Interview de M. François Hollande, premier secrétaire du PS, à "Europe 1" le 3 juillet 2006, sur les changements à la tête de plusieurs entreprises après le remplacement de N. Forgeard à la tête d'EADS, sur le projet du parti socialiste pour les échéances électorales à venir.

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Média : Europe 1

Texte intégral

Q- Bonjour, F. Hollande. Sortie de crise à EADS. Je me souviens que vous réclamiez des changements pour sauver cet emblème de l'aéronautique européenne. C'est fait, ça vous va ou pas ?
R- Oui, c'était une décision nécessaire, j'avais demandé au Gouvernement de s'impliquer dans cette affaire, car il s'agit d'une grande entreprise, grande entreprise européenne. J'avais demandé que le principe de responsabilité puisse jouer. N. Forgeard avec l'équipe de direction avaient laissé faire des retards, ils devaient rendre compte, ça n'a pas visiblement convaincu. Et puis, ensuite, il y avait eu cette affaire de stock-options qui avait beaucoup choqué.
Q- C'est ça qui a été l'élément déterminant pour vous ?
R- Je crois que ça été l'élément qui s'est ajouté et qui a été le facteur déclenchant. On ne peut pas lorsqu'il y a des échecs en plus encaisser une plus-value. Et je crois que là la morale publique s'ajoute aussi à l'intérêt des affaires et à l'image de l'entrepris.
Q- Dans cette histoire, les actionnaires ont joué leur rôle. Et est-ce que l'Etat a fait ce qu'il devait, est allé trop loin ou pas assez loin ?
R- L'Etat a tardé comme souvent.
Q- Il faut du temps pour prendre des décisions !
R- J'avais interpellé d'ailleurs le Premier ministre, ça a donné l'esclandre que vous savez. J'avais interpellé le Premier ministre, je lui ai dit, " est-ce que vous maintenez votre confiance à N. Forgeard ? ", et il n'a pas répondu ou il a répondu comme vous le savez. Il s'en est excusé, oublions cela. Mais, il n'avait pas répondu. Je crois que pour une grande entreprise comme celle-là, le temps compte. Il aurait fallu donc décider plus tôt. La décision maintenant est prise, l'entreprise a maintenant une équipe de direction. Je souhaite qu'elle puisse travailler dans le meilleur des esprits dans l'intérêt des salariés, dans l'intérêt de la France aussi.
Q- F. Hollande, L. Gallois remplace N. Forgeard après dix ans à la tête de la SNCF, ce qui lui vaut l'hommage de la CGT qu'on entendait ce matin. L. Gallois retrouve pleinement ses premières amours. Est-ce que lui c'est un bon choix, déjà ?
R- L. Gallois est un homme que je connais, c'est un homme de qualité, qui a été dans des fonctions extrêmement difficiles, d'abord à Aérospatiale, vous avez raison de le rappeler, puis ensuite à la SNCF. Il y a toujours réussi, réussi pas simplement sur le plan économique, industriel, c'est sa tâche,mais aussi sur le plan social. Et en plus il a le sens de l'Etat. Et dans cette entreprise, il faut aussi parler du sens de l'Etat et de l'intérêt général.
Q- Et qu'un Français soit à Toulouse, à la tête d'Airbus, C. Streiff ?
R- Je pense que c'est une garantie mais en même temps, nous sommes dans une entreprisse européenne et même s'il faut aussi faire prévaloir nos propres intérêts nationaux, il faut également avoir une idée européenne. Il ne faut pas simplement penser que par tel ou tel dirigeant, on va maintenir les actifs industriels.
Q- On conclut sur EADS. Le pacte d'actionnaires décidé sous la cohabitation Chirac/Jospin est maintenu. La bonne relation Paris/Berlin relancée. Est-ce que vous croyez, vous, toujours, F. Hollande, au programme industriel d'EADS, c'est-à-dire à la famille Airbus avec l'A370 et surtout l'A380 ?
R- Oui, moi, j'y crois.
Q- Au stade où nous sommes ?
R- J'y crois, j'y crois sur le plan de la réussite technologique, elle est impressionnante. J'y crois sur le plan de la réussite commerciale, elle est tout fait évidente, y compris par rapport à Boeing. Et j'y crois aussi au plan de la réussite européenne. C'est un choix que nous avions fait, vous avez raison de le dire, en cohabitation, enfin à l'initiative de L. Jospin, D. Strauss-Kahn y avait joué sa part. Et je crois que c'était très important d'avoir là plusieurs pays qui s'engagent. Pays, ça veut dire des Etats, en l'occurrence c'était l'Etat français, mais aussi des industriels, c'est ce qui avait permis ce pacte d'actionnaires. Et quand le gouvernement français avait laissé penser il y a quelques semaines qu'il fallait dénouer ce processus, je m'en étais inquiété.
Q- Ca n'a pas été fait !
R- Je crois que c'est important que les industriels jouent tout leur rôle et que l'Etat puisse aussi faire prévaloir son intérêt d'actionnaire.
Q- On change de sujet, encore que... Liées à la mondialisation, les fusions et les rapprochements dans les entreprises se multiplient aujourd'hui. La France s'en tire pas mal, plutôt pas mal, et C. Ghosn réunit en ce moment le conseil d'administration de Renault-Nissan sur un éventuel rapprochement avec l'américain General Motors qui est en crise. Est-ce que vous y êtes favorable, vous ?
R- Je pense qu'aujourd'hui dans la mondialisation il faut avoir des entreprises fortes et on ne peut pas se replier simplement derrière des statuts nationaux. Ce n'est déjà plus le cas depuis longtemps pour Renault. Renault a fait une alliance avec Nissan. Je souhaite que ce soit encore Renault qui contrôle l'entreprise. Et donc, si l'alliance éventuelle avec General Motors permet de consolider Renault, voire même de la renforcer, je m'en félicite. Si en revanche, c'est un phénomène d'absorption de Renault par une grande entreprise étrangère, je m'en inquiète et je demande donc là transparence et clarté.
Q- Le Parti Socialiste a depuis samedi son projet. Les militants vous ont acclamé debout, on l'a observé. Est-ce qu'ils veulent que vous incarniez ce projet ?
R- Ils veulent que ce projet soit défendu, promu, expliqué. Ils veulent que ce projet soit l'élément central de la campagne des socialistes à l'élection présidentielle.
Q- Mais est-ce que ça veut dire que ce projet est fait pour présider, gouverner la France où est-ce que c'est un projet pour quatre mois. Je veux dire que le candidat qui va être investi en novembre est-ce qu'il aura son programme autonome, avec ses propres couleurs ?
R- Non. Le projet du candidat, je le dis, ici, nettement, sera le projet des
socialistes. Il pourra y apporter sa touche personnelle, il pourra y apporter ce
qu'il...
Q- ... de petites choses, quoi !
R- ... ce qu'il représente comme incarnation d'une volonté, d'une idée principale. Mais le projet du candidat, c'est le projet des socialistes. Nous n'avons pas fait tout ce travail de dialogue, de discussion, d'élaboration collective, de rencontres avec d'autres formations politiques de gauche, avec les syndicats, avec les associations pour maintenant dire, voilà notre projet tel que nous l'avons adopté à l'unanimité, c'est un vague cadre dans lequel nous pourrons éclairer le tableau. Pas du tout ! Pas d'avantage un socle sur lequel nous pourrions monter dessus, voire nous asseoir dessus. Il n'en est pas question. Le projet c'est celui maintenant que nous devons présenter aux Français comme un contrat. Moi, j'ai une conception de la politique, elle est très simple, on se présente devant les électeurs avec une somme d'engagements. Ils vous choisissent non pas en tant qu'individu, ils vous choisissent en tant qu'équipe pour porter une somme d'idées, de propositions et après, nous sommes jugés par les élections, puis ensuite aux lendemains des élections, par la capacité que nous avons à réussir ce contrat.
Q- F. Hollande, est-ce qu'il y a au PS un effet Jospin ?
R- Vous savez, L. Jospin il a toujours été respecté.
Q- Non, non, mais est-ce qu'il y a un effet Jospin ?
R- Mais il n'y a pas besoin d'avoir un effet.
Q- Il y a une présence ou pas ?
R- Il y a tout simplement une présence de L. Jospin qui a toujours été...
Q- ... une présence absence, il n'était pas là samedi.
R- Oui, mais une présence qui n'a pas besoin d'être incarnée physiquement
pour le moment, mais qui a toujours été dans le Parti Socialiste, morale,
politique. Il a toujours su éclairer nos choix même quand il avait pris cette
décision de se retirer de la vie politique.
Q- Est-ce que certains candidats vous ont déjà annoncé qu'ils allaient s'effacer ou se désister en faveur de L. Jospin ?
R- Vous leur poserez la question...
Q- ... non mais, à vous. Moi, je suis pas premier secrétaire du parti.
R- Je vous le confirme, mais pour moi il est tout à fait majeur que les socialistes aujourd'hui ne se préoccupent que d'une chose, pas que d'une personne, que d'une chose : le projet socialiste. Et donc, pendant les prochaines semaines -je ne vais pas aller interroger mes amis socialistes - je vais aller interroger les Français. Qu'est-ce que vous attendez de nous ? Nous, voilà ce que nous vous proposons. Je veux faire en sorte que les idées, les propositions, il y en a de nombreuses sur l'emploi, sur le pouvoir d'achat, sur l'environnement soient centrales. Je ne vais pas me préoccuper des personnes et donc je ne vais pas aller voir tel ou tel pour leur demander, vous restez ou vous retirez, je ferais ce choix, parce qu'il faudra le faire, à la fin du mois de septembre ou au début du mois d'octobre. Je réunirai tous les protagonistes, je dirai maintenant c'est quand même un moment très important, c'est une décision essentielle. Ce que nous allons faire, nous, entre socialistes - nous sommes plus de 200.000, 80.000 nous ont rejoints, c'est très bien - mais ce que nous avons à faire c'est pour des millions de Français et donc nous avons à désigner sans doute, je l'espère, le prochain président de la République. Ca mérite quand même un peu de précaution, un peu de dignité, un peu d'interrogations, un peu de réflexion.
Q- Mais on a noté que L. Jospin fait appel à la sagesse du premier secrétaire, à votre sagesse, c'est à la fois gentil et perfide ?
R- Non, ce n'est jamais perfide la sagesse.
Q- Est-ce qu'il aura un traitement à part, est-ce qu'il est comme les autres, malgré son passé ou sa stature, mais il est au-dessus des autres ?
R- Il n'a pas fait acte de candidature, L. Jospin...
Q- Mais c'est un début d'acte de candidature. C'est un appel à l'appel à Jospin. Vous le savez.
R- Il a dit qu'il était disponible, et que si on pensait qu'il était une solution il était prêt à être cette solution. Pour l'instant, il n'est pas allé plus loin, il n'avait pas d'ailleurs à aller plus loin. Donc mon rôle, je ne serais pas le seul à l'accomplir, c'est de faire en sorte que nous dégagions le moment venu ... mais c'est très concret, la meilleure solution.
Q- Soyons précis. S'il lui venait l'idée, l'intention de faire acte de candidature, il faudrait qu'il se présente le moment venu comme tous les autres candidats ?
R- Oui bien sûr, il n'y a pas de distinction, il n'y a pas de statut spécifique. Chaque adhérent du PS, y compris le plus prestigieux, a le droit de faire acte de candidature, mais ce sont les militants et les militants seuls qui décident.
Q- Et avec tant de candidatures pour 2007 ...
R- Je ne sais pas s'il y en aura tant. Laissons les choses se faire.
Q- Mais vous pensez que certains pourraient laisser la place.
R- Je pense qu'à un moment ou à un autre...
Q- A votre avis, avec votre propre expérience...
R- Ne me flattez pas pour me faire parler, J.-P. Elkabbach. Les choses seront plus simples, à un moment où il faudra choisir, et je fais confiance à l'esprit de responsabilité collective.
Q- Comment seront-ils départager les 3, 4, 2 qui resteront ?
R- Mais par le vote, c'est tellement simple. D'ailleurs L. Jospin l'a confié, nous aurons forcément un bon candidat. Je n'ai pas de doute, celui ou celle que nous choisirons - et je vois les hommes et les femmes, en l'occurrence l'une d'entre elle - sont de qualité.
Q- Est-ce que vous vous pouvez encore penser que vous pouvez rassembler ?
R- Moi c'est mon devoir de rassembler, je le fais comme premier secrétaire.
Q- Non, non, pas arbitrer, pas être juge de paix, mais rassembler. C'est à dire faire la synthèse autour de vous, même si vous êtes loin de ceux qui sont en tête dans votre parti.
R- Ce n'est pas au moment où je dis que les questions de personnes ne doivent pas être centrales, que moi-même je vais mettre ma personne au centre.
Q- Vous avez dit "une équipe". Est-ce que vous vous voyez en couple avec L. Jospin, ou avec S. Royal ?
R- Avec le Parti Socialiste. C'est la meilleure façon d'avoir des enfants.
Q- (Rires) Ne vous fâchez pas...Lionel... euh...
R- Je vous trouble, c'était bien l'objet.
Q- (Rires) C'est bien d'être enfin ce que vous êtes, c'est à dire drôle. F. Hollande, ne vous fâchez pas.
R- Je ne me fâche pas.
Q- Et la demande en mariage ?
R- La vôtre ? Je ne la connais pas.
Q- Non merci. C'est déjà fait. Est-ce que vous l'avez découvert dans la presse ?
R- Ecoutez je crois que c'était une réponse qu'elle faisait à - Vous parlez de S.
Royal - à une proposition d'Oscar Temaru d'aller faire un voyage.Le voyage
n'est pas à l'ordre du jour.
Q- Mais pourquoi cela vous a agacé ?
R- Cela ne m'agace nullement...
Q- Cela vous a même mis en colère, dit-on.
R- Rien ne me met en colère, vous le voyez bien. Mais ce n'était pas du tout à l'ordre du jour. Et puis je pense qu'il...
Q- Vous n'aimez pas la Polynésie.
R- Non, ce n'est pas que je n'aime pas la Polynésie, je n'y suis jamais allé, je devrais y aller. Je remercie Oscar Temaru de faire ce qu'il fait. Non, j'ai simplement un principe : c'est que moi je sépare la vie publique, politique, de la vie privée. La vie privée ne regarde personne, la vie politique elle suppose que vous me posiez des questions et que je vous y réponde.
Q- Oui la vie privée en politique, est-ce qu'elle ne prend pas tant et trop de place...
R- Trop de place...
Q- Justement parce que beaucoup finissent par s'y soumettre.
R- Eh bien je ne m'y soumets pas.
Q- Eh bien vous avez sans doute raison. Et vous pensez que pendant la campagne électorale de 2007, cette mode de la vie privée dans la politique doit disparaître à la fois personnellement et pour le pays ?
R- Il est normal de juger les personnes en fonction ce qu'elles sont, mais on ne demande pas de tout dire, de tout montrer, ni même d'ailleurs de tout regarder. Donc à partir de là, jugeons les idées, les propositions. C'est trop important le choix de 2007. Pour moi, l'élection de 2007 elle est aussi importante que l'élection de 1981. Nous avons là un choix de société, pas simplement un choix de personnes, de savoir lequel ou laquelle d'entre nous dans le pays, mais un choix de société. Quel projet, quelle conception de la France. Et je crois qu'aujourd'hui, on voit bien les distinctions, on voit bien les clivages, il y a un modèle qui est celui de N. Sarkozy, de libéralisme alors un peu autoritaire, un peu communautariste, mais on voit bien l'idée, même s'il essaye de la masquer, et puis de l'autre il faut que les socialistes, ils l'ont fait à travers leur projet, montrent qu'ils ont une capacité à mettre en réussite notre pays. Réussite collective, réussite individuelle.
Q- Mais vous avez noté que personne ne croit qu'avec ce projet le PS fait le saut vers la social-démocratie et qu'il assume sa conversion idéologique vers un réformisme souple, pragmatique. On en parlera peut-être une autre fois.
R- On ne nous demande pas de faire de l'idéologie, on nous demande de réussir. C'est le plus important.
Q- Mais je voudrais vous poser une question, et je ne veux pas oublier, vous avez désigné les candidats PS aux prochaines législatives, il y a 49 % de femmes, 23 candidats pour les minorités visibles. Il paraît qu'il n'y a pas assez de Noirs. Harlem Désir en appelle, dans le Parisien, à F. Hollande. Réponse ?
R- D'abord nous avons réussi la parité : autant de candidates que de candidats pour le PS aux élections législatives de 2007. Nous avons réussi à représenter la diversité, vous avez dit 20-25 candidats venus justement de la richesse de notre pays. C'est vrai qu'il y a un problème avec une candidate, qui est une candidate, G. Pau-Langevin, qui doit trouver une circonscription parce que je crois que c'est une femme de qualité. Et moi je veux juger les candidats, les hommes et les femmes en fonction de leur qualité.
Q- Pas de choix communautariste ?
R- Non, mais des choix qui représentent ce qu'est notre société.
Bonne journée, merci d'être venu.
Source:premier-ministre, Service d'information du gouvernement, le 4 juillet 2006