Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "France Inter" le 21 juin 2006, sur les excuses demandées à Dominique de Villepin pour l'avoir insulté en réponse à des attaques personnelles lors d'une interpellation à l'Assemblée nationale.

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Média : France Inter

Texte intégral

Q- M. de Villepin vous a-t-il contacté ces dernières heures pour s'excuser ? Non, j'ai simplement eu un communiqué de presse de son entourage - je ne sais pas d'ailleurs ce que c'est qu'un entourage -, pour dire qu'il n'y avait eu de sa part, aucune volonté de s'adresser à moi, ce qui est quand même ajouter la mauvaise foi à l'insulte. Quand on a commis une faute - et je crois qu'il en a commis une grave, pas simplement par rapport à l'opposition, par rapport au Parlement, par rapport à l'image de la vie politique -, il faut en tirer les leçons. Mais le problème avec D. de Villepin, c'est qu'il ne tire aucune conséquence de ses actes. Il produit le CPE, met le pays en conflit pendant trois mois, le retire piteusement et reste au Gouvernement. Il y a l'affaire Clearstream, une affaire de déstabilisation qui met en cause des membres du Gouvernement. Et lui continue à vouloir diriger le pays. Et là, maintenant, il insulte l'opposition et au-delà de l'opposition, le Parlement et il reste, comme disait A. Juppé : droit dans ses bottes. Je crois que c'est la pire attitude.
R- Vous le disiez, l'entourage de D. de Villepin dit qu'hier il ne s'en n'est pas pris à vous, à la personne de F. Hollande, mais qu'il a voulu dénoncer votre attitude, consistant à se livrer à des attaques personnelles. C'est vrai, vous avez attaqué D. de Villepin en disant que plus personne n'a confiance en lui, et puis ensuite, vous avez demandé s'il maintenait sa confiance au coprésident d'EADS, N. Forgeard, Attaque personnelle ?
Q- C'était une question politique, parler de la crise de confiance. C'est une évidence, il n'y a plus la confiance dans le pays. Dois-je rappeler le niveau des sondages d'impopularité ? Il n'y a plus la confiance dans la majorité, il n'a même pas été capable de faire passer - heureusement d'ailleurs - son projet de privatisation de GDF. Il y a eu, il y a peu de semaines, la censure au Parlement, à l'Assemblée nationale et beaucoup de ses députés ne sont pas venus. Donc dire qu'il y a une crise de confiance est un argument politique qui n'est en aucune manière une attaque personnelle. Dire ensuite, qu'il y a un problème de responsabilité dans notre pays, c'est-à-dire, que face à une crise de confiance, ne pas en tirer les leçons c'est un fait politique grave.
R- Vous avez parlé d'irresponsabilité !
Q- D'irresponsabilité et je continue. Dire que le président d'EADS, coprésident d'EADS, nommé par le Gouvernement, donc par l'Etat, que ce coprésident d'EADS ait pu faire une plus-value de 2,5 millions d'euros, au moment où il annonçait des retards de livraison d'Airbus et où il annonçait des suppressions d'emploi à Mérignac, c'était un fait qui justifiait de la part du Gouvernement une prise de responsabilité, voilà ma question. Elle était politique, on pouvait y répondre politiquement, il a répondu par l'insulte, c'est grave pour la démocratie.
Q- Franchement, hier, vous avez quand même frappé fort, vous avez cherché D. de Villepin, vous l'avez quand même un peu provoqué, qu'est-ce que vous répondez à ceux qui disent que vous donnez des coups et qu'il faut accepter d'en recevoir ?
R- Vous savez, il y a des mots que l'on n'utilise pas, ni dans la vie privée, ni dans la vie publique et le mot de "lâcheté" est un mot qui ne peut pas être utilisé. Parce que nous ne sommes plus, là, dans ce qui est de l'argument, ce qui est de la justification, ce qui est même de la confrontation. On est là dans le domaine de l'insulte. Et entre personnes privées, déjà c'est difficile à supporter, mais entre personnes publiques et lorsque cela vient d'un Premier ministre qui n'engage pas qu'une majorité ou qu'un parti politique, qui engage la France, c'est insupportable ! Et cela vient après un long processus où D. de Villepin a commencé à insulter les jeunes quand ils manifestaient contre le CPE. A insulter les syndicats. Et là, maintenant, il fait pire, il fait un procès aux journalistes. C'est la première fois dans l'histoire de la 5ème République qu'un Premier ministre ouvre des procédures judiciaires contre des journalistes qui l'auraient mis en cause. Et maintenant, il insulte le chef de l'opposition. Mais dans quelle démocratie sommes-nous ?
Q- J.-F Copé, le porte-parole du Gouvernement, dit ce matin que vous avez été hier, à l'Assemblée, super agressif et donc vous avez reçu une réponse à cette super agressivité.
R- La vie parlementaire est faite d'interpellations ; le mot « interpellation », d'ailleurs, figure dans l'histoire même de notre République parlementaire. J'ai fait mon devoir d'interpellation, le Premier ministre lui, est tombé dans l'insulte.
Q- Certains disent que D. de Villepin hier a craqué ; trop de pression depuis des mois, il est fatigué ; c'est humain après tout. Les hommes politiques sont-ils des sur hommes ? Ils peuvent se mettre très en colère, cela nous arrive tous !
R- Ecoutez, il y a toujours un moment où un homme - et c'est excusable, c'est pour cela que je lui demande d'en prendre la mesure - commet une indélicatesse, commet une faute, ne se rend pas compte qu'en dissimulant tel ou tel aspect de la vérité, il peut blesser. Donc à partir de là, je pense qu'il faut être capable à un moment, quand on a commis une faute, de pouvoir s'en excuser. Il peut encore le faire cet après-midi à l'Assemblée nationale. Donc je ne mets pas en cause la personne, une personne peut avoir sa défaillance. Mais quand on est le Premier ministre, on doit éviter que ses faiblesses personnelles deviennent des faiblesses de comportement général et donc des faiblesses qui sont liées à l'image du Gouvernement et donc à l'image de la France. A partir de là, je lui demande de s'excuser cet après-midi et de faire en sorte que nous puissions retrouver une sérénité dans les débats parlementaires.
Q- Mais vous dites, s'il ne s'excuse pas, que la séance des Questions au Gouvernement aujourd'hui ne pourra pas se dérouler normalement, cela veut dire quoi ?
R- Eh bien cela veut dire qu'on ne pourra pas poser de questions au Premier ministre. Vous imaginez un responsable de l'opposition s'adressant au Premier ministre, aujourd'hui, après ce qui s'est commis ? Donc, il y a, à un moment un acte à poser et je crois que le Premier ministre serait bien inspiré de mettre son orgueil au rancart.
Q- S'il s'excuse, l'incident est clos pour vous ?
R- Je crois que la séance pourra se poursuivre, mais la blessure restera. La blessure elle n'est pas sur nous, elle est sur lui. C'est maintenant très grave d'avoir un Premier ministre qui est contesté, y compris dans son propre camp. Je ne parle pas simplement de l'UDF dont on ne sait pas s'il est dans la majorité ou dans l'opposition, je parle de l'UMP. Aujourd'hui, que demandent les députés UMP ? C'est d'en terminer avec ce climat délétère et le principal responsable devrait être le président de la République, c'est lui qui a nommé D. de Villepin, sachant d'ailleurs son caractère, sachant ses défauts de comportement, sachant ces manières de faire. En plus, D. de Villepin n'a jamais été élu au suffrage universel, donc le président de la République, en nommant D. de Villepin a pris un risque. A partir de là, est-ce qu'il veut que le pays soit dirigé comme il l'est ou hélas, aussi mal ?
Q- Donc ce que vous voulez c'est...
R- Je veux que le Président de la République prenne lui aussi la mesure de la situation qu'il a créée en nommant D. de Villepin et en le maintenant.
Q- Donc vous demandez la démission de D. de Villepin ?
R- Je pense qu'aujourd'hui, si D. de Villepin ne change pas son comportement, ne fait pas amende honorable, c'est vrai que le président de la République sera lui aussi interpellé.
Q- Est-ce que vous profitez des Questions d'actualité à l'Assemblée nationale, le mardi, le mercredi pour renforcer votre stature présidentielle ?
R- Ecoutez, je fais mon devoir, mon travail de premier secrétaire du Parti socialiste, premier responsable de l'opposition, interpellant le Gouvernement, lui demandant de répondre sur les questions d'EADS, parce que c'est grave, c'est quand même le fleuron de l'aéronautique française et européenne. Posant des questions sur la fusion GDF/Suez. Je ne le ferais pas, mais que dirait-on sur l'opposition ? Donc je fais mon devoir et moi je ne suis pas dans l'obsession présidentielle, je suis là dans l'interpellation parlementaire, chaque chose en son temps. Je présente avec mes amis socialistes un projet pour l'avenir et nous choisirons le candidat ou la candidate le moment venu. Et je ne suis pas dans la confusion des genres, ni des moments.
Q- Vous venez de parler d'EADS, est-ce que N. Forgeard, coprésident d'EADS doit démissionner ?
R- Oui, non pas démissionner lui-même s'il ne le veut pas, mais être démissionné par le Gouvernement et le Premier ministre. Quand un chef d'entreprise, une entreprise dans laquelle l'Etat détient 15 % du capital, est le premier actionnaire se comporte comme il s'est comporté, permettant une plus-value pour lui et sa famille de 2.500.000 euros, quand l'entreprise elle-même connaît des difficultés, il y a des principes moraux. Eh bien justement, ce qui fait défaut aujourd'hui à la vie politique telle qu'elle est, animée par l'actuelle majorité, c'est le défaut de morale.
Q- Donc vous demandez deux démissions ce matin, celle de D. de Villepin et celle de N. Forgeard ?
R- Je demande à D. de Villepin d'abord de s'excuser, ensuite de démissionner. M. Forgeard s'il ne le fait pas, eh bien il encourra à un moment un principe de responsabilité. Et si ce principe ne peut pas jouer d'ici 2007, il jouera en 2007, ce sont les électeurs qui auront finalement le dernier mot, c'est ça la démocratie.
Q- C'est un bon rôle, être victime en politique ?
R- Je ne suis pas sûr que le mot victime soit forcément toujours un compliment, mais quand ceux qui ont commis l'insulte prennent ainsi la légèreté dans le débat politique, je préfère être dans le statut de victime que dans celui de l'insultant.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 22 juin 2006