Entretien de Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense, à RMC le 21 juillet 2006, sur la situation au Liban.

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Texte intégral


G. Cahour - Nous avons reçu beaucoup de ministres cette semaine... L'actualité exige beaucoup d'explications. Vous allez nous expliquer aujourd'hui votre vision et aussi l'implication de la France dans le conflit entre Israël et le Liban. Aujourd'hui, au bout de neuf jours de combat, quelle est la position officielle de la France ?
R - La position officielle de la France c'est qu'il est indispensable que les combats cessent le plus vite possible, notamment parce qu'il y a de très nombreuses populations civiles qui aujourd'hui sont victimes et de toute façon souffrent de cette situation. Les frappes qui sont faites, à la fois, blessent ou tuent un certain nombre de personnes mais également, elles détruisent des infrastructures, elles détruisent ce qui permet à des gens de vivre. C'est le premier point, nous pensons aux civils et notamment aux civils libanais. Mais bien entendu, pas seulement aux civils libanais parce qu'il y a des victimes civiles aussi en Israël et aussi en Palestine. Deuxièmement, ce que nous disons aussi et ce que je dis, c'est que nous sommes, là, dans un des endroits les plus sensibles de la planète. Nous savons très bien qu'un conflit ou une crise locale peut aussi dégénérer. C'est la raison aussi pour laquelle il est indispensable que tout ceci s'arrête et le plus vite possible. La France a toujours suivi avec beaucoup d'attention ce qui se passait dans cette région, elle est au coeur de toutes les tentatives qu'il y a eu et de toutes les démarches qu'il y a eu pour essayer d'apporter la stabilité et la paix dans cette région. Aujourd'hui encore, nous continuons, dans un cadre européen et plus largement dans un cadre international, à essayer de faire engager, à essayer plus exactement, de dialoguer avec chacun pour faire progresser cette situation.
Q - Vous êtes en contact avec qui actuellement pour essayer de résoudre la crise, pour essayer d'obtenir ce fameux cessez-le feu ?
R - Nous essayons d'être en contact avec tous ceux qui peuvent intervenir soit directement pour faire arrêter le conflit, soit...
Q - On va essayer de les citer : Israël... ?
R - Oui, je ne vais pas, si vous voulez, vous dire précisément avec qui pour une raison très simple : c'est qu'un certain nombre de ces contacts, pour être efficaces, doivent demeurer des contacts discrets...
Q - Est-ce que vous avez un contact avec le Hezbollah ?
R - Ce que je peux vous dire en la matière c'est que nous essayons d'agir à la fois directement et indirectement parce que dans un certain nombre de cas lorsque vous ne pouvez pas avoir soit réellement un contact direct, soit avoir une influence directe, ce qui est important c'est de pouvoir agir par ceux qui ont une influence sur les différentes parties prenantes. C'est cela, je dirais depuis longtemps, le plus, l'avantage de la position de la France et également la crédibilité du Président de la République auprès d'un certain nombre de pays parce qu'il faut arriver à faire pression sur les protagonistes de la crise de façon à arriver effectivement à progresser.
Q - Mais alors pourquoi l'appel au cessez-le feu n'a toujours pas été entendu ? L'appel au cessez-le feu de J.Chirac et maintenant de K. Annan ? Cela ne marche pas cet appel.
R - Vous le savez, aujourd'hui de toute évidence, il y a de la part des Israéliens - et ils le disent d'ailleurs - le souhait de neutraliser le Hezbollah et c'est la raison pour laquelle il y a une forte réticence et il est vrai que les Etats-Unis aujourd'hui ne veulent pas arriver immédiatement à cette situation, c'est ce qui bloque d'ailleurs aujourd'hui le fonctionnement du Conseil de sécurité de l'ONU.
Q - En clair, les Etats-Unis veulent laisser Israël faire le boulot ?
R - Il y a sans doute un peu de cela dans l'analyse que l'on peut faire de leur position.
Q - Vous avez une question à poser aux auditeurs de RMC ?
R - Oui, moi dans cette période à la fois du 14 juillet mais également dans une période où les militaires français sont très largement engagés sur l'ensemble de la planète, qu'il s'agisse des situations de crise comme en Afghanistan, dans les Balkans au Kosovo, en Côte-d'ivoire, qu'il s'agisse également d'opérations telles que celle du Liban où nous avons 1.500 militaires qui aident à l'évacuation à la fois des Français mais également des Européens qui sont là bas. Je voudrais savoir quelle est l'image que les Français ont de nos militaires.
Q - Quelle est image que vous avez de nos militaires français ? Vous répondez à M. Alliot-Marie, vous posez également vos questions... Pour essayer d'éclaircir un peu les choses sur un certain nombre de zones d'ombre qui se sont installées depuis le début de ce conflit, Israël explique qu'il y a beaucoup de victimes civiles parce que le Hezbollah s'est complètement mêlé à la population. Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Je crois que c'est à la fois vrai et faux, c'est-à-dire qu'il y a certainement des implantations voire des bunkers qui se trouvent au milieu des villes. Mais d'un autre côté, ce qu'il faut bien voir aussi, c'est qu'il y a une certaine répartition géographique. Le Hezbollah est davantage dans le sud du pays mais il est vrai qu'il remonte jusque vers les faubourgs sud de Beyrouth.
Q - Qui sont d'ailleurs, on le voyait avec notre correspondant, rasés en ce moment par les bombardements israéliens.
R - Voilà. Et ce qu'il faut voir également, c'est que comme aujourd'hui à la fois à cause des bombardements et malgré les bombardements, les populations bougent beaucoup, il est évident, il est probable que des combattants, notamment du Hezbollah, sont en train de bouger aussi dans tout ça. Ceux qui sont encore une fois les premières victimes, et ça il faut bien le souligner, ce sont les populations civiles puisque du fait de ces migrations, les frappes israéliennes sont faites semble-t-il pour isoler les différentes zones et donc pour couper des axes de circulation en même temps q'un certain nombre d'infrastructures...
Q - Pour tronçonner le Liban ?
R - A la fois pour tronçonner le Liban et pour empêcher un certain nombre de sorties du Liban. C'est la raison pour laquelle à la fois les pistes de l'aéroport de Beyrouth ont été bombardées très tôt, ce qui fait qu'il n'y a plus d'avions civils qui soient capables de se poser et il n'y a guère que des avions militaires qui soient capables...
Q - Est-ce qu'il y avait vraiment des armements qui venaient de la Syrie ou de l'Iran par l'intermédiaire des ports et de l'aéroport ?
R - A savoir quels sont les flux, c'est autre chose. Il est évident que, là, il s'agit plutôt d'empêcher des personnes de sortir. Cela a d'ailleurs été l'une des premières demandes qui a été faite par Israël, au moment où nous avons organisé les départs de nos ressortissants et des ressortissants étrangers, c'était d'avoir une vérification qu'il s'agissait effectivement de nos ressortissants et non pas de membres du Hezbollah.
Q - Vous êtes ministre de la Défense : si la France avait été agressée comme Israël a été agressé avec l'enlèvement de ses militaires, auriez-vous utilisé la même stratégie militaire qu'Israël aujourd'hui ?
R - Il est évident que les frappes - enfin l'ensemble de l'opération qui se passe aujourd'hui - apparaît une réponse une peu disproportionnée par rapport au problème qui s'est posé. Il est évident que nous avons condamné les enlèvements, nous avons d'ailleurs agi pour essayer de faire en sorte et de protéger la vie, notamment de notre ressortissant, puisqu'il s'agissait d'un soldat franco-israélien qui, le premier, a été enlevé. Mais entre cela et voir le pilonnage du Liban, aujourd'hui, et surtout les actions qui sont menées, qui touchent les populations civiles. Quand on détruit des usines de fabrication de lait pour les jeunes enfants, on ne voit pas très bien ce que cela a à voir avec la crise actuelle et la volonté de faire libérer des militaires qui ont été kidnappés.
Q - Imaginons que l'objectif est effectivement d'éradiquer le Hezbollah, quelle autre stratégie utiliser, dans ce cas là ?
R - Je crois que ce qui serait important, c'est de soutenir et d'aider l'armée libanaise à faire ce qui a été effectivement demandé. Or aujourd'hui, ce que nous constatons aussi, c'est qu'il y a eu des bombardements qui ont été faits sur des casernes de l'armée libanaise, qu'il s'agisse d'une armée dont l'activité principale est celle du génie, qu'un autre groupe a été fait. Donc, on a l'impression que l'on demande à la fois à l'armée libanaise de désarmer le Hezbollah, et d'un autre côté, on lui porte atteinte donc on la prive de toute activité. Ce qu'il faut, c'est effectivement donner au Liban tous les éléments de sa souveraineté et tous les éléments de sa capacité d'exécuter, notamment les résolutions de l'ONU, et pour cela, plutôt en confortant son armée qu'en l'attaquant.
Q - Mais le Liban veut-il vraiment se débarrasser des milices du Hezbollah, étant donné que deux membres de son gouvernement appartiennent au Hezbollah ?
R - Il y a d'une part le Hezbollah, il y a d'autre part les milices de Hezbollah, c'est quelque chose de différent. Encore une fois, il y a une résolution de l'ONU sur le désarmement des milices. Un Etat ne peut fonctionner réellement comme un Etat en ayant des milices en son sein. Il y a une armée libanaise qui est la seule qui peut être investie de la légitimité et de l'autorité pour pouvoir défendre le pays et pour pouvoir instaurer un fonctionnement normal des institutions.
Q - Mais lorsque vous discutez avec les chefs du Gouvernement libanais, que vous disent-ils ? "On veut désarmer ces milices !" ; est-ce leur volonté ?
R - Je crois que c'est effectivement la volonté, qui s'est probablement, heurtée, jusqu'à aujourd'hui, à une relative faiblesse de l'armée libanaise. Il faut bien voir que ce pays a subi, depuis maintenant trente ans, des attaques successives, une grande désorganisation. C'est un pays qui a besoin d'être...
Q - Mais pourtant, il y a une force internationale pour les aider, dans le Sud du pays.
R - C'est le rôle de la Finul, c'est-à-dire de la force de l'ONU. C'est un rôle qui est extrêmement circonscrit, elle ne peut pas tout faire. Et d'ailleurs, c'est l'une des questions qui se posent aujourd'hui. Il est évident que pour permettre au Liban de vivre, de retrouver une situation de stabilité, il faut certainement le déploiement d'une force internationale. Mais la question que nous devons nous poser, c'est quelle force internationale ? Est-ce que c'est aussi une force de l'ONU, comme la Finul, mais la Finul a montré qu'elle était complètement dépassée face à une situation comme celle-ci. Donc, si cela doit être une force de ce type, il est évident qu'elle doit être à la fois beaucoup nombreuse mais avoir également un mandat beaucoup plus robuste, qui lui permette réellement d'agir, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. Ou alors il faut une autre force. Pour l'instant, ceci n'est pas encore décidé, il faudra sans doute le faire assez rapidement.Source : Premier ministre, Service d'information du Gouvernement, le 21 juillet 2006