ferme. En tant que présidente du Medef, vous avez une opinion sur ces propos ?
R- Il me semble que les préconisations de S. Royal méritent d'être un peu mieux expliquées. On ne voit pas très bien, en pratique, comment on pourrait les mettre en oeuvre. Je crois surtout que, dans ce domaine, il faut mettre l'accent sur les questions d'éducation et de formation. Je crois que notre enjeu, en France, aujourd'hui, c'est bien de se demander quels doivent être le rôle et la place de l'Etat. Je crois que l'Etat aurait tout intérêt à beaucoup moins intervenir dans l'économie, tel qu'il le fait malheureusement trop souvent, et beaucoup plus dans les missions importantes qui sont les siennes. Je pense, notamment, en matière d'éducation, de justice et de police.
Q- Dernière question sur l'actualité : faites-vous partie des gens qui ont été choqués par l'amnistie accordée à G. Drut ?
R- On ne peut pas, à la fois, incarner, exprimer le respect du droit et, ainsi,
agir avec autant de légèreté.
Voilà ! Les choses sont dites ! C'était L. Parisot qui était l'invitée de RTL. Bonne journée !Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 6 juin 2006