Texte intégral
Q - La tension reste très vive sur le terrain. Qu'est-ce que peut faire la diplomatie internationale, et la diplomatie française ?
R - Il y a une situation qui non seulement est très préoccupante mais qui s'aggrave. C'est dire que nous souhaitons maintenant que la communauté internationale prenne ses responsabilités, c'est-à-dire agisse en faveur d'une solution, qui passe par une trêve, une cessation des hostilités qui doit être immédiate, et puis la recherche d'une solution plus durable, un cessez-le-feu durable. Ceci suppose un certain nombre de gestes, vous le savez bien. Nous avons fait des propositions au Conseil de sécurité des Nations unies, et à nos partenaires. L'Union européenne est également active, et nous déployons tous nos efforts diplomatiques, ici dans la région et ailleurs, pour faire que nous puissions maintenant avancer dans la recherche d'une solution. Chaque jour compte et je crois que chaque jour qui passe est un jour perdu qui nous rapproche du moment où la situation risque de devenir ingérable. Il y a véritablement un engrenage qui est en marche, qu'il faut arrêter très, très rapidement.
Q - Est-ce que la France parle à toutes les parties, y compris le Hezbollah ? Est-ce qu'il y a des messages qui sont aussi passés ?
R - Vous savez bien que les chefs du Hezbollah sont actuellement inaccessibles, mais nous avons, bien sûr, des moyens de faire passer un certain nombre de messages, peut-être pas au plus haut niveau. Nous le faisons aussi de façon indirecte parce que nous avons des raisons de penser, et même de croire, que certains pays ne sont pas sans influence sur le Hezbollah. Nous leur avons donc dit et nous leur dirons très clairement qu'il faut qu'ils usent de leur influence pour que les choses reviennent au calme. Chacun a une responsabilité dans cette crise, chacun doit maintenant prendre conscience qu'il ne faut pas aller trop loin.
Q - Vous parlez de responsabilité. Les Américains aussi ont une responsabilité. Condoleeza Rice vient la semaine prochaine. Est-ce que là, la clef n'est pas aussi à Washington ?
R - La clef réside dans une décision du Conseil de sécurité, ce qui veut dire avec l'assentiment de l'ensemble des membres du Conseil, notamment les membres permanents. Alors aujourd'hui nous avons, du côté des Etats-Unis, un partenaire qui n'est peut-être pas aussi convaincu que nous de l'urgence à vouloir une cessation des hostilités et les éléments d'une solution. Cela fait partie du travail de conviction que nous faisons, directement et par le canal de partenaires également, que de pouvoir faire avancer la communauté internationale d'un même pas. Une semaine, c'est une semaine de trop, ce sont des morts de trop, des destructions et des risques d'embrasement de la région que nous ne voulons pas.
Q - Donc si je vous suis, il y a vraiment une course contre la montre ?
R - Il y a, en tous cas, une situation qui s'aggrave, et donc une nécessité impérative de tout faire maintenant pour que les choses s'arrêtent. Il sera ensuite temps de bâtir les éléments d'une solution durable, de faire venir dans la région, et très précisément dans le Sud du Liban, une force internationale lorsque le Conseil de sécurité aura pu en décider. Mais d'abord, commençons par le commencement, la cessation des hostilités.
Q - Pour le moment, Israël ne cesse pas le feu, le Hezbollah ne cesse pas le feu, donc jusqu'où cela peut-il aller ?
R - Le risque d'engrenage est réel. Il faut bien se rendre compte que le moment où les choses ne seront plus contrôlables peut venir assez vite.
Q - Ça veut dire quoi concrètement ?
R - De notre point de vue, le risque d'embrasement de la région existe. Non seulement nous ne voulons pas voir davantage de destructions, davantage de pertes en vies humaines, d'un côté comme de l'autre de la frontière puisque les Israéliens aussi sont frappés, mais il peut y avoir, à tout moment, un incident, une bavure, un mouvement souhaité ou non souhaité qui se produit et qui change la donne dans la région. Et cela, ce risque de chaos, de déstabilisation, nous ne pouvons pas le courir. Nos intérêts sont également en jeu. Cela a été dit clairement au G8, et c'est la raison pour laquelle toute la communauté internationale est vraiment concernée. Pas seulement les parties, pas seulement ceux qui, en ce moment, subissent le feu ou le pratiquent, mais l'ensemble de la communauté internationale : elle est véritablement concernée.
Q - Dernière petite question. Sur la politique arabe de la France, du président Chirac, on a eu l'impression, ces dernières années, qu'il y a eu des inflexions, notamment après les guerres d'Irak, où on a rééquilibré au profit d'Israël, Sharon, Olmert, on colle plus aux Américains sur l'Irak, la Syrie. Est-ce que c'est une réalité ou quels sont les tenants de la politique française au Proche-Orient actuellement ?
R - La politique française au Proche-Orient a toujours été une politique équilibrée. Le président parle plus volontiers de politique arabe et méditerranéenne lorsqu'il vient à utiliser une expression pour caractériser sa politique. Nous parlons à toutes les parties, aux uns et aux autres. Nous sommes les amis de tous, et surtout nous disons la même chose à chaque partie. Le seul objectif de la France dans la région est de trouver le chemin de la paix. Cela passe par un certain nombre de choses qui ont été définies, que l'on connaît, par un dialogue politique et non pas par une solution de force. Ce raisonnement est d'ailleurs valable non seulement pour la grave crise que connaît le Liban aujourd'hui mais aussi pour ce qu'il se passe dans les territoires palestiniens.
Q - Il y a quand même une brouille avec la Syrie ?
R - Il y a eu une déception, certainement, de la part de nombre de pays européens, dont la France, et d'autres pays non européens. Il y avait la perspective d'un changement d'orientation, avec l'arrivée de Bachar El-Assad que l'on supposait peut-être plus ouvert sur le monde, et mieux à même de comprendre les ressorts du monde aujourd'hui. Malheureusement, ça n'a pas été le cas, et, au contraire, la Syrie tend à s'enfermer dans une logique qui est plutôt une logique du passé qu'une logique de l'avenir, y compris pour le pays, y compris pour la Syrie elle-même.
Q - Mais ça c'est un peu un échec du président, qui avait quand même parié sur Bachar El-Assad, c'est quand même une déception ?
R - J'ai employé le mot, c'est une déception. Pas seulement pour la France mais sans doute pour toute la région puisque l'on voit les conséquences, malheureusement pour la région, de la difficulté qu'a la Syrie à évoluer vers le monde moderne, à prendre en compte les réalités du monde d'aujourd'hui, et puis parfois à jouer peut-être un rôle plus négatif qu'il ne le faudrait.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 juillet 2006