Texte intégral
Q - Vous êtes une ambassadrice infatigable de nos entreprises, et vous parcourez le globe pour faire qu'on s'intéresse aux entreprises françaises. Alors, vous êtes, à titre observatrice privilégiée de l'image de la France à l'étranger. Comment est perçue la politique de la France vis-à-vis de ses champions et vis-à-vis des dossiers Suez-GDF, Arcelor, etc. ?
R - Vous savez, j'essaie, vous avez raison, d'être à la fois l'ambassadeur des entreprises, et puis l'ambassadeur de la France, aussi, parce que je suis également en charge de l'attractivité du territoire France qui est un produit extraordinaire à vendre et parfois un peu ambigu à communiquer. Et je crois que c'est sur ce terrain-là que je déploie mes efforts et que tous, nous pouvons les déployer parce que, bien souvent, nous produisons à l'étranger, une image un peu brouillée.
J'étais hier au Danemark, par exemple, un petit pays, mais qui ne nous comprend pas très bien ; j'étais précédemment en Turquie, un beaucoup plus grand pays qui a du mal, aussi, à nous appréhender, sans vous parler des Etats-Unis où parfois l'image est excessivement brouillée. Donc, ce que je m'emploie à faire, c'est toujours à rappeler les fondamentaux de l'économie française, puisque ce qui m'intéresse, moi, au titre des fonctions que j'exerce actuellement, c'est d'aider les entreprises françaises qui exportent et d'attirer les entreprises étrangères qui investissent. Donc, les fondamentaux, cela veut dire quoi ? Cela veut dire rappeler à chacun la place de la France dans le monde comme un acteur économique, le 6ème aujourd'hui - on est au coude à coude avec la Chine et l'Angleterre, mais même en prenant une vue très pessimiste, on est 6ème -, on est 5ème exportateur de produits, 4ème exportateur de services, on est le 3ème pays d'accueil des investissements directs étrangers si on prend une moyenne sur les trois dernières années - on est 4ème en 2005 mais en gros on est 3ème si on tempère un petit peu les excès de certaines moyennes. Donc, on a des fondamentaux qui sont extrêmement convaincants.
Q - Vous évoquiez la liste des pays que vous avez visités récemment, l'Inde aussi, le ministre indien des Finances, s'est plaint du protectionnisme de la France, à propos du dossier Arcelor...
R - Ecoutez, je connais bien Kemal Nash, mon homologue qui, dans un premier temps, avait réagi assez violemment aux prises de position du début de ce dossier, où chacun avait un peut réagi avec ses émotions, avec ses tripes...
Q - Ses tripes ...
R - Oui, oui ! Mais c'est vrai, et c'est parfois bien normal qu'on mette un peu de notre fierté nationale dans nos entreprises, comme certains le font dans des équipes de football, par exemple ! Je crois que, à l'examen des choses et l'économie étant ce qu'elle est, la politique étant ce qu'elle est, quelqu'un comme Kamal Nath qui est ministre du Commerce de l'Inde a très bien compris que notre réaction n'était pas dictée par un quelconque protectionnisme qui aurait visé à discriminer contre un Indien parce qu'il est indien !
Q - Il faut l'espérer, en tout cas...
R - Non mais cela, il n'y a aucun doute et aucune question là-dessus.
Q - Il y a eu l'affaire Vinci, l'affaire des stock-options de Noël Forgeard. Aux Etats-Unis, Noël Forgeard, vous qui y avez vécu longtemps, il aurait dû déjà démissionner ?
R - Vous savez, cela dépend des cultures d'entreprises, cela dépend des compositions de conseil d'administration, et puis cela dépend de la culture d'un pays, aussi. Les structures de l'actionnariat de la société EADS sont très complexes. Y figure évidemment l'Etat français. C'est un groupe européen qui est un grand champion de l'exportation - c'est à ce titre-là que je suis soucieuse de la préservation de l'image d'EADS, comme un grand constructeur de produits de très haute technologie. Si on a un très beau chiffre d'exportation, c'est notamment parce qu'on vend beaucoup d'Airbus à travers le monde ! Toute la gamme des Airbus ! Et à ce titre-là, qu'on soit en retard sur certains lancements de produits comme le A380, c'est une chose, que les querelles internes ou les dissensions, au sein du conseil d'administration et à l'égard de tel ou tel dirigeant, viennent ternir l'image d'EADS, cela me se soucie véritablement pas pour le commerce extérieur.
Q - Parmi les entreprises que vous avez récompensées ce matin, puisqu'il y avait ce trophée "Cap export", finalement, ce sont des secteurs assez traditionnels, le textile, l'agroalimentaire, l'équipement industriel qui exportent beaucoup à l'étranger, vers la Russie, la Chine, l'Inde, notamment. Vous évoquez la réorientation de notre commerce extérieur. Pourtant, c'est quand même l'Union européenne qui reste notre partenaire principal...
R - Oui, c'est traditionnellement notre partenaire principal puisqu'on exporte à peu près 66 % vers l'Union européenne, et 34 % vers les autres pays du monde, grosso modo... Je ne sais pas si vos chiffres sont exactement...
Q - Oui, on voit en milliards d'euros, ici, les exportations, donc 215 milliards, effectivement, on voit que c'est notre principal partenaire.
R - C'est un bon deux tiers et on retrouve cette structure-là dans la plupart des pays de l'Union européenne ; ce qui prouve, au passage, la force de l'Union, le fait que nous puissions exporter et que les barrières soient éliminées, qu'elles soient tarifaires évidemment ou non tarifaires. Mais ce qui me réconforte beaucoup, dans l'espèce d'impulsion que nous avons souhaité donner grâce à "Cap Export", c'est la réorientation vers les pays à forte croissance. On avait déterminé, avec les entreprises, les petites et moyennes comme les grandes, que les grands pays de destination devaient être la Russie, l'Inde, la Chine, dans les pays émergents, et puis les Etats-Unis et le Japon parce qu'on a des parts de marché à y gagner...
Q - Il faut les pousser, ces PME !
R - Il faut les pousser...
Q- ... Elles ne sont pas très fortes à l'exportation...
R - Elles sont surtout...
Q - ... Notamment en Chine, en Inde...
R - Alors non, celles qui sont à l'exportation, elles sont pleines de pugnacité et pleines d'énergie. En revanche, elles sont trop peu nombreuses. On a, à peu près, 5 % de nos PME qui, aujourd'hui, exportent hors de France et c'est trop peu ! Donc, ces trophées de l'export, c'était vraiment destiné à récompenser, à reconnaître le succès, et j'ai eu des témoignages d'extrême émotion de la part de chefs d'entreprise, de PME, moins de 250 salariés, qui avaient souvent des entreprises familiales et qui, avec beaucoup d'émotion et en tremblant, venaient dire : "Merci de me reconnaître, cela fait 35 ans que je fais ce métier, c'est la première fois qu'on me dit que je fais bien d'exporter", et cela, je crois qu'on a besoin de le faire parce que cela fait du bien pour l'ego d'abord, et puis parce que c'est un signe d'encouragement pour toutes les autres qui peuvent et qui doivent le faire.
Q - Dernière question, Christine Lagarde, en 2006, il va falloir probablement s'attendre à un déficit commercial assez considérable à cause de la flambée du baril de brut, on n'est pas gâté non plus à cause de l'euro, qui est un frein pour nos sociétés exportatrices...
R - Alors, c'est très avantageux d'avoir un euro fort quand on achète du pétrole qui est libellé en dollars. C'est vrai également que, quand on un euro qui monte vite et fort contre un dollar un peu mou, et qu'on est en concurrence avec des produits qui, soit sont cotés en dollars, soit sont commercialisés en dollars par des concurrents, cela nous met plus en difficulté. Mais cela ne peut pas être toujours tout rose ! Donc, il faut aussi accepter un certain nombre d'inconvénients, lutter contre ces effets-là, d'abord par des instruments financiers - il y a des instruments de "edging" qui permettent de se protéger contre le risque de change, il y a des assurances COFACE qui sont disponibles...
Q - Quand même trois milliards d'euros, on essaiera de ne pas faire aussi...
R - Oh ! Ecoutez, moi je sais qu'on fera un très beau chiffre d'exportation cette année, j'en prends le pari avec vous aujourd'hui, parce qu'on est vraiment sur un taux d'augmentation d'environ 9 % avec une très forte augmentation sur les pays à forte croissance, mais on aura un gros déficit parce que le pétrole va venir plomber la balance du commerce extérieur, c'est évident !
Q - Il y a une question. C'est intéressant parce qu'elle pourrait s'adresser aussi bien au président de la République (quand on disait qu'il allait vendre des Airbus en Chine) qu'à vous en tant que ministre du Commerce extérieur. La question est la suivante : est-ce aux politiques de jouer le rôle de VRP à l'étranger ?
R - Je vous répondrai un peu comme une Normande : peut-être bien que oui, peut-être bien que non, et surtout en fonction des territoires. C'est-à-dire qu'il y a certains pays dans lesquels il est indispensable que les politiques, que les pouvoirs publics, soient en accompagnement des entreprises...
Q - Vous m'en citez pour qu'on puisse...
R - Je vais vous citer la Chine de manière tout à fait évidente, un certain nombre de pays du Moyen-Orient, c'est absolument certain.
Q - Donc là, c'est la caution de l'Etat, enfin c'est...
R - Il y a toute une série de décisions. Je prends l'exemple de la Chine qui ne nous est pas inconnue. En Chine, il y a de très nombreux marchés qui se dénouent, dont les négociations aboutissent, dès lors que les pouvoirs publics chinois en acceptent le principe et avalisent le résultat des négociations. Il est indispensable que les pouvoirs publics français soient eux aussi impliqués. Et c'est vrai dans de nombreux pays.
Q - Est-ce qu'il y a des endroits où ça pose problème, où à la limite il vaudrait mieux se cacher ou ne pas se montrer ?
R - Personnellement, j'ai dû faire au moins 6 fois le tour du monde depuis un an, accompagnant des entreprises françaises, introduisant des entreprises françaises ; je n'ai jamais été mal reçue et jamais je n'ai eu le sentiment d'apporter une moins value aux entreprises que j'accompagnais.
Q - Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, ma question c'est est-ce qu'éventuellement, vous avez des conseillers techniques ou des collaborateurs qui vous ont dit "écoutez Madame le ministre, là ce n'est peut-être pas vraiment le moment d'y aller, on verra plus tard"?
R - Jamais, non.
Q - Je reviens à nos affaires turques, que leur avez-vous dit ?
R - J'avais la chance en Turquie d'être accompagnée par 50 entreprises françaises, qui allaient des grands groupes habituels : Areva, Alstom, Alcatel, Thales etc..., et toute une série de petites et moyennes entreprises qui étaient soit déjà implantées en Turquie soit qui avaient le projet de faire une implantation en Turquie. Et nous avons été extrêmement bien reçus, parce que les Turcs y voient - et mon homologue Tuzmen était parfaitement clair là-dessus -, une façon sur le plan économique de tisser des liens, dont ils considèrent que c'est le réseau inéluctable, inévitable et nécessaire de l'inclusion de la Turquie dans l'Europe.
Q - Est-ce que vous pouvez d'une façon ou d'une autre être confrontée à des prises de parole explicites ou allusives, sur le registre de : "est-ce que vous allez soutenir notre entrée dans l'Europe ou les marchés vous seront fermés "?
R - Cette question m'a été posée. Je n'élude pas le débat et nous avons eu avec la Chambre de Commerce et d'Industrie française en Turquie un débat tout à fait clair et limpide là-dessus. La Turquie est entrée dans un processus de négociations, pour son entrée dans l'Union européenne depuis le mois d'octobre 2005. C'est un processus qui va durer longtemps parce qu'il y a toute une série de mises à niveau qui sont nécessaires. Il y a déjà des efforts qui ont été engagés, la peine de mort a été supprimée, un certain nombre de libertés publiques sont maintenant bien plus respectées. Sur le plan économique, d'énormes progrès ont été faits, c'est un pays qui s'avance dans un chemin de démocratie et d'économie tout à fait libre dans son fonctionnement, il y a encore beaucoup à faire. Quand vous regardez le PNB par habitant...
Q - Est-ce qu'ils vous ont dit : "on nous prend comme ça ou on ne nous prend pas"?
R - Mais non, mais non... Mais ils le savent très bien d'ailleurs qu'il y a énormément de travail à faire, d'amélioration. Et si vous regardez le sort des 10 nouveaux entrants qui ont rejoint l'Union européenne, ils ont fait le même chemin. Et souvent, ils ont utilisé le prétexte de l'intégration dans l'Union européenne pour faire un certain nombre de modifications et de réformes internes qui, de toute façon étaient nécessaires.
Q - Comment vu d'Europe d'une certaine façon, on perçoit l'image de la France et l'image des entreprises françaises, et est-ce que c'est la même chose ? Sur ce rapport historique qu'on rappelait de la France avec ses politiques d'Etat, là aussi comment on est perçu ?
(...)
R - Ca me fait un peu rire de recevoir des leçons d'européanisme de la part des Anglais, et ça ne met pas du tout en cause l'excellent journaliste qui parlait tout à l'heure, mais c'est historiquement c'est un peu surprenant. Je peux dire trois chiffres ?
Q - Allez-y.
R - 6, 5, 4, 3, c'est quatre même, simplement parce que parfois j'explose, et j'ai besoin de me raccrocher à ces chiffres-là...
Q - 6, 5, 4, 3 ?
R - 6, 5, 4, 3. Alors 6, c'est la place de la France dans l'économie mondiale, 6ème joueur dans le monde ; 5 c'est le cinquième exportateur mondial ; 4 c'est le quatrième exportateur mondial de services, et 3 c'est en moyenne le rang de la France pour attirer des capitaux étrangers, c'est-à-dire les investissements directs étrangers ; cette année, c'est 4 mais en moyenne sur les 5 dernières années, on est le 3ème pays d'accueil des investissements étrangers. Alors quand on me dit que la France a mauvaise réputation, qu'elle est sur le déclin, qu'on ne l'aime pas, etc. ça me fait doucement rire, c'est pour ça que je vous dis 6, 5, 4, 3, voilà.
Q - Ségolène Royal aurait dit que la France était inaudible à l'étranger après 11 ans de "chiraquisme", qu'en pensez-vous ? Pour l'étranger, vous y passez votre vie ?
R - J'y passe ma vie et je peux m'inscrire en faux contre ces propos parce que la France n'est pas inaudible à l'étranger, c'est radicalement faux. Il suffit d'ailleurs pour s'en rendre compte de voir l'accueil réservé au président Chirac quand il se déplace, de voir l'accueil qui est réservé aux délégations françaises quand elles sont à l'étranger. Et je crois que...
Q - Ils sont peut-être juste bien élevés ?
R - Non, je crois que dans de très nombreux pays, la qualité de la relation politique entre les gouvernements en question, le gouvernement français et les gouvernements tiers, est bien supérieur à la richesse de la relation économique. J'entends très régulièrement : "pourquoi est-ce que les échanges économiques ne sont-ils pas au niveau de la qualité de la relation politique"? Je crois que la position qu'a prise la France, en ce qui concerne la guerre en Irak en particulier qui s'est levée contre la décision américaine, a considérablement renforcé l'aura de la France, et je le dis sans arrogance et sans fierté mal placée, pour simplement exprimer une voix différente qui n'était pas nécessairement la même que tous les autres.
Q - Comment évoluent nos relations économiques avec les Etats Unis ?
R - Elles évoluent bien, notre taux de croissance des exportations sur les quatre derniers mois est d'à peu près 10 % en moyenne ; aux Etats Unis il est de 21 %. Donc, on est en phase de récupération des pertes de parts de marché...
Q - C'est de la récupération...
R - Oui, mais c'est très important...
Q - Doit-on établir un quota de ventes d'entreprises françaises aux étrangers ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Non, ce qu'on a fait c'est qu'on a identifié onze secteurs d'activité qui sont essentiellement dans la défense et dans la sécurité du territoire. Tous secteurs dans lesquels un investissement étranger est soumis à autorisation. Mais des quotas qui seraient vendables et d'autres pas vendables, non, les quotas on essaie d'en faire un peu moins.
Q - J'entends bien. Je crois que l'idée qu'il y avait derrière ça, c'est en gros : si on voit partir des tas de pans de notre économie, qu'est-ce qui va nous rester ?
R - Ce qu'il faut savoir, c'est qu'aujourd'hui 45 % du CAC 40 est détenu par des capitaux étrangers, les entreprises françaises s'en portent très bien. Elles sont très internationales, très mondialisées et elles vendent des produits qu'elles fabriquent pour partie ici, pour partie ailleurs, et ce n'est pas toujours dans des stratégies de délocalisation mais bien de prise de marchés à l'étranger. Moi je trouve que c'est excellent.
La France est un pays qui fournit des services, c'est un pays qui est la première destination mondiale en terme de tourisme, et où le PIB par habitant, c'est-à-dire la production du pays par habitant est une des plus élevées. Vous parliez de la Chine tout à l'heure. Le PIB par habitant en Chine, c'est quoi ? C'est 1.800 dollars ; en France c'est à peu près 30.000 dollars. Donc, il faut quand même appeler un chat un chat.
Q - Quelle est la stratégie industrielle de la France dans le monde ? Est-ce qu'il y a une stratégie industrielle dans notre pays ? Est-ce que vous la percevez en tant que tel ?
R - Ecoutez, il y a de toute évidence une stratégie industrielle. Si vous comparez par exemple l'économie britannique à l'économie française, les Britanniques ont renoncé bon an mal an à une stratégie industrielle, et ont préféré privilégier les services, notamment les services financiers. En France, on a très clairement une industrie encore extrêmement prospère et active. Dans le domaine de l'énergie, du nucléaire, la France est champion du monde. Si vous regardez l'industrie automobile, l'industrie aéronautique, ce sont des secteurs qui sont encore extrêmement vibrants et actifs. Je pense que personne n'a l'intention de renoncer, en particulier avec les initiatives sur la recherche : l'Agence pour l'innovation industrielle ; l'Agence nationale pour la recherche ; les pôles de compétitivité qu'on a développés au cours des dernières années sur des spécificités des technologies ; dans le domaine électronique également ; la technologie appliquée à des domaines plus traditionnels comme l'agriculture aussi. Très clairement, on veut maintenir une industrie en France./.
(Source : site Internet du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ministère délégué au Commerce extérieur)
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2006
R - Vous savez, j'essaie, vous avez raison, d'être à la fois l'ambassadeur des entreprises, et puis l'ambassadeur de la France, aussi, parce que je suis également en charge de l'attractivité du territoire France qui est un produit extraordinaire à vendre et parfois un peu ambigu à communiquer. Et je crois que c'est sur ce terrain-là que je déploie mes efforts et que tous, nous pouvons les déployer parce que, bien souvent, nous produisons à l'étranger, une image un peu brouillée.
J'étais hier au Danemark, par exemple, un petit pays, mais qui ne nous comprend pas très bien ; j'étais précédemment en Turquie, un beaucoup plus grand pays qui a du mal, aussi, à nous appréhender, sans vous parler des Etats-Unis où parfois l'image est excessivement brouillée. Donc, ce que je m'emploie à faire, c'est toujours à rappeler les fondamentaux de l'économie française, puisque ce qui m'intéresse, moi, au titre des fonctions que j'exerce actuellement, c'est d'aider les entreprises françaises qui exportent et d'attirer les entreprises étrangères qui investissent. Donc, les fondamentaux, cela veut dire quoi ? Cela veut dire rappeler à chacun la place de la France dans le monde comme un acteur économique, le 6ème aujourd'hui - on est au coude à coude avec la Chine et l'Angleterre, mais même en prenant une vue très pessimiste, on est 6ème -, on est 5ème exportateur de produits, 4ème exportateur de services, on est le 3ème pays d'accueil des investissements directs étrangers si on prend une moyenne sur les trois dernières années - on est 4ème en 2005 mais en gros on est 3ème si on tempère un petit peu les excès de certaines moyennes. Donc, on a des fondamentaux qui sont extrêmement convaincants.
Q - Vous évoquiez la liste des pays que vous avez visités récemment, l'Inde aussi, le ministre indien des Finances, s'est plaint du protectionnisme de la France, à propos du dossier Arcelor...
R - Ecoutez, je connais bien Kemal Nash, mon homologue qui, dans un premier temps, avait réagi assez violemment aux prises de position du début de ce dossier, où chacun avait un peut réagi avec ses émotions, avec ses tripes...
Q - Ses tripes ...
R - Oui, oui ! Mais c'est vrai, et c'est parfois bien normal qu'on mette un peu de notre fierté nationale dans nos entreprises, comme certains le font dans des équipes de football, par exemple ! Je crois que, à l'examen des choses et l'économie étant ce qu'elle est, la politique étant ce qu'elle est, quelqu'un comme Kamal Nath qui est ministre du Commerce de l'Inde a très bien compris que notre réaction n'était pas dictée par un quelconque protectionnisme qui aurait visé à discriminer contre un Indien parce qu'il est indien !
Q - Il faut l'espérer, en tout cas...
R - Non mais cela, il n'y a aucun doute et aucune question là-dessus.
Q - Il y a eu l'affaire Vinci, l'affaire des stock-options de Noël Forgeard. Aux Etats-Unis, Noël Forgeard, vous qui y avez vécu longtemps, il aurait dû déjà démissionner ?
R - Vous savez, cela dépend des cultures d'entreprises, cela dépend des compositions de conseil d'administration, et puis cela dépend de la culture d'un pays, aussi. Les structures de l'actionnariat de la société EADS sont très complexes. Y figure évidemment l'Etat français. C'est un groupe européen qui est un grand champion de l'exportation - c'est à ce titre-là que je suis soucieuse de la préservation de l'image d'EADS, comme un grand constructeur de produits de très haute technologie. Si on a un très beau chiffre d'exportation, c'est notamment parce qu'on vend beaucoup d'Airbus à travers le monde ! Toute la gamme des Airbus ! Et à ce titre-là, qu'on soit en retard sur certains lancements de produits comme le A380, c'est une chose, que les querelles internes ou les dissensions, au sein du conseil d'administration et à l'égard de tel ou tel dirigeant, viennent ternir l'image d'EADS, cela me se soucie véritablement pas pour le commerce extérieur.
Q - Parmi les entreprises que vous avez récompensées ce matin, puisqu'il y avait ce trophée "Cap export", finalement, ce sont des secteurs assez traditionnels, le textile, l'agroalimentaire, l'équipement industriel qui exportent beaucoup à l'étranger, vers la Russie, la Chine, l'Inde, notamment. Vous évoquez la réorientation de notre commerce extérieur. Pourtant, c'est quand même l'Union européenne qui reste notre partenaire principal...
R - Oui, c'est traditionnellement notre partenaire principal puisqu'on exporte à peu près 66 % vers l'Union européenne, et 34 % vers les autres pays du monde, grosso modo... Je ne sais pas si vos chiffres sont exactement...
Q - Oui, on voit en milliards d'euros, ici, les exportations, donc 215 milliards, effectivement, on voit que c'est notre principal partenaire.
R - C'est un bon deux tiers et on retrouve cette structure-là dans la plupart des pays de l'Union européenne ; ce qui prouve, au passage, la force de l'Union, le fait que nous puissions exporter et que les barrières soient éliminées, qu'elles soient tarifaires évidemment ou non tarifaires. Mais ce qui me réconforte beaucoup, dans l'espèce d'impulsion que nous avons souhaité donner grâce à "Cap Export", c'est la réorientation vers les pays à forte croissance. On avait déterminé, avec les entreprises, les petites et moyennes comme les grandes, que les grands pays de destination devaient être la Russie, l'Inde, la Chine, dans les pays émergents, et puis les Etats-Unis et le Japon parce qu'on a des parts de marché à y gagner...
Q - Il faut les pousser, ces PME !
R - Il faut les pousser...
Q- ... Elles ne sont pas très fortes à l'exportation...
R - Elles sont surtout...
Q - ... Notamment en Chine, en Inde...
R - Alors non, celles qui sont à l'exportation, elles sont pleines de pugnacité et pleines d'énergie. En revanche, elles sont trop peu nombreuses. On a, à peu près, 5 % de nos PME qui, aujourd'hui, exportent hors de France et c'est trop peu ! Donc, ces trophées de l'export, c'était vraiment destiné à récompenser, à reconnaître le succès, et j'ai eu des témoignages d'extrême émotion de la part de chefs d'entreprise, de PME, moins de 250 salariés, qui avaient souvent des entreprises familiales et qui, avec beaucoup d'émotion et en tremblant, venaient dire : "Merci de me reconnaître, cela fait 35 ans que je fais ce métier, c'est la première fois qu'on me dit que je fais bien d'exporter", et cela, je crois qu'on a besoin de le faire parce que cela fait du bien pour l'ego d'abord, et puis parce que c'est un signe d'encouragement pour toutes les autres qui peuvent et qui doivent le faire.
Q - Dernière question, Christine Lagarde, en 2006, il va falloir probablement s'attendre à un déficit commercial assez considérable à cause de la flambée du baril de brut, on n'est pas gâté non plus à cause de l'euro, qui est un frein pour nos sociétés exportatrices...
R - Alors, c'est très avantageux d'avoir un euro fort quand on achète du pétrole qui est libellé en dollars. C'est vrai également que, quand on un euro qui monte vite et fort contre un dollar un peu mou, et qu'on est en concurrence avec des produits qui, soit sont cotés en dollars, soit sont commercialisés en dollars par des concurrents, cela nous met plus en difficulté. Mais cela ne peut pas être toujours tout rose ! Donc, il faut aussi accepter un certain nombre d'inconvénients, lutter contre ces effets-là, d'abord par des instruments financiers - il y a des instruments de "edging" qui permettent de se protéger contre le risque de change, il y a des assurances COFACE qui sont disponibles...
Q - Quand même trois milliards d'euros, on essaiera de ne pas faire aussi...
R - Oh ! Ecoutez, moi je sais qu'on fera un très beau chiffre d'exportation cette année, j'en prends le pari avec vous aujourd'hui, parce qu'on est vraiment sur un taux d'augmentation d'environ 9 % avec une très forte augmentation sur les pays à forte croissance, mais on aura un gros déficit parce que le pétrole va venir plomber la balance du commerce extérieur, c'est évident !
Q - Il y a une question. C'est intéressant parce qu'elle pourrait s'adresser aussi bien au président de la République (quand on disait qu'il allait vendre des Airbus en Chine) qu'à vous en tant que ministre du Commerce extérieur. La question est la suivante : est-ce aux politiques de jouer le rôle de VRP à l'étranger ?
R - Je vous répondrai un peu comme une Normande : peut-être bien que oui, peut-être bien que non, et surtout en fonction des territoires. C'est-à-dire qu'il y a certains pays dans lesquels il est indispensable que les politiques, que les pouvoirs publics, soient en accompagnement des entreprises...
Q - Vous m'en citez pour qu'on puisse...
R - Je vais vous citer la Chine de manière tout à fait évidente, un certain nombre de pays du Moyen-Orient, c'est absolument certain.
Q - Donc là, c'est la caution de l'Etat, enfin c'est...
R - Il y a toute une série de décisions. Je prends l'exemple de la Chine qui ne nous est pas inconnue. En Chine, il y a de très nombreux marchés qui se dénouent, dont les négociations aboutissent, dès lors que les pouvoirs publics chinois en acceptent le principe et avalisent le résultat des négociations. Il est indispensable que les pouvoirs publics français soient eux aussi impliqués. Et c'est vrai dans de nombreux pays.
Q - Est-ce qu'il y a des endroits où ça pose problème, où à la limite il vaudrait mieux se cacher ou ne pas se montrer ?
R - Personnellement, j'ai dû faire au moins 6 fois le tour du monde depuis un an, accompagnant des entreprises françaises, introduisant des entreprises françaises ; je n'ai jamais été mal reçue et jamais je n'ai eu le sentiment d'apporter une moins value aux entreprises que j'accompagnais.
Q - Ce n'est pas ce que je vous ai demandé, ma question c'est est-ce qu'éventuellement, vous avez des conseillers techniques ou des collaborateurs qui vous ont dit "écoutez Madame le ministre, là ce n'est peut-être pas vraiment le moment d'y aller, on verra plus tard"?
R - Jamais, non.
Q - Je reviens à nos affaires turques, que leur avez-vous dit ?
R - J'avais la chance en Turquie d'être accompagnée par 50 entreprises françaises, qui allaient des grands groupes habituels : Areva, Alstom, Alcatel, Thales etc..., et toute une série de petites et moyennes entreprises qui étaient soit déjà implantées en Turquie soit qui avaient le projet de faire une implantation en Turquie. Et nous avons été extrêmement bien reçus, parce que les Turcs y voient - et mon homologue Tuzmen était parfaitement clair là-dessus -, une façon sur le plan économique de tisser des liens, dont ils considèrent que c'est le réseau inéluctable, inévitable et nécessaire de l'inclusion de la Turquie dans l'Europe.
Q - Est-ce que vous pouvez d'une façon ou d'une autre être confrontée à des prises de parole explicites ou allusives, sur le registre de : "est-ce que vous allez soutenir notre entrée dans l'Europe ou les marchés vous seront fermés "?
R - Cette question m'a été posée. Je n'élude pas le débat et nous avons eu avec la Chambre de Commerce et d'Industrie française en Turquie un débat tout à fait clair et limpide là-dessus. La Turquie est entrée dans un processus de négociations, pour son entrée dans l'Union européenne depuis le mois d'octobre 2005. C'est un processus qui va durer longtemps parce qu'il y a toute une série de mises à niveau qui sont nécessaires. Il y a déjà des efforts qui ont été engagés, la peine de mort a été supprimée, un certain nombre de libertés publiques sont maintenant bien plus respectées. Sur le plan économique, d'énormes progrès ont été faits, c'est un pays qui s'avance dans un chemin de démocratie et d'économie tout à fait libre dans son fonctionnement, il y a encore beaucoup à faire. Quand vous regardez le PNB par habitant...
Q - Est-ce qu'ils vous ont dit : "on nous prend comme ça ou on ne nous prend pas"?
R - Mais non, mais non... Mais ils le savent très bien d'ailleurs qu'il y a énormément de travail à faire, d'amélioration. Et si vous regardez le sort des 10 nouveaux entrants qui ont rejoint l'Union européenne, ils ont fait le même chemin. Et souvent, ils ont utilisé le prétexte de l'intégration dans l'Union européenne pour faire un certain nombre de modifications et de réformes internes qui, de toute façon étaient nécessaires.
Q - Comment vu d'Europe d'une certaine façon, on perçoit l'image de la France et l'image des entreprises françaises, et est-ce que c'est la même chose ? Sur ce rapport historique qu'on rappelait de la France avec ses politiques d'Etat, là aussi comment on est perçu ?
(...)
R - Ca me fait un peu rire de recevoir des leçons d'européanisme de la part des Anglais, et ça ne met pas du tout en cause l'excellent journaliste qui parlait tout à l'heure, mais c'est historiquement c'est un peu surprenant. Je peux dire trois chiffres ?
Q - Allez-y.
R - 6, 5, 4, 3, c'est quatre même, simplement parce que parfois j'explose, et j'ai besoin de me raccrocher à ces chiffres-là...
Q - 6, 5, 4, 3 ?
R - 6, 5, 4, 3. Alors 6, c'est la place de la France dans l'économie mondiale, 6ème joueur dans le monde ; 5 c'est le cinquième exportateur mondial ; 4 c'est le quatrième exportateur mondial de services, et 3 c'est en moyenne le rang de la France pour attirer des capitaux étrangers, c'est-à-dire les investissements directs étrangers ; cette année, c'est 4 mais en moyenne sur les 5 dernières années, on est le 3ème pays d'accueil des investissements étrangers. Alors quand on me dit que la France a mauvaise réputation, qu'elle est sur le déclin, qu'on ne l'aime pas, etc. ça me fait doucement rire, c'est pour ça que je vous dis 6, 5, 4, 3, voilà.
Q - Ségolène Royal aurait dit que la France était inaudible à l'étranger après 11 ans de "chiraquisme", qu'en pensez-vous ? Pour l'étranger, vous y passez votre vie ?
R - J'y passe ma vie et je peux m'inscrire en faux contre ces propos parce que la France n'est pas inaudible à l'étranger, c'est radicalement faux. Il suffit d'ailleurs pour s'en rendre compte de voir l'accueil réservé au président Chirac quand il se déplace, de voir l'accueil qui est réservé aux délégations françaises quand elles sont à l'étranger. Et je crois que...
Q - Ils sont peut-être juste bien élevés ?
R - Non, je crois que dans de très nombreux pays, la qualité de la relation politique entre les gouvernements en question, le gouvernement français et les gouvernements tiers, est bien supérieur à la richesse de la relation économique. J'entends très régulièrement : "pourquoi est-ce que les échanges économiques ne sont-ils pas au niveau de la qualité de la relation politique"? Je crois que la position qu'a prise la France, en ce qui concerne la guerre en Irak en particulier qui s'est levée contre la décision américaine, a considérablement renforcé l'aura de la France, et je le dis sans arrogance et sans fierté mal placée, pour simplement exprimer une voix différente qui n'était pas nécessairement la même que tous les autres.
Q - Comment évoluent nos relations économiques avec les Etats Unis ?
R - Elles évoluent bien, notre taux de croissance des exportations sur les quatre derniers mois est d'à peu près 10 % en moyenne ; aux Etats Unis il est de 21 %. Donc, on est en phase de récupération des pertes de parts de marché...
Q - C'est de la récupération...
R - Oui, mais c'est très important...
Q - Doit-on établir un quota de ventes d'entreprises françaises aux étrangers ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
R - Non, ce qu'on a fait c'est qu'on a identifié onze secteurs d'activité qui sont essentiellement dans la défense et dans la sécurité du territoire. Tous secteurs dans lesquels un investissement étranger est soumis à autorisation. Mais des quotas qui seraient vendables et d'autres pas vendables, non, les quotas on essaie d'en faire un peu moins.
Q - J'entends bien. Je crois que l'idée qu'il y avait derrière ça, c'est en gros : si on voit partir des tas de pans de notre économie, qu'est-ce qui va nous rester ?
R - Ce qu'il faut savoir, c'est qu'aujourd'hui 45 % du CAC 40 est détenu par des capitaux étrangers, les entreprises françaises s'en portent très bien. Elles sont très internationales, très mondialisées et elles vendent des produits qu'elles fabriquent pour partie ici, pour partie ailleurs, et ce n'est pas toujours dans des stratégies de délocalisation mais bien de prise de marchés à l'étranger. Moi je trouve que c'est excellent.
La France est un pays qui fournit des services, c'est un pays qui est la première destination mondiale en terme de tourisme, et où le PIB par habitant, c'est-à-dire la production du pays par habitant est une des plus élevées. Vous parliez de la Chine tout à l'heure. Le PIB par habitant en Chine, c'est quoi ? C'est 1.800 dollars ; en France c'est à peu près 30.000 dollars. Donc, il faut quand même appeler un chat un chat.
Q - Quelle est la stratégie industrielle de la France dans le monde ? Est-ce qu'il y a une stratégie industrielle dans notre pays ? Est-ce que vous la percevez en tant que tel ?
R - Ecoutez, il y a de toute évidence une stratégie industrielle. Si vous comparez par exemple l'économie britannique à l'économie française, les Britanniques ont renoncé bon an mal an à une stratégie industrielle, et ont préféré privilégier les services, notamment les services financiers. En France, on a très clairement une industrie encore extrêmement prospère et active. Dans le domaine de l'énergie, du nucléaire, la France est champion du monde. Si vous regardez l'industrie automobile, l'industrie aéronautique, ce sont des secteurs qui sont encore extrêmement vibrants et actifs. Je pense que personne n'a l'intention de renoncer, en particulier avec les initiatives sur la recherche : l'Agence pour l'innovation industrielle ; l'Agence nationale pour la recherche ; les pôles de compétitivité qu'on a développés au cours des dernières années sur des spécificités des technologies ; dans le domaine électronique également ; la technologie appliquée à des domaines plus traditionnels comme l'agriculture aussi. Très clairement, on veut maintenir une industrie en France./.
(Source : site Internet du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, ministère délégué au Commerce extérieur)
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juin 2006